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Synthèse de l’idéalisme et du matérialisme

Le Commentaire sur la Journée de l’existence traite du problème du dualisme, c’est-à-dire de la coexistence de l’idéalisme et du matérialisme. Dès les premières phrases, Wyschnegradsky souligne l’absence de tout dualisme : “L’Esprit ne s’incarne pas dans la matière et dans les formes spatiales matérielles, (...) il n’est pas opposé à l’espace comme à quelque chose qui lui est étranger, mais crée lui-même l’espace et les formes matérielles, qui sont la manifestation directe, le résultat naturel et inévitable de son activité créatrice. Il n’existe même pas de dualisme entre la force créatrice et le matériel, comme c’est le cas dans toute activité créatrice humaine (activité artistique, par exemple où l’homme transforme le matériel inerte en beauté). Le matériel lui-

même est le produit du processus créateur, en quelque sorte son résidu, et par conséquent n’existe pas en tant qu’élément opposé à l’Esprit.”

L’erreur est d’opposer des termes qui ne sont que faussement antinomiques car uni…és dans la pensée binomique. Le monde n’est pas divisé en phénomènes et en noumènes, notre vie psychique intérieure ne s’oppose pas au monde extérieur.

La structure du monde se révèle à notre regard comme étant dualiste. Ce dualisme ne peut être dépassé, mais les contradictions qu’il engendre peuvent et doivent être dépassées. C’est le dualisme de la conscience et de la matière qui est étroitement lié à d’autres termes de dualisme, telles : la pensée et l’étendue, le moi et le non-moi, le sujet et l’objet, le subjectif et l’objectif, etc. Vis-à-vis de ce dualisme deux courants de pensée se sont formés, tous les deux tachant de le réduire au monisme, en a¢ rmant des rapports causals inverses des deux visages de la réalité. Selon l’une (rationalisme, athéisme, matérialisme) c’est la matière et les changements qui s’opèrent en elle qui déterminent la conscience et ses métamorphoses. D’après l’autre (spi- ritualisme, déisme “au commencement était le verbe”, solipsisme même) c’est la conscience qui détermine la matière et les changements qui s’opèrent en elle [Cahier “A méditer et à explorer”, n.p.]

Le monisme wyschnegradskien, qui a peut-être son orgine dans le livre de Pierre Ouspenski, se fonde sur le principe de l’identité des contraires. Ce principe, qui est posé comme un principe de philosophie première, est la fusion de deux principes logiques que sont le principe d’identité (A = A) et le principe d’opposition ( A 6= A). Par la méthode synthétique, qui recherche l’identité dans les termes opposés, Wyschnegradsky cherche à réconcillier les systèmes philoso- phiques réalistes qui donnent la priorité au principe d’opposition, et les systèmes idéalistes qui privilégient le principe d’identité. Tous les dualismes se fondent en un être unique : on pénètre alors dans la dernière partie de la Journée de l’existence, le Royaume de l’Esprit, dans lequel la pierrre philosophale est trouvée : “Je suis le tout et le rien, Et c’est la vérité, la vérité, la vérité, Et je vous proclame cette vérité qui est le tout et le rien”

Chapitre 5

La pansonorité

D’après le journal de Wyschnegradsky, il y a eu au moins trois versions de la Loi de la Pansonorité. La première version en russe date de 1927-1928. La deuxième, en français, a été écrite entre novembre 1935 et janvier 1936 et la troisième qui a été récemment éditée par les éditions Contrechamps, date de 1953. Mais la “première tentative d’exposer la philosophie de La loi de la pansonorité” a été commencé en russe en octobre 1924. En décembre 1927, la Revue musicale publie Musique et pansonorité. Sept ans plus tard, Wyschnegradsky reprend son exposé, qui comprend trois volumes. Le premier volume est le fondement général de la Loi de la Pansonorité, le deuxième volume, le fondement théorique de la Loi de la Pansonorité et le troisième volume, le fondement historique. En avril 1935, le fondement général est terminé et en juin 1935, Wyschnegradsky note dans son journal “Je sors de ma torpeur et commence (toujours en russe) le fondement théorique de la Loi de la Pansonorité. Aucune littérature rien que l’essentiel. Analyse des continuums et leurs liaisons. Analyse des rythmes (accélération et retardement).”

