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Le concept d’addiction

1. L’émergence du concept d’addiction

1.3. Succès populaire et réticences académiques académiques

Dans le grand public, les mots addict et addiction sont également passés dans le langage courant et sont largement utilisés par les médias lorsqu’il s’agit de décrire des phénomènes individuels ou sociaux de dépendance ou par le marketing et la

27 Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007 relatif aux missions des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie. En application de ces textes, les anciens Centres de Cure en Ambulatoire en Alcoologie (CCAA) et les anciens Centