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1Université de Genève  Suisse

L'histoire contemporaine de l'enseignement est caractérisée par l'émergence de disciplines scolaires dont la plupart correspondent à des disciplines académiques apparues dans la même période. En amont, l'expérience fondatrice des révolutionnaires français qui tentaient de mettre rapidement en application l'exigence d'un droit de tous et chacun à une instruction publique primaire avait joué un rôle précurseur dont l'importance a été récemment réinvestie dans les didactiques disciplinaires (Astol, 2008). L'élémentation des savoirs consiste notamment à les déconstruire pour en dénir les éléments fondamentaux et matriciels (Develay, 1992) pouvant permettre un apprentissage dans le cadre de modes de pensée disciplinaires. Cette conception disciplinaire de l'apprentissage par laquelle les disciplines et leur organisation sont au c÷ur d'un projet éducatif d'émancipation par les savoirs s'inscrit dans une perspective diachronique qui va de Comenius à Vygotsky (Schneuwly, 2008).

Les disciplines scolaires sont en constante transformation et la réalité d'un monde complexe exige de pouvoir croiser des regards disciplinaires pour développer la faculté de discernement des élèves, et le cas échéant leur capacité d'agir. L'un des aspects de cette évolution concerne la prise en considération des usages, et mésusages, publics des disciplines, c'est-à-dire des manières très diverses dont elles sont convoquées, invoquées et pratiquées dans l'espace public et médiatique par toutes sortes de protagonistes pour le meilleur, et souvent pour le pire, du point de vue de divers enjeux scientiques et sociétaux.

Ce symposium entend examiner cette problématique autour des disciplines histoire et litté- rature en interrogeant pour l'une et l'autre leur potentiel de transmission d'une intelligibilité du passé, en particulier lorsqu'il est traumatique et mobilise des enjeux de mémoires dans la durée. Les diverses nalités de l'enseignement de l'histoire et les pressions qui s'exercent sur la fabrique scolaire de cette discipline scolaire impliquent son extension à des questions de citoyenneté et de mémoires. Toutefois, ce qui pourrait ressembler à des formes d'éducations à... ne permet de construire de sens qu'en lien étroit avec l'épistémologie, avec les modes de pensée, de l'histoire. En outre, l'usage en classe d'histoire de narrations ou d'÷uvres littéraires examinées en fonction des deux contextes de ce qu'elles décrivent d'une part, de leur production d'autre part, peut constituer un enrichissement potentiel de transmission et d'apprentissage. Du point de vue de l'enseignement de la littérature, loin d'une restriction à la seule analyse esthétique des textes littéraires examinés, la question se pose aussi de leur historicité, de leur vraisemblance lorsqu'ils évoquent des situations du passé, voire de leur apport eectif à la connaissance de ce passé, comme dans le cas des textes testimoniaux.

La première communication, de Laurence De Cock, partira de la notion de  Roman national  : l'expression charrie en eet à elle seule les porosités qui existent entre narrations

historique et ctionnelle. Dès le XIXe siècle, en assignant à l'enseignement de l'histoire des

nalités intellectuelles, civiques et identitaires aussi complémentaires que contradictoires, l'école a construit un rapport aux savoirs historiques et à la vérité très complexe.

La narration peine à se départir de sa charge romanesque, comme s'il fallait transiter par la nécessité de raconter une ou des histoires pour la comprendre. Est-ce un problème ? La ction ne peut-elle pas dire le vrai ? Les modalités d'apprentissage de l'histoire n'épousent-elles pas des formes littéraires pour certains élèves ? Après tout, l'anachronisme, le contrefactuel ou encore l'analogie sont des rapports au passé qui assument chacun un décalage avec la science historique. Mais en ce cas, la didactique de l'histoire doit garder sa nalité qui est bien de rééchir à une intelligibilité historique reposant sur l'épistémologie propre de la discipline, une épistémologie distincte de celle de la littérature. Plutôt que d'interaction entre didactiques de la littérature et de l'histoire, on peut parier sur un entrelacement préalable et fécond entre ction et littéra- ture, mais qui appelle une désunion des deux disciplines comme condition d'une entrée dans la compréhension historique. C'est parce que le roman national s'en tient à la première étape qu'il opère une confusion et se cantonne au ctionnel sans produire aucun autre eet de réel qu'un rapport faussé au passé.

La deuxième communication, de Charles Heimberg, interrogera l'usage didactique des ÷uvres littéraires portant sur le passé en tant qu'usage public de l'histoire porteur d'un potentiel d'accès à des connaissances, mais nécessitant aussi un travail historien de mise à distance critique. Quand elle est fondée sur une enquête et qu'elle ne se complaît pas dans une posture esthétique, la narration littéraire peut contribuer à la transmission d'une connaissance du passé, notamment pour suppléer aux lacunes de la documentation historique proprement dite. Mais cette expression n'est jamais neutre dans la cité, de sorte qu'un certain parallèle peut être tiré entre les rapports tissés par l'histoire respectivement avec la citoyenneté, les mémoires et les ÷uvres humaines, dont la littérature.

La quête de vérité qui devrait caractériser toute construction d'une intelligibilité du passé ne saurait mener à une centration sur des documents d'archives traditionnels en rejetant tout autre apport relevant des témoignages ou des usages publics de l'histoire. L'apprentissage de l'histoire consiste alors aussi à envisager comment concilier la rigueur scientique, l'ouverture aux possibles et le croisement de sources multiples.

La troisième communication, de Bruno Védrines, se propose de montrer comment la dis- cipline (en l'occurrence le français) induit un rapport spécique à la véridicité, que ce soit par le choix des corpus ctionnels et factuels ou par les modalités d'interprétation des textes  et ceci d'autant plus quand ceux-ci traitent de la violence politique extrême (génocides, guerres) qui font également l'objet d'un enseignement dans le cours d'histoire. Nous essaierons de montrer com- ment une dénition et une conception de la littérature propres à la discipline français entraînent des conséquences essentielles sur la façon de penser le monde, ne serait-ce que par la manière dont elles hiérarchisent les rapports entre les valeurs esthétiques et éthiques. Aborder ainsi la question devrait nous permettre d'apporter un éclairage spécique sur l'action de la discipline dans les processus d'apprentissage.

Symposium : Regards pluridisciplinaires sur les