2. C omparer le développement des deux formes de raisonnement
2.1 Un décalage développemental (Expérience 9)
Comparer le développement de l’évaluation de la valeur de vérité et celui de l’évaluation des possibilités nous a permis de tester deux prédictions principales. D’une part, si les deux formes de raisonnement reposent sur la même représentation, nous devrions observer la même tendance développementale (i.e., de conjonctif à biconditionnel puis conditionnel) dans les deux tâches avec les réponses attendues pour chaque cas logique décrites dans le Tableau 13. Cependant, selon notre principale prédiction, ce développement devrait être retardé dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité. Le Tableau 13 montre que, à travers les différents niveaux de développement, les réponses tendent à correspondre progressivement aux réponses constituant le niveau final de développement observé chez les adultes : le niveau conditionnel. Les réponses conjonctives se différencient des réponses conditionnelles sur les deux cas ¬p ¬q et ¬p q alors que les réponses biconditionnelles se différencient des réponses conditionnelles seulement sur le cas ¬p q. Le niveau développemental d’un participant peut alors être évalué en déterminant un score conditionnel correspondant au nombre de réponses identiques aux réponses conditionnelles.
Le taux de réponses conditionnelles devrait donc progressivement augmenter avec l’âge dans les deux tâches. Ces réponses devraient, cependant, être moins importantes dans la tâche d’évaluation de la valeur de vérité et notamment aux âges charnières de passage d’un niveau au suivant. D’après les études développementales antérieures, le passage de l’interprétation conjonctive à l’interprétation biconditionnelle se fait autour du grade 6 pour le raisonnement sur les possibilités, les réponses « incompatibles » sur le cas ¬p ¬q se transformant en réponses
« compatibles ». L’hypothèse du décalage entre les deux formes de raisonnement prédit que, au grade 6, le pourcentage de réponses conditionnelles sur le cas ¬p ¬q dans la tâche d’évaluation des possibilités (i.e., réponses compatibles) devrait être plus important que dans la tâche d’évaluation de la valeur de vérité (i.e., réponses « indéterminé ») où les réponses « faux » sur ce cas devraient être majoritaires, traduisant une interprétation conjonctive. Le même phénomène devrait être observé pour le cas ¬p q mais plus tard, autour du grade 9. Le cas ¬p q devrait être considéré comme compatible alors qu’il serait toujours considéré comme falsifiant le conditionnel dans la tâche des valeurs de vérité. Enfin, il est probable que les adultes aient des capacités suffisantes leur permettant de dépasser la difficulté engendrée par l’évaluation de la valeur de vérité. Ainsi, la
différence entre les deux tâches devrait disparaitre. Le taux de réponses conditionnelles devrait être identique pour l’évaluation des possibilités et pour l’évaluation des valeurs de vérité.
Méthode
Quarante et un élèves du grade 3 (M = 8.5 ans, SD = 0.19), 41 élèves du grade 6 (M = 11.7 ans, SD = 0.26), 39 élèves du grade 9 (M = 15.5 ans, SD = 0.31) et 51 étudiants à l’Université de Genève (M = 23.5 ans, SD = 1.41) ont participé à cette expérience. Environ la moitié des participants de chaque grade ont participé à la tâche d’évaluation des possibilités (22 au grade 3, 20 au grade 6, 19 au grade 9 et 26 étudiants) et l’autre moitié à la tâche d’évaluation des valeurs de vérité.
Les deux tâches ont été administrées collectivement par groupes de 20 participants en utilisant un vidéoprojecteur. Pour chacune des tâches, un énoncé conditionnel apparaissait en haut de l’écran et décrivait le contenu d’une boîte où se trouvaient un rond à gauche et une étoile à droite (i.e., « si le rond est rouge alors l’étoile est jaune »). Le rond et l’étoile étaient toujours à la même place dans la boîte, seule leur couleur changeait d’une boite à l’autre. L’expérimentateur lisait à voix haute le conditionnel et invitait les participants à y prêter attention. Après, 7 secondes, la boîte (i.e., un rectangle) apparaissait au milieu de l’écran, suivie du rond après 1s et de l’étoile après 2s. L’expérimentateur spécifiait oralement les couleurs du rond et de l’étoile. Finalement, des boîtes correspondant aux possibilités de réponse (i.e., « vrai », « onpps » et « faux » dans la tâche des valeurs de vérité et « compatible » et « incompatible » dans la tâche des possibilités) apparaissaient en dessous de la boîte. Les mêmes possibilités de réponse étaient reportées sur les feuilles de réponses individuelles des participants.
