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Lorsqu’il arrive enfin à David, le moine toscan se montre, paradoxalement, peu

loquace. Le maintien de l’oracle de Nathan dans le royaume de France, même s’il

appa-raît en bonne place dans les conclusions à laquelle parvient l’Opus davidicum, ne retient

son attention que de manière distraite et superficielle. La promesse du Seigneur faite à

David, «!c’est à partir du fruit de tes entrailles que j’établirai mon trône!»89

, est d’abord

évoquée en termes généraux au cinquième chapitre, puis elle revient ponctuellement

dans l’ouvrage pour glorifier sous les traits de Charles la figure du «!nouveau David!».

Peu de place est ainsi accordée au personnage central de l’Opus, le roi d’Israël

lui-même!; la descendance de David en France semble importer plus que la figure du roi

biblique lui-même, allant jusqu’à éclipser partiellement la figure centrale du patriarche.

Une double prise de position résume l’attitude de l’auteur à l’égard de David. La

première, négative, consiste à retirer au peuple élu de l’ancienne Alliance la promesse

de Yahvé de maintenir les fils de David sur le trône. La seconde, positive, postule son

transfert vers la France. Terzone réfute à sa manière l’argument avancé par de

nom-breux exégètes après Augustin sur le sens à donner à cette promesse!: il ne s’agit pas

seulement d’une promesse accomplie dans le Christ et en attente de se voir à nouveau

réalisée dans la gloire de la Cité céleste, mais d’une promesse pour ici-bas, avec pour

horizon la royauté de la maison de France. La royauté temporelle incombe à la «!race

très-chrétienne de David!», appelée à siéger devant toutes les autres. Tel est l’aspect

essentiel de la thèse d’Angelo Terzone, tel est aussi l’aspect le plus problématique de sa

pensée.

La pérennité de l’oracle de Nathan dans le royaume de France, principal fleuron

des rois très-chrétiens, absorbe Angelo Terzone dans une lecture tourmentée de

l’Ancien Testament. Alors que dans la deuxième moitié de son Opus, chaque victoire de

la France sur ses ennemis apporte une preuve de la bénédiction éternelle que Dieu étend

sur son royaume, la première partie du traité sonde le destinataire véritable de l’oracle,

en l’occurrence la France, et cherche dans l’Écriture d’improbables preuves de

l’élection du royaume pour régner à jamais sur la terre d’Israël. L’onction de David par

le prophète Nathan et les victoires du jeune roi sur les armées philistines et sur Saül

auraient pu construire le rapprochement et servir la cause du moine, conformément à la

tradition royale développée au Moyen Âge, mais pour des raisons que nous ne nous

expliquons pas, il s’y attarde très peu. En revanche, c’est la parabole des vignerons

homicides qui soutient la thèse négative du retrait d’alliance entre Yahvé et son

peu-ple90

!: la vigne du Seigneur Sabaoth était la maison d’Israël et le peuple d’Israël l’a

déshonorée, mettant à mort le Christ son roi. Par conséquent, le royaume de Dieu fut

retiré aux Juifs et donné à la France, qui en porte désormais les fruits91

.

Comment alors fonder sur l’Écriture l’apparition de la France dans le processus

du salut? À cette étape voulue positive de l’argumentation, l’Opus davidicum s’enlise

dans un écueil inévitable, celui de traiter avec la Parole de Dieu comme s’il s’agissait

d’une encyclopédie politique. Certains passages répondent à cette question en

90 Mc 12, 1-12.

pant par exemple les limites de l’Écriture et du commentaire, en multipliant les

raccour-cis saisissants jusqu’à trahir les extraits auxquels ils se réfèrent. Celui-ci par exemple!:

Je l’ai juré, dit le Seigneur, à David mon serviteur. Je t’assurerai une descendance pour l’éternité. Je te bâtirai un trône de génération en génération.[...] Je l’ai juré en-core et enen-core sur ma sainteté, comme si je pouvais mentir à David!! Et sa race sera pour l’éternité dans la maison de France.92

Voilà pour Yahvé et son projet sur la France. Ailleurs, des généralités à outrance

amènent le frère Ange à des conclusions hâtives, notamment dans ce propos crucial

livré sans explication!:

Le roi chantre du Christ [David] dit!: “Et leurs fils régneront sur notre trône pour les siècles des siècles”. Et voilà qu’est manifestée la promesse divine concernant les rois très-chrétiens.93

Tous les passages de l’Écriture relatifs à la promesse de Yahvé de maintenir une

al-liance éternelle avec le peuple élu, qu’ils viennent de David lui-même ou d’épisodes

tirés de la vie d’Abraham et des prophètes, servent de passerelle plus ou moins solide au

commentateur pour construire le panégyrique royal94

. Bien sûr, la démonstration cha

n-celle à plusieurs reprises, comme l’a d’ailleurs remarqué un lecteur du traité dans un

savoureux commentaire manuscrit placé dans une marge!: «!sauvaige à congnoistre!»95

.

Il semblerait que la succession de prophéties concernant la France doive aller de soi et

92 Pour la première partie ce la citation, cf. ps. 88 (89), v. 4-5. Fol. 16v.

93 Fol. 12v.

94 Fols. 7r et 7v, 12r et 12v, 16v, 20r, etc.

ne supporter pour tout éclairage que la lumière de l’évidence. «!Que ceux qui ont des

oreilles entendent, et ceux qui ont des yeux voient!!!», affirme notre auteur!:

Et le prophète [Isaïe], vrai héraut du Christ, dit plus loin!: “Et je présenterai leur œuvre dans la vérité, je conclurai une alliance perpétuelle avec les miens et l’on connaîtra leur race parmi les nations. Et tous ceux qui les auront vus sauront pour

quelle raison ceux-ci sont la race bénie du Seigneur.” Avec quel grand génie le

prophète raconte cela!!96

Quelles que soient les difficultés du moine de Rieti à mener à bien en toutes

circonstances sa double lecture des Écritures, la conviction que les rois de France

héri-tent d’une promesse qui garantit leur primauté parmi les nations oriente le rôle que

l’Opus davidicum octroie au jeune Charles. Comme David-roi était un guide pour son

peuple en temps de paix et de guerre, et comme le Christ, son fils, était pour les siens le

bon berger, le roi doit s’acquitter de ses devoirs et prendre la tête de sa nation. De même

également que le roi d’Israël fit périr Goliath et sut dompter Saül, et que le Christ scella

par sa mort sa victoire sur le Mal, Charles vaincra les Turcs et tous les tyrans de la terre

seront anéantis. Dieu ayant enfin promis sa fidélité éternelle au plus illustre roi d’Israël

et à toute sa maison, l’ascendance davidique des rois de France apparaît comme une

garantie de l’issue de l’expédition italienne, elle annonce la prise de Naples et la victoire

prochaine des Français en terre de Judée.

96 Fol. 20r. Référence à Is. 55, 3-5. Nous n’avons pas trouvé le passage biblique correspondant à la de r-nière partie de la citation ; il s’agit certainement d’un extrait tronqué, simplement juxtaposé à la prophétie d’Isaïe.