1.2. L'autisme : une maladie mentale, un trouble envahissant du développement, un
1.2.2. Symptomatologie de l'autisme
Il est clairement identifié que le concept d'autisme est aussi bien employé dans la nosologie française pour désigner un élément de la schizophrénie adulte, que pour définir un état pathologique chez l'enfant. Dans le champ de la psychopathologie, les signifiants qui le définissent sont l'évitement de toute forme de contact, l'isolation extrême, le détachement et l'indifférence, le désintérêt pour les gens mais aussi un intérêt marqué pour les objets, l'immuabilité, la désorientation, l'agnosie ou l'hypersensibilité aux stimulus, les stéréotypies gestuelles ou verbales, qui semblent donner un rythme, les inhibitions de la pensée, l'absence d'activité fantasmatique mais surtout la difficulté à établir des liens.
Ce sujet est en général un sujet au travail de son rapport à l'autre : par exemple un jeune adulte a pour principal centre d'intérêt de s'envoyer des cartes postales à luimême. Les relations existent à minima, mais restent de caractère difficile car ce sujet comprend difficilement les exigences de son milieu. Dire seulement bonjour n'est pas naturel, et les réactions ne sont pas toujours adéquates au code. De fait, le contact social est étrange : l'enfant joue maladroitement avec les autres, les agrippe parfois, les serre contre lui. Il prend la main pour amener à l'endroit où l'objet se trouve, et fait rarement seul. Il ne comprend pas quand des gens rient ou pleurent. Il ne l'attache pas à un contexte. Il n'a pas de réciprocité émotionnelle, peu d'intérêt pour l'autre quand il est triste ou fâché, pas d'empathie, pas de compassion, mais un intérêt pour ce que la personne a mangé par exemple. Les scénarios sociaux sont importants pour lui, quand il donne une manière de faire mais de façon générale ce sujet a des difficultés à déduire ce que l'autre pense, éprouve, attend. Ce sujet aime tout contrôler, ses remarques peuvent d'ailleurs être désobligeantes et ses questions se portent sur tout, notamment sur pourquoi l'autre fait et pense ça, qu'il soit inconnu ou familier : « Pourquoi tu achètes ça ? », « Pourquoi tu fumes, tu sais que tu vas mourir ? ». Il a souvent un souci pour regarder l'autre car ses yeux changent tout le temps selon lui, et portent trop d'informations, qu'il n'arrive pas à traiter.
130 MALEVAL, Jean-Claude. Logique du délire, op.cit. p.14.
131 Ibid.
132 ALBERTI, Christiane et SAURET, Marie-Jean. L'intérêt de l’autisme. Bulletin du groupe petite enfance, op.cit.
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La cécité contextuelle, telle qu'en parle P.Vermeulen, est la difficulté d'attribuer un sens à partir d'un contexte133. La signification n'est pas fixe entre les choses, et la déduction est difficile pour lui, en raison du nombre incalculable de significations possible. Aussi, s'il n'existe aucune association fixe, il y a beaucoup trop d'exceptions aux règles de vie. De fait, l'autiste a sa solution : créer des associations entre une personne, une compétence et un objet ou à un lieu ou à des détails de l'environnement. Ceci produit que ce sujet ne peut vouloir faire qu'avec la personne identifiée à l'activité (ne lire qu'avec la maîtresse sur son bureau d'école). Son angoisse se réduit lorsque d'autres associations sont installées avec toutes les étapes. Ces étapes d'une activité, d'un voyage sont alors anticipées et rappelées, et le sujet doit souvent savoir qu'il en reviendra. Par exemple, pour un séjour vacances, ce qui peut aider un autiste est de mettre autant de lit en images que de nuit à passer hors de chez lui : chaque matin, il enlève un lit.
Ce sujet est très attaché aux détails et a ainsi, cognitivement parlant, une autre manière de traiter l'information et de trouver les solutions à ce chaos. Ce besoin de routines et de rituels, très prononcé, apparaît donc comme une solution. Il est en telle difficulté pour appréhender les choses qui changent dans l'environnement (prendre le bain avant, plutôt qu'après le repas est équivalent pour lui à ce qu'il soit privé de repas, les changements de meubles, de bibelots...) qu'il aime que tout soit cadré, voire minuté et régulier. Il est aussi important de lui parler et de lui expliquer les choses.
Parfois, cela ne suffit pas. Ce sujet pose aussi souvent ses objets à certains endroits précis, qui peuvent scander l'espace et le temps. Il lui est difficile d'être confronté à des imprévus ou inattendus (attente, une émission télévisée qui déborde de son temps d'antenne habituel...). Pour faire toutes choses, il a besoin (pour un temps plus ou moins long) de repères clairs. Certains lient telle chose à telle séquence de musique par exemple, et cela doit toujours être dans le même ordre, ce qui organise leurs journées. Aussi, il est important de respecter ces mises en ordre. Cependant, il est aussi important de ne pas davantage les rigidifier. Car parfois, on a l'impression que cela devient l'angoisse de l'éducateur ou du thérapeute, qu'il mette ses habits dans l'ordre par exemple.
