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Plutôt qu’une simple conséquence de l’émergence du livre, la floraison d’éditions

mo-dernes consacrées à David au XVIe

siècle répond, dès la naissance de l’imprimerie, à

une demande prononcée pour son œuvre. Le fils cadet de Jessé est en effet une figure de

proue de l’histoire du livre, il est une référence non seulement sur le plan spirituel mais

aussi sur le plan matériel!: l’intérêt qu’il suscite joue un rôle moteur dans le

développe-ment de l’imprimerie40.

Au temps de Gutenberg, le souci de réaliser une édition de la Bible au complet,

Ancien et Nouveau Testament ensemble, entraîne le développement de la technique

éditoriale!; cet élan technique inaugure une époque de plus vaste diffusion de Samuel,

des Chroniques et des Psaumes, dont les éditions ne cesseront plus par la suite de se

multiplier. La première pierre de cette fortune éditoriale de David est apportée par

Gu-tenberg, qui réalise dans les années 1452-53 l’impression de la Bible en 42 lignes, en

40 L’outil indispensable pour localiser les Bibles de la Renaissance conservées dans les bibliothèques parisiennes est le catalogue collectif de Martine Delaveau et Denise Hillard, Bibles imprimées du XVe au XVIIIe siècle conservées à Paris, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2002.

association avec un bailleur de fonds, Peter Fust, et probablement Peter Schöffer, futur

gendre de Fust. Comme il se doit, le bethléemite apparaît dans les livres de l’Ancien

Testament qui lui sont consacrés. La prouesse technique porte fruit!: lors de la rupture

de l’association en 1455, un second atelier concurrent de celui de Gutenberg, fondé à

Mayence par ses anciens associés, reprend le projet d’édition biblique. Un intérêt

parti-culier pour le psalmiste soutient alors tous leurs efforts!: une de leurs premières

réalisa-tions, laquelle porte la date la plus ancienne de l’histoire du livre imprimé, est le

Psau-tier dit de Mayence!; le chantre d’Israël est à l’honneur. Gutenberg entreprend de son côté, avec les caractères de la Bible à 42 lignes, un psautier dont il ne subsiste qu’un

seul feuillet!; avec d’autres caractères, il réalise enfin la Bible à 36 lignes. Les premiers

pas de l’imprimerie en Occident se résument donc à deux psautiers et à deux Bibles

entières, soit deux ouvrages de David et deux autres où il y figure. Ces débuts sont

exemplaires du destin éditorial du psalmiste, qui ne cessera de s’étoffer au fil du siècle

suivant.

Dans la masse des incunables imprimés avant 1500 (estimée à 15 000 textes), la

source maîtresse racontant l’histoire de David occupe encore une bonne place. Copinger

énumère 124 Bibles latines41, avec ou sans commentaires et gloses de Walafridus Str

a-bo, de Raban Maur, d’Alcuin ou d’Anselme de Laon!; éliminant les éditions douteuses,

Léopold Delisle en compte 9942. À côté de ces éditions latines, surtout destinées aux

théologiens et aux universitaires, figurent un certain nombre de traductions en langues

vernaculaires (11 en allemand, 3 en bas allemand, 4 en italien!; Chambers en recense 4

41 W. A., Copinger, appendice des Incunabula biblica, or the First Half Century on Latin Bible de Léo-pold Delisle, Paris, Imprimerie Nationale, 1983. En appendice, l’auteur cite 437 éditions de la Bible pu-bliées au XVIe siècle.

en français totalisant 14 éditions43), sans compter les traductions partielles de l’Écriture,

encore plus nombreuses et impossibles à dénombrer de façon valable, au premier rang

desquelles figurent selon Lucien Febvre les Psaumes, suivis de près par l’Apocalypse et

le livre de Job44. De manière indirecte encore, et en quantité infiniment plus importante

que ces éditions bibliques, le bethléemite se profile également dans les livres de prière

et dans les ouvrages liturgiques indispensables à la célébration du culte, dominés une

fois de plus par les psaumes. Impossibles à dénombrer de façon valable en raison de la

quantité importante d’éditions disparues, un grand nombre de bréviaires et de missels, et

plus encore de livres d’heures, absorbent l’activité des presses françaises et

européen-nes, du XVe

au XVIe

siècle45. Avec les psaumes et les premières éditions de Samuel et

des Rois dans les Bibles latines, David devient le personnage de l’Ancien Testament le

plus diffusé au temps des incunables.

