Thesis
Reference
La théorie modifiée des modèles mentaux : une approche développementale du raisonnement conditionnel
GAUFFROY, Caroline
Abstract
Barrouillet, Gauffroy et Lecas (2008) ont proposé de modifier la théorie des modèles mentaux (Johnson-Laird & Byrne, 2002) pour lui permettre de rendre compte de la manière dont les individus évaluent la vérité ou la fausseté d'un conditionnel. L'objectif de ce travail était de tester la théorie modifiée des modèles mentaux selon laquelle l'évaluation de la valeur de vérité du conditionnel dépendrait des modèles mentaux construits. Cette construction peut être modulée notamment par le développement, le contenu ou le contexte de l'énoncé. Nous avons donc étudié le développement de l'évaluation de la valeur de vérité de différents types de conditionnels à travers différents paradigmes, avant de comparer le développement des deux formes de raisonnement spécifiques au Si (i.e., évaluation de la valeur de vérité et évaluation des états du monde possibles). L'ensemble des résultats supporte l'idée selon laquelle le raisonnement conditionnel reposerait sur un processus de construction de modèles mentaux.
GAUFFROY, Caroline. La théorie modifiée des modèles mentaux : une approche développementale du raisonnement conditionnel. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2011, no. FPSE 480
URN : urn:nbn:ch:unige-161528
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:16152
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:16152
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Section de Psychologie
Sous la direction du Pr. Barrouillet et la co.direction du Dr. Lecas
La théorie modifiée des modèles mentaux :
Une approche développementale du raisonnement conditionnel
THESE
Présentée à la
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Psychologie
par
Caroline GAUFFROY
de France
GENEVE Mai 2011
À Pierre, pour votre rigueur scientifique, vos précieux conseils et surtout pour m'avoir fait confiance depuis la maitrise. À Jeff, pour votre soutien, vos relectures nombreuses et surtout d’avoir continuellement laissé ouverte votre porte où je pouvais passer la tête et dire « il y a quelque chose que je n’ai pas compris … ».
À Messieurs Jean-François Bonnefon, Vittorio Girotto, et Claude-Alain Hauert pour m'avoir fait l'honneur d'être membre de mon jury et de ma commission de suivi de thèse, et pour avoir accepté d'estimer et de discuter mes travaux.
Aux membres de l’équipe Decopsy Françoise, Vinciane, Catherine, Alex, Gaën, Annalisa et Naomi qui ont fait de cette aventure une aventure inoubliable. Un merci tout particulier à Tintin pour m’avoir continuellement tirée vers le haut. Une mention spéciale à Choux, merci pour tout ton investissement (cette thèse ne serait pas ce qu’elle est sans toi ) et surtout merci d’être devenue mon amie.
A mes amis, Sophie, Cissou, Prune, Lolo, et Poulet, merci d’avoir toujours cru en moi lorsque j’ai eu des difficultés à le faire moi-même, de m’aider à aller au bout de mes rêves, de me laisser être qui je suis et de m’aimer pour ça.
À ma famille, on dit souvent qu’on ne choisit pas sa famille et bien si on me laissait le choix je choisirais exactement celle que j’ai. Merci à Claude, Philippe et Julien pour votre amour inconditionnel et votre soutien sans failles. Je ne serais pas là où je suis sans vous !
À Mymy, merci d’être exactement la moitié qu’il me fallait, d’être le moteur de mes plus grandes réussites. Merci pour cette petite famille dont je suis si fière.
Si, ce petit mot de deux lettres, très utilisé dans le langage courant, suscite un grand intérêt car il permet aux êtres humains d’imaginer ou d’analyser divers états du monde. Cependant, il est aussi l’un des connecteurs logiques les plus énigmatique. En effet, raisonner sur les états du monde possibles quand le conditionnel est vrai semble être un raisonnement différent de celui qui consiste, à l’inverse, à évaluer la vérité ou la fausseté de l’énoncé à partir d’états du monde donnés.
En d’autres termes, les situations qui sont compatibles avec le conditionnel lorsqu’il est vrai ne sont pas les mêmes que celles qui le rendent vrai lorsqu’elles se produisent. Cette spécificité du conditionnel est au centre de la controverse qui existe entre deux approches prédominantes dans ce champ de recherche : la théorie des modèles mentaux (Johnson-‐Laird & Byrne, 2002) et la théorie suppositionnelle (Evans & Over, 2004 ; Evans, Handley & Over, 2003). Barrouillet, Gauffroy et Lecas (2008) ont récemment proposé de modifier la théorie des modèles mentaux pour lui permettre de rendre compte de la manière dont les individus évaluent la vérité ou la fausseté d’un conditionnel, ce type de raisonnement constituant la principale lacune de la théorie standard.
L’objectif de ce travail était donc de tester la théorie modifiée des modèles mentaux. D’après cette dernière, l’évaluation de la valeur de vérité de l’énoncé dépendrait des modèles mentaux construits. Cette construction de modèles peut être modulée par différents facteurs et notamment le développement, le contenu ou le contexte de l’énoncé. Dans un premier temps, nous avons donc étudié le développement de l’évaluation de la valeur de vérité de conditionnels basiques, causaux et de conditionnels exprimant des promesses et des menaces à travers les paradigmes de la truth table task et de la tâche d’évaluation de la probabilité d’un conditionnel. Nous avons, ensuite, spécifiquement comparé le développement des deux formes de raisonnement spécifiques au Si (i.e., évaluation de la valeur de vérité et évaluation des états du monde possibles). En accord avec la théorie modifiée des modèles mentaux, l’ensemble des résultats supporte l’idée selon laquelle le raisonnement conditionnel reposerait sur un processus de construction de modèles mentaux.
