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Premières expériences microtonales

Dans le document IVAN WYSCHNEGRADSKY ET LA MUSIQUE MICROTONALE (Page 112-116)

7.7 Ecritures polytonale et atonale

8.1.4 Premières expériences microtonales

Les premières expériences microtonales sont principalement dûes aux chercheurs russes et allemands qui inventent à la fois de nouveaux instruments et de nouvelles notations. L’histoire des micro-intervalles commence à Berlin en 1893 où Behrens-Senegalden publie Die Vierteltöne in der Musik, une petite brochure dans laquelle il propose la construction d’un piano qu’il appelle achromatique et suggère une notation pour les nouvelles altérations, qui permet de hausser les sons d’un quart de ton (Bogen) et de les baisser de cette même quantité (Stab). Il étend la notation alphabétique allemande - Asas (la double bémol), As (la bémol), A (la), Ais (la dièse) et Aisis (la double dièse) - en ajoutant deux su¢ xes : -us pour hausser la note d’un quart de ton (exemple : Aus), et -os pour baisser la note d’un quart de ton (exemple : Aos). A…n de simpli…er l’écriture, il propose même deux nouvelles clés, une clé haute (Hochschlüssel ) et une clé basse (Tiefschlüssel ), qui ajoutées aux clés traditionnelles inclus les positions micro-intervalliques.

C’est au début des années 20 que Wyschnegradsky découvre que quelques musiciens alle- mands partagent le même rêve que lui. “Janvier 1921. Schae¤ er me parle de la brochure de Moellendorf. Je l’acquiers, ainsi que sa musique. De retour à Paris, je me fais venir d’Alle- magne, les deux pièces pour violoncelle de R. Stein et la brochure de Mager. Commencement de ma correspondance avec R. Stein.”

Jörg Mager (1880-1939) est né à Eichstätt. Très tôt, il participe aux activités du cercle d’Aloïs Hába et publie dès 1915 une brochure Vierteltonmusik accompagnée d’une oeuvre Die Flucht der Armen (La fuite des Pauvres). Après la première guerre mondiale, il participe à la révolution bavarroise et devient pour trois jours Ministre de la Culture, puis s’installe à Berlin. Employé par la société Lorenz, Mager met au point le premier instrument à micro-intervalles l’Elektrophon, rebaptisé vers 1926, Sphärophon (Sphérophone). Hébergé par le Prince Emile Schlösschen, le fondateur de la recherche pour la musique électronique - c’est ainsi qu’il se pré-

sentait - est sollicité par la société d’études de musique électro-acoustique (Studiengesellschaft für elektro-akustische Musik ) à poursuivre ses études qui s’orientent plus vers la recherche de timbres que vers l’exploration des micro-intervalles.

Willi Möllendor¤ (1872-1934) est compositeur et pianiste. Né à Berlin et mort à Stettin en 1934, W. Möllendor¤ a fait toutes ses études à Berlin. En 1917, il publie à Leipzig “Musik mit Vierteltönen” une étude dans laquelle il expose les principes harmoniques de la musique à quarts de ton, qu’il met en application dans les Cinq petites Pièces, opus 26 écrites en 1917, pour harmonium bichromatique8, un instrument réalisé par le facteur berlinois Straube. Möllendor¤ a présenté pour la première fois cet instrument à une conférence qu’il a donné à Vienne en janvier 19179. C’est à cette époque ou peu de temps après qu’il fait la connaissance de Mordecai Sandberg (1897-1973), compositeur et médecin israélien né à Suceava en Roumanie. Après des études de médecine à Vienne (spécialité neurologie), Sandberg exerce la médecine à Jérusalem, puis émigre aux Etats-Unis. En 1930, il publie à Leipzig un ouvrage sur les micro-intervalles Die Tondi¤ erenzierung und ihre Bedeutung. Il fait fabriquer un harmonium à quarts de ton par la maison Straube à Berlin en 1926 d’après les plans de Möllendor¤. L’harmonium a une étendue de cinq octaves et possède vingt-quatre touches par octave. Sandberg commande aussi à la maison Straube un harmonium en douzièmes et seizièmes de ton qu’il reçoit en 1929. Le clavier de cet harmonium est un clavier ordinaire qui s’étend sur cinq octaves. Les notes sont espacées régulièrement, de sorte qu’une octave de clavier couvre une étendue d’un demi- ton et l’ensemble de l’instrument a une tessiture limitée à une quarte tempérée10. Sandberg organise deux concerts de musique à quarts de ton d’oeuvres de Möllendor¤ et de ses propres oeuvres : le premier a lieu à Jérusalem le 26 mai 1927 (Opera at Cardinal Ferari Building) et le second à Tel Aviv le 12 juillet 1927 (Beth Haam Hall ). Il donne également à l’Institut de musique contemporaine à Jérusalem plusieurs conférences sur le système des quarts de ton, et sur les systèmes microtonaux à base de sixièmes, huitièmes, douzièmes et seizièmes de ton. Sandberg considère que le système universel des micro-intervalles est un mélange de douzièmes