Seize paires de couleurs ont été utilisées dans cette expérience. La correspondance entre les couleurs du rond et de l’étoile dans la boîte et celles énoncées dans le conditionnel ont été manipulées pour créer 4 essais pour chacun des 4 cas logiques. L’ordre de présentation des essais était contrebalancé pour que deux essais successifs ne présentent pas le même cas logique. De plus, les 16 essais étaient présentés dans deux ordres différents, le premier essai dans un ordre devenait le dernier dans le second. Pour les deux tâches, l’expérimentateur contrôlait le passage d’un essai au suivant afin que les participants aient assez de temps pour répondre.
Dans la tâche des possibilités, les participants étaient informés qu’un maître avait demandé à chacun de ses 16 élèves de remplir une boîte avec un rond à gauche et une étoile à droite.
L’instituteur donnait à chacun de ses élèves une consigne différente concernant la couleur du rond et de l’étoile dans sa boîte. En regardant la boîte de chaque élève, les participants devaient décider si l’élève avait ou non respecté les consignes de l’instituteur : « vous devez dire si l’élève a respecté ou non la consigne. Vous devez cocher la case verte si l’élève a respecté la consigne et qu’il ne s’est pas trompé. Vous devez cocher la case rouge si l’élève n’a pas respecté la consigne et qu’il s’est trompé ».
Dans la tâche des valeurs de vérité, un instituteur remplissait 5 boîtes pour chacun de ses 16 élèves. Chaque élève recevait 4 de ses 5 boîtes et, en étudiant la couleur du rond et de l’étoile dans ses 4 boîtes, il devait essayer de deviner quelle règle l’instituteur avait suivie pour les remplir. En regardant la cinquième boîte, celle que l’élève n’avait pas vue, les participants devaient juger si la règle devinée par l’élève était vraie ou fausse ou si la boîte ne permettait pas de juger de la valeur de vérité de la règle. La consigne donnée aux participants était la suivante « En étudiant le contenu de la boîte, vous devez dire si la règle devinée par l’élève est vraie ou fausse ou si la boîte ne permet pas de savoir si la règle est vraie ou fausse. Vous allez cocher la case verte « vrai » si la boîte montre que la règle devinée est vraie, la case bleue « onpps » si la boîte ne permet pas de savoir si le règle est vraie ou fausse et la case rouge « faux » si la boîte montre que la règle est fausse ».
Résultats
Analyses du taux de réponses conditionnelles
Les pourcentages de réponses pour chacun des quatre cas pour les deux tâches et pour chaque grade sont présentés dans le Tableau 14. Les réponses correspondant à l’interprétation conditionnelle sont indiquées en gras. Une ANOVA de type 4 (Grades : 3, 6, 9 et adultes) x 2 (Tâches : possibilités versus valeurs de vérité) x 4 (cas logiques : p q, ¬p ¬q, ¬p q et p ¬q) à mesures répétées sur le dernier facteur a été réalisée sur le nombre de réponses conditionnelles définies dans le Tableau 13.
Comme nous l’avions prédit, le pourcentage de réponses conditionnelles était plus élevé dans la tâche des possibilités que dans la tâche des valeurs de vérité (76% et 71% respectivement), F(1, 164) = 7.09, p < .01. L’ANOVA a aussi révélé un effet principal du grade, F(3, 164) = 63.54, p <
.001, le pourcentage de réponses conditionnelles augmentant avec l’âge (57%, 65%, 82% et 90%
pour les grades 3, 6, 9 et les adultes respectivement). Cet effet du grade n’interagissait pas avec le type de tâche, F(3, 164) = 2.14, p = .10.
En ce qui concerne les cas p, les cas p q et p ¬q engendraient plus de réponses conditionnelles (100% et 89%) que les cas ¬p ¬q et ¬p q (66% et 41%), F(3, 492) = 175.94, p < .001.
Cet effet interagissait avec l’âge, F(9, 492) = 17.64, p < .001, et le type de tâche, F(3, 492) = 2.67, p <
.05 . De plus l’interaction cas x grade x tâche était significative, F(9, 492) = 5.10, p < .001. Ainsi, nous avons pu réaliser des analyses séparées pour chaque cas.