If is one of the most interesting word in the language, because it permits human beings to imagine and analyze possible states of the world. However, it is also one of the most puzzling connectives. Effectively, when considering conditionals, reasoning about what are the possible states of affairs given the truth of the sentence seems to differ from reasoning in the other way round about the truth or falsity of this sentence from given states of affairs. In other words, the situations that can occur when the conditional is true differ from those that make it true when they occur. The controversy between the mental model theory and the suppositional theory relies on this specificity. Recently, Barrouillet, Gauffroy and, Lecas (2008) have proposed to modify the mental model approach in order to account for how individuals evaluate the truth or the falsity of a conditional. Note that this type of reasoning is the most important gap of the standard theory. So the aim of the present thesis was to test the revised mental model theory. Our account predicts that the evaluation of the truth-‐value of a conditional depends on the way that individuals construct mental models. Among the various factors that affect this construction, the principal ones are the development, the content, and the context. Therefore, we studied first the development of the evaluation of basic, causal conditionals and inducements (i.e., promise and threats) in a truth table task and in a probability task. Then, we specifically compared the development of reasoning about conditionals and reasoning from conditionals. In line with the revised mental model theory, the results corroborate the idea that conditional reasoning relies on a process of constructing mental models.
S ommaire
Préambule 1
Introduction Générale 3
Chapitre 1 9
Le raisonnement conditionnel : au cœur d’un débat contemporain
1. La théorie des modèles mentaux 9
1.1 Une théorie générale 9
1.1.1 Les modèles mentaux 9
1.1.2 Une procédure sémantique de raisonnement 10
1.1.3 Le processus de fleshing out 11
1.2 Une approche spécifique au conditionnel 12
1.2.1 Quatre principes fondamentaux 13
1.2.2 Les données chez l’adulte qui supportent la théorie 17
1.2.3 Le développement comme support principal de la théorie 18 1.3 Les forces et les faiblesses de la théorie des modèles mentaux 21
1.3.1 Les forces : la représentation des possibilités 21
1.3.2 Les faiblesses : la représentation des valeurs de vérité 22
2. La théorie de la pensée hypothétique 23
2.1 Une théorie générale 23
2.1.1 Les trois principes 23
2.1.2 Les modèles mentaux épistémiques 24
2.1.3 Les processus heuristiques et analytiques 25
2.2 La théorie suppositionnelle 28
2.2.1 Le Ramsey test : une approche probabiliste du conditionnel 28
2.2.2 La tâche des probabilités 29
2.2.3 La truth table task 30
2.2.4 Les effets des connaissances sur le raisonnement conditionnel 31 2.3 Les forces et les faiblesses de la théorie suppositionnelle 33
2.3.1 Les forces 33
2.3.2 Théorie de la pensée hypothétique et théorie suppositionnelle : le lien 33
Chapitre 2 37
Un nouvel éclairage au débat : la théorie modifiée des modèles mentaux
1. Théorie suppositionnelle versus théorie des modèles mentaux 37
1.1 Une critique de la théorie des modèles mentaux 37
1.2 Un constat : l’existence de deux formes de raisonnement 39
1.3 Deux formes de raisonnement : une pour chacune des deux théories 41 2. Vers une résolution du débat : la théorie modifiée des modèles mentaux 42
2.1 Une proposition de modification 43
2.2 Une étude exploratoire 44
2.3 Les objectifs de ce travail 46
Chapitre 3 48
La truth table task et la tâche des probabilités
1. La truth table task 49
1.1 Les conditionnels basiques 50 1.1.1 Développement et structure sémantique des variables p et q (Expérience 1) 50 1.1.2 Développement et manipulation du contexte d’énonciation (Expérience 2) 58
1.2 Les conditionnels causaux (Expérience 3) 66
1.3 Les promesses et les menaces (Expérience 4) 71
1.4 La truth table task : récapitulatif 75
2. La tâche des probabilités 77
2.1 Les conditionnels basiques 78
2.1.1 Les conditionnels NN (Expérience 5) 78
2.1.2 Conditionnels BB versus conditionnels NN (Expérience 6) 85
2.2 Les conditionnels causaux (Expérience 7) 89
2.3 Les promesses et les menaces (Expérience 8) 92
2.4 La tâche des probabilités: récapitulatif 94
3. Discussion 96
3.1 Implications pour la théorie suppositionnelle 98
3.2 Implications pour la théorie standard des modèles mentaux 101
Chapitre 4 103
La primauté du raisonnement sur les possibilités
1. Raisonnement sur les possibilités et raisonnement sur les valeurs de vérité 104
1.1 La même représentation conditionnelle à trois modèles 104
1.2 Le développement 105
2. Comparer le développement des deux formes de raisonnement 107
2.1 Un décalage développemental (Expérience 9) 107
2.2 Une expérience contrôle (Expérience 10) 117
3. Discussion 123
Chapitre 5 128
Discussion générale
1. Trois théories du raisonnement conditionnel 130
2. Trois conceptions pas si éloignées 134
3. Une théorie intégrative 138
4. Conclusion 141
5. Perspectives 141
Bibliographie 144
Annexes 152
Annexe 1 : Enoncés Expérience 1 : BB et NN
Annexe 2 : Enoncés Expérience 2 : NNR et NN
Annexe 3 : Enoncés Expérience 3 : relations causales fortes et faibles
Annexe 4 : Enoncés Expérience 4 : promesse et menace
Publications 158
Publication 1
Publication 2
Publication 3
P
réambule ______________
Le présent travail s’inscrit dans le vaste champ d’étude du raisonnement humain. Johnson-‐
Laird (1991) distingue trois formes de raisonnement : le calcul, l’induction et la déduction. La déduction, qui est la forme de raisonnement ayant suscité le plus grand intérêt, est l’activité de pensée par laquelle les êtres humains infèrent une conclusion valide à partir d’informations données (i.e., de prémisses). Elle est impliquée dans la plupart des activités quotidiennes : planifier et évaluer des actions, déterminer les conséquences de certains actes, formuler des hypothèses, interpréter des règles, résoudre des problèmes… Parmi les activités déductives, cette thèse s’est plus particulièrement intéressée au raisonnement propositionnel, c’est-‐à-‐dire à la capacité des individus à raisonner sur des énoncés contenant des connecteurs logiques tels que « ou », « et », ou « si ».
