Le diurnal BnF lat. 10 491, selon F. Avril, le «!plus ambitieux du point de vue
artisti-que!qui ait été conçu pour le duc René II de Lorraine!»29
, est un ouvrage remarquabl
e-ment moderne pour son temps. Dans sa décoration, il mêle héraldique et thèmes
bibli-ques!: plusieurs peintures à pleine page réalisées entre 1492 et 1494 par l’enlumineur en
titre du duc, Georges Trubert, sont marquées des emblèmes de René II30
. Certaines
reprennent aux quatre coins le monogramme RE de René (fol. 147v
), en filets argentés
29 Cf. Avril et Reynaud, Les manuscrits à peinture en France, Paris, Bibliothèque nationale, 1993, notice 215, p. 379. Il ajoute!:«!Le diurnal est un véritable chef-d’œuvre de librairie, tant par les matériaux employés que par le raffinement de son exécution!: modèle de sobriété élégante où l’écriture, une gothi-que ronde à l’italienne, joue un rôle primordial, il est calligraphié à l’encre noire sur un parchemin d’une finesse, d’une blancheur et d’un poli inaccoutumés, avec des paragraphes entiers de fin azur!; l’absence de toute décoration marginale aux pages de texte met en valeur la pureté du parti. Cet Elzine [calligraphe de l’ouvrage] – que l’on trouve documenté à Grasse en 1479, où les syndics de La Napoule lui comman-dent un missel, et qui signera en 1501 un missel de Villeneuve-lès-Avignon – avait déjà écrit en Provence le livre d’heures lat. 1157 de la Bibliothèque nationale, peint par Trubert, collaboration qui laisse suppo-ser que c’est sur la recommandation de son enlumineur que le duc a fait venir en Lorraine cet écrivain remarquable.!»(pp. 379-380)
30 Cf. Avril et Reynaud, op. cit, et C. de Mérindol, «!L’imaginaire du pouvoir à la fin du Moyen-âge!»,
ou dorés!; d’autres sont décorées de branches noires et rouges à ses couleurs et enlacent
son emblème personnel du chardon (fol. 7) au milieu d’un décor végétal de fraises et de
pensées. D’après l’analyse de Mérindol, ce recoupement de l’héraldique et de
l’emblématique dans les encadrements décoratifs, de même que le contexte politique qui
vit gouverner le duc de Lorraine, permettent d’éclairer le sens des peintures du diurnal31
.
Les remous entourant les titres de roi de Sicile et de Jérusalem que réclamait pour lui
René II, en concurrence avec Charles VIII, ainsi que le projet de croisade qu’il
nourris-sait depuis 1480, seraient une clé de lecture de plusieurs enluminures32
.
En effet, dans certaines peintures, ces rapprochements sont assez clairs. C’est le
cas d’une enluminure du roi David remerciant Dieu après la victoire sur ses ennemis,
placée en tête du psaume 26, Dominus illuminatio mea33
(fig. 2)!: selon Mérindol, le
31 Christian de Mérindol, «!La politique du duc de Lorraine René II (1473-1508) à l’égard de la seconde maison d’Anjou, de la France et de la Bourgogne, d’après le témoignage de l’emblématique et de la thématique!», [Comité des travaux historiques et scientifiques de France, section d’Histoire médiévale et de Philologie], Les pays de l’Entre-deux au Moyen Age. 113e congrès national des Sociétés savantes,
Strasbourg, Histoire médiévale et philologie, Paris, CTHSt, 1990, pp. 61-114.
32 En 1491, un traité rédigé par Liénard Baronnat (B.N.F., ms. fr. 5742) s’appuie sur des documents orignaux pour trancher la question sicilienne. Une commission du Parlement, après analyse de ce traité, valide les droits de Charles VIII et dresse un parallèle entre la Maison de France et la Maison de David (fol. 34-36). Elle exige de René II l’abandon des titres de roi de Sicile et de comte de Provence. À la veille de son expédition, Charles VIII veut cependant conserver l’appui du duc de Lorraine dans la prépa-ration de la conquête de Naples, un projet qu’étudiait le duc depuis 1480. Les intrigues du pape compli-quent l’affaire!: le 28 janvier 1492, Innocent VIII se réconcilie avec le fils illégitime d’Alphonse Ier, Ferrant Ier, qui régnait alors à Naples. Le 21 juin de la même année, René II proteste à Rome et au mois de janvier suivant, prend le titre de roi de Sicile et de Jérusalem. C’est dans ce contexte qu’est exécuté le diurnal de René II de Lorraine. Au printemps de 1494, Charles VIII prend le titre de roi de France et de Jérusalem!; son expédition italienne s’achève l’année suivante. Dès 1496, un accommodement avec le roi de France concède à René II 36 000 livres, en dédommagement de ses pertes. Mais le prince garde, malgré les vives protestations du roi, le titre de roi de Jérusalem et de Sicile, qu’il transmettra par testa-ment à son fils aîné. Cf. Mérindol, op. cit. (1995), pp. 70-71.
décor et les choix iconographiques feraient allusion à la victoire du duc de Lorraine sur
Charles le Téméraire, laquelle permit à René II de se consacrer essentiellement à ses
droits sur le royaume de Naples34. Une seconde enluminure, sur laquelle nous revie
n-drons ultérieurement, évoque le triomphe de la chrétienté sur les Infidèles avec pour
décor, un temple sarrasin35
. Ailleurs, l’allusion historique semble plus subtile, mais un
élément demeure!: les passages de l’Ancien Testament portent une double espérance,
celle de l’avènement du Christ, assurément, mais aussi le rêve de conquête partagé par
toute l’Europe, à l’origine des guerres d’Italie. C’est donc sur la question de l’Ancien
Testament en tant que miroir de l’histoire humaine que réfléchissent les enlumineurs,
d’une manière à la fois classique et problématique.
Une peinture du diurnal de René II de Lorraine (fig. 3) illustre tout
particuliè-rement cette rencontre de la Bible et de l’histoire, indissociable du contexte prophétique
de la fin du Moyen Âge. Elle condense l’espérance principale de tous les livres de
l’Ancien Testament, l’attente d’un libérateur pour Israël, dans un horizon politique dicté
par l’imminence de la conquête de Naples!: David et les prophètes qui l’entourent
appa-raissent comme les ‘prophètes en actes’ d’une promesse de salut, et le psalmiste comme
le type du prince chrétien auquel en incombera la mission. L’importance accordée à la
promesse de Yahvé à David et sa récurrence dans les révélations faites aux grands et
aux petits prophètes de la Bible méritent qu’on s’y arrête, car elles évoquent les
34 «!Le rapprochement avec certains événements importants de la vie de René II est évident, notamment la victoire sur Charles le Téméraire, les prétentions au royaume de Naples – René prend le titre de roi de Sicile et de Jérusalem en janvier 1493, pendant l’exécution des peintures – enfin la transmission des pouvoirs à son héritier.!» Mérindol, op.cit. (1995), pp. 83-84.
paux passages vétéro-testamentaires où s’érige la figure de David-Sauveur, dans un
contexte joachimite de fortes espérances messianiques et politiques.