127 Idem, chapitre 131, deuxième colonne du premier folio. 128 Idem.
Conformément aux thèses évhéméristes, le souci de vérité et d’exactitude qui
traverse la Mer des histoires n’exclut pas d’évoquer à côté de la Bible le cortège
my-thologique, comme cela avait d’ailleurs été le cas dans l’Histoire scolastique de Pierre
le Mangeur et son adaptation par Guyart des Moulins dans la Bible historiale. David est
bien un personnage de l’Histoire, mais cela ne l’empêche pas de voisiner avec les héros
des histoires. Pour des Courtils, les prédécesseurs de David au temps des Juges ont leur
lot de contemporains mythiques!: Tola vit au temps «!de Carmentis la nymphe qui
trou-va les lettres latines!»129, Jephté au temps «!de Pigmalion frere de Dido et Agame
m-non!»130 et Ibçân, en même temps qu’Hercule 131. David est le contemporain de Codrus
et précède de quelques générations à peine l’époque des dix Sibylles. Parallèle à
l’Histoire Sainte, l’histoire profane se joint à elle sans jamais lui être subordonnée!:
au-cune pénétration, auau-cune mainmise de la première n’infléchit le récit de la seconde. La
Renaissance s’en souviendra.
La Fleur des princes (1502) de Symphorien Champier132, placée en toute fin de
la Nef, évoque ainsi la carrière de David dans la foulée de celles de Philippe de
Macé-doine, d’Alexandre le Grand et de Jules César, mais aussi du philosophe et roi des
La-cédémoniens Lygurgus et de Zoroastre, inventeur de la magie et des arts libéraux. De
même, le Miroir d’éternité de Robert le Rocquez 133 et la Prosopographie ou Chronique
129 Jg. 10. Mer des hystoires, op. cit., ch. 110. 130 Jg. 10, 6 – 12, 7. Idem, ch. 112.
131 Jg. 12, 8. Idem, ch. 113.
132 Symphorien Champier, La Fleur des princes, ou sont declairez en brief les faictz et vertus daucuns
anciens nobles princes […], in Robert de Balsac, La Nef des princes et des batailles de noblesse […],
Paris, Pierre le Dru pour Geoffray de Marnef, s.d., fol. 28v.
133 Le Miroir d’éternité , comprenant les sept aages du monde, les quatre monarchies, et diversité des
du monde d’Antoine du Verdier134, dans un cadre chronologique d’une apparente r
i-gueur, nous présentent David au quatrième âge, entre les Anciens et les personnages
mythologiques. Le point charnière que représente David dans l’histoire du monde
conti-nue d’être garanti. La Bible scelle la vérité de l’histoire, dût-elle inclure dieux et
légen-des.
Mais les catégories, en particulier à la Renaissance, sont loin d’être
herméti-ques!: s’il est rare que les dieux antiques prennent des allures bibliques, l’inverse n’est
pas vrai!: il arrive que l’histoire profane vienne déteindre sur l’histoire sacrée et lui
don-ner un sens. Dans le Miroir d’éternité, le récit de la mort de Codrus, roi d’Athènes, pour
le salut de son peuple dans la guerre du Péloponnèse sert de prétexte à évoquer la Grèce
ainsi qu’une curieuse généalogie poétique de David. Celui-ci apparaît comme le
succes-seur direct d’Homère et d’Hésiode, dont la gloire et le prestige rejaillissent, en vertu de
cette proximité, sur son testament poétique – et en particulier sur l’élégie posthume qu’il
consacre au fils de Saül, Jonathan (II Sam. 1, 17-27). Placé comme un contemporain des
plus illustres auteurs helléniques, le psalmiste forme avec les plus célèbres d’entre eux
un trio dont le point de rencontre est le déclin du troisième âge!:
Lorsque Saül regnoit devant David. Le docte Homere estoit, qui escrivit Son Iliade, en quoy il a comprise
Des forts Troyens, et des Grecs l’entreprise, Entremeslant trop plus de fictions,
Que verité, en ses inventions,
134 Prosopographie ou Description des personnes, patriarches, prophètes, dieux des gentils, roys,
consuls, princes, grands capitaines, ducs, philosophes, orateurs, poètes, jurisconsultes et inventeurs de plusieurs arts, avec les effigies d’aucuns d’iceux…, Lyon, Paul Frelon, 1604. David apparaît au second
Pleines en tout de moult grave sentence. De tres-beaux dits, et de toute eloquence. Au mesme temps, Hesiode excellent Poëte, vivoit, qui par carme recent, Fut le premier lequel print soing et cure, Escrire en vers l’estat d’Agriculture. Saül, avoir la vertu emploué
De ses enfans sur le mont Gelboé, / En poursuyvant Philistiens à la lance Y fut occiss, et navré à outrance, Et ses enfans!: dont David lamenta Son vray amy le loyal Ionatha, Fils de Saül, duquel la destinee A l’aage tiers a mis fin terminée.