Actuellement, l’étude du raisonnement propositionnel est le théâtre d’un débat qui oppose les deux théories contemporaines du raisonnement: la théorie des modèles mentaux (Johnson-‐
Laird & Byrne, 1991, 2002 ; Johnson-‐Laird, Byrne, & Schaecken, 1992) et la théorie de la pensée hypothétique (Evans, 2006 ; Evans & Over, 2004 ; Evans, Handley & Over, 2003). Ce travail a pour objectif de proposer une nouvelle lecture à cette controverse en proposant une approche théorique qui vise à rendre compte de l’ensemble des phénomènes rapportés par les deux approches. Comme ce débat prend toute son ampleur dans le domaine du raisonnement conditionnel (i.e., la compréhension des énoncés de forme « si p alors q »), c’est sous cet angle qu’il sera abordé.
Après une introduction générale présentant la nature logique des conditionnels et les différents paradigmes utilisés dans le champ du raisonnement conditionnel, nous présenterons dans le Chapitre 1, d’une part, la théorie des modèles mentaux et son approche spécifique du conditionnel et, d’autre part, la théorie de la pensée hypothétique et sa théorie suppositionnelle du conditionnel. Cette description soulignera la dichotomie autour de laquelle s’articule la controverse actuelle. En effet, comme la théorie des modèles mentaux est une théorie basée sur la représentation de possibilités, elle se focalise sur les paradigmes qui évaluent la capacité des êtres humains à considérer quelles sont les situations possibles à partir d’un énoncé. A l’inverse, la façon
dont les individus évaluent la vérité ou la fausseté d’un conditionnel est au centre de la théorie suppositionnelle qui privilégie donc les paradigmes d’évaluation de la valeur de vérité. Dans le Chapitre 2, une fois les modalités du débat explicitées, nous en proposerons un éclairage nouveau.
En effet, jusqu’à présent et de manière quelque peu surprenante, est passé inaperçu le fait qu’il existerait deux formes de raisonnement : un raisonnement sur les possibilités où les individus évaluent les états de choses du monde étant donné la vérité de l’énoncé, et un raisonnement sur les valeurs de vérité où les individus évaluent, à partir d’états de choses du monde, la vérité ou la fausseté d’un énoncé. Dans ce cadre, l’objectif de cette thèse est alors de proposer une théorie du raisonnement conditionnel qui rend compte de ces deux formes de raisonnement. Pour répondre à cet objectif, nous présenterons, dans la deuxième partie de ce chapitre, la théorie modifiée des modèles mentaux (Barrouillet, Gauffroy, & Lecas, 2008) qui comble la principale lacune de la théorie standard de Johnson-‐Laird et Byrne en lui permettant d’expliquer le raisonnement sur les valeurs de vérité. Bien que les résultats de cette première étude de 2008 soient encourageants, ils ne restent qu’un début. En effet, une théorie du raisonnement conditionnel, ou une théorie du raisonnement en général, doit pouvoir appréhender l’ensemble des faits observés dans le domaine.
Au delà des deux formes de raisonnement, le raisonnement conditionnel est aussi sujet à un fort développement et à de nombreux effets de contenu et de contexte. La théorie standard des modèles mentaux explique ces effets quand le sujet doit évaluer des possibilités. Dans le Chapitre 3, nous montrerons comment sa version modifiée rend compte des effets de développement, de contenu et de contexte quand le sujet doit évaluer la valeur de vérité du conditionnel. Le Chapitre 4 vise à tester de manière spécifique le postulat de l’existence de deux formes de raisonnement en comparant le développement propre à chacun : la tendance développementale est-‐elle la même ? Est-‐ce que les deux formes de raisonnement se développent de manière synchrone ?... Pour conclure, nous verrons comment l’ensemble des résultats de cette thèse, en plus d’avoir validé la théorie modifiée des modèles mentaux, nous ont permis de développer une théorie du développement qui intègre les processus décrits par la théorie hypothétique dans une l’approche proposée par la théorie des modèles mentaux.
