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Symptomatologie de l'autisme

Dans le document tel-00730760, version 1 - 11 Sep 2012 (Page 56-59)

1.2. L'autisme : une maladie mentale, un trouble envahissant du développement, un

1.2.2. Symptomatologie de l'autisme

Il est clairement identifié que le concept d'autisme est aussi bien employé dans la nosologie  française pour désigner un élément de la schizophrénie adulte, que pour définir un état pathologique  chez   l'enfant.   Dans   le   champ   de   la   psychopathologie,   les   signifiants   qui   le  définissent   sont  l'évitement   de   toute   forme   de   contact,   l'isolation   extrême,   le   détachement   et   l'indifférence,   le  désintérêt   pour   les   gens   mais   aussi   un   intérêt   marqué   pour   les   objets,   l'immuabilité,   la  désorientation, l'agnosie ou l'hypersensibilité aux stimulus, les stéréotypies gestuelles ou verbales,  qui semblent donner un rythme, les inhibitions de la pensée, l'absence d'activité fantasmatique mais  surtout la difficulté à établir des liens. 

Ce sujet est en général un sujet au travail de son rapport à l'autre : par exemple un jeune  adulte a pour principal centre d'intérêt de s'envoyer des cartes postales à lui­même.  Les relations  existent   à   minima,   mais   restent   de   caractère   difficile   car   ce   sujet   comprend   difficilement   les  exigences de son milieu. Dire seulement bonjour n'est pas naturel, et les réactions ne sont pas  toujours adéquates au code. De fait, le contact social est étrange : l'enfant joue maladroitement avec  les autres, les agrippe parfois, les serre contre lui. Il prend la main pour amener à l'endroit où l'objet  se trouve, et fait rarement seul. Il ne comprend pas quand des gens rient ou pleurent. Il ne l'attache  pas à un contexte. Il n'a pas de réciprocité émotionnelle, peu d'intérêt pour l'autre quand il est triste  ou fâché, pas d'empathie, pas de compassion, mais un intérêt pour ce que la personne a mangé par  exemple. Les scénarios sociaux sont importants pour lui, quand il donne une manière de faire mais  de façon générale ce sujet a des difficultés à déduire ce que l'autre pense, éprouve, attend. Ce sujet  aime tout contrôler, ses remarques peuvent d'ailleurs être désobligeantes et ses questions se portent  sur tout, notamment sur pourquoi l'autre fait et pense ça, qu'il soit inconnu ou familier : « Pourquoi  tu achètes ça ? », « Pourquoi tu fumes, tu sais que tu vas mourir ? ». Il a souvent un souci pour  regarder l'autre car ses yeux changent tout le temps selon lui, et portent trop d'informations, qu'il  n'arrive pas à traiter.

130 MALEVAL, Jean-Claude. Logique du délire, op.cit. p.14.

131 Ibid.

132 ALBERTI, Christiane et SAURET, Marie-Jean. L'intérêt de l’autisme. Bulletin du groupe petite enfance, op.cit.

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La cécité contextuelle, telle qu'en parle P.Vermeulen, est la difficulté d'attribuer un sens à  partir d'un contexte133. La signification n'est pas fixe entre les choses, et la déduction est difficile  pour lui, en raison du nombre incalculable de significations possible. Aussi, s'il n'existe aucune  association fixe, il y a beaucoup trop d'exceptions aux règles de vie. De fait, l'autiste a sa solution :  créer des associations entre une personne, une compétence et un objet ou à un lieu ou à des détails  de l'environnement. Ceci produit que ce sujet ne peut vouloir faire qu'avec la personne identifiée à  l'activité (ne lire qu'avec la maîtresse sur son bureau d'école). Son angoisse se réduit lorsque d'autres  associations sont installées avec toutes les étapes. Ces étapes d'une activité, d'un voyage sont alors  anticipées et rappelées, et le sujet doit souvent savoir qu'il en reviendra. Par exemple, pour un séjour  vacances, ce qui peut aider un autiste est de mettre autant de lit en images que de nuit à passer hors  de chez lui : chaque matin, il enlève un lit.