Tableau 14: Pourcentage de réponses pour chaque grade dans la tâche des possibilités et la tâche des valeurs de vérité dans l’Expérience 9.
Les valeurs en gras correspondent aux réponses conditionnelles.
Cas logiques
p q ¬p ¬q ¬p q p ¬q
Grades Tâches V/C O. F/Inc V/C O. F/Inc V/C O. F/Inc V/C O. F/Inc
3 Vérité 100 0 0 0 20 80 0 29 71 0 29 71
Possibilité. 100 -‐ 0 35 -‐ 65 6 -‐ 94 2 -‐ 98
6 Vérité 100 0 0 0 40 60 0 26 74 0 21 79
Possibilité. 100 -‐ 0 75 -‐ 25 11 -‐ 89 9 -‐ 91
9 Vérité 99 1 0 0 84 16 0 39 61 0 12 88
Possibilité 100 -‐ 0 89 -‐ 11 66 -‐ 34 7 -‐ 93
Adultes Vérité 100 0 0 0 96 4 0 70 30 0 2 98
Possibilité 98 -‐ 2 88 -‐ 12 81 -‐ 19 9 -‐ 91
Note : V/C: « Vrai » et « Compatible », onpps : « on ne peut pas savoir », et F/Inc: « Faux » et
« Incompatible »
Concernant le cas p q, le pourcentage de réponses conditionnelles pour les deux formes de raisonnement (i.e., « compatible » et « vrai » pour la tâche des possibilités et la tâche des valeurs de vérité respectivement) était supérieur à 97%, sans effets significatifs. A l’inverse, le pourcentage
de réponses conditionnelles pour le cas p ¬q (i.e., « incompatible » et « faux » respectivement) était plus important dans la tâche d’évaluation des possibilités que dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité (93% et 84% respectivement), F(1, 164) = 8.21, p < .01. Cet effet du type de tâche interagissait avec l’âge, F(3, 164) = 4.74, p < .01. Comme le montre la Figure 15, l’effet était significatif au grade 3 et diminuait progressivement avec l’âge, F(1, 164) = 15.38, p < .001 ce qui est expliqué par l’occurrence de réponses de type matching (i.e., « vrai », « faux », « onpps » et
« onpps » pour p q, ¬p ¬q, ¬p q et p ¬q respectivement) chez les plus jeunes participants. Comme les réponses de matching disparaissent progressivement avec l’âge, le taux de réponses conditionnelles sur le cas p ¬q augmentait pour devenir équivalent à celui observé dans la tâche des possibilités.
Figure 15: Nombre moyen de réponses conditionnelles (sur 4) pour le cas p ¬q en fonction du grade et du type de tâche dans l’Expérience 9.
Les cas présentant le plus d’intérêt dans le cadre de notre hypothèse d’un décalage développemental sont les cas ¬p. Rappelons que pour ces cas, les réponses conditionnelles sont
« compatible » et « onpps » dans la tâche des possibilités et la tâche des valeurs de vérité respectivement. Concernant le cas ¬p ¬q, l’ANOVA a révélé un effet principal de l’âge, F(3, 164) = 37.97, p < .001, du type de tâche, F(1, 164) = 5.81, p < .001 et une interaction significative, F(3, 164)
= 3.80, p < .01. En accord avec nos hypothèses, les réponses conditionnelles étaient rares pour les deux tâches au grade 3, elles augmentaient fortement entre le grade 3 et le grade 6 pour la tâche des possibilités (35 vs 75%) et modérément pour la tâche des valeurs de vérité (20 vs 40%). Ainsi,
au grade 6, les réponses conditionnelles étaient plus importantes dans la tâche des possibilités que dans la tâche des valeurs de vérité, F(1, 164) = 12.31, p < .01 (Figure 16). L’augmentation des réponses conditionnelles sur ¬p ¬q traduisait le passage d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle lors de l’évaluation des possibilités alors qu’au grade 6 les valeurs de vérité continuaient à être évaluées de manière conjonctive. Ce décalage développemental disparaissait au grade 9.
Figure 16: Nombre moyen de réponses conditionnelles (sur 4) pour le cas ¬p ¬q en fonction du grade et du type de tâche dans l’Expérience 9.