I
ntroduction Générale ______________
Le conditionnel s’exprime par le connecteur logique « si … alors … » mais aussi par les connecteurs « si » et « seulement si ». Dans cette thèse, nous nous sommes intéressés seulement au connecteur « si … alors … » qui est celui dont l’étude a été la plus largement documentée.
En logique formelle, le sens d’un connecteur est défini à partir de la valeur de vérité des propositions qu’il connecte (i.e., définition véri-‐fonctionnelle du connecteur). Par exemple, le conditionnel « Si Jérémie est au cinéma alors il regarde un film» est vrai quand l’antécédent et le conséquent sont vrais (i.e. ; Jérémie est au cinéma et il regarde un film), quand l’antécédent et le conséquent sont faux (i.e. ; Jérémie n’est pas au cinéma et il ne regarde pas de film) et quand l’antécédent est faux et le conséquent est vrai (i.e. ; Jérémie n’est pas au cinéma et il regarde un film). Le conditionnel est faux dans le seul cas où l’antécédent est vrai et le conséquent faux (i.e. ; Jérémie est au cinéma et il ne regarde pas de film). La définition véri-‐fonctionnelle du Si est représentée dans la table de vérité suivante où V correspond à vrai, F correspond à faux et chaque ligne représente une possibilité différente :
Tableau 1 : Table de vérité de l’implication matérielle p
Jérémie est au cinéma
q
Il regarde un film Si p alors q
Si Jérémie est au cinéma alors il regarde un film
V V V
V F F
F V V
F F V
Cette table de vérité dite de l’implication matérielle peut être utilisée pour produire des déductions. Par exemple, à partir de la prémisse majeure « Si Jérémie est au cinéma alors il regarde un film » et de la prémisse additionnelle « Jérémie est au cinéma », le sujet peut déduire que
« Jérémie regarde un film ». En effet, la prémisse majeure élimine la deuxième possibilité de la
table de vérité. La prémisse additionnelle élimine, quant à elle, les deux dernières possibilités. La possibilité restante, à la suite de cette procédure d’élimination, est celle dans laquelle Jérémie est au cinéma et il regarde un film. Par conséquent, en manipulant la table de vérité de l’implication matérielle et en utilisant le sens des prémisses, le sujet peut inférer que « Jérémie regarde un film».
L’une des propriétés logiques du conditionnel matériel « si p alors q » est qu’il est extensionnel. Sa valeur de vérité est totalement déterminée par la valeur des propositions p et q qui le composent. Cependant, la plupart des philosophes et des psychologues du raisonnement rejettent la théorie selon laquelle les conditionnels ordinaires sont extensionnels, principalement à cause des paradoxes qui en découlent (Bennett, 2003 ; Edgington, 1995). Ces paradoxes sont les suivants :
P1 : quand l’antécédent est faux, le conditionnel « si p alors q » est vrai.
P2 : quand le conséquent est vrai, le conditionnel « si p alors q » est vrai.
Par exemple, selon l’implication matérielle, la situation où George Bush est président et Al Gore ne l’est pas devrait nous amener à considérer vrai le conditionnel « Si Al Gore est président alors George Bush est président ». Donc, considérer que P1 (ou P2) sont valides pour un conditionnel ordinaire est fortement contre-‐intuitif et ne doit pas correspondre à la façon dont les individus comprennent les conditionnels. Depuis une quarantaine d’année, les psychologues s’attachent à élaborer différents paradigmes visant à une meilleure compréhension du raisonnement conditionnel humain.
Une revue de la littérature laisse apparaître l’existence de 6 paradigmes utilisés par les psychologues du raisonnement conditionnel : la tâche de production ou d’évaluation d’inférences, la tâche de sélection de Wason, la tâche de falsification, la tâche de production, la truth table task et la tâche d’évaluation de la probabilité. La description détaillée de ces paradigmes permettra de révéler toute la complexité du Si qui en fait son principal intérêt pour l’étude du raisonnement humain en général.
Dans la tâche de production ou d’évaluation d’inférences, le sujet est confronté à une prémisse majeure suivie d’une prémisse mineure qui consiste en l’affirmation ou la négation de l’antécédent ou du conséquent. Sa tâche est alors de dire (ou de choisir) quelle conclusion découle des prémisses. Quatre inférences sont associées aux syllogismes conditionnels. Par exemple, à partir de la prémisse majeure « si Aurore est à Genève alors Julien est à Milan » et de la prémisse mineure, les quatre inférences sont :
- modus ponens (i.e., MP), à partir de « si p alors q » et « p », on conclut « q », dans notre exemple « Julien est à Milan »
- modus tollens (i.e., MT), à partir de « si p alors q » et « ¬q », on conclut « ¬p », « Aurore n’est pas à Genève».
- affirmation du conséquent (i.e., AC), à partir de « si p alors q » et « q », on conclut « p »,
« Aurore est à Genève »
- négation de l’antécédent (i.e., pour cette dernière inférence nous conserverons la notation conventionnelle DA pour Denial of Antecedent), à partir de « si p alors q » et « ¬p », on conclut « ¬q », « Julien n’est pas à Milan ».
