Figure 14: Pourcentage de patterns de réponse catégorisés comme conjonctif, biconditionnel défectif, conditionnel défectif, d’équivalence et autres en fonction du grades pour les promesses et les menaces dans l’Expérience 8.
Pour conclure, les résultats de cette huitième expérience confortaient les conclusions de l’Exp. 4. La représentation initiale des promesses et des menaces est une représentation composée de deux modèles explicites ne nécessitant pas de fleshing out pour être complétée. Comme aucun modèle n’est construit par fleshing out, tous les cas sont pris en compte dans l’estimation de la probabilité de ces conditionnels.
2.4 La tâche des probabilités : récapitulatif
L’objectif de cette deuxième partie expérimentale était de répliquer les différentes trajectoires développementales observées à partir de la truth table task en utilisant cette fois-‐ci une tâche des probabilités. Selon la théorie modifiée des modèles mentaux, les modèles construits permettraient aux individus de déterminer quels sont les cas pertinents pour estimer la probabilité du conditionnel. Les cas qui seront utilisés pour l’estimation de la probabilité devraient correspondre au modèle explicite dans la représentation initiale (i.e., cas qui rendent le conditionnel vrai) et aux modèles qui constituent le complément de la représentation construite (i.e., cas qui rendent le conditionnel faux). Les cas qui seront écartés de l’analyse devraient correspondre à des modèles construits par fleshing out. Par conséquent, l’évaluation de la probabilité devrait suivre le même développement que celui observé dans une truth table task. Les sujets conjonctifs devraient évaluer la probabilité du conditionnel en prenant en compte les quatre
cas logiques car les cas ¬p ¬q, ¬p q et p ¬q constituent le complément de la représentation initiale p q. L’interprétation biconditionnelle défective se caractériserait par le retrait des cas ¬p ¬q de l’estimation car ils correspondent à un modèle construit par fleshing out. Enfin, l’interprétation conditionnelle défective se caractériserait par la prise en compte des seuls cas p, les cas ¬p correspondant à des modèles construits par fleshing out.
Pour tester ces hypothèses, nous avons conduit quatre expériences étudiant le développement de l’évaluation de la probabilité de conditionnels basiques, causaux et exprimant des promesses et menaces. L’Exp. 5 nous a permis de montrer que l’évaluation de la probabilité, comme l’évaluation de la valeur de vérité, évolue selon la même tendance développementale. De manière plus précise, les trajectoires développementales sont identiques que l’on utilise une truth table task ou une tâche des probabilités. L’estimation de la probabilité de conditionnels basique NN ou de relations causales faibles évolue d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle défective puis conditionnelle défective alors que l’utilisation de termes binaires ou de relations causales fortes engendrent une prédominance des interprétations biconditionnelles défectives (Exps. 6 et 7).
Enfin, les promesses et les menaces sont interprétées comme des relations d’équivalence entre l’antécédent et le conséquent (Exp. 8).
Nos résultats montrent aussi que les patterns de matching, présents chez les plus jeunes participants dans la truth table task, ont disparu. Cependant, la difficulté de la tâche est cette fois-‐ci marqué par la plus forte occurrence de réponses conjonctives (environ 30% de réponses conjonctives en plus comparées aux données issues de la truth table task). Nous avons avancé que les réponses conjonctives des participants plus âgés seraient différentes des réponses conjonctives des plus jeunes. En effet, il est fort probable que les jeunes sujets conjonctifs n’aient pas les capacités nécessaires pour mettre en œuvre le fleshing out, même s’ils en détectent le besoin, alors que pour les sujets conjonctifs adultes le choix de ne pas compléter la représentation initiale serait un choix délibéré en raison des caractéristiques de la tâche (i.e., estimer la probabilité d’un énoncé qui est déjà hypothétique). Cette hypothèse est corroborée par le fait qu’en utilisant des conditionnels BB ou causaux, le pourcentage de patterns conjonctifs diminue à tous les âges.
