biconditionnelles défectives sont dues à un échec d’initiation du fleshing out et non le résultat d’implicatures pragmatiques qui tendraient à considérer que ¬p ¬q, comme p q, ferait partie du modèle initial. La représentation du conditionnel serait alors une représentation à deux modèles où les cas p q et ¬p ¬q rendraient tous deux le conditionnel vrai. Rappelons que quasiment aucune réponse vraie sur ¬p ¬q n’a été retrouvée ni pour les conditionnels basiques BB ou NNR ni pour les relations causales fortes. Cependant, cela ne veut pas dire que les implicatures pragmatiques ne peuvent pas influencer la compréhension de certains conditionnels et que l’évaluation de tous les conditionnels suit le même développement. Dans la partie suivante, nous allons voir comment les implicatures pragmatiques influencent la compréhension de conditionnels exprimant une promesse et une menace.
1.3 Les promesses et les menaces (Expérience 4)
Notre théorie suppose que les états de choses du monde qui rendent le conditionnel vrai sont représentés explicitement dans la représentation initiale. Comme le montrent les trois études précédentes et les études développementales en général (Barrouillet & Lecas, 1998, 1999, 2002), dès 8 ans, les enfants sont capables de construire le modèle explicite p q pour les conditionnels basiques et causaux. Le développement se traduit par la capacité à compléter cette représentation initiale grâce au fleshing out. Ainsi, les capacités limitées des enfants contraignent le nombre de modèles qu’ils peuvent construire. Cette limite peut cependant être dépassée quand la représentation initiale constitue la représentation complète du conditionnel, ce qui semble être le cas des promesses (i.e., « si tu vas chercher le pain alors tu joues aux jeux vidéos) et des menaces (i.e., « si tu casses le vase alors je prends ton ballon »). En effet, Newstead et al. (1997), en utilisant une truth table task, ont montré que les promesses et les menaces entraînaient chez les adultes des interprétations d’équivalence. Ils considéraient que les cas p q et ¬p ¬q rendaient le conditionnel vrai et que les cas ¬p q et p ¬q le rendaient faux. D’après la théorie modifiée des modèles mentaux, les interprétations d’équivalence refléteraient la construction d’une représentation initiale composée de deux modèles explicites : p q et ¬p ¬q. Cette représentation ne comporterait pas de modèles implicites et constituerait donc une représentation complète de l’énoncé.
Selon Evans et Over (2004), cette représentation à deux modèles serait due à l’implicature pragmatique qui ajoute « si non-‐p alors non-‐q » au conditionnel « si p alors q ». En effet, le rôle des promesses et des menaces est de persuader une personne de faire ou ne pas faire une action. Ohm et Thompson (2006) suggèrent que ces inférences sont inhérentes au sens de l’énoncé. Par exemple, la promesse « si tu vas chercher le pain alors tu peux jouer aux jeux vidéos » sera comprise comme une promesse si le locuteur comprend que s’il ne va pas chercher le pain il ne pourra pas jouer aux jeux vidéos. Le modèle ¬p ¬q n’est donc pas un modèle optionnel mais inhérent au noyau de sens du conditionnel entraînant ainsi une représentation initiale composée de deux modèles. Cette représentation initiale bloquerait la construction du modèle ¬p q qui représente la possibilité où la personne n’est pas allée chercher le pain mais a pu jouer aux jeux vidéo.
Notre théorie permet de faire deux prédictions. D’une part, les promesses et les menaces devraient engendrer une interprétation jamais observée avec les conditionnels basiques ou causaux, l’interprétation d’équivalence. D’autre part, si la représentation initiale à deux modèles explicites constitue la représentation complète de l’énoncé alors la compréhension des promesses et des menaces ne nécessiterait pas de mise en œuvre du fleshing out. Par conséquent l’interprétation d’équivalence devrait être majoritaire de l’enfance à l’âge adulte, sans changement développemental notable.