Ce sujet est très attaché aux détails et a ainsi, cognitivement parlant, une autre manière de  traiter l'information et de trouver les solutions à ce chaos. Ce besoin de routines et de rituels, très  prononcé, apparaît donc comme une solution. Il est en telle difficulté pour appréhender les choses  qui changent dans l'environnement (prendre le bain avant, plutôt qu'après le repas est équivalent  pour lui à ce qu'il soit privé de repas, les changements de meubles, de bibelots...) qu'il aime que tout  soit cadré, voire minuté et régulier. Il est aussi important de lui parler et de lui expliquer les choses. 

Parfois, cela ne suffit pas. Ce sujet pose aussi souvent ses objets à certains endroits précis, qui  peuvent scander l'espace et le temps. Il lui est difficile d'être confronté à des imprévus ou inattendus  (attente, une émission télévisée qui déborde de son temps d'antenne habituel...). Pour faire toutes  choses, il a besoin (pour un temps plus ou moins long) de repères clairs. Certains lient telle chose à  telle séquence de musique par exemple, et cela doit toujours être dans le même ordre, ce qui  organise leurs journées. Aussi, il est important de respecter ces mises en ordre. Cependant, il est  aussi important de ne pas davantage les rigidifier. Car parfois, on a l'impression que cela devient  l'angoisse de l'éducateur ou du thérapeute, qu'il mette ses habits dans l'ordre par exemple.

Mutique  ou émettant  des sons sans signification,   écholalique  ou verbeux,  on verra que  l'autiste a un usage particulier du langage qui n'apparaît pas confus ou délirant mais au contraire  extrêmement précis, parfois rapide ou jargonnant et difficile à saisir. Un autiste de Kanner mutique  peut dire soudainement une phrase, parfois associée à l'angoisse. Et quand il parle, l'expression est  difficile. Il confond le je et le tu, répète souvent ce qu'il vient d'entendre, pour dire oui par exemple,  ou répète des messages météorologiques ou publicitaires. Il interrompt les conversations pour dire  ce à quoi il pense, peut ne parler que de ses centres d'intérêts (nommer toutes les marques de  voitures présentes...). La compréhension du langage est littérale. Un détail qui change, dans une  histoire que quelqu'un raconte plusieurs fois, équivaut pour lui à ce que la personne ment. La  position de l'autre étant donc  délicate à trouver, il est nécessaire d'être averti, et d'émettre des  messages clairs (dire où, quand, comment...), dépourvus d'énonciation, objectifs, neutres et parfois  injonctifs..

Les autistes de haut­niveau usent aussi d'un langage verbeux, sans énonciation et parfois d'un  langage de signes. Les Asperger, eux, développent un rapport au langage pointilleux, mesuré voire  précieux, ne mettant pas en jeu l'énonciation. Il apparaît, et je le détaillerai, que si l'autiste ne refuse  pas le langage, il ne se résout pas à la loi du signifiant. Ainsi, certains autistes parlent jusqu'à deux  ans, c'est­à­dire nomment des choses qui ne requièrent  pas d'affect, mais lorsque s'opère cette  inscription dans la loi du signifiant, cette  corporéisation  (différent de la  corpsification),  ils se  retirent, bloquant alors leur construction subjective jusqu'à ce qu'ils trouvent un support, un autre à  cette opération. J'indiquerai les solutions trouvées, à l'appui des témoignages et de ma pratique, pour  éviter la loi du signifiant,  et prendre quand même la parole. 

Le manque de flexibilité est évident dans l'autisme. Ce sujet ne comprend pas et supporte  mal que l'autre soit en infraction. Il respecte les règles à la lettre, quand il les a apprises. De fait, il 

133VERMEULEN, Peter. Ceci est le titre – Au sujet de la pensée autistique. Belgique: Gent, 1998.

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peut rester démuni face à un feu cassé par exemple, avec l'impossibilité d'arriver à destination. Le  problème est que ce sujet ne demande pas, a peu d'initiative et se trouve dans un monde dont il ne  connaît pas les règles, parce qu'il n'a pas idée que chacun adopte et adapte ses propres règles, selon  une règle générale qui vaut pour tous. Ce qui rend l'autre pour le moins étrange. 