3.
D
iscussionL’objectif de ce troisième chapitre était de tester la modification que nous avons proposé d’apporter à la théorie standard des modèles mentaux afin qu’elle puisse rendre compte de la façon dont les individus évaluent un conditionnel (Barrouillet et al., 2008). La théorie des modèles mentaux serait en mesure d’expliquer le raisonnement sur les valeurs de vérité en postulant une différence de statut épistémique entre le modèle explicite dans la représentation initiale et les modèles issus du fleshing out. Pour un conditionnel basique, le modèle p q serait représenté explicitement dans la représentation initiale car il constituerait le noyau de sens du conditionnel. Le cas p q rendrait donc le conditionnel vrai lorsqu’il se produit. Les modèles ¬p seraient représentés implicitement dans la représentation initiale car ils ne constitueraient pas le noyau de sens du conditionnel. Cependant, lorsque les individus sont capables de les représenter de manière explicite, ils considèrent les possibilités ¬p comme compatibles avec le conditionnel. Par conséquent, les cas ¬p ne rendraient le conditionnel ni vrai, ni faux mais ils laisseraient sa valeur de vérité indéterminée. Enfin, le complément de cette représentation conditionnelle (i.e., p ¬q) serait incompatible avec le conditionnel et le rendrait faux. Selon notre théorie, l’évaluation du conditionnel devrait donc dépendre des modèles construits et, plus précisément, de la façon dont la représentation initiale serait complétée grâce au processus de fleshing out. Ces prédictions ont été corroborées par Barrouillet et al. (2008). L’objectif de ce chapitre était alors de répliquer les résultats de cette première étude et de les étendre.
Pour ce faire, nous avons comparé le développement de l’évaluation de différents types de conditionnel dans une truth table task et une tâche des probabilités. En accord avec la théorie modifiée des modèles mentaux, nous avons montré que l’évaluation de la valeur de vérité des conditionnels basiques se développe en fonction des modèles construits. Les enfants ne construisent que le modèle explicite de la représentation initiale et considèrent donc que le cas p q rend le conditionnel vrai et que les trois autres le rendent faux (i.e., interprétation conjonctive). Les jeunes adolescents sont capables de compléter la représentation initiale en construisant par fleshing out le modèle ¬p ¬q (i.e., interprétation biconditionnelle défective). Les réponses fausses sur le cas ¬p ¬q se transforment donc progressivement en réponses indéterminées. Enfin, les adolescents plus âgés et les adultes complètent la représentation initiale par la construction des deux modèles alternatifs ¬p ¬q et ¬p q. Ainsi, nous avons observé, à partir de 15 ans, le pattern de
réponses correspondants à une table de vérité incomplète. Les cas p q rendent le conditionnel vrai, les cas p ¬q le rendent faux et les cas ¬p ne permettent pas de savoir si le conditionnel est vrai ou faux (i.e., interprétation conditionnelle défective). Ce développement d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle défective puis conditionnelle défective a aussi été retrouvé pour les conditionnels décrivant une relation causale faible entre l’antécédent et le conséquent. En accord avec Goldvarg et Johnson-‐Laird (2001), la représentation des conditionnels causaux serait donc identique à celle des conditionnels basiques.
De plus, les études de ce chapitre ont montré que le contenu du conditionnel peut modifier la trajectoire développementale. En effet, les termes binaires ou les relations causales fortes semblent bloquer le fleshing out et la construction du modèle ¬p q. Ainsi, chez les individus capables de mettre en œuvre le processus de fleshing out, l’interprétation prédominante de ce type de conditionnels est l’interprétation biconditionnelle défective. Nous avons mis en évidence le même pattern de résultats en utilisant un contexte qui restreint à deux le nombre de valeurs sur l’antécédent et le conséquent (i.e., conditionnels NNR).