Par ailleurs, relativement à l’idée répandue selon laquelle la Renaissance assiste

au passage d’une Bible «!encombrée!» à une Bible «!délivrée!» des commentaires

tristiques et médiévaux, on constate que deux conceptions du texte saint survivent,

43 Bettye Chambers, Bibliography of French Bibles . Fifteenth and Sixteenth Century , Genève, Droz, 1983, nos 1 à 14. Il s’agit d’une Bible abrégée (9 éditions), d’une Exposition de la Bible (2 éditions), d’un

Nouveau Testament (2 éditions) et de la Bible historiale dans la traduction de Guyart des Moulins (1291),

avec une seule édition. Entre 1500 et 1530 paraissent 39 autres éditions bibliques!; à la fin du siècle, 554 éditions de la Bible en français circulent dans le royaume!: elles peuvent donc, à juste titre, être qualifiées de premier grand succès de librairie de l’histoire du livre.

44 L. Febvre et H.- J. Martin, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, pp. 351-54.

45 Paul Lacombe estime qu’à Paris seulement, au moins 79 éditions de livres d’heures voient le jour avant 1500, lesquelles sont aujourd’hui disséminées à travers les bibliothèques parisiennes. L’année 1500 en voit apparaître environs 23 éditions supplémentaires et les années 1500-1530, 289. Le rythme de publica-tion de ces ouvrages de dévopublica-tion décline avec le siècle. Entre 1531 et 1600, seulement 104 nouvelles éditions sortent des presses parisiennes, en majorité imprimées vers le milieu du siècle, pour tranquille-ment voir s’éteindre le genre au XVIIe siècle. LACOMBE, P., Livres d’heures imprimés au XVe et au XVIe siècle conservés dans les bibliothèques de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1907.

rallèles, au temps des incunables!: celle de la Bible glosée et savante, qui sertit l’histoire

de David dans une frise de commentaires médiévaux, et celle préférée par une grande

partie de la nouvelle génération de biblistes, la Bible épurée de toute glose et de tout

commentaire, dans sa version latine ou dans ses traductions. Dépositaire de la tradition

de l’Église en matière d’exégèse, la première demeure un outil épistémologique de tout

premier ordre, un instrument utile pour connaître la pensée des Docteurs de l’Église

relative à des épisodes précis de la vie de David. À partir du XVe

siècle cependant, les

Postilles de Nicolas de Lyre reçoivent la préférence sur la Glose (fixée par Walafridus

Strabo)!; Guy Bedouelle et Bernard Roussel recensent au moins 800 manuscrits de la

Glose enrichie des Postilles de Nicolas de Lyre entre les XIVe

et XVIe

siècles, et

quel-que 21 éditions en français de la Bible glosée et/ou accompagnée des Postilles selon le

recoupement des bibliographies de Copinger et d’Edward Gosselin46. C’est ainsi que la

tradition de l’Église continue d’exercer sur les érudits son ancienne influence!: la Bible

glosée fait son apparition dans l’univers imprimé en 1480 dans la généreuse édition

strasbourgeoise de Rusch47, et celle augmentée avec des commentaires de Nicolas de

Lyre, à Nuremberg en 148448. L’intégration dans un seul ouvrage de la Glose et des

Postilles autour du texte de la Vulgate apparaît à son tour en 1489 : il s’agit de la Biblia

latina vénitienne de Scot, en quatre volumes49. Son influence s’exercera encore au si

è-cle suivant!: on connaît pour la première moitié du XVIe

siècle trois éditions de la Bible

46 Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., p. 50!; E. A. Gosselin, «!A Listing of the Printed Editions of Nicolaus de Lyra!», Traditio, 26, 1970, pp. 399-426!; Copinger, op. cit.

47 Biblia latina cum glossa ordinaria Walafridi Strabonis et interlineari Anselmi Laudunensis , sine nota, Strasbourg, A. Rusch, 1480. 4 vol. in-fol.

48 Biblia latina, cum comment. Nicolai de Lyra, Nuremberg, A. Koberger, 1484, 2 vol. in-fol.

49 Biblia latina, cum glossa ordinaria Walafridi Strabonis, et Nicolai de Lyra postillis , Venise, O. Sc o-tum, 1489. 4 vol, in-fol.

latine glosée et commentée par Nicolas de Lyre, dont une à Bâle et deux à Lyon50, qui

seront encore réimprimées et traduites après 154551. De Gutenberg au Concile de Trente

il n’y a donc pas véritablement de passage d’une Bible «!encombrée!» à une Bible

«!délivrée!», mais bien une cohabitation des deux modèles, la tradition de la Bible

glo-sée étant encore si forte que les imprimeurs réussissent à peine à répondre à la

de-mande52.

