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Lison ou la terreur d'exister

Dans le document tel-00730760, version 1 - 11 Sep 2012 (Page 197-200)

2. Clinique différentielle__________________________________________________________86

2.2. Quelques rencontres et lectures cliniques 98

2.2.11. Lison ou la terreur d'exister

► Trajectoire de vie

Née le 22 mars 1956, à Alger, Lison est une dame discrète et effacée, mais pas moins  présente à sa manière. Grande et d'apparence mince, avec de longs cheveux raides, elle se présente  souvent comme repliée, observant du coin de l'œil, toujours un peu méfiante de l'autre, des autres en  général. Vie pauvre et ritualisée, Lison est suivie depuis 20 ans par le secteur psychiatrique de  Millau pour psychose à évolution déficitaire, et fréquente l'hôpital de jour, le CMP et le CATTP. 

Elle est aussi soutenue par l'équipe des appartements thérapeutiques. Lorsque son projet   ou son  emploi du temps change, elle semble alors éclatée, perdue et paraît n'avoir aucune solution qui la  soutienne, si ce n'est d'aller se balader avec toujours le même cheminement dans certains endroits  qui la rassurent.

Lison est la seconde d'une fratrie de 4 enfants, deux garçons, deux filles, qui se suivent dans leurs  âges. Petite fille, elle est souvent en échec scolaire et a toujours reconnu avoir des difficultés. Tous  les   enfants   sont   suivis   encore   actuellement   par   les   services   sanitaires   ou   médico­sociaux.   Ses  parents se sont mariés en 1955 à Alger, et ont vécu en Algérie jusqu'en 1963. Le père, légionnaire,  travaille alors dans le tramway, sa femme s'occupant des enfants. La mère de Lison est née à Alger. 

Sa grand­mère maternelle est décédée à 30 ans à l'hôpital psychiatrique d'Alger, et Lison a très peu  connu le grand­père maternel. Son père est né à Millau, il y reviendra en 1964, soutenu par la croix­

rouge qui aidera la famille, et travaillera ensuite à la mégisserie. En 1969, a lieu un signalement à  un assistante sociale de la CAF pour crainte de sécurité pour les enfants. Un programme social de  relogement en HLM a lieu. En 1971, une autre enquête, à laquelle la famille est hermétique, indique  des   disputes   et   des   coups   fréquents   entre   les   parents.   Ils   boivent,   et   les   enfants   souffrent   de  malnutrition. Le père a des antécédents psychiatriques : il a déjà été soigné à Alger pour maladie 

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nerveuse. Lison a peu de souvenirs de sa grand­mère de Millau, mère du père. Les parents ont  toujours refusé de mettre les enfants en pension. 

Lison est d'emblée désignée comme l'objet malade de la famille. Elle mange à part. Arrivée  en métropole à l'âge de six ans, elle se souvient de la traversée en bateau, de la mer et de l'arrivée à  Marseille. Ils s'installent un temps à Toulouse chez une grand­mère, puis à Millau. Elle ne se  souvient pas où elle habitait. De sa scolarité, elle dit : «  Je jouais et j'étais dans la même école que   mes frères et sœurs, à 6 ans à Jules Ferry, ensuite au collège ». Elle dit aussi qu'elle a été jusqu'en  3ème, mais qu'elle a  échoué au BEPC à cause des maths. 

Son père, alcoolique et violent, mène la vie dure à toute la famille, suivie dès 1969 par les  assistants sociaux scolaires. En 1973 a lieu une enquête sociale car Madame, qui ne travaille pas,  (avant elle effectuait des ménages dans les écoles) se livrerait à la prostitution. Elle le reconnaît. Le  père est aussi au courant, et dit que c'est pour nourrir les enfants. 

