révèlent les failles de la théorie suppositionnelle, il n’en est pas moins vrai qu’en, supportant notre théorie, elles mettent en évidence les failles de la théorie standard des modèles mentaux.
3.2 Implications pour la théorie standard des modèles mentaux
Nos résultats révèlent une des principales failles de la théorie standard des modèles mentaux relative à l’explication qu’elle fournit quant au raisonnement sur les valeurs de vérité (Johnson-‐Laird, 2006 ; Johnson-‐Laird & Byrne, 2002). Selon les auteurs, les réponses indéterminées sur les cas ¬p tiendraient au fait que ces possibilités sont initialement représentées implicitement.
Le raisonnement sur les valeurs de vérité reposerait donc sur la seule représentation initiale et ne nécessiterait donc pas de fleshing out. Au regard de nos résultats, la théorie standard des modèles mentaux serait donc en mesure de rendre compte des réponses conditionnelles défectives mais aussi des réponses conjonctives. En effet, comme la représentation conjonctive est composée du seul modèle explicite p q, sans modèle implicite, alors seuls les cas p q rendraient le conditionnel vrai et les trois autres cas le rendraient faux. Ainsi l’explication avancée par Johnson-‐Laird et collaborateurs était en mesure d’expliquer les résultats rapportés chez l’adulte dans la littérature (Cf., Evans & Over, 2004). Cependant, comme nous l’avions soulevé en introduction, cette explication est peu convaincante principalement parce qu’elle suppose que le raisonnement sur les valeurs de vérité reposerait sur la simple construction de la représentation initiale, sans mise en œuvre du fleshing out. Or comme nous l’avons observé, le raisonnement sur les valeurs de vérité se développe d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle défective puis conditionnelle défective. Cette tendance développementale reflète l’augmentation progressive des capacités à mettre en œuvre le fleshing out et le passage d’une représentation à un puis deux puis trois modèles. Le niveau conditionnel défectif serait un niveau final de développement qui résulterait de la construction d’une représentation composée de trois modèles explicites. Par conséquent, la tendance développementale que nous avons observée à plusieurs reprises met à mal l’explication de la théorie standard. De plus, au-‐delà de la tendance développementale générale, le niveau intermédiaire biconditionnel défectif révèle la principale faiblesse de cette explication. En effet, d’après la théorie standard, le modèle implicite de la représentation initiale représente les possibilités ¬p sans distinction entre les deux modèles possibles. Alors, comment expliquer qu’au
niveau biconditionnel défectif seul le cas ¬p ¬q est jugé non pertinent pour évaluer la valeur de vérité de l’énoncé ?
Pour conclure, les études menées dans ce chapitre ont montré que le raisonnement sur les valeurs de vérité se développe de la même manière que le raisonnement sur les possibilités. La compréhension et l’interprétation du conditionnel passe d’une interprétation conjonctive à un modèle à une interprétation biconditionnelle à deux modèles puis une interprétation conditionnelle à trois modèles. Cette première comparaison suggère que les deux formes de raisonnement reposent sur la même représentation. De plus, la comparaison des tendances développementales observées par Barrouillet et collaborateurs pour le raisonnement sur les possibilités et celles observées dans ce chapitre semble montrer un décalage développemental entre les deux formes de raisonnement. En effet, alors que l’interprétation biconditionnelle est l’interprétation majoritaire à 12 ans quand les individus doivent évaluer quelles sont les possibilités qui découlent du conditionnel, elle n’est prédominante qu’à 15 ans pour le raisonnement sur les valeurs de vérité. Pour tester ces premières constatations, nous allons comparer dans le chapitre suivant, le développement des deux formes de raisonnement.
C
hapitre 4L
a primauté du raisonnement sur les possibilités ______________
Les deux expériences présentées dans ce chapitre ont été publiées dans un article paru dans Developmental Psychology intitulé « The primacy of thinking about possibilities in the development of reasoning » (Gauffroy & Barrouillet, 2011)
Les études développementales menées dans le chapitre précédent ont montré que le raisonnement les valeurs de vérité suit la même trajectoire développementale que le raisonnement sur les possibilités. Les deux formes de raisonnement évoluent d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle puis conditionnelle. La théorie des modèles mentaux et sa version modifiée permettent de rendre compte de ce développement dans les deux formes de raisonnement.
Cependant, l’approche des modèles mentaux permet d’approfondir cette comparaison entre raisonnement sur les possibilités et raisonnement sur les valeur de vérité, notamment en les situant l’un par rapport à l’autre. En effet, selon Johnson-‐Laird et Byrne (1991, 2002), les trois modèles qui constituent le noyau de sens du conditionnel ne correspondent pas à la table de vérité de l’implication matérielle. Chaque entrée dans cette table de vérité statue de la vérité ou de la fausseté du conditionnel alors que les modèles représentent seulement des possibilités. Johnson-‐
Laird et Byrne (2002) renforcent cette dichotomie en avançant que l’évaluation des possibilités serait un processus psychologiquement basique alors qu’évaluer la vérité ou la fausseté d’un énoncé est une méta habilité d’un niveau supérieur à la simple description de possibilités.
Cette distinction devrait avoir au moins deux conséquences : (1) représenter des possibilités devrait être un processus génétiquement premier dont le développement précède les autres formes de raisonnement et (2) si toutes les formes de raisonnement sont au moins, dans les premières étapes, sous-‐tendues par la représentation de possibilités alors elles devraient toutes suivre la même tendance développementale. L’objectif de ce quatrième chapitre est donc de tester
ce postulat fondamental de la théorie des modèles mentaux en comparant le développement des deux formes de raisonnement.
1.
R
aisonnement sur les possibilités et sur les valeurs de véritéEn couplant la théorie des modèles mentaux et sa récente modification (Barrouillet et al., 2008), l’approche des modèles mentaux est, d’une part, en mesure d’expliquer les performances des individus quand ils raisonnent sur les possibilités ou sur les valeurs de vérité. D’autre part, elle suppose que les deux formes de raisonnement reposent sur la construction de la même représentation qui serait pour les conditionnels basiques une représentation composée des trois modèles, p q, ¬p ¬q et ¬p q.
1.1 La même représentation conditionnelle à trois modèles
Comme nous l’avons vu précédemment, la théorie standard des modèles mentaux (Johnson-‐Laird & Byrne, 1991, 2002) suppose que, pour les conditionnels basiques, les individus construisent, dans un premier temps, une représentation initiale composée d’un modèle explicite (i.e., p q) et d’un modèle implicite. Ce dernier modèle peut être explicité par un processus de fleshing out qui permet la construction des modèles ¬p ¬q et ¬p q. Comme cet ensemble de trois modèles représente les trois situations possibles quand le conditionnel est vrai, il est particulièrement évident que cette approche peut expliquer le raisonnement sur les possibilités.
Nous avons récemment montré que la construction de la même représentation conditionnelle à trois modèles peut rendre compte du raisonnement sur les valeurs de vérité (Barrouillet et al., 2008). En effet, le modèle p q est représenté explicitement dans la représentation initiale car il constitue le noyau de sens du conditionnel. Par conséquent, les cas correspondants rendent l’énoncé vrai. A l’inverse, les modèles ¬p sont représentés implicitement car ils sont compatibles avec le conditionnel quand ils se produisent mais ne le rendent pas vrai pour autant (i.e., réponses « indéterminé »). Enfin, les possibilités non représentées dans cette représentation sont incompatibles avec le conditionnel et le rendent faux.