Une fois établie la corrélation entre le roi d’Israël et le roi de France, il était
facile pour Angelo Terzone de tirer le fil biblique reliant le fils de Jessé à Marie et à
Jésus de Nazareth, puis de glorifier Charles de sa filiation ancestrale avec le Christ97
. De
cette proximité, l’auteur vante les nombreux!avantages!: puisqu’il en est le fils spirituel
et le frère en David, le roi de France trouve dans le ciel un puissant défenseur, un divin
avocat en mesure de faire fléchir le cours de l’histoire en faveur des croisés. En tant que
lieutenant de Dieu sur la terre, le monde entier doit rendre hommage à Charles et fléchir
le genou sur son passage, reconnaissant en lui une figure du Sauveur. L’ascendance
davidique commune du Christ et du roi de France dans l’Opus amène même l’auteur à
réaliser un amalgame étonnant, ce dernier procédant sinon à l’identification complète,
du moins à une interpénétration des héros scripturaires et princiers dans un éloge
en-thousiaste, où la gloire du royaume se confond avec celle du Christ et de son ancêtre en
Jessé!:
La maison de France a été élevée sur le sommet de la foi au-dessus des autres col-lines [i.e. au-dessus des autres princes du monde]. Ce Jésus-Christ descendant
d’Israël et de David est le premier de la maison de France, à partir duquel ses rois
sont très-chrétiens, poussés devant lui par ce seigneur. Cette race-là n’est plus dite
97 «!De même que le rejeton de David, avec sa substance corporelle est exalté dans le ciel au-dessus de tous les anges et que le Christ, par Marie, se rattache à la race et à la racine de David, lui au nom duquel toutes les créatures fléchissent les genoux, de même sur la terre la race de David devait être placée avant toutes les autres. Et nulle autre parentèle n’a fait constamment de si nombreuses et de si grandes actions, surtout dans cette foi [chrétienne] que dans la maison de France, de même que ces anciens héritiers de David ont constamment dépassé les autres. Qui oserait dont douter que cette illustre maison de France ne descende de celle de David?!» Fol. 14r-14v.
de Abraham ni de David, mais désormais, du Christ-Roi. La race de Dieu est la race très-chrétienne.98
Où Angelo Terzone veut-il en venir? Par quel moyen cette démonstration
éton-nante présentée sous la forme d’un récit à saveur biblique et spirituel pouvait-elle
inter-peller des hommes soucieux de conquêtes et de pouvoir en Italie? À partir du modèle
idéal constitué par la descendance de David, avec en amont Noé et en aval le Christ, le
moine de Rieti veut lancer un appel aux peuples de l’Europe chrétienne à reconnaître en
Charles l’envoyé de Dieu, pour lutter avec lui contre le Satan des temps modernes, qui
est le Turc. L’entreprise n’est donc pas gratuite, elle vise une proposition diplomatique!:
celle de pousser à une action commune les peuples d’Europe sous la forme d’un appui
concerté à la descente du roi très-chrétien en Italie, dans le but ultime de faire Croisade.
Le personnage de Marie, patronne du royaume et «!véritable reine des Juifs!» issue de
David99
, joue dans ce projet un rôle stratégique. Jusqu’à elle, si la Bible avait permis à
notre franciscain d’établir les droits du roi de France sur la Judée et sur le monde, elle
n’avait encore fait aucune allusion spécifique à la destination primordiale de Charles
dans sa descente outre-monts, l’Italie. Bien sûr, la conquête de Naples ne pouvait être
exclue du plan de Dieu sur la France et encore moins passée sous silence, il lui fallait
une légitimité et donc une place dans l’immense fresque prophétique de l’Ancien
Tes-tament. Un court mais important passage sur la Vierge pallie cette lacune de manière
originale car elle mélange la tradition biblique avec une référence à Homère. La
pre-mière étape du processus de légitimation consistait à faire valoir l’ascendance mariale
98 Fol. 17v.
du royaume par David et le Christ, puis dans un second temps, à en tirer des
conséquen-ces politiques.
Terzone décrit Marie «!régnant temporellement sur toutes choses!» et par écho à
l’héraldisme de son temps, note qu’elle avait «!les lys pour arme!»100
. Les fleurs de lys
ne sont-elles pas les armes des rois de France, rappelle le moine? À ce titre, tous les
royaumes consacrés à la vierge doivent revenir à Charles VIII, à commencer par
«!le!Royaume Parthénopéen de Naples!»101
. La légende sicilienne développée dans
l’Odyssée raconte en effet que la sirène Parthénope se suicida avec ses sœurs quand
Ulysse eut échappé à leurs sortilèges!; son corps fut rejeté sur la côte où plus tard fut
fondée Naples. Or, rappelle Terzone, «!Parthenos, en grec, c’est virgo, en latin!»102
, et la
Vierge Marie est, à la face du monde, reine de France. Cette légende cautionnée par le
ciel confirmerait ainsi de manière prophétique les droits de Charles sur la Sicile, elle
appelle la nation à prendre les armes.
L’assimilation de la matière biblique à la figure royale en vue d’illustrer le
mo-narque et de légitimer ses ambitions est certainement le trait le plus caractéristique et
peut-être le plus commun de la première partie de l’Opus consacrée à l’Ancien
Testa-ment. Vanter les mérites de Charles et sa ressemblance avec les protagonistes de
l’Histoire Sainte revenait tout simplement à mettre par écrit les rapprochements offerts
aux regards sur les tréteaux des entrées royales, peints dans les ouvrages de dévotion et
proférés dans de nombreux sermons depuis le XIIIe
siècle. Vu sous cet angle, l’auteur
recycle dans la tradition du panégyrique royal des thèmes remis au goût du jour auquel
il donne, il est vrai, une nouvelle consistance puisqu’ils s’appliquent à l’être de chair et
100 Idem.
101 Fol. 19r.
de sang que fut la personne de Charles VIII. L’originalité de l’Opus tient cependant à
une tentative essentielle, celle de démontrer comment la lignée de David s’est perpétuée
dans le sang royal malgré les changements dynastiques et les aléas de l’histoire de
France.