Mais en septembre 1935, Wyschnegradsky abandonne la version russe et commence une traduction française. Trois mois plus tard, il écrit “Novembre 1935. Je commence à taper en français à la machine le “fondement général de la Loi de la Pansonorité en cinq exemplaires. Il sera divisé par chapitres, remanié de fond en comble et sensiblement élargi.” La première version française de la Loi de la pansonorité est terminée en janvier 1936. Il la propose chez Denoël et Steel qui refusent de la publier, puis chez d’autres éditeurs qui refusent également.

son journal “A partir du lundi 8 [novembre 1943], je m’occupe de la notation des continuums. J’invente un nouveau système qui doit être élaboré. Je corrige l’ancien manuscrit dédié à l’ana- lyse technique de la Loi de la Pansonorité.” Ce sera la troisième version qui sera terminée en 1953.

Presque trente ans séparent les premières ébauches de la dernière version. C’est pourquoi il nous a paru important de reprendre la deuxième version de 1936 qu’on trouvera dans les annexes, a…n de mesurer le chemin parcouru par la pensée du compositeur.

5.1

L’intuition du pansonore

5.1.1 Le concept de pansonorité

A l’aube du XXe siècle, l’intuition des limites de l’espace sonore détermine de nouvelles possibilités compositionnelles. L’espace musical est un espace in…ni limité par l’imperfection de notre oreille. L’exploration de ses limites est la tâche des musiciens à venir. L’espace musical est, selon Wyschnegradsky, baigné d’un ‡uide sonore continu qui par rapport aux sons joue à peu près le rôle qu’un milieu physique joue par rapport aux objets solides plongés dans ce milieu. Les objets sonores forment des points d’accumulation qui modi…e la topologie de l’espace musical et caractérise le style de chaque musique. “On pourrait dire aussi que les sons ainsi plongés dans le milieu sonore se présentent comme des points de condensation de ce ‡uide sonore uniformément réparti dans l’espace, comme des coupes opérées dans ce continuum sonore. Le son musical est donc un point de l’espace. Voici les rôles renversés : c’est le son musical qui devient maintenant fonction de l’espace et qui en dépend et c’est l’espace, et non le son, qui devient la réalité essentielle”(LP, 1953, p. 67). C’est par conséquent l’espace qui donne son sens au son musical, c’est pourquoi l’espace comme donateur du sens musical devient l’objet d’étude essentiel de la musique du XXe siècle.

Mais la pansonorité n’est pas un concept simple, qui se réduit à une dé…nition. Si elle découle de l’intuition du continuum sonore, elle se distingue du bruit blanc qui englobe toutes les fréquences audibles. La pansonorité se décline de diverses manières et structure l’ensemble de l’histoire de la musique. La notion pansonorité est “l’expression la plus complète et parfaite, la plus condensée de la plénitude spatiale (du mot grec pan qui signi…e tout, pansonorité signi…e

que tout sonne, et qu’il n’y a pas un seul point où il n’y a pas de sonorité). La pansonorité c’est le continuum sonore simultané, s’étendant en principe sur toute l’étendue [in…nie] de l’espace musical, au-delà des limites du plus grave et du plus aigu. Elle n’est pas et ne pourra jamais être réalité sonore physique et son rapport avec cette réalité est celui de la transcendance”(LP, 1953, p. 68).

La pansonorité dépasse donc les limites de la perception humaine. C’est pourquoi la loi de la pansonorité ne peut se comprendre facilement. Elle n’est pas perçue de l’extérieur, et est donc l’expression d’une représentation interne, mais une représentation incompréhensible pour la raison. Elle est prise dans un processus historique qui la justi…e a posteriori.