Mutique ou émettant des sons sans signification, écholalique ou verbeux, on verra que l'autiste a un usage particulier du langage qui n'apparaît pas confus ou délirant mais au contraire extrêmement précis, parfois rapide ou jargonnant et difficile à saisir. Un autiste de Kanner mutique peut dire soudainement une phrase, parfois associée à l'angoisse. Et quand il parle, l'expression est difficile. Il confond le je et le tu, répète souvent ce qu'il vient d'entendre, pour dire oui par exemple, ou répète des messages météorologiques ou publicitaires. Il interrompt les conversations pour dire ce à quoi il pense, peut ne parler que de ses centres d'intérêts (nommer toutes les marques de voitures présentes...). La compréhension du langage est littérale. Un détail qui change, dans une histoire que quelqu'un raconte plusieurs fois, équivaut pour lui à ce que la personne ment. La position de l'autre étant donc délicate à trouver, il est nécessaire d'être averti, et d'émettre des messages clairs (dire où, quand, comment...), dépourvus d'énonciation, objectifs, neutres et parfois injonctifs..
Les autistes de hautniveau usent aussi d'un langage verbeux, sans énonciation et parfois d'un langage de signes. Les Asperger, eux, développent un rapport au langage pointilleux, mesuré voire précieux, ne mettant pas en jeu l'énonciation. Il apparaît, et je le détaillerai, que si l'autiste ne refuse pas le langage, il ne se résout pas à la loi du signifiant. Ainsi, certains autistes parlent jusqu'à deux ans, c'estàdire nomment des choses qui ne requièrent pas d'affect, mais lorsque s'opère cette inscription dans la loi du signifiant, cette corporéisation (différent de la corpsification), ils se retirent, bloquant alors leur construction subjective jusqu'à ce qu'ils trouvent un support, un autre à cette opération. J'indiquerai les solutions trouvées, à l'appui des témoignages et de ma pratique, pour éviter la loi du signifiant, et prendre quand même la parole.
Le manque de flexibilité est évident dans l'autisme. Ce sujet ne comprend pas et supporte mal que l'autre soit en infraction. Il respecte les règles à la lettre, quand il les a apprises. De fait, il
133VERMEULEN, Peter. Ceci est le titre – Au sujet de la pensée autistique. Belgique: Gent, 1998.
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peut rester démuni face à un feu cassé par exemple, avec l'impossibilité d'arriver à destination. Le problème est que ce sujet ne demande pas, a peu d'initiative et se trouve dans un monde dont il ne connaît pas les règles, parce qu'il n'a pas idée que chacun adopte et adapte ses propres règles, selon une règle générale qui vaut pour tous. Ce qui rend l'autre pour le moins étrange.
L'autiste aime alors se réfugier dans des intérêts sensoriels, et il est important de s'en orienter dans la clinique. Les vibrations reçues ou émises peuvent être source d'apaisement et de calme. La musique, les rythmes le font souvent vibrer, et il s'en sert parfois pour limiter le temps, l'espace, l'autre. Je développerai combien les stéréotypies ont plusieurs fonctions. Mais beaucoup font aussi état de problèmes sensoriels importants. Dans le domaine auditif, le sujet exprime des difficultés à comprendre les sons, les mots...et aussi à supporter les cris, la foule, les feux d'artifice, les camions, les motos, les avions, certains bruits comme le son de la mer, les feutres, le son des outils, aspirateurs, ventilateurs, sèchecheveux... Le système de filtrage et de dosage de ce canal sensoriel apparaît déréglé. La mère de Pierre, un jeune adulte autiste, indique que, lorsqu'il peut être prévenu d'un bruit, il peut ne pratiquement plus crier : « Un camion va passer. Ne crie pas »134. Ce sujet a souvent besoin de se boucher les oreilles. T.Grandin exprime cette difficulté à moduler le son, soit il lui faut le laisser tout rentrer, soit le bloquer complètement. Elle se décrit avec une sorte de prothèse auditive qui amplifie tous les sons, et détenant le choix de la brancher et se laisser envahir, ou de la débrancher... Beaucoup parlent aussi de cette voix de l'autre mal réglée. Certains décrivent aussi des phénomènes perceptifs, comme entendre des bruits électroniques, voir, dans les moments de stress par exemple, des bulles blanches ou bien avoir l'impression en voiture, que lorsqu'un camion est croisé, celuici nous fonce dessus. Les travaux de FR.Volkmar et DJ.Cohen expliquent qu'il ne s'agit pas d'hallucinations comparables à celles des schizophrènes car ces phénomènes ne sont pas assez élaborés ou systématisés135. Je préciserai ces troubles perceptifs dans un prochain chapitre.