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L’harmonium bichromatique de Möllendor¤ est aussi employé par le compositeur autrichien Karl Blehle dans son poème symphonique Der Taucher, composé avant 1922.

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Willy Moellendor¤, Die Vierteltonmusik auf dem Marsche (La musique en quarts de ton est en marche), Stuttgart, Neue Musik Zeitung, 20 avril 1922.

1 0L’harmonium possède une plaque gravée sur laquelle est écrit : “Eine Quarte / im zwölftel-sechszehntel

et seizièmes de ton, qui se fonde sur le système englobant des 1/48e de ton. Ce système est réalisable par un harmonium à quatre claviers, dont chaque clavier possède 73 touches et couvre la moitié d’une octave (trois tons)11. En 1929, Sandberg séjourne quelques mois en Allemagne où il présente Die Tondi¤ erenzierung und ihre Bedeutung à la Musikhochschule de Berlin le 9 juillet 1929.

Quant à Richard Stein (1882-1942), on lui doit, sans doute, la première oeuvre de musique microtonale du XXe siècle, puisque les Zwei Konzerstücke, pour violoncelle et piano, opus 26 ont été écrites en 1905. Richard Stein est aussi à l’origine de la clarinette à quarts de ton construite par le facteur tchèque V. Kohlert Sohne (Graslitz) selon ses directives. Il se …t aussi construire un piano en quarts de ton avant de quitter l’Allemagne en 1933.

Ferruccio Busoni (1866-1924), pianiste et compositeur italien, établi à Berlin depuis 1894, publie en 1916 des Essais sur une nouvelle esthétique musicale (Entwurf einer neuen Ästhetik der Tonkunst ) ouvrage dans lequel il imagine un système nouveau de division du ton en trois parties égales qu’il appelle le ton tripartite. En 1922, il publie dans Melos, un article intitulé Dritteltonmusik qui précise les circonstances de sa découverte des tiers de ton.

“Il y a seize ans, je concevais en théorie le principe d’un système à tiers de ton, et, jusqu’ici, je n’ai pu me résoudre à le publier de façcon dé…nitive. Pourquoi ? Parce que l’élaboration d’une nouvelle théorie m’impose une responsabilité dont j’ai conscience. Je n’ai pas encore eu l’occasion de l’expérimenter, et je sais fort bien que seule une série d’essais e¤ ectués avec soin rne permettrait d’exposer mon idée avec certitude. Je n’ai atteint le but que partiellement. A New York, un vieux facteur de pianos intelligent, originaire du Trentin, me transforma un ancien harmonium à trois claviers ; deux des claviers étaient accordés en tiers de ton, avec entre les deux un décalage d’un demi-ton. La disposition des intervalles était si peu pratique qu’il était di¢ cile de les jouer logiquement. Cependant, je pus entendre les nouveaux intervalles. Devant un cercle de mélomanes avertis, je jouai la gamme chromatique en tiers de ton depuis une chambre voisine. A l’unanimité, mes amis m’a¢ rmèrent avoir entendu une gamme chromatique habituelle de demi-tons. Cette impression con…rma mon hypothèse, à savoir que l’oreille possède la faculté de distinguer très nettement les tiers de ton, et qu’elle ne les perçoit pas comme des