La   famille   est   décrite   comme   pathologique,   misère   sociale   et   précarité   psychique.   Les  enfants sont tous maigres, chétifs et  très craintifs.  Un signalement  AEMO est déclenché  pour  enfants en danger moralement et physiquement : les enfants, souffrant de malnutrition, touchés par  la gale, sont aussi en insécurité. Un nouveau signalement a lieu en 1977, en raison de situations de  violence. Les enfants sont toujours sous la menace des parents. En 1980, une visite de la DDASS,  génère chez le père beaucoup d'agressivité. Manifestement alcoolisé, il se plaint d'intrusion : « Vous  n'êtes pas de la police, si vous n'êtes pas contents, foutez le camp ». L'ambiance est tendue, Lison  est gênée, elle se trémousse et parle seule quand le père crie. Celui­ci après s'être calmé, s'excuse et  dit qu'il est nerveux. 

Un jour, cela dégénère entre un voisin et le père, qui dit au fils d'aller chercher l'arme. Le fils  tire alors sur le voisin : « Tue­les ! Vas­y », dit le père. Il manque le voisin mais blesse une dame. 

« On est tous des grands énervés » dira la mère au procès. Le frère et le père font alors de la prison  quelques temps. C'est la seconde fois pour le père.

L'aîné des fils ne serait pas le fils du père. Le père emmène souvent un de ses fils, devenu  violent, avec lui en ville, au rugby... Les deux frères sont actuellement dans un ESAT. Son autre  sœur est comme un double de la mère. Elle fait les courses, commande beaucoup Lison. Quand le  père apparaît, Lison, apeurée, anxieuse, s'enferme dans la salle d'eau, et attend qu'il soit parti pour  manger.   Il   existe   des   suspicions   d'inceste.   Selon   sa   mère,   le   père   porterait   une   affection   trop  excessive et orientée envers Lison : celle­ci conservera de très grandes peurs envers l'homme. Le  suivi a commencé lorsque sa sœur a été violemment battue par son frère. Les voisins décrivent une  atmosphère invivable. Les cris insupportables des enfants laissent supposer de la part de Monsieur  certains actes graves. Il est alors découvert qu'ils vivent avec beaucoup de chats dans leur HLM. 

Cette famille ne parle de rien. Si on interroge Lison sur sa vie familiale, elle dit : « C'était bien » :  surtout ne rien dévoiler.  Elle se fait du souci par rapport aux notes que prennent sur elle les  soignants, veut les lire et demande qui en aura connaissance, parce que ça parle d'elle.

A 15 ans, elle est victime d' une fracture du fémur lors d'un un accident de circulation. Peu  après, Lison effectue un BEP de sténo­dactylo (1 an) mais dit que c'est « trop dur ». Après l'arrêt de  l'école, elle travaille à l'hospice pendant un mois comme ASH de 1975 à 1976. Elle part monitrice  dans une colonie de vacances pendant 3 mois en 1977­1978, en revient fatiguée, pleure, ne paraît  plus comme avant. Elle travaille ensuite deux mois dans un pressing. On verra d'ailleurs son rapport  au vêtement ou au linge. Il est noté aussi qu'elle est déjà sortie en boîte, qu'elle a fumé.... avec sa  sœur, qui habite un temps au dessus de chez elle. Elles s'invitent à manger. A l'inverse d'elle, sa  sœur témoigne d'un vernis important. Elle n'est pas malade mais n'a pas de travail. Elle se soutient  de   cela.   En   même   temps,   est  observé   un   laisser­tomber   du  corps  chez   sa  sœur   dès  qu'il   y   a  insistance sur le fait qu'elle est malade. Elle fréquente donc le secteur sanitaire pour le travail. Sa  sœur a une emprise importante sur Lison.

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Le début de sa maladie est marquée par sa première hospitalisation en 1980, durant 4 mois  en clinique psychiatrique à Reich. Clinophilie ? Anorexie ? Repli sur soi ? De retour elle va un peu  mieux. Les parents ont déménagé, avec huit chats... Puis, elle rechute, s'enferme dans sa chambre et  refuse alors de manger. Une nouvelle hospitalisation a lieu en 1983 pour troubles du comportement. 