Pour tester ces prédictions, nous avons proposé une truth table task contenant 4 conditionnels exprimant une promesse et 4 conditionnels exprimant une menace à 23 élèves du grade 3 (M = 8.9 ans, SD = 0.7, 11 filles), 22 élèves du grade 6 (M = 12.1 ans, SD = 0.3, 14 filles), 19 élèves du grade 9 (M = 15.3 ans, SD = 0.5, 10 filles) et 27 étudiants à l’Université de Genève (M = 21.2 ans, SD = 0.6, 18 filles). Comme dans l’Exp. 3, les 4 promesses et les 4 menaces ont été sélectionnées à partir d’un pré-‐test. Six promesses et 6 menaces ont été proposées à deux groupes de 15 étudiants. Ils devaient évaluer la nature de la phrase sur une échelle en 7 points où 7 correspondait à « la phrase traduit parfaitement une menace (une promesse) » et 0 « la phrase ne traduit pas du tout une menace (une promesse)». Les scores moyens des 4 promesses et des 4 menaces sélectionnées dans cette expérience (Cf. Annexe 4) étaient respectivement 6.1 et 6.4. Le matériel était construit et présenté de la même manière que dans les expériences précédentes. Par exemple, pour la promesse « si tu marques un but alors je te nomme capitaine » les quatre cas logiques étaient représentés par « un ballon dans le but – un garçon avec un maillot de capitaine »
(i.e., p q), « un ballon en dehors du but – un garçon avec un maillot standard» (i.e., ¬p ¬q), « un ballon en dehors du but – un garçon avec un maillot de capitaine» (i.e., ¬p q), « un ballon dans le but – un garçon avec un maillot standard» (i.e., p ¬q). Les participants cochaient la case « vrai » si le dessin montrait que la phrase était vraie, la case « faux » si le dessin montrait que la phrase était fausse et la case « onpps » si le dessin ne permettait pas de savoir si la phrase était vraie ou fausse.
Nous avons effectué le même type d’analyse que dans les expériences précédentes. Le détail des pourcentages de réponses pour chacun des quatre cas est présenté dans le Tableau 10.
Conformément à nos hypothèses, quels que soient l’âge et le type de conditionnel, le pourcentage de réponses « vrai » était très élevé sur le cas p q (plus de 96% pour chaque âge et chaque conditionnel) et sur le cas ¬p ¬q (78%, 85%, 80%, et 71% pour les promesses et 76%, 84%, 80%, et 69% pour les menaces). Pour chacun des deux cas, l’ANOVA n’a révélé aucun effet principal du grade, respectivement F(3, 84) = 1.13, p = .34 et F(3, 84) = 1.35, p = .26, du conditionnel, ni d’interaction, Fs < 1. Concernant le cas p ¬q, les résultats montraient un pourcentage élevé de réponses « faux » (plus de 94% pour chaque âge et chaque conditionnel) sans effet du grade, F < 1, du conditionnel, F(1, 84) = 2.61, p = .12, et d’interaction, F < 1. Le cas ¬p q avait, lui aussi, engendré une majorité de réponses « faux » à chaque grade, à la fois pour les promesses (98%, 97%, 95% et 68%) et les menaces (96%, 97%, 95% et 66%). Comme nous l’avions prédit, l’effet du conditionnel, F(1, 84) = 1.54, p = .22, et l’interaction entre grades et conditionnels, F(3, 84) = 1.13, p = .34, n’étaient pas significatifs. Cependant, l’effet du grade était lui significatif, F(3, 84) = 7.90, p < .001.
La comparaison entre les grades 3, 6 et 9 d’un côté et les adultes de l’autre, F(1, 84) = 43.18, p <
.001, expliquait 99% de l’effet. Le taux plus bas de réponses « faux » chez les adultes était dû aux 33% de réponses « indéterminé ». Pour conclure, pour les cas p q, ¬p ¬q et p ¬q, les résultats corroboraient nos prédictions alors que l’effet du grade sur le cas ¬p q semblait aller contre notre hypothèse selon laquelle la représentation initiale à deux modèles devrait bloquer le fleshing out et rendrait la construction du modèle correspondant impossible. L’analyse des patterns de réponses nous a permis d’éclaircir ce phénomène.
