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La coupole du temple

Le folio de la coupole du temple comprend plus d’une centaine de pages, textes et esquisses. Il regroupe les plans de la coupole, ses orientations et ses dimensions, ainsi que des dessins et schémas colorés que Wyschnegradsky appelle des mosaïques lumineuses qui ont été rassemblés sous le terme d’Etudes chromatiques1 et qui représentent le plafond de l’édi…ce. Des textes

esquissent la description des mouvements de ces mosaïques qui préludent à un spectacle d’art total que Wyschnegradsky concevait à la manière dont Scriabine avait conçu Le temple du Mystère. La coupole est le lieu d’une synthèse audiovisuelle, un projet de Gesamtkunstwerk, à la manière de ceux conçus par Walter Gropius et Andor Weininger pour le théâtre du Bauhaus. Cette hémisphère, qui repose sur un radier, est composée de gradins intérieurs, divisés en douze secteurs “séparés par des passages desinés à l’entrée et à la sortie des assistants”. Ces passages se prolongent à l’extérieur par douze rampes montantes.

La coupole du temple - Esquisse

Wyschnegradsky divise l’hémisphère en cercles concentriques et en composantes radiales. Il calcule la taille de chaque cellule, prévoit l’espacement entre les gradins, l’inclinaison des escaliers et la place occupé par chaque spectateur. Il envisage quatre dimensions : un temple de grande dimension, deux de dimensions moyennes et une petite dimension. Ces quatre dimensions

sont en rapport homothétique de sorte que la dimension de l’un détermine la dimension des trois autres selon le rapport général 6, 4, 3, 2. Dans la grande dimension, le temple a un diamètre de 108 mètres. L’hémisphère est formé de 36 cercles concentriques et de 144 lignes méridiennes déterminant ainsi 5184 cellules (144x18). Chaque cellule est une brique lumineuse à laquelle est a¤ectée une couleur choisie parmi les douze couleurs possibles de l’échelle qui évoluent au gré des mouvements chromatiques colorés que Wyschnegradsky entreprend d’étudier analytiquement. A ces couleurs sont associés des sons joués par un orchestre d’instruments mécaniques. Dans la grande dimension du temple, l’orchestre se compose de six instruments mécaniques. Le nombre d’instruments utilisés est égal au rapport d’homothétie des dimensions du temple.

On ne sait pas exactement comment Wyschnegradsky envisageait les mouvements des mo- saïques. Les textes sur ce sujet laissent apparaître que Wyschnegradsky étudia la disposition des mouvements selon des formes régulières, en évoluant d’une couleur à sa voisine, en sautant une couleur, puis deux couleurs, etc. dans l’ordre des douze couleurs de l’arc-en-ciel (rouge, rouge-orange, orange, orange-jaune, jaune, jaune-vert, vert, vert-bleu, bleu, bleu-violet, violet, violet-rouge) qu’il a utilisé pour construire le clavier ultrachromatique à douzième de ton2. Les mouvements s’e¤ectuaient selon les secteurs délimités par les douze travées ou par quadrant, soit le long d’un méridien, soit en suivant un cercle concentrique. Des indications d’intensité étaient aussi a¤ectées à des groupes de cellules selon des plans colorés. Un schéma montre une répartition de sept degrés d’intensité (¤ , f, mf, m, mp, p, pp) selon une seule couleur allant du bleu très pale (pp) à un peu profond (¤ ). Mais on trouve aussi des représentations utilisant uniquement le rouge ou le vert.

2

Troisième partie

Chapitre 7

Les premières oeuvres

Les premières oeuvres de Wyschnegradsky ont été écrites en demi-tons. Ce sont essentielle- ment des pièces pour piano et des mélodies. L’in‡uence de Scriabine y est manifeste.