Les raisons de cet engouement pour des éditions du David biblique, lequel se maintient

d’ailleurs dans les premières décennies du XVIe

siècle, sont multiples. En ce qui

concerne les psaumes d’une part, l’idée qu’en plus d’un livre de prières, l’œuvre de

Da-vid présente un compendium de l’Écriture Sainte motive certainement la demande pour

le psautier53. Cette ancienne idée, héritée des Pères54, fait son chemin non seulement au

XVe siècle mais encore au XVIe siècle car elle revient chez Bellarmin!:

50 Édition de Sébastien Brandt publiée chez Froben à Bâle en 6 vol. in-fol, 1498-1506 (réed. en 1506-08)!; une autre édition de Conrad Leontorius paraît chez J. Mareschal à Lyon, en 7 vol. in-fol entre 1520 et1528, de même que celle de G. Treschel à Lyon, 7 vol. in-fol., 1545.

51 L’une des rééditions les plus remarquables en est la Biblia sacra cum Glossis, interlineari & ordinaria,

Nicolai de Lyrani Postilla & Moralitatibus, Burgensis Additionibus, & Thoringi Replicis, à Lyon, chez

Antoine Vincent, 7 vol. in-fol, 1545.

52 Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., pp. 127-28.

53 On peut ajouter aux témoignages d’Augustin et d’Athanase précédemment cités celui, plus tardif, de Thomas d’Aquin!:!«!Ce livre, à la différence des autres écrits bibliques, embrasse en son universalité la matière de toute la théologie […] La raison pour laquelle il est le Livre biblique de beaucoup le plus utili-sé dans l’Église, c’est qu’il contient en lui-même toute l’Écriture […] Sa caractéristique est de redire sous forme de louange et de prière tout ce que les autres livres exposent selon les modes de la narration, de l’exhortation, de la discussion.!» (In Psalmos Davidis Expositio, Paris, Vivès, pp. 228).

54 Cf. Athanase, Épître à Marcellin , P.G. 27, col. 11. Louis Jacquet a traduit ce passage ( op. cit., p. 67)!: «!Des trésors des autres livres, concentrés en lui-même comme en leur paradis, le livre des Psaumes fait un Chant, et il y ajoute le chant de ses propres trésors!». Dans son prologue «!In librum psalmorum!», Augustin présente aussi le psautier comme le compendium de l’Écriture!: «!Il annonce les faits à venir, consigne les exploits des Anciens, fixe aux vivants un idéal à atteindre, leur indique comment y parvenir.

Le livre des psaumes constitue un abrégé de l’Ancien Testament. Tout ce que Moïse a raconté dans son histoire ou ordonné dans sa Loi, tout ce que les autres Prophètes ont laissé de prédiction de l’avenir ou d’exhortations à la vertu, David le rappelle en peu de mots […] Et non dans un style ordinaire, mais dans une poésie variée, remplie d’images sublimes, présentées avec tant de feu qu’elles entraînent les cœurs à aimer et à louer Dieu. Je ne crois pas qu’on puisse rien chanter ou en-tendre chanter de plus doux et de plus salutaire à l’âme.!55

Quelques décennies plus tard, avec la Réforme, les protestants partageront cet

attrait pour le psalmiste, comme en témoigne leur attachement au Psautier huguenot.

Par ailleurs, en ce qui concerne Samuel, les Chroniques et les Psaumes ensemble,

l’intérêt des philologues à leur égard contribue certainement à leur diffusion. Au

tour-nant du siècle, le mouvement de l’humanisme qui prend corps en Italie gagne tout

l’Empire!: la Bible, et tout particulièrement l’Ancien Testament, devient l’objet

d’examen des ‘grammairiens’ et son évolution se présente en termes inédits. On lit,

cor-rige, traduit les livres historiques et deutéronomiques tantôt en comparant entre eux les

meilleurs exemplaires de la Vulgate, comme le fait Lorenzo Valla, tantôt en remontant

au grec de la Septante ou directement à l’hébreu, sur les traces de Konrad Pellikan et de

Reuchlin56. L’attrait pour le fils cadet de Jessé joue même un rôle dans ces recherches

Bref, c’est une anthologie de la bonne doctrine à la portée de tous, qui excelle à offrir à chacun ce dont il a besoin.!» P. L. 26, col. 63. Voir également Hipp., Dav., 1, 1 et 11, 2!; Ambr., In psal. 118, 10, 32.