D’après la table de vérité de l’implication matérielle, les inférences MP et MT sont valides et les inférences AC et DA sont invalides. De manière très générale, les études menées à partir de ce paradigme montrent que les adultes produisent de manière préférentielle MP et MT (Evans, Newstead, & Byrne, 1993, pour une revue complète).
La version standard de la tâche de sélection de Wason est composée de quatre cartes avec une lettre sur une face et un chiffre sur l’autre. Le sujet ne peut voir qu’une seule des deux faces de chaque carte, soit celle avec la lettre soit celle avec le chiffre (e.g., A, D, 4, 7). Le sujet doit alors choisir quelle(s) carte(s) il est nécessaire de retourner pour savoir si la règle « s’il y a une voyelle sur une face alors il y a un chiffre pair sur l’autre face » est vraie ou fausse. La réponse attendue implique de retourner la carte avec un A pour vérifier qu’il y a une voyelle sur l’autre face et la carte 7 pour vérifier qu’elle ne comporte pas de voyelle sur l’autre face. Malgré son apparente facilité, cette tâche n’est réussie que par environ 10% des adultes (Wason, 1968, 1969 ; Wason & Johnson-‐
Laird, 1970).
Deux paradigmes en particulier sont propices à l’étude de la façon dont les individus interprètent un énoncé conditionnel: la tâche de falsification et la tâche de production. Ces paradigmes constituent les tâches privilégiées des études développementales menées par Barrouillet et collaborateurs (Barrouillet, Grosset, & Lecas, 2000 ; Barrouillet & Lecas, 1998, 1999, 2002 ; Lecas et Barrouillet, 1999). Dans la tâche de falsification, le sujet doit juger, parmi les quatre cas logiques possibles (i.e., p q, ¬p ¬q, ¬p q et p ¬q), quels sont ceux qui falsifient/violent un conditionnel tenu pour vrai. Par exemple, parmi les cas « rond rouge », « rond bleu », « carré bleu » et « carré rouge », Barrouillet et Lecas (1998) ont demandé aux participants de désigner ceux qui violaient le conditionnel « si c’est un rond alors il est rouge ». Comme le volet développemental de cette étude sera présenté dans le premier chapitre, nous n’évoquerons ici que le pattern de
réponses observé chez les adultes. La grande majorité d’entre eux considèrent que seul le cas p ¬q (i.e., « rond bleu ») falsifie le conditionnel. Dans la tâche de production, le sujet raisonne également sur les possibilités qui découlent d’un conditionnel tenu pour vrai, mais cette fois-‐ci en produisant les cas qui sont compatibles avec ce dernier. Par exemple, dans cette même étude, les sujets avaient à disposition des t-‐shirts et des pantalons de différentes couleurs et devaient produire toutes les tenues vestimentaires compatibles avec l’énoncé « si tu mets un t-‐shirt rouge alors tu mets un pantalon bleu ». Les adultes produisaient les tenues « t-‐shirt rouge – pantalon bleu », « t-‐
shirt vert – pantalon noir » et « t-‐shirt vert – pantalon bleu » qui correspondaient respectivement au cas p q, ¬p ¬q et ¬p q. Ainsi, la tâche de falsification et la tâche de production montrent que, pour les adultes, les états de choses du monde possibles quand le conditionnel est vrai correspondent aux cas p q, ¬p ¬q et ¬p q. Seule la possibilité p ¬q est jugée incompatible avec le conditionnel. Cependant, les deux derniers paradigmes vont révéler que, parmi ces trois possibilités considérées comme compatibles avec le conditionnel, seule l’une d’entre elles rend le conditionnel vrai.
La truth table task et la tâche d’évaluation de la probabilité d’un conditionnel permettent de tester la façon dont les individus évaluent la vérité ou la fausseté d’un conditionnel. Dans la truth table task, à partir d’états de choses du monde donnés, le participant doit évaluer la vérité ou la fausseté d’un conditionnel. Par exemple, le sujet doit juger si le cas « rond rouge » rend le conditionnel « si c’est un rond alors il est rouge » vrai, ou faux, ou s’il ne permet pas de savoir si l’énoncé est vrai ou faux. Cette tâche a permis à Wason (1966) de décrire la table de vérité incomplète du conditionnel (Cf. Tableau 2). En effet, dans ce type de tâche, les adultes répondent généralement que le cas p q (i.e., « rond rouge ») rend le conditionnel vrai, que le cas p ¬q (i.e.,
« rond vert ») le rend faux et que les cas ¬p ¬q (i.e., « carré vert ») et ¬p q (i.e., « carré rouge ») ne permettent pas de savoir si le conditionnel est vrai ou faux (Evans, 1972 ; Johnson-‐Laird & Tagart, 1969).
Dans la tâche d’évaluation de la probabilité, le sujet doit évaluer à partir d’un ensemble de situations données quelle est la probabilité que le conditionnel soit vrai (ou faux) pour une situation tirée au hasard dans l’ensemble. Par exemple, dans l’étude de Evans et al. (2003), le sujet est confronté à un ensemble de cartes composé de 1 carte jaune avec un cercle, 4 cartes jaunes avec une étoile, 16 cartes rouges avec un cercle et 16 cartes rouges avec une étoile. Sa tâche est d’évaluer la probabilité que l’énoncé « si la carte est jaune alors il y a un rond imprimé dessus » soit vrai (ou faux) pour une carte tirée au hasard dans le paquet. Comme dans la truth table task, les
adultes raisonnent à partir d’une table de vérité incomplète. Ils ne prennent en compte que les cas p q (i.e., carte jaune avec un rond) et p ¬q (i.e., cartes jaunes avec une étoile) pour évaluer la probabilité du conditionnel. Dans l’exemple, ils considèrent que la probabilité que le conditionnel soit vrai est de 1/5 et qu’il soit faux de 4/5.