§ Fin du tiers aage du monde.135
La présence simultanée en Grèce des auteurs de l’Odyssée et des Travaux et les
jours n’a rien d’étonnant. En effet, la composition du Combat d’Homère et d’Hésiode les avait imaginés se rencontrant par hasard dans ces luttes décrites par Gannitore, pour
célébrer les funérailles du père Anca, où le poète de l’agriculture et de la paix l’avait
remporté sur celui qui avait chanté la guerre. Mais celle de David à leur côté surprend
davantage!: la chronologie des Paralipomènes avait fixé le début de son règne mille ans
avant notre ère, soit plus de deux siècles avant Homère et Hésiode, et même les
Chroni-ques de l’époque situaient ces derniers à la fin du quatrième âge, après l’édification de Carthage par Didon136. Leur apparition à l’époque de Saül vise à faire marcher David
135 Robert le Rocquez, op. cit., fol. 38-39r-v.
136 Dans la Prosopographie, le règne de David commence vers l’an du monde 2896, alors qu’Homère et Hésiode apparaissent vers l’an du monde 3189.
sur les traces de prestigieux ancêtres, à faire retomber sur lui la renommée de ses pairs,
dont la reconnaissance poétique semble surpasser la sienne137.
Un glissement du sacré vers le profane apparaît également chez Antoine du
Ver-dier, dans le médaillon qui représente David!: buste nu, herculéen, les épaules drapées
d’un manteau flottant au vent et les hanches couvertes d’une jupe à l’antique, David
ressemble curieusement à Hercule, une autre conséquence de l’évhémérisme
omnipré-sent dans l’ouvrage où dieux et prophètes se côtoient sur terre et au ciel. David est le
contemporain de Druis, expert en l’art de la magie, et fondateur de l’ordre des Druides,
«!gens pleins de superstition, habitans dans les foretz, et desertz, comme font les
her-mites, y sacrifians en tout temps, avec opinion qu’ils avoyent de sçavoir cognoistre tous
les secrets et vertus de la nature, et tels estimez qu’estoyent les Mages, ou sages
Per-sans, les Caldees des Assyriens, les Scribes des hebrieux, etc.!»138. Il précède de deux
siècles Homère, proclamé fils de Calliope et placé au ciel avec les muses, et est promis à
l’immortalité en raison du modèle monarchique, poétique et religieux qu’il lègue à
l’humanité.
137 Ce désir de décloisonner le temps trouve également un écho dans la Prosopographie (op. cit., p. 224), où David n’initie pas seulement le quatrième âge, mais prend une figure d’éternité!:!
Un David a esté Roy, Poëte et pasteur,
Et maintenant encor’ sert d’exemple à ces trois. Car il apprend aux Rois à rendre un iuste honneur A celluy qui est Roy par dessus tous les Rois. Il apprend au Poëte à n’employer sa voix Qu’à chanter du treshaut l’excellente grandeur!: Et apprend aux pasteurs les chemins les plus droicts, Pour guider leurs troupeaux és voiyes du Seigneur. 138 Op. cit., p. 225.
Ainsi, la Renaissance ne fait que confirmer la place des figures bibliques à côté
des personnages nés de la civilisation, tirant tout ce beau monde vers le haut, par un
transfert de qualités!; au contact des dieux et des hommes, l’Histoire Sainte gagne en
fantaisie, mais elle le leur rend bien en offrant une caution à leur place dans l’éternité. Il
n’est pas excessif de dire qu’elle leur donne même une maison dans le ciel, comme le
suggère ce conseil de Zwingli adressé à François 1er
en 1531 :
Si tu suis les traces de David, tu verras un jour Dieu lui-même!; et près de lui tu dois espérer de voir Adam, Abel, Énoch, Paul, Hercule, Thésée, Socrate, les Ca-tons, les Scipions…
Dans les recueils des historiens et des poètes, le héros d’élection d’un livre sacré,
la Bible, et le héros de livres au pluriel, les Bibles imprimées, s’impose à l’esprit des
lecteurs comme un repère de l’Histoire. La démarche de la pensée qui apprécie David
non seulement sous l’angle de la révélation divine, mais sous celui du temps humain,
contribue à son épanouissement dans une littérature souvent peu encline à relayer
l’héritage de quinze siècles de théologie, mais en quête de sujets nobles et prestigieux.
Cette approche laïque du bethléemite trouve une autre forme d’expression dans le
folklore religieux qui circule encore à la Renaissance!: plusieurs sources
intertestamen-taires brodent autour de David un certain nombre de fables qui font du roi des juifs le
héros d’une belle histoire. Dans les ouvrages qui les rapportent, le roi biblique apparaît
au cœur d’un travail poétique d’embellissement et d’imagination. Ce dernier aspect du
monarque nous transporte de la théologie à la littérature, il fournit la trame d’un rapport