L'autiste aime alors se réfugier dans des intérêts sensoriels, et il est important de s'en orienter  dans la clinique. Les vibrations reçues ou émises peuvent être source d'apaisement et de calme. La  musique, les rythmes le font souvent vibrer, et il s'en sert parfois pour limiter le temps, l'espace,  l'autre. Je développerai combien les stéréotypies ont plusieurs fonctions. Mais beaucoup font aussi  état de problèmes sensoriels importants. Dans le domaine auditif, le sujet exprime des difficultés à  comprendre les sons, les mots...et aussi à supporter les cris, la foule, les feux d'artifice, les camions,  les   motos,  les   avions,   certains   bruits   comme   le   son  de   la   mer,   les   feutres,   le   son  des   outils,  aspirateurs, ventilateurs, sèche­cheveux... Le système de filtrage et de dosage de ce canal sensoriel  apparaît déréglé. La mère de Pierre, un jeune adulte autiste,  indique que, lorsqu'il peut être prévenu  d'un bruit, il peut ne pratiquement plus crier : « Un camion va passer. Ne crie pas »134. Ce sujet a  souvent besoin de se boucher les oreilles. T.Grandin exprime cette difficulté à moduler le son, soit il  lui faut le laisser tout rentrer, soit le bloquer complètement. Elle se décrit avec une sorte de prothèse  auditive qui amplifie tous les sons, et détenant le choix de la brancher et se laisser envahir, ou de la  débrancher... Beaucoup parlent aussi de cette voix de l'autre mal réglée. Certains décrivent aussi des  phénomènes perceptifs, comme entendre des bruits électroniques, voir, dans les moments de stress  par exemple, des bulles blanches ou bien avoir l'impression en voiture, que lorsqu'un camion est  croisé, celui­ci nous fonce dessus. Les travaux de F­R.Volkmar et D­J.Cohen expliquent qu'il ne  s'agit pas d'hallucinations comparables à celles des schizophrènes car ces phénomènes ne sont pas  assez élaborés ou systématisés135. Je préciserai ces troubles perceptifs dans un prochain chapitre. 

Du côté tactile, l'autiste ne supporte pas certains contacts de substances ou de matières. Il  peut aussi souffrir de picotements, tellement la tension est forte. Il aime souvent les vêtements  serrés, et apprécie peu toucher l'autre ou en être touché, embrassé. Ce n'est pas l'envie de ne pas être  serré dans  les  bras qui  manque,  c'est  la  sensation   de  submersion,  associée,   qui rend  ce  geste  insupportable. L'importance  des stimulations  tactiles contrôlées conduisirent  Temple  Grandin  à  inventer une boîte­machine dans laquelle elle se glisse et dont elle peut régler la pression comme  elle le souhaite. En effet, ce sujet est obligé d'inventer des systèmes qui lui permettent de réguler la  distance à soi­même, à l'autre, au bruit... Autre exemple, une vidéo d'un site internet montrant un  enfant qui contrôle le bruit ambiant en tapant sur la table : grâce au battement correspondant,  certains facteurs dérangeants, ne lui pèsent alors plus136.

Du côté visuel, ce sujet a la particularité de voir les détails mais pas l'image d'ensemble  (télévision, canapé, tableau mais pas le salon). Il ne perçoit qu'une partie de l'image, et, section par  section, n'arrive que dans un second temps à l'ensemble. Il est très observateur et regarde tout, fixant  souvent le regard sur les fissures, les défauts du mur, du papier peint, les erreurs dans les motifs ou  la pose du carrelage, les nœuds sur les planches... Il repère tous les défauts et manques. D.Williams  parle   aussi   de   phénomènes   visuels   comme   les  filaments   suspendus   dans   l'air,   des  flocons   de  couleur lumineuse qui l'entourent. Elle dit sa fascination hypnotique pour les lumières, ce qui brille. 