Tableau 2 : Table de vérité incomplète (defective truth table)
Cas Si p alors q
Si c’est un rond alors il est rouge
p q (rond rouge) V
p ¬q (rond bleu) F
¬p q (carré rouge) I
¬p ¬q (carré bleu) I
Pour conclure, la présentation des quatre derniers paradigmes illustre toute la complexité du raisonnement conditionnel. En effet, lorsque les adultes doivent évaluer quelles sont les situations possibles à partir du conditionnel « si p alors q », ils listent les possibilités p q, ¬p ¬q et ¬p q. Cependant, parmi ces trois possibilités compatibles avec le conditionnel, seule l’une d’entre elles (i.e, p q) rend le conditionnel vrai alors que les deux possibilités restantes laissent sa valeur de vérité indéterminée. Le débat qui anime actuellement le raisonnement conditionnel s’articule autour de ce phénomène.
Plusieurs théories du raisonnement ont développé une approche spécifique. Nous aborderons plus particulièrement dans ce travail l’approche de la logique mentale, de la théorie des modèles mentaux et de la théorie de la pensée hypothétique.
La théorie du Si développée par Braine et O’Brien (1991) est constituée d’une entrée lexicale, d’un programme de raisonnement et (c) d’un ensemble de principes pragmatiques. Les auteurs supposent que l’entrée lexicale d’un connecteur est constituée de deux schémas d’inférence. Pour le Si, ces deux schémas sont le modus ponens et le schéma de preuve conditionnelle (schema for conditional proof). Selon le modus ponens, quand un conditionnel et son antécédent sont considérés comme vrais alors on peut affirmer que le conséquent est vrai. Le schéma de preuve conditionnelle permet, quant à lui, d’affirmer si p alors q si, en supposant p, on
peut déduire q. Ces schémas d’inférence ne sont pas directement accessibles, c’est le programme de raisonnement qui permet au sujet de les mettre en œuvre, lequel se décompose en deux parties : une partie routine et une partie stratégie (Braine, 1990 ; Braine, Reiser & Rumain, 1984).
La routine procède en sélectionnant les schémas d’inférence qui correspondent à la représentation propositionnelle construite et en appliquant tous les schémas qui peuvent l’être. Quand les routines de raisonnement ne permettent pas de fournir une solution au problème, des stratégies indirectes de raisonnement (« Indirect Reasoning Strategies ») sont utilisées. En postulant l’existence de deux schémas pour définir l’entrée lexicale du Si, la théorie de la logique mentale semble prendre en compte à la fois l’évaluation des possibilités étant donné la vérité du conditionnel et l’évaluation de la valeur de vérité de ce dernier. En effet, le modus ponens permet aux individus de déduire, à partir d’un énoncé conditionnel et de son antécédent considérés comme vrai, le conséquent. Cette spécificité de la théorie de la logique mentale sera abordée plus en détails dans la discussion.
En effet, nous allons nous centrer, dès à présent, sur les deux théories contemporaines les plus populaires dans le domaine du raisonnement conditionnel : la théorie des modèles mentaux (Johnson-‐Laird & Byrne, 1991, 2002) et la théorie suppositionnelle (Evans & Over, 2004 ; Evans et al., 2003). Comme l’objectif de cette thèse est d’éclairer la controverse existante entre ces deux aproches, il est nécessaire d’en décrire les modalités. Ainsi, dans le chapitre suivant, nous présenterons ces deux théories et les principaux faits empiriques sur lesquels elles s’appuient.
C
hapitre 1L
e raisonnement conditionnel : au cœur d’un débat contemporain ______________La théorie des modèles mentaux et la théorie de la pensée hypothétique ont toutes deux développé une approche spécifique du conditionnel. C’est autour de cette approche que s’articule le débat qui les oppose. Dans ce premier chapitre, nous présenterons une description générale de chacune des théories puis leurs propositions concernant le raisonnement conditionnel.
1.
L
a théorie des modèles mentaux1.1 Une théorie générale
La théorie des modèles mentaux est une théorie des représentations mentales mises en œuvre dans la compréhension du langage et le raisonnement. Avant 1983, l’intérêt principal de la théorie était la compréhension du discours. Selon Johnson-‐Laird (1970), pour comprendre le sens d’un discours, le sujet construit un modèle mental de la situation qu’il décrit. Johnson-‐Laird et collaborateurs (Johnson-‐Laird, 1983 ; Johnson-‐Laird & Byrne, 1991 ; Johnson-‐Laird et al., 1992) se sont ensuite intéressés au raisonnement avec une approche théorique qui s’articule autour de trois éléments principaux : (a) les modèles mentaux qui sont des représentations internes des états de choses du monde (b) une procédure de raisonnement en trois étapes et (c) un processus de fleshing out qui permet de compléter la représentation initiale de l’énoncé en explicitant les informations laissées implicites.