A son retour, elle ne va pas mieux, s'enferme dans sa chambre, n'en sort pas, même pour manger. Sa  mère lui apporte son repas. En 1985, Lison se promène souvent. Elle aime la bibliothèque, les  romans d'aventures, et raconte ce qu'elle lit. Puis, une hospitalisation de jour en 1986, est réalisée,  suite à la demande par l'équipe de soins d'une rencontre avec les parents qui refusent. Ils n'ont 

« rien à dire » donc « n'ont pas à recevoir personne ». Depuis, elle perçoit l'AAH. Elle dit qu'on a  commencé à s'occuper d'elle en 1989. Elle fait un séjour en famille d'accueil mais se plaint que cela  lui change trop ses habitudes, et qu'il y a trop de monde.

En 1988­1989, Lison se fait beaucoup de souci pour sa famille, mais accepte de vivre en  dehors   de   ses   parents.   A   cette   époque,   elle   dessine   d'innombrables   petites   maisons   avec   une  cheminée qui fume, toutes les mêmes, simple carré et triangle. Sur une première feuille, elles ont du  mal à sortir du bord ; sur une deuxième, elles sont partout dispersées sur la feuille mais possèdent  des fenêtres et des portes. La perspective de sortir de cette maison parentale donc. Elle déménage  pour vivre avec sa sœur, puis plus tard en appartement thérapeutique, collectif, et enfin seule. C'est  à la fin des années 80, que ses parents partent en maison de retraite. Sa mère, âgée de 80 ans, est  connue pour voler le linge de l'hôpital (serviettes, draps...) et le cacher dans sa chambre. En 1990,  elle reçoit ses parents chez elle, de façon très agréable, petits gâteaux et café. Son père meurt cette  année­là, à 78 ans. A noter qu'il a toujours existé une mésentente des parents mais qu'ils ont  toujours voulu rester ensemble. 

A cette époque, elle a des réticences vis­à­vis du traitement. Elle le supporte mal, vomit, se  dit « drôle », et juge que c'est un peu fort. A noter aussi qu'elle est sous tutelle depuis 1975, et  qu'elle peut parfois réclamer à son tuteur plus d'argent car elle aime se faire plaisir. Ce sont des  solutions, boire un café, manger un gâteau à la terrasse d'un café ou alors s'acheter un petit objet,  souvent utile.

Pendant de nombreuses années, Lison mange avec sa mère, à la maison de retraite de Saint­

Michel, et sa sœur reçoit parfois ses frères chez elle. Les troubles importants de Lison ne permettent  pas d'envisager une insertion professionnelle, même en milieu protégé. Dans toute cette famille, il  semble  clair  que Lison est  certainement  la  moins folle  : elle  se tait  simplement  comme  pour  protéger un secret familial.

► Symptomatologie

Il n'existe pas de symptôme bruyants, ni dissociatifs, ni d'extériorisation délirante claire mais  il persiste chez Lison, un manque de soi, une absence totale de confiance en elle. Elle manifeste peu  d'émotions, toujours repliée sur elle­même (bras refermés). L'évolution n'est pas déficitaire mais  lente et progressive.

Lors d'un camp de vacances à la mer, elle garde un bon souvenir mais dit­elle, « le train  allait un peu vite » (à entendre à tous les niveaux), cela l'inquiétait, « faisait drôle ». La vie, l'autre,  tout ce que cela implique va trop vite pour Lison. Elle a besoin de temps, de réassurance. Elle est en  permanence insécurisée, parasitée et dans les moments de rechute, s'enferme dans sa chambre.

Lison a des difficultés à entretenir son appartement, comme à prendre soin d'elle et de son  corps. Des problèmes d'hygiène sont souvent notés dans son dossier. Elle est souvent apragmatique,  répond toujours oui et peut sourire de façon stéréotypée. 

Elle   a   une   crainte   de   tous   les   appareils   électriques,   plus   qu'une   crainte,   une   angoisse  fondamentale.   Toutes   les   machines   l'angoissent.   Elle   débranche   toujours   son   frigo,   son   fer   à  repasser, ses radiateurs et son cumulus pour faire des économies d'électricité dit­elle, car l'électricité 

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est chère. Elle ne donne pas non plus le code pour entrer dans son immeuble. Elle dit souvent que ça  sent le gaz, témoignant réellement d'hallucinations sensorielles olfactives. Elle vit tout le temps  avec les fenêtres ouvertes, hiver comme été. Un jour, elle appelle les pompiers pour signaler une  fuite de gaz. Elle est très réticente à parler de ses automatismes mentaux. Parfois, elle paraît être  loin de nous, absorbée dans ses pensées.

