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Bien sûr, la célèbre histoire du combat de David contre Goliath n’a pas le

mono-pole des légendes bibliques qui circulent chez les auteurs chrétiens du XVIe

siècle.

Au-tour du psalmiste et du musicien circulent également des histoires qui plongent leurs

racines dans l’antiquité juive. Un ouvrage ambitieux de Guillaume Telin visant à faire la

somme des connaissances de son temps rapporte, au chapitre sur La Loenge de musique,

une légende sur l’inspiration dont bénéficiait David lors de la rédaction du psautier!:

Cela appert au livre des Thalmistes, si verite est en cela trouvee, qui disent que quant David se couchoit au soir, il mettoit pres de luy sa harpe pendant à un croc pres de la fenestre, sperant et attendant le matin pour achever ses pseaulmes com-mencez, affin que quant le vent sentiroit frapper sur ses cordes, il congneust laspi-ration du sainct esperit et la descente de son armonye, qui luy favorisoit en toute la composition de son psaultier186.

Il ressort clairement de cet extrait qu’un certain nombre de commentaires

talmu-diques («!thalamiques!», dirait Telin) constitue une autre source à laquelle puisent des

humanistes de la Renaissance. En ce qui a trait à cette légende, un passage des

Antiqui-tés bibliques du pseudo-Philon lie la composition des psaumes à la tombée du jour. Cette source fait état d’une fable selon laquelle David aurait composé et joué la plus

grand nombre de ses psaumes pour exorciser les angoisses nocturnes de Saül. Le

psal-miste écrit et joue de la cithare au milieu de la nuit et ce sont ces arpèges qui aident le

roi en titre à retrouver une bribe de sens dans le réel!:

En ce temps-là, l’esprit du Seigneur fut enlevé de Saül et l’esprit mauvais l’étouffait. Saül envoya chercher David, et, la nuit, il exécutait un psaume sur la cithare. Voici le psaume qu’il exécutait pour Saül, afin que l’esprit méchant s’éloignât de lui!: «!Ténèbres et silence il y avait, avant que le monde fût. / Mais le silence devint parole et les ténèbres clarté. / Alors ton nom a été prononcé lors de

186 Guillaume Telin, Bref sommaire des sept vertus, sept ars liberaulx, sept ars de poesie, sept ars m e-chaniques, des philozophies, des quinze ars magiques. La louenge de musique. Plusieurs bonnes raisons a confondre les Juifz qui nyent ladvenement nostre seigneur Jesuchrist. Les dictz et bonnes sentences des philosophes!: Avec les noms des premiers inventeurs de toutes choses admirables et dignes de scavoir,

l’agencement de l’espace. / L’En-Haut fut appelé ciel et l’En-bas désigna la terre.187

Le psaume de la Création rapportée par le pseudo-Philon est sans équivalent dans

l’Ancien Testament. Il en va de même pour la légende de David déchirant le silence de

la nuit avec ses instruments188. Le pseudo-Philon l’emprunte aux temps reculés du j

u-daïsme babylonien, où différents récits faisant de David un musicien illuminé – en

par-ticulier de nuit!– s’étaient imposés dans la mémoire collective juive. Selon certaines,

l’Élu consacrait tellement de temps à étudier la Bible et à mettre ses prières en musique

qu’il se satisfaisait volontiers, chaque jour, de soixante secondes de sommeil

seule-ment189. Une autre version de l’histoire raconte que sur le coup de minuit, les cordes de

sa harpe, fabriquées avec les nerfs du bélier qu’Abraham aurait sacrifié à Yahvé à la

place de son fils Isaac sur une montagne de Moriyya (Gn. 22, 1-19), se mettaient à

vi-brer toutes seules!; David alors se réveillait et se mettait à étudier la Torah190. Dans le

court passage des Antiquités bibliques auquel fait allusion Guillaume Telin, c’est une

très ancienne légende talmudique, emblématique de la représentation mystico-musicale

de David qui a traversé les siècles et les cultures, qui est évoquée!: dans les ténèbres de

la nuit, lorsque le doute et les angoisses torturaient l’âme de Saül, l’instrument à dix

cordes réveillait David et l’avertissait de la détresse du roi. Alors David se levait et

187 LAB 60, 1-2.

188 On lit au psaume 77 (76), v. 6, dans les traductions basées sur la Septante et la Bible syrienne, que

David «!murmure dans la nuit en mon cœur!». La Torah écrit!: «!je me souviens de ma musique!». Il n’est pas question d’exécution musicale aux heures nocturnes. Cf. La Bible de Jérusalem, op. cit., p. 956, note f.

189 The Jewish Encyclopedia, op. cit., p. 455. 190 Idem.

piré par l’Esprit, il méditait l’Écriture et mettait en musique ses réflexions sous la forme

de prières et de psaumes, jusqu’au lever du jour!:

Comment David savait-il qu’il était minuit? David avait un signal, selon ce que R. Hana b. Bizna a dit au nom de R. Siméon le Pieux!: une harpe était suspendue au-dessus de son lit, et, à minuit exactement, un vent du nord venait souffler sur l’instrument et le faisait vibrer. Aussitôt David se levait pour s’atteler à l’étude de la Torah jusqu’à l’aube. […] Et c’est par l’action secrète de son étude d’après-minuit que David suscitait l’éveil de l’aube191.

Une certaine culture juive a bel et bien déteint sur un nombre non négligeable de

poètes chrétiens de la Renaissance comme Pierre Telin et Pierre Sala!: elles permettent

l’irruption dans la littérature d’un personnage certes biblique et sacré, mais également le

héros de fables dont l’origine dépasse largement les limites de la culture chrétienne. Les

sources qui mènent à l’élaboration du David des poètes sont plus variées qu’il n’y

para-ît, elles relèvent de la Bible et de ses commentaires autant que des Histoires saintes,

chrétiennes ou juives.

L’histoire sainte pratiquée par plusieurs poètes du début de la Renaissance trace un portrait de David non seulement sacré et hiératique, tributaire de la lettre de la révélation biblique, mais aussi doté de facettes populaires qui remontent à la littérature intertestamentaire. Non seulement l’aspect prestigieux et magna-nime du David de la Bible trouve-t-il une bonne place dans les œuvres qui lui sont consacrées, mais on n’hésite pas à embellir son image par des ajouts parfois extra-canoniques visant à rehausser sa grandeur, que ce soit par l’ajout de fables ou par une insistance sur sa dimension messianique. Avant l’avènement de la Réforme, il semble bien qu’on fait appel à des sources hybrides, aussi diverses que l’Ancien Testa-ment, les Pères, Flavius Josèphe et le pseudo-Philon pour faire du personnage biblique une figure

lé-gendaire. Même si le monarque se pare dans certaines occasions d’ornements sans

dement scripturaire, la diffusion des ouvrages qui le présentent ainsi n’est pas compromise. Bien plus,

les poètes trouvent dans cette variété de visages une richesse attrayante.

La Bible, devenue livre, puis livres, ancrée dans l’Histoire, puis sujet de belles

histoires, fournit aux hommes de lettres les bases d’une culture sacrée. Le folklore

reli-gieux, à l’époque de Charles VIII, perpétue cette souplesse qui concilie Écritures et

mythes!: le mythe du roi de France comme nouveau David, chef de Croisade monté

contre les infidèles, y puisera le thème du jeune roi appelé à défendre l’Église contre les

usurpateurs et les hérétiques. Dans le cercle de la cour, l’exemple de David nourrira de