1.1.1 Les modèles mentaux
La notion de modèle mental trouve son origine chez Craik (1943) qui considère que l’esprit humain construit des « modèles à petite échelle » de la réalité et chez Wittgenstein (1922) pour qui la structure d’un modèle mental correspond à la structure de ce qu’il représente. Par exemple, la
situation décrite par l’énoncé « le triangle est à côté et à droite du rond » peut être représentée par le modèle mental suivant :
La structure de ce modèle est isomorphe à la relation spatiale décrite dans l’énoncé entre le rond et le triangle1. Dans la lignée de leurs prédécesseurs, Johnson-‐Laird et Byrne (2002, p. 647) définissent le modèle mental de la manière suivante : « Mental models can be constructed from perception, imagination, or the comprehension of the discourse. They underlie visual images, but they can also be abstract, representing situations that cannot be vizualized. Each mental model represents a possibility. It is akin to a diagram in that its structure is analogous to the structure of the situations that it represents ». Les modèles mentaux sont donc considérés comme une représentation psychologique de la réalité ou de situations imaginaires ou hypothétiques.
Selon Johnson-‐Laird (1983), si la compréhension du discours repose sur la représentation d’états de chose du monde, c’est à dire la construction de modèles mentaux, alors les processus d’inférence devraient opérer sur les modèles mentaux eux-‐mêmes. De ce fait, le raisonnement consisterait à manipuler les modèles mentaux construits sur la base des informations sémantiques contenues dans le discours.
1.1.2 Une procédure sémantique de raisonnement
Les modèles mentaux étant construits sur la base des informations sémantiques contenues dans le discours, Johnson-‐Laird et al. (1992) avancent que le mécanisme de déduction reposerait sur une procédure sémantique en trois étapes.
La première étape du processus de déduction serait une étape de compréhension pendant laquelle les individus utilisent leurs connaissances du langage et leurs connaissances générales pour comprendre les prémisses, c’est-‐à-‐dire pour construire un modèle mental des états du monde qu’ils décrivent. Cette étape de construction est suivie par une étape de description pendant laquelle les individus formuleraient une conclusion vraie pour l’ensemble des modèles mentaux construits.
Cette deuxième étape doit remplir deux conditions bien précises. D’une part, la conclusion putative
1 Le modèle mental représente tout ce qui est commun aux situations où le triangle est à côté et à droite du rond. En revanche, il ne représente rien quant à la taille, la couleur, la distance entre les objets… Si ces informations sont, par la suite, fournies et sont pertinentes pour la compréhension de l’énoncé, alors le modèle peut être réactualisé pour les prendre en compte.
doit asserter une information qui n’est pas explicitement décrite dans les prémisses et, d’autre part, la conclusion doit être plus économique que les prémisses elles-‐mêmes. Si aucune conclusion de ce type ne découle de l’étape de compréhension, l’individu est amené à conclure que rien ne peut être déduit des prémisses. Dans la dernière étape, appelée étape de validation, les individus testent la validité de leur conclusion putative en vérifiant qu’aucun modèle alternatif ne la falsifie.
Si de tels modèles existent, les individus doivent alors reformuler une nouvelle conclusion qui serait vraie pour l’ensemble des modèles construits.
D’après cette procédure en trois étapes, le raisonnement est dans un premier temps basé sur la construction d’une représentation initiale qui peut être complétée, lors de l’étape de validation, par la construction de modèles alternatifs. Cette complétion de la représentation initiale est permise par le processus de fleshing out.
1.1.3 Le processus de fleshing out
L’un des principaux postulats de la théorie des modèles mentaux est que les individus représentent le maximum d’informations de manière implicite. En effet, plus le raisonnement nécessite la représentation d’informations explicites, plus la charge en mémoire de travail est importante. La théorie postule donc que la représentation initiale d’un énoncé contient le moins d’information explicite possible. Certaines informations sont laissées implicites dans la représentation initiale et, de ce fait, ne sont pas directement accessibles. Cependant, elles deviennent accessibles lorsqu’elles sont représentées explicitement. C’est le processus de fleshing out qui va rendre explicites les informations laissées implicites dans la représentation initiale. Il est alors défini comme un processus d’explicitation.
Par exemple, la représentation initiale de la disjonction exclusive « Il y a un rond ou un triangle » est la suivante :
où chaque ligne représente un modèle distinct. Dans le premier modèle, la présence du rond est représentée explicitement alors que l’absence du triangle est représentée implicitement (et inversement pour le deuxième modèle). Face à la prémisse additionnelle « il n’y a pas de triangle »,
le sujet met en oeuvre un fleshing out de la représentation initiale lui permettant de construire la représentation suivante :
où le signe « ¬ » représente la négation. Comme le deuxième modèle est en contradiction avec la prémisse additionnelle, il est éliminé et le sujet conclut qu’il y a un rond dans la boîte. Le tableau 3 (tiré de Johnson-‐Laird & Byrne, 1991) récapitule, pour chacun des connecteurs logiques, les modèles initiaux et les modèles explicites (i.e., complets).
Tableau 3 : Modèles initiaux et modèles explicites construits à partir des connecteurs propositionnels.
Chaque ligne horizontale représente un modèle alternatif (Johnson-‐Laird & Byrne, 1991, p.51)
Dans ce cadre théorique général, Johnson-‐Laird et Byrne (2002) ont élaboré une théorie des modèles mentaux spécifique du raisonnement conditionnel.
