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Sylvie Brossard-Lottigier Ÿ

1Ministère des transitions écologiques et solidaires (METS et DREAL)  MTES  France

Les disciplines enseignées à l'école et les limites de leurs champs, comme les politiques sec- torielles de l'aménagement et de la gestion des espaces et des territoires, reètent les modes de penser le monde de la société qui les a imaginés, construits, institutionnalisés jusqu'à ce qu'ils semblent une évidence, un fait  naturel  qu'il serait inconvenant de bouleverser. Mais l'évolu- tion de ce qui nous dépasse, l'espace vivant qui nous a accueilli sur terre et que nous laisserons après notre dernier soue poursuivre la vie que nous lui aurons facilité ou au contraire compli- qué, l'espace vivant donc, se charge de rappeler le caractère relatif, culturel de ces évidences. Il aura fallu le constat de non durabilité de ces évidences, celui de l'économiste Schumacher ou celui du rapport de Bruntland pour que nos pratiques puissent être interrogées au regard de leurs nalités. Et à ce titre seulement, car il ne s'agit pas de jeter le bébé avec l'eau du bain : il ne s'agit pas de mettre en cause les disciplines qui ont permis d'innombrables découvertes sur la réalité du monde. Simplement, décomposer un système complexe en éléments simples pour mieux le connaître comme nous l'a appris Descartes pose toujours la question de la recomposition des savoirs à l'échelle de la complexité initiale. Le moins qui puisse être fait consiste donc comme l'ont montré, en sciences de la nature Darwin, en sciences physiques Einstein et en sciences éco- nomiques Amartya Sen, à reconnaître l'incomplétude et la relativité de nos savoirs disciplinaires avant de travailler l'organisation de leurs modes de composition, qui seront eux aussi relatifs aussi longtemps que l'Homme sera un être d'aect. Un être d'aects qui ne peut progresser que par le travail de la représentation, y compris de ses aects. Or ce dernier objet du travail de représentation a été pour le moins négligé dans notre mode de penser le monde : on sait mieux représenter la terre que notre amour de la terre et la relation entre les deux demeure en terme scientique, une terra incognita. La représentation des aects a été à tel point ignorée par les sciences que ceux-ci ont pu tranquillement régner en maître quelques siècles durant, invalidant l'usage même de nombreux travaux scientiques, attachés à la description d'un monde bien réel. Depuis trente-cinq ans je me suis eorcée de passer de l'un à l'autre de ces deux modes de représentation, en architecte puis en pédagogue et à nouveau en architecte paysagiste, xant nalement à l'art d'organiser l'espace, une nalité pédagogique : éduquer à la conscience de la relativité des modes de penser le monde et à l'art de les composer dans un souci de paix et de durabilité du vivant sur terre.

Tout d'abord au terme de 15 ans de pratique professionnelle où l'écoute des aects des entrepreneurs, des promoteurs, des habitants pour lesquels j'÷uvrais en architecte et en jardinier m'avait permis de résoudre rapidement et simplement de nombreuses situations de conits ou de tension sur des chantiers complexes, j'ai été alertée en observant chez les enfants que je fréquentais alors, après le poids de l'aectif dans les motivations d'apprentissage, la relativité de

l'approche de l'espace : Il m'est apparu rapidement que les enfants ne font pas de diérence entre ce qui est naturel et ce qui est articiel, pour eux, tout est nalisé au jeu, à la découverte d'un monde qu'ils pensent construit pour eux par ceux qui les aiment. Tout est articiel, fabriqué. La sécurité aective dans laquelle vit un enfant (Cyrulnik, la naissance du sens), motive avant tout sa curiosité, son désir de toucher, gouter, écouter, sentir, regarder le monde qui l'entoure. Je consacre alors dix années à observer des enfants en France et en Allemagne, dans des établissements privés et publics, de pédagogies alternatives et classiques, et aussi dans les espaces publics et les espaces domestiques qu'ils fréquentent (Brossard-Lottigier, la ville récréative).

La thèse que j'engage alors sur la base de ces observations me permet de questionner si- multanément réalité et perception d'un même espace par un individu ou un groupe d'individus partageant la même culture. En reformulant la matrice des quatre cultures de la nature dé- veloppée par les travaux de Claude Lévi-Strauss (le totémisme) et son élève Philippe Descola (Par-delà nature et culture), je mets alors en évidence sur la base de l'analyse de mon expérience professionnelle la composition de ces quatre modes de penser le monde. J'observe par exemple la mobilisation du concept animiste d'intégration paysagère dans une société naturaliste qui nalise les éléments à l'usage que pourraient en faire les humains. En croisant ces observations avec les résultats des travaux de Jean Piaget sur les dynamiques d'évolution des manières de penser le monde (Les représentations du monde chez l'enfant) je découvre alors l'existence de rémanences enfantines dans la perception du monde des adultes, modes de perception aective héritée de l'enfance et dont la connaissance, et la prise en compte respectueuse déterminerait la possibilité d'accéder à une vision plus individuée des espaces.

Ces rémanences sont essentielles. Car elles déterminent les conditions de possibilité de penser le monde au-delà de soi. Représentées, elles permettent de dépasser une vision naliste d'un monde qui serait là pour nous. La découverte de ces rémanences devient alors la base et le sens même d'un projet de gestion et d'aménagement de l'espace qui aurait pour objet d'aider un être à grandir en autonomie et en responsabilité au regard du monde qui l'accueille.

Ces découvertes m'ont donc naturellement conduit à développer pour le ministère de l'Ecolo- gie des programmes publics d'éducation relative à l'environnement (ERE) axés sur l'individuation des sujets. Trois types d'espaces sont alors identiés (Brossard-Lottigier & Lottigier, écologie des espaces d'apprentissage) : les espaces participants, les espaces d'interactions et les espaces de représentation.

Pour conclure, un travail d'analyse matricielle de la relation qui existe entre l'usage de l'es- pace et la représentation de l'espace par un individu me conduit depuis six ans, d'une part à l'animation de la politique régionale du paysage de l'Occitanie, d'autre part, à la réalisation d'un projet prototype de l'appui que la conception de l'espace pourrait apporter à des programmes pédagogiques d'éducation à l'individuation des êtres humains. L'ensemble de ces expériences sera illustré par des photographies et des dessins de l'auteur.

Symposium : Penser le monde à partir