7.1

La théorie des quartes superposées

Une des premières conditions de la musique moderne est de se libérer de l’emprise de la tonalité, des modes majeur et mineur. C’est pourquoi Wyschnegradsky cherche un support théorique, qu’il trouvera dans la superposition des quartes. Il écrit deux articles sur ce sujet. Le premier est publié par le Menestrel en 1935 en deux parties et le second, au titre plus ambitieux, Préface à un Traité d’harmonie par quartes superposées, paraît quatorze ans plus tard, dans la revue Polyphonie. Wyschnegradsky met en cause la formation des accords par tierces superpo- sées, qui bien qu’universellement admis, conduit inévitablement à une théorie tonale, car c’est justement la tierce majeure ou mineure qui conditionne cette distinction. Parmi les intervalles du système des demi-tons, la quarte (et son renversement, la quinte) est le seul intervalle qui par répétition engendre le cycle de tous les sons sans en répéter un seul. La résonance naturelle forme un accord majeur à partir des harmoniques de rang 4, 5 et 6, et un accord mineur sur les harmoniques de rang 10, 12 et 15. Comme l’accord mineur se place sur des harmoniques éloi- gnées du son fondamental, Wyschnegradsky pense qu’il s’agit plus d’une convention humaine de superposer les tierces que d’un réel ordre absolu. De plus, cette superposition engage le spectre de relations harmoniques compliquées dans des résolutions imposées. Le procédé “quartien”est,

pour lui, une alternative compositionnelle intéressante en ce sens qu’il se fonde sur les premières harmoniques et libère ainsi le compositeur des règles et des lois de l’enchaînement par tierces. L’entendement musical “quartien” est un entendement polyphonique, par excellence, libre de tout réseau sonore. [PT, p. 57].

L’histoire de la musique montre d’ailleurs que la superposition par tierces n’est pas une dé- marche naturelle. Au Moyen Age, la musique hésite entre des structures harmoniques fondées sur la tierce et des structures harmoniques fondées sur la quarte, la quarte étant plus adpa- tée à l’entendement modal et à la polyphonique que la tierce. C’est pourquoi Wyschnegradsky voit dans la superposition des quartes, l’incarnation de l’esprit sacré et dans l’évolution histo- rique qui impose les échelonnements de tierces, le triomphe de l’esprit profane. L’avènement du tempérament égal limité à douze sons, cèle la suprématie de la tierce sur la quarte.

Mais l’époque moderne remet en cause la tonalité, et partant certaines relations harmo- niques. Les harmonies par quartes superposées apparaissent à la …n du XIXe siècle, chez Bo- rodine (Prince Igor ), Liszt (Mephisto Valse) ou Wagner. Les musiciens du XXe siècle, comme Hindemith, Stravinsky, Honegger ou Milhaud, emploient aussi les procédés quartiens, mais avec une prédominance de la forme diatonique, ce que Wyschnegradsky leur reproche. S’il reconnaît que Schoenberg en écrivant un accord de douze sons disposés par quartes justes, ouvre la voie des recherches sur la superposition de quartes, c’est surtout en Scriabine que Wyschnegrad- sky voit le fondateur d’un emploi nouveau de l’harmonie par quartes. C’est dans Prométhée, Poème du feu, opus 60 que Scriabine emploie de manière systématique l’accord-échelle synthé- tique. Cet accord qui reçut diverses dénominations (accord mystique, accord prométhéen ou accord synthétique1) est composé de quartes superposées (do, fa dièse, si bémol, mi, la, ré) qui forment respectivement un triton ou quarte augmentée, une quarte diminuée, un triton et deux quartes justes. Ainsi toutes les sortes de quartes sont présentes dans cet accord qui est employé par Scriabine dans seulement trois des cinq renversements possibles. Wyschnegradsky en donne d’ailleurs une version microtonale. Comme l’accord se fonde sur les sons harmoniques 7 (si bémol ), 11 (fa dièse) et 13 (la) et que ces harmoniques sont dans l’échelle quart de to- nale placées un quart de ton plus bas, l’accord de Prométhée devient un accord microtonal (do, fa demi-dièse, si demi-bémol, mi, la demi-bémol, ré). Il appartient à l’échelle diatonique

chromatisée à treize sons, dans laquelle sont construits les vingt-quatre Préludes de l’opus 22. Les premières compositions de Wyschnegradsky, même si elles peuvent s’interpréter en termes de superpositions de tierces, doivent être interprétées en utilisant la superposition de quartes. Par exemple, le premier des Deux Préludes, opus 2, s’ouvrent sur un accord de sep- tième dans lesquel il est préférable de rechercher les quartes qui structurent l’évolution de la composition, les tierces sont interprétées comme des quartes diminuées.

Exemple 1 - Premier Prélude, opus 2

Dans l’exemple ci-dessus, extrait du Premier prélude de l’opus 2, la quarte fa dièse - si ouvre le prélude et évolue vers une structure de double quarte (ré-sol et do dièse - fa dièse), qui s’enrichit progressivement d’un accord quartien (sol - do - fa dièse - si - mi ), qui s’enchaîne à (mi - la dièse - sol - ré - fa dièse) pour revenir à la structure de départ.