1.2 Une approche spécifique du raisonnement conditionnel
Dans leur approche du raisonnement conditionnel, Johnson-‐Laird et Byrne (2002) décrivent plusieurs principes fondamentaux : (a) le principe du core meaning qui spécifie le noyau de sens du conditionnel, (b) le principe de vérité qui énonce que les modèles mentaux construits représentent
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des possibilités étant donné la vérité de l’énoncé, (c) le principe des modèles implicites selon lequel la représentation initiale du conditionnel est constituée de deux modèles : un modèle explicite et un modèle implicite, (d) les principes de modulations sémantique et pragmatique qui expliquent les effets de contenu et de contexte sur le raisonnement conditionnel.
1.2.1 Quatre principes fondamentaux
Selon la théorie des modèles mentaux, dans un conditionnel basique2 « si p alors q », l’antécédent fait référence à une possibilité et le conséquent est interprété dans ce contexte.
Johnson-‐Laird et Byrne (2002) décrivent alors le principe du core meaning qui définit le noyau de sens du conditionnel comme un ensemble de trois possibilités. Le noyau de sens du conditionnel
« si A alors B » est l’interprétation conditionnelle et fait référence aux trois possibilités suivantes:
A B
¬A B
¬A ¬B
Deux questions découlent de ce premier principe, (1) comment ce noyau de sens est-‐il mentalement représenté par les individus ? et (2) comment ceux-‐ci raisonnent-‐ils à partir de cette représentation ? Le principe de vérité répond à la première question et le principe des modèles implicites à la seconde.
Selon le principe de vérité, un modèle mental représente une possibilité étant donné la vérité de l’énoncé : « Each mental model of a set of assertions represents a possibility given the truth of an assertion, … » (Johnson-‐Laird & Byrne, 2002, p.653). Les individus raisonnent donc en représentant les états de choses du monde qui peuvent se produire quand l’énoncé est vrai. A partir du conditionnel « s’il pleut alors l’herbe est mouillée », trois possibilités peuvent être envisagées si le conditionnel est vrai: la situation où il pleut et l’herbe est mouillée (i.e., p q), la situation où il ne pleut pas et l’herbe n’est pas mouillée (i.e., ¬p ¬q) et la situation où il ne pleut pas et l’herbe est mouillée (i.e., ¬p q), situation possible en imaginant par exemple la présence d’un arrosage automatique. Ces trois possibilités correspondent au noyau de sens du conditionnel.
2 Les conditionnels basiques sont des conditionnels au contenu neutre, c’est-‐à-‐dire indépendant du contexte et des connaissances préalables et pour lesquels l’antécédent et le conséquent sont relativement indépendants, mise à part leur occurrence dans le même conditionnel.
Donc, d’après la théorie des modèles mentaux, l’individu représente le sens de l’énoncé « s’il pleut alors l’herbe est mouillée » en construisant une représentation conditionnelle à trois modèles correspondant à chacune trois possibilités évoquées ci-‐dessus :
p q
¬p ¬q
¬p q
Comme le font remarquer Johnson-‐Laird et Byrne (2002), chaque modèle mental de la représentation conditionnelle correspond à une ligne vraie (i.e., « true row ») de la table de vérité de l’implication matérielle (Cf. Tableau 1). Cependant, les modèles mentaux ne véhiculent pas les mêmes informations que celles de la table de vérité. Pour Johnson-‐Laird et Byrne (2002), alors que les possibilités de la table de vérité renseignent sur la valeur de vérité du conditionnel en décrivant les situations qui le rendent vrai et celle qui le rend faux, les modèles mentaux représentent, quant à eux, seulement les situations possibles quand l’énoncé est vrai. L’évaluation de possibilités et l’évaluation de valeurs de vérité se différencieraient notamment par la complexité des processus sous jacents. En effet, réfléchir à la vérité ou à la fausseté du conditionnel, ou d’un énoncé en général, serait un processus complexe faisant appel à des capacités métalogiques, alors que réfléchir aux possibilités permises par un énoncé serait un processus psychologique plus basique.
En conclusion, pour Johnson-‐Laird et Byrne, les modèles mentaux construits véhiculent moins d’informations que les lignes de la table de vérité. De plus, certaines informations présentes dans la table de vérité ne le sont pas dans les modèles mentaux, c’est le cas de la possibilité p ¬q. Comme les modèles mentaux construits à partir d’un conditionnel représentent les situations possibles étant donné la vérité de l’énoncé, le principe de vérité suppose donc que les individus ne construisent pas le modèle mental représentant la situation où il pleut et l’herbe n’est pas mouillée, cette situation n’étant pas possible si l’énoncé « s’il pleut alors l’herbe est mouillée » est vrai.
La deuxième partie du principe de vérité énonce « … and each mental model represents a clause in these assertions only when it is true in that possibility ». Johnson-‐Laird et Byrne précisent ainsi la nature de ce qui est représenté à l’intérieur même des modèles. Seules les clauses vraies de l’assertion sont représentées de manière explicite. Ce complément est facile à illustrer en prenant comme exemple une disjonction exclusive. Reprenons la disjonction exclusive précédente « dans la boîte, il y a un rond ou un triangle mais pas les deux ». L’absence du triangle et l’absence du rond sont représentées implicitement dans la représentation initiale. Cette représentation implicite