T.Grandin elle, décrit son esprit visuel et de fait  ses facilités dans ce qui fait appel à l'espace,  comme le dessin. Elle utilise des analogies visuelles aussi. 

Il est aussi difficile aux autistes de regarder les personnes dans les yeux ou d'être l'objet de  regard. Ils disent leurs difficultés à reconnaître les gens même parfois familiers. Pour un autiste,  mettre du sens sur la multitude d'informations sensorielles pose donc problème, ce qui le rend soit  insensible (le protège  de ressentir, même  la douleur!), soit hypersensible : « te regarder c'est 

134http://www.participate-autism.be/go/fr/videos.cfm?videos_id=15&videos_section=1

135 COHEN, David-J. et VOLKMAR, Fred-R. Handbook of autism and persuasive developmental disorders, op.cit.

136 http://www.participate-autism.be/go/fr/videos.cfm?videos_id=15&videos_section=1

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recevoir des centaines d'indices à la fois, c'est tellement fatiguant que je préfère tourner la tête » dit  un autiste de 13 ans à M.Lemay. Comme les indices ne sont pas reliés à une structure d'ensemble, le  sujet   préfère   s'enfermer   autour   d'un   seul   stimulus.   Ainsi,   ils   utilisent   le   même   procédé   pour  identifier une personne : par sa voix, son odeur, ses lunettes. Mais si le regard évite les autres,  l'autiste   sait   cependant   regarder   d'un   regard   vrai,   témoignant   qu'il   y   a   un   quelqu'un   au  fonctionnement bien particulier. Une angoisse tenace tient le sujet dans une impossibilité de se  risquer à participer ou décoder, car subsiste toujours la peur de mal interpréter, et surtout les  innombrables difficultés et élaborations auquel le sujet devra faire face s'il s'y risque.

On constate que ces sujets ont besoin de se construire une forteresse pour pouvoir d'abord se  protéger, afin d'entrer ensuite dans le monde. Je vais m'attacher à décrire dans cette recherche, le  travail subjectif de l'autiste qui apparaît étrange, quand il se délimite à remplir indéfiniment un  arrosoir et à le verser, quand il se délimite à rechercher de la nourriture ou tout ce qui est rond,  quand il se réduit à ranger, trier et ordonner, ou parler des baleines, des planètes, des dinosaures et  du corps humain, ou encore porter avec soi des DVD Walt Disney... Ce que la psychopathologie ne  relève souvent pas, que L.Kanner avait observé et  M.Rothenberg explique, c'est le bouleversement,  lorsque l'on rencontre des autistes, provoqué par leur intelligence exceptionnelle, dans laquelle ils  s'enferment,   ou   par   un   trait   de   génie,     inexplicable   dans   certains   domaines   pour   ceux   plutôt  déficitaires. Elle écrit: « d'autres sont tellement effrayés, vivent dans une telle terreur perpétuelle,   que   souvent   ils   voient   et   sentent   des   choses   bien   avant   qu'elles   ne   soient   perçues   par   leur   entourage. (...). D'autres encore sont si terrorisés, et si profondément blessés, qu'ils pensent que   toute aide qu'on leur offre va servir à les détruire. Ils se défendent (...). D'autres, sans dire un mot,   sont très conscients de tout ce qui se passe autour d'eux, mais ne tirent aucun parti de leurs   connaissances, parce qu'ils ont trop peur pour oser parler. Jamais ils n'expriment ouvertement leur   terreur », « et la peur et la colère nées de leur blessure en poussent d'autres à s'attaquer à nous,   physiquement »137. Il apparaît donc primordial de traiter et comprendre les causes à l'origine  des  angoisses et troubles du comportement, en soutenant les points forts de ces sujets : ses compétences  souvent   pointues   dans   des   domaines   particuliers,   en   lien   avec   les   caractéristiques   autistiques  (mémoire   de   date,   détail   exceptionnel,   dessin,   puzzle,   musique,   jeux   de   logique,  analyse   des  problèmes, reproductions, calcul mental...). L'autisme est un monde, un monde où la vie, le vivant,  angoissent. Il est donc essentiel de s'appuyer sur ce qui fait solution pour le sujet. 

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