“La pansonorité n’est pas seulement l’époque relativement courte des deux derniers siècles ; elle couronne toute l’histoire de la musique. Elle est le terme supérieur qui vient clore le cycle dialectique et parachever le processus historique en lui révélant son sens.” [LP, 1953, p. 101].

5.1.2 Continuum et vacuum

L’espace entre les fréquences du système tempéré est considéré selon les types de conscience musicale, soit comme un vide absolu, soit comme un continuum total. Pour la conscience to- nale, l’intervalle du demi-ton est une limite infranchissable, alors que pour la conscience atonale moderne, cet espace, riche de sons inédits, devient le fondement de nouveaux systèmes compo- sitionnels. Cette reconnaissance de vie et de plénitude, dit Wyschnegradsky, nous l’appellerons principe pansonore, et l’intuition même de cette plénitude - intuition pansonore (du mot grec pan qui signi…e tout ; pansonore signi…e ainsi tout son et que dans l’espace musical il n’existe aucun vide). Quant à la reconnaissance du vide spatial, elle est appelée principe na- turel ou principe purement sonore. La distinction entre espace discret et espace continu fonde les principes de l’art musical. Car ce qui importe ce n’est pas seulement l’expression to- pologique du son et de l’espace musical, mais que ces principes structurent non seulement la composition musicale, mais aussi et surtout toute l’évolution historique musicale. Le principe pansonore, dit Wyschnegradsky est la force motrice constructive de la musique moderne [LP, 1936, p. 396].

5.1.3 La pesanteur sonore

Pour dé…nir le concept de pesanteur sonore, Wyschnegradsky recourt à une analogie physique. Nous savons que la chute des corps exprime l’attirance des objets massiques entre eux. Dans l’univers ou, plus près de nous, dans notre système solaire, les planètes s’attirent entre elles selon les lois de la gravitation universelle. L’analogie de Wyschnegrdasky consiste à dire que les sons musicaux s’attirent entre eux comme les planètes et que la force d’attraction est plus ou moins importante selon la densité du milieu dans lequel ils sont baignés. De la même manière qu’un objet chutera plus rapidement dans le vide que dans l’eau, un son sera attiré par un autre plus fortement dans un espace de densité moindre.

Cette loi de la pesanteur sonore, Wyschnegradsky l’exprime de la manière suivante : chaque son musical perd de sa pesanteur proportionnellement à la densité du milieu pansonore, et si sa densité est égale à la densité de toute la masse du système sonore, toute cette masse devient impondérable [LP, 1936, p. 399]. Dans le système tonal, les sons s’organisent selon une hiérarchie pondérale dont l’attracteur principal est la tonique. Autour d’elle, se groupent les degrés forts (I, IV, V), puis les degrés faibles (II, VI, III), et en…n la sensible (degré VII) qui ne peut évoluer que selon des règles précises. Dans le système modal, l’attraction est de la même manière régit par une hiérarchie de pondération. Selon les modes (authente, plagal ou exotique), la teneur est di¤érente, mais le principe d’attraction demeure. Dans le système atonal, dans lequel on postule l’équipondération des douze sons chromatiques, la densité du milieu est plus faible, et l’attirance entre les sons inexistante.

L’atonalité est caractérisée par l’impondérabilité sonore. Pour une conscience musicale natu- relle, chaque milieu (gammes majeure ou mineure, ou modes) détermine une densité particulière, qui dé…nit le poids de chaque son. La densité est le rapport d’une masse par un volume. La masse d’un espace sonore est le nombre de sons qui le compose et son volume est l’ambitus de ces sons, de sorte que la densité représente soit le rapport du volume de l’intervalle moyen au nombre d’unités (demi-tons) qu’il contient lorsque le volume est exprimé en nombre d’unités spatiales (dans le système tempéré, demi-tons), soit le rapport du volume de l’intervalle moyen à celui de l’octave, lorsque le volume est exprimé en nombre d’octaves.