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demi-tons désaccordés. Pour ne pas renoncer au demi-ton et, par voie de conséquence, à la tierce mineure et à la quinte juste, j’ajoutai à la première série de tiers de ton une seconde séparée par un intervalle d’un demi-ton. Le mélange des deux séries engendre naturellement des sixièmes de ton. Ainsi, la mélodie gagne considérablement en expressivité, mais l’harmonie se complique au point qu’elle exige une systématique approfondie qui reste à créer et ne peut trouver son origine que dans l’écoute”12.

Malgré son intérêt pour les tiers de ton, Busoni ne poursuivra pas ses investigations dans le domaine microtonal, qui seront reprises par des compositeurs comme Maurice Ohana. En France, la musique à tiers de ton est défendue par Edmond Malherbe qui publie en 1929 un article dans le Ménestrel13. En Russie, le groupe futuriste de Koulbine (boudietliane, les ave- niriens ou futuraslaves selon les traductions) prône l’utilisation des micro-intervalles. En 1915, Arthur Lourié (1893-1966) adapte un prélude à l’univers des quarts de ton (Prélude opus 12/2 ). Georges Rimski-Korsakov (1901-1965), petit-…ls de Nicolas fonde en 1923 une association pour la musique à quarts de ton, qui organise des manifestations à Saint-Pétersbourg. En Angleterre, Johns Foulds (1880-1939) expérimente les micro-intervalles dès 1896. Il propose une nouvelle no- tation des quarts de ton dans son livre Music today14, compose plusieurs quatuors dans lesquels il emploie des micro-intervalles et une pièce Lyra Celtica, Concerto for wordless medium voice and Orchestra, opus 50 composé vers 1920 qui utilise un système dérivé du système indien des 22 shruti. En Italie, Eduardo Cavallini écrit de la musique microtonale à base de micro-intervalles tempérés, tandis que le norvégien Ervind Groven15 étudie les tempéraments développés selon des échelles à 43 et 53 sons par octave, poursuivant les travaux de Paul von Janko et de Bo- sanquet, qui eux-mêmes s’inspiraient des travaux de théoriciens tels que Sauveur, Mercator et Tanaka. Aux Etats-Unis, Charles Ives (1874-1954), compose Three Quarter Tone Pieces. Deux de ces pièces ont été écrites vers 1923-24, tandis que la dernière (Chorale) a été écrite entre 1903 et 1914. Elles sont commentées par le compositeur dans son étude Some Quarter-Tone Impressions16. Le courant américain est surtout in‡uencé par l’oeuvre de Harry Partch (1901-

1 2Ferruccio Busoni, Communication sur les tiers de ton, p. 65. 1 3

Edmond Malherbe, “Système musical et clavier à tiers de ton ”, Le Ménestrel vol. 29, Juillet 1929, p. 329.

1 4John Fould, Music Today : its heritage from the Past and Legacy to the Future, London, Ivor Nicholson and

Watson Ltd, 1934.

1 5Ervind Groven, My Untempered Organ, Organ Institute Quarterly, vol. 5, n 3, 1955, p 39. 1 6

1974) qui a développé une théorie de l’intonation juste (just intonation). Cette théorie conduit à l’élaboration de systèmes acoustiques fondés sur des rapports numériques simples, à partir du losange de tonalité (tonality diamond ) par entrecroisement des o-tonalités et des u-tonalités. Plusieurs compositeurs, comme Lou Harrisson (1917), Ivor Darreg (1917-1994) et Ben Johnston (1926) ont poursuivi l’oeuvre de Partch.

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