Enfin, quand la représentation initiale constitue la représentation complète du conditionnel, comme pour les promesses et les menaces, la tendance développementale disparait. En effet, dès 8 ans, les individus considèrent que les cas p q et ¬p ¬q rendent les promesses et les menaces vraies, ce qui témoigne d’une représentation initiale composée de deux modèles explicites. Concernant les deux autres cas, les sujets considèrent qu’ils rendent ce type de conditionnels faux. La représentation initiale à deux modèles est donc la représentation complète de ce type de conditionnels.
Ces différents résultats ont été retrouvés dans une tâche des probabilités. En effet, comme dans une tâche d’évaluation de la valeur de vérité, la théorie modifiée des modèles mentaux prédit que l’estimation de la probabilité que le conditionnel soit vrai ou faux se fait sur la base des modèles construits. A mesure que les cas ¬p sont construits par fleshing out, ils sont écartés de l’estimation. Comme dans la plupart des études utilisant ce paradigme, nous avons retrouvé un plus fort pourcentage de réponses conjonctives que dans la truth table task. Cette plus forte occurrence des réponses conjonctives peut être mise en relation avec le pattern de matching observé dans la truth table task, à la différence près que la difficulté induite par ce dernier paradigme semble être dépassée plus rapidement que celle induite par la tâche des probabilités. En effet, le pattern de matching disparaît au grade 9 alors que le pourcentage plus élevé de réponses conjonctives est présent à tous les âges pour la tâche des probabilités. De plus, il est important de
rappeler que, contrairement à la truth table task, la tâche des probabilités n’a pas pu être complété par les enfants de 8 ans. Enfin, l’occurrence de ces deux patterns reflétant la difficulté de la tâche diminue avec des énoncés au contenu plus réaliste et plus conforme à l’utilisation des conditionnels dans la vie quotidienne.
Pour conclure, l’information principale à retenir de cette série d’expériences est que les mêmes trajectoires développementales se retrouvent dans une tâche des probabilités et une truth table task. Pour clore ce chapitre, nous allons voir quelles conséquences ont les phénomènes observés dans ce chapitre pour la théorie suppositionnelle et la théorie standard des modèles mentaux.
3.1 Implications pour la théorie suppositionnelle
La théorie suppositionnelle a été fondée sur la base des données observées dans la truth table task et dans la tâche des probabilités qui montrent que les adultes jugent les cas ¬p comme non pertinents pour évaluer la valeur de vérité du conditionnel (Evans & Over, 2004 ; Evans et al., 2003). En s’appuyant sur le Ramsey test, la théorie suppositionnelle stipule que les individus supposent p et évaluent q sur la base de cette supposition. Ainsi, le Ramsey test englobe la non pertinence des cas ¬p. Comme nous l’avions préalablement relevé, aucune extension développementale de cette théorie n’a été proposée. Cependant, les études développementales menées dans ce chapitre révèlent plusieurs faits difficilement conciliables avec cette approche suppositionnelle.
Le premier d’entre eux est le développement observé dans la tâche de probabilité et la truth table task. Evans (2006, p.58) matérialise le lien entre la théorie suppositionnelle spécifique au conditionnel et la théorie plus générale de la pensée hypothétique. D’après la Figure 2 (Cf. Chapitre 1), lorsque les individus engagent une procédure de Ramsey test, les processus heuristiques (i.e., tacites, rapides et inconscients) fourniraient un modèle mental qui représente la supposition de l’antécédent. Cette représentation mentale permettrait aux individus de constater directement la non pertinence des cas ¬p. Les réponses indéterminées sur les cas où l’antécédent n’est pas satisfait seraient alors fournies par des processus heuristiques peu coûteux cognitivement. Or, comme nous l’avons montré dans ce chapitre, la compréhension de la non pertinence des cas ¬p se développe avec l’âge. Ce n’est qu’à partir d’environ 12 ans que les jeunes adolescents considèrent