► Indices cliniques

Rapport au langage

Lison est plutôt avare de mots et paroles. Mais lorsqu'elle est en confiance, elle se montre  très fine dans ses propos. Elle témoigne d'une grande mémoire, a des idées, par exemple pour un  repas. Lison est loin d'être vide, mais détient un savoir qu'elle tait. Lorsqu'elle dit quelque chose,  elle parle bien, seulement parfois un peu hésitante. Au début de sa prise en charge, elle répond à  l'autre souvent par des haussements de têtes ou des sons. Elle a des difficultés à faire des phrases si  les questions sont précises. Souvent, elle ne sait pas, ne veut pas déranger. 

Aujourd'hui elle peut dire « venir la journée, ça m'occupe ». Elle demande peu, si ce n'est  son café et sa madeleine du matin au CATTP. Si le CATTP va fermer, elle peut demander quand  est­ce qu'il rouvre, légèrement angoissée. Elle demande plusieurs fois ce qu'il va se passer au  moindre changement. Elle a de grandes inquiétudes quand changent les plannings horaires et les  personnels soignants. Elle peut rester perplexe et perdue, si la CAF déménage par exemple et qu'elle  ignore la nouvelle adresse. Les changements d'itinéraires l'angoissent aussi. Un déménagement est  vécu comme une période de grande turbulence. Sa période sur une structure doit toujours se faire  sur la journée. Il faut que ça bouge le moins possible au niveau du cadre pour qu'elle se sente à  minima en confiance, et puisse exprimer des choses.

Elle peut utiliser des mot nouveaux comme « exceptionnel ». Elle témoigne d'une bonne  mémoire, se souvenant de l'emploi du temps des autres patients. Très réceptive à la lecture de livre  de contes, elle rit, est effrayée. Elle dit repenser ensuite dans la journée au conte lu en lecture. A  l'évocation de quatre vœux, elle dit : « être belle – acheter des cadeaux – rajeunir – acheter des   habits ». Lorsqu'on lui demande en quoi elle veut se déguiser, elle répond en princesse ou fée.

Parfois, elle répond à côté. Par exemple, quand on va la chercher, elle dit qu'elle lit le journal  alors qu'elle est plantée dans le couloir, témoignant d'une difficulté à faire des liens entre son corps  et le langage.

Un jour, elle dit à quelqu'un « arrête de me parler » alors qu'il ne lui parlait pas, témoignant  peut être d'hallucinations verbales. Lison semble souvent parasitée, se met la main sur l'oreille, sur  le visage, semble murmurer, ou déambule dans les pièces. Elle ne peut toutefois rien en signifier.

Rapport au corps

Lison semble ne pas avoir de corps. Elle ne se lave pas, ou insiste sur le même bout de  corps.   Mais   accompagnée   de   paroles,   elle   le   fait.   On   observe   une   dépendance   pour   les   actes  quotidiens, une grande difficulté dans les gestes simples et elle ne peut rien en dire. Elle n'aime pas  l'eau et a une grande réticence pour se laisser porter par l'eau ou apprendre à nager. Elle ne se lave  sous la douche qu'accompagnée, surtout les cheveux. Pour elle, aller chez le coiffeur est synonyme  de laver les cheveux. Elle aime bien que l'on s'occupe d'elle. Elle a un dentier et des lunettes, mais  ne les supporte pas. Elle fait donc très attention à ce qu'elle mange puisqu'elle est édentée. Elle  mâchonne beaucoup et va souvent boire. 

Lison est quelqu'un qu'on ne peut toucher, serrer, enlacer. Elle s'assoit toujours à la même  place. Là où il n'y a pas de passage. Elle ne peut que récemment changer de place. Elle arrive 

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