55 Cf. Cornelius, A Lapide, op. cit., VI, p. 3.

56 Le rêve de l’ Homo trilinguis qui prend forme en 1517 et en 1530 avec les encouragements

d’humanistes tels que Nebrija, Reuchlin, Guidacier, Münster et Clénard, remonte à une époque bien anté-rieure à ces deux années!; Gilbert Dahan en a étudié les racines médiévales. On rencontre ainsi assez tôt des caractères hébreux et grecs dans les incunables, dont plusieurs destinés aux communautés juives. Les premières presses hébraïques voient le jour en Italie, où le premier incunable en hébreu est la Stella

Mes-chiah (1477) du dominicain Peter Schwatrz (Nigri). Après l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492,

linguistiques et philologiques puisqu’il mène, indirectement, à la création du collège

trilingue de Louvain en 1517, et en 1530, à celui des Lecteurs royaux de Paris57: les

chaires d’hébreu enseignent la langue de David à même les Écritures et à cette fin,

Gui-dacerius et Vatable choisissent l’étude des Psaumes comme principal objet de leur

en Italie, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Angleterre et même France. On évalue à 200, pour le XVe siècle, et à 4000 pour le XVIe, le nombre des éditions sorties de ces presses. De ce nombre, 100 in-cunables proviennent d’Italie. La Bible y est imprimée en entier à quatre reprises et trente fois partielle-ment. Les commentaires de la Bible et les livres de piété, également très en demande, recouvre plus de 80!% du total de ces éditions.

Au contact des ouvrages sortis de ces presses, les humanistes développent leur connaissance de la langue d’origine de l’Ancien Testament. À Paris, le premier livre contenant de l’hébreu est une grammaire de François Tissard (c. 1460-1508) publiée chez Gilles de Gourmont, également premier imprimeur parisien à faire tailler et à utiliser des caractères grecs. Cet ouvrage est suivi par celui Jean Reuchlin qui, par la publication en 1509 du De rudimentis linguae hebraicae, donne aux humanistes de nouveaux outils pour aborder le texte hébreu de la Bible. Il avait le sentiment de faire œuvre de pionnier en procurant une mé-thode pour apprendre l’alphabet, une grammaire et un lexique qui surpassait le De modo legendi et

intel-ligendi Hebraeum que Pellikan avait fait imprimer quelques années plus tôt. Le but de sa méthode était de

faire lire l’Ancien Testament dans sa langue originale, «!la plus douce de toutes!» puisque choisie pour que s’incarne l’inspiration divine. Au XVIe siècle, outre les éditions savantes de la Bible (Bible polyglotte d’Alcalà (Nebrija), Bible d’Anvers (Plantin), Bible hébraïque (Robert Estienne), etc.) les manuels d’initiation à l’hébreu affluent!: au total, on peut dénombrer 28 éditions de grammaires hébraïques parues entre 1497 et 1529, dont les plus célèbres (à côté de celle de Reuchlin) sont celles de Nebrija, Capiton, Jean Eck, Clénard, Sanctes Pagninus, Elie Levita et Sebastien Müster. L’étude de l’hébreu comme moyen d’accéder directement à l’Ancien Testament est donc autant à l’honneur que l’étude du grec, langue des Évangiles et du Nouveau Testament. Voir, pour la période médiévale, G. Dahan, Les Intellectuels

chré-tiens, op. cit.!; aussi E. Beltran et G. Dahan, «!Un hébraïsan à Paris vers 1400!: Jacques Legrand!», Archi-ves juiArchi-ves, 17, 1981, pp. 41-49. Pour la Renaissance, G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., pp. 63-68 et pp.

401-25. Enfin L. Febvre et H.-J. Martin, op. cit., pp. 375-78.

57 En attendant la publication de la thèse de Jean-Claude Saladin sur le Collège trilingue, voir H. de Vocht, History of the Foundation and Rise of the Collegium Trilingue Lovaniense, 1517-1550, notam-ment t. 1, Louvain, 1951, et II, Louvain, 1953!; A. Lefranc, Histoire du Collège de France, Paris, 1893!; G. Dahan, «!Une liste de professeurs d’hébreu au collège de royal, du XVIe siècle au début du XVIIIe

seignement. Or dans ces cercles, aucun livre des Écritures, Ancien et Nouveau

Testa-ment confondus, n’est plus traduit que le psautier.