Du côté tactile, l'autiste ne supporte pas certains contacts de substances ou de matières. Il peut aussi souffrir de picotements, tellement la tension est forte. Il aime souvent les vêtements serrés, et apprécie peu toucher l'autre ou en être touché, embrassé. Ce n'est pas l'envie de ne pas être serré dans les bras qui manque, c'est la sensation de submersion, associée, qui rend ce geste insupportable. L'importance des stimulations tactiles contrôlées conduisirent Temple Grandin à inventer une boîtemachine dans laquelle elle se glisse et dont elle peut régler la pression comme elle le souhaite. En effet, ce sujet est obligé d'inventer des systèmes qui lui permettent de réguler la distance à soimême, à l'autre, au bruit... Autre exemple, une vidéo d'un site internet montrant un enfant qui contrôle le bruit ambiant en tapant sur la table : grâce au battement correspondant, certains facteurs dérangeants, ne lui pèsent alors plus136.
Du côté visuel, ce sujet a la particularité de voir les détails mais pas l'image d'ensemble (télévision, canapé, tableau mais pas le salon). Il ne perçoit qu'une partie de l'image, et, section par section, n'arrive que dans un second temps à l'ensemble. Il est très observateur et regarde tout, fixant souvent le regard sur les fissures, les défauts du mur, du papier peint, les erreurs dans les motifs ou la pose du carrelage, les nœuds sur les planches... Il repère tous les défauts et manques. D.Williams parle aussi de phénomènes visuels comme les filaments suspendus dans l'air, des flocons de couleur lumineuse qui l'entourent. Elle dit sa fascination hypnotique pour les lumières, ce qui brille.
T.Grandin elle, décrit son esprit visuel et de fait ses facilités dans ce qui fait appel à l'espace, comme le dessin. Elle utilise des analogies visuelles aussi.
Il est aussi difficile aux autistes de regarder les personnes dans les yeux ou d'être l'objet de regard. Ils disent leurs difficultés à reconnaître les gens même parfois familiers. Pour un autiste, mettre du sens sur la multitude d'informations sensorielles pose donc problème, ce qui le rend soit insensible (le protège de ressentir, même la douleur!), soit hypersensible : « te regarder c'est
134http://www.participate-autism.be/go/fr/videos.cfm?videos_id=15&videos_section=1
135 COHEN, David-J. et VOLKMAR, Fred-R. Handbook of autism and persuasive developmental disorders, op.cit.
136 http://www.participate-autism.be/go/fr/videos.cfm?videos_id=15&videos_section=1
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recevoir des centaines d'indices à la fois, c'est tellement fatiguant que je préfère tourner la tête » dit un autiste de 13 ans à M.Lemay. Comme les indices ne sont pas reliés à une structure d'ensemble, le sujet préfère s'enfermer autour d'un seul stimulus. Ainsi, ils utilisent le même procédé pour identifier une personne : par sa voix, son odeur, ses lunettes. Mais si le regard évite les autres, l'autiste sait cependant regarder d'un regard vrai, témoignant qu'il y a un quelqu'un au fonctionnement bien particulier. Une angoisse tenace tient le sujet dans une impossibilité de se risquer à participer ou décoder, car subsiste toujours la peur de mal interpréter, et surtout les innombrables difficultés et élaborations auquel le sujet devra faire face s'il s'y risque.
On constate que ces sujets ont besoin de se construire une forteresse pour pouvoir d'abord se protéger, afin d'entrer ensuite dans le monde. Je vais m'attacher à décrire dans cette recherche, le travail subjectif de l'autiste qui apparaît étrange, quand il se délimite à remplir indéfiniment un arrosoir et à le verser, quand il se délimite à rechercher de la nourriture ou tout ce qui est rond, quand il se réduit à ranger, trier et ordonner, ou parler des baleines, des planètes, des dinosaures et du corps humain, ou encore porter avec soi des DVD Walt Disney... Ce que la psychopathologie ne relève souvent pas, que L.Kanner avait observé et M.Rothenberg explique, c'est le bouleversement, lorsque l'on rencontre des autistes, provoqué par leur intelligence exceptionnelle, dans laquelle ils s'enferment, ou par un trait de génie, inexplicable dans certains domaines pour ceux plutôt déficitaires. Elle écrit: « d'autres sont tellement effrayés, vivent dans une telle terreur perpétuelle, que souvent ils voient et sentent des choses bien avant qu'elles ne soient perçues par leur entourage. (...). D'autres encore sont si terrorisés, et si profondément blessés, qu'ils pensent que toute aide qu'on leur offre va servir à les détruire. Ils se défendent (...). D'autres, sans dire un mot, sont très conscients de tout ce qui se passe autour d'eux, mais ne tirent aucun parti de leurs connaissances, parce qu'ils ont trop peur pour oser parler. Jamais ils n'expriment ouvertement leur terreur », « et la peur et la colère nées de leur blessure en poussent d'autres à s'attaquer à nous, physiquement »137. Il apparaît donc primordial de traiter et comprendre les causes à l'origine des angoisses et troubles du comportement, en soutenant les points forts de ces sujets : ses compétences souvent pointues dans des domaines particuliers, en lien avec les caractéristiques autistiques (mémoire de date, détail exceptionnel, dessin, puzzle, musique, jeux de logique, analyse des problèmes, reproductions, calcul mental...). L'autisme est un monde, un monde où la vie, le vivant, angoissent. Il est donc essentiel de s'appuyer sur ce qui fait solution pour le sujet.