Tableau 10: Pourcentage de réponses « vrai » (i.e. V), « onpps » (i.e. O), et « faux » (i.e. F) pour chaque cas logique en fonction du grade et du type de conditionnels (i.e., promesses et menaces) dans l’Expérience 4.
Cas
p q ¬p ¬q ¬p q p ¬q
Grades Conditionnel V O F V O F V O F V O F Promesse 100 0 0 78 5 17 1 1 98 2 3 95 3
Menace 100 0 0 76 4 20 3 1 96 1 1 98
Promesse 97 2 1 85 14 1 1 2 97 1 1 98 6
Menace 99 0 1 84 11 5 1 2 97 1 1 98
Promesse 99 1 0 80 20 0 0 5 95 0 3 97 9
Menace 99 0 1 80 20 0 1 4 95 0 0 100
Promesse 99 0 1 71 29 0 0 32 68 0 1 99 adultes
Menace 99 1 0 69 31 0 1 33 66 0 1 99
Les réponses ont été catégorisées sur la base des quatre interprétations observées dans les expériences précédentes (i.e., conjonctive, biconditionnelle défective, conditionnelle défective et matching) plus l’interprétation d’équivalence (i.e., « vrai » pour p q et ¬p ¬q et « faux » pour ¬p q et p ¬q). Comme le montre la Figure 8, conformément à nos prédictions, nous avons observé une prédominance des interprétations d’équivalence à chaque âge pour les promesses (75%, 83%, 79%
et 66%) et les menaces (75%, 82%, 79% et 64%) sans effet du grade, F(3, 84) = 1.22, p = .31, du conditionnel et d’interaction, Fs < 1. Encore une fois, il est important de noter que, bien que les promesses et les menaces ne différaient pas quant au taux de réponses d’équivalence qu’elles engendraient, l’effet des implicatures pragmatiques n’est pas universel. Quand l’effet ne se produit pas, c’est-‐à-‐dire quand l’interprétation n’est pas une interprétation d’équivalence, nous avons observé la tendance développementale standard expliquant ainsi les 33% de réponses
« indéterminé » sur ¬p q chez les adultes (Figure 8).
Figure 8 : Pourcentage de patterns de réponses catégorisés comme conjonctif, biconditionnel défectif, conditionnel défectif, matching, d’équivalence et autres en fonction du grade pour les promesses et les menaces dans l’Expérience 4.
Pour conclure, comme nous l’avions prédit, les énoncés conditionnels de promesses et de menaces induisent une interprétation d’équivalence de 8 ans à l’âge adulte. Ainsi, la représentation initiale de ce type de conditionnel serait une représentation à deux modèles (i.e., p q et ¬p ¬q) qui constituerait la représentation complète de ces énoncés.
1.4 La truth table task : récapitulatif
Les quatre expériences de cette partie visaient à tester la principale prédiction de notre théorie selon laquelle la façon dont un individu évalue la valeur de vérité d’un conditionnel dépend des modèles mentaux qu’il a construit (Barrouillet et. al, 2008). Le postulat selon lequel les différents modèles construits par les individus auraient un statut épistémique différent se trouve au centre de cette modification. Le modèle explicite dans la représentation initiale correspondrait au noyau de sens de l’énoncé. Par conséquent les états du monde correspondant à ce modèle devraient rendre le conditionnel vrai. A l’inverse, les modèles représentés explicitement seulement après mise en œuvre du processus de fleshing out représenteraient des possibilités compatibles avec le conditionnel mais qui ne le rendent pas vrai pour autant, c’est pour cela qu’elles seraient laissées implicites dans la représentation initiale. Elles ne permettraient donc pas de juger de la valeur de vérité du conditionnel. Enfin, les modèles constituant le complément de la représentation