Comme nous l’avions prédit, le même phénomène était observé pour le cas ¬p q mais plus tardivement. Les analyses ont révélé un pattern de développement assez complexe pour ce cas, avec un effet significatif de l’âge, F(3, 164) = 32.39, p < .001, aucun effet de la tâche, F < 1, mais une interaction significative entre ces deux facteurs, F(3, 164) = 4.75, p < .01. Alors que le pourcentage de réponses conditionnelles était plus élevé dans la tâche des possibilités au grade 9, F(1, 164) = 6.38, p < .01, l’effet inverse se produisait au grade 3 dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité, F(1, 164) = 4.94, p < .05 (Figure 17a). Ce pattern complexe est une autre conséquence des réponses de matching observées quand les plus jeunes participants doivent évaluer la valeur de vérité du conditionnel. En effet, l’interprétation matching consiste à répondre « onpps » sur ¬p q qui est aussi la réponse conditionnelle. Nous avons donc réalisé une nouvelle analyse en écartant les participants ayant fourni cette interprétation. Comme le montre la Figure 17b, le pattern de développement était alors conforme à celui attendu. Les réponses conditionnelles étaient rares aux
grades 3 et 6. Elles devenaient prédominantes au grade 9 pour la tâche des possibilités seulement, t(36) = 2.35, p < .05, en accord avec l’hypothèse d’un décalage développemental.
Figure 17: Nombre moyen de réponses conditionnelles (sur 4) pour le cas ¬p q incluant (a) ou non (b) les réponses de matching en fonction du grade et du type de tâche dans l’Expérience 9.
Analyses des patterns de réponses
Ces résultats ont été confirmés par l’analyse des patterns de réponse. Pour les deux tâches, les participants ont été classés en fonction de l’interprétation qui sous-‐tendait leurs réponses. Pour la tâche d’évaluation des valeurs de vérité, nous avons ajouté le pattern de matching. Un participant donné était considéré comme consistant avec une interprétation si au moins 3 de ses 4 réponses pour chaque cas logique correspondaient à cette interprétation. Cette procédure nous a permis de classer plus de 90% des participants pour chaque âge et chaque tâche.
Dans un premier temps, les résultats ont montré que, dans les deux tâches, l’interprétation du conditionnel évoluait d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle puis conditionnelle (Figure 18). Comme dans l’ensemble des truth table tasks présentées dans cette thèse, environ un quart des plus jeunes participants utilisaient une stratégie de matching reflétant la difficulté accrue du raisonnement sur les valeurs de vérité (21%, 14% et 5% pour les grades 3, 6 et 9 respectivement).
Dans un deuxième temps, les résultats ont clairement montré un décalage développemental entre les deux formes de raisonnement. Alors que le passage du niveau conjonctif au niveau biconditionnel se faisait au grade 6 pour le raisonnement sur les possibilités, il n’apparaissait qu’au grade 9 pour le raisonnement sur les valeurs de vérité. De la même manière, le passage du niveau biconditionnel au niveau conditionnel était plus tardif pour l’évaluation des valeurs de vérités que
pour l’évaluation des possibilités. En effet, l’interprétation conditionnelle est dominante au grade 9 quand il est demandé d’envisager des possibilités, alors qu’elle ne l’était que chez les adultes pour les valeurs de vérité.
Figure 18: Pourcentage de participants avec un pattern de réponses correspondant aux différentes interprétations dans l’Expérience 9.
Discussion
Les résultats de cette première expérience ont confirmé nos deux principales prédictions.
D’une part, raisonner sur ce qui est possible étant donné la vérité d’un conditionnel semble être plus facile que raisonner sur la vérité ou la fausseté d’un conditionnel étant donné un état de choses du monde. En effet, à part chez les adultes, le pourcentage de réponses conditionnelles
était plus important dans la tâche d’évaluation des possibilités que dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité. De manière intéressante, le développement du raisonnement sur les possibilités et sur les valeurs de vérité évoluait selon les mêmes étapes de conjonctif à biconditionnel puis conditionnel mais cette tendance développementale était décalée pour le raisonnement sur les valeurs de vérité.
En ce qui concerne le raisonnement sur les possibilités, à environ 12 ans, les jeunes adolescents passent d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle. Ce changement est une étape cruciale du développement puisque c’est à ce moment que les individus commencent à saisir le caractère hypothétique du conditionnel en comprenant que les situations où l’antécédent n’est pas satisfait ne sont pas incompatibles avec l’énoncé. Cette évolution vers une pensée rationnelle fait écho à l’accès au stade opératoire formel dans la théorie piagétienne (Inhelder & Piaget, 1958).
Le même changement est observé lorsque les individus raisonnent sur les valeurs de vérité mais plus tard. Alors que 75% des jeunes adolescents de 12 ans jugent que les cas ¬p ¬q sont compatibles avec le conditionnel, ces mêmes cas sont considérés comme le falsifiant dans 60% des cas. C’est seulement à partir de 15 ans que le taux de réponses « faux » diminue à 16%. Le décalage développemental serait alors d’environ 3 ans. Le même phénomène est observé pour le cas ¬p q.
Alors que 66% des adolescents de 15 ans le jugent compatible avec le conditionnel, ils le jugent comme le falsifiant dans 61% des essais. Ce n’est qu’à l’âge adulte que ces cas sont considérés comme non pertinents pour évaluer la valeur de vérité de l’énoncé, accédant ainsi à une interprétation conditionnelle.
Ces premiers résultats, bien que prometteurs, nécessitent d’être confirmés. En effet, les deux tâches utilisées diffèrent quant au type de raisonnement qu’elles impliquent mais aussi quant aux possibilités de réponse qu’elles offrent aux participants. De ce fait, le décalage entre les deux tâches pourrait être dû au fait que l’introduction de la réponse indéterminée (i.e., « onpps ») ait perturbé les plus jeunes participants. Nous avons donc réalisé une deuxième expérience dans laquelle la tâche d’évaluation des valeurs de vérité ne comporte que deux possibilités de réponse,
« vrai » et « faux », comme dans la tâche d’évaluation des possibilités.
2.2 Une expérience contrôle (Expérience 10)
L’objectif de cette deuxième expérience était de vérifier que le décalage développemental que nous avons observé dans l’Exp. 9 n’était pas la conséquence d’une différence quant au nombre de possibilités de réponses proposées dans les deux tâches. Pour ce faire, nous avons utilisé les mêmes tâches que dans l’expérience précédente à la seule différence que nous avons supprimé la possibilité de réponse « onpps » dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité. Ainsi, les participants devaient juger si la cinquième boîte, celle que l’élève n’avait pas vue, montrait que la règle devinée était vraie ou fausse. Donc, dans la tâche d’évaluation des possibilités, le participant devait juger si le cas présenté était compatible ou incompatible avec le conditionnel et, dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité, si ce cas rendait le conditionnel vrai ou faux. Alors que les réponses attendues pour la première tâche étaient identiques à celles de l’Exp. 9, pour la tâche des valeurs de vérité, l’interprétation conjonctive consistait à répondre « vrai » pour p q et « faux » pour les trois autres cas, l’interprétation biconditionnelle à répondre « vrai » pour p q et ¬p ¬q et
« faux » pour ¬p q et p ¬q, et pour l’interprétation conditionnelle seul le cas p ¬q devait être considéré comme rendant le conditionnel faux.
Nos hypothèses étaient les mêmes que celles de l’Exp. 9. La tendance développementale d’une interprétation conjonctive à biconditionnelle puis conditionnelle devrait se retrouver dans les deux tâches. Cependant, le développement devrait être retardé lorsque les participants doivent évaluer la vérité ou la fausseté du conditionnel. Ce décalage développemental devrait se manifester par un taux plus important de réponses conditionnelles dans la tâche d’évaluation des possibilités (i.e., « compatible » pour p q, ¬p ¬q et ¬p q et « incompatible » pour p ¬q) que dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité (i.e., « vrai » pour p q, ¬p ¬q et ¬p q et « faux » pour p ¬q). Plus précisément, alors que l’interprétation biconditionnelle devrait être prédominante au grade 6 dans la tâche des possibilités, elle ne devrait devenir l’interprétation dominante qu’au grade 9 dans la deuxième tâche. De la même manière, l’interprétation conditionnelle devrait devenir majoritaire à l’âge adulte dans la tâche d’évaluation des valeurs de vérité et non pas au grade 9 comme pour l’évaluation des possibilités.
Quarante six élèves du grade 3 (M = 8.8 ans, SD = 0.42), 46 élèves du grade 6 (M = 11.9 ans, SD = 0.16), 46 élèves du grade 9 (M = 15.4 ans, SD = 0.27) et 51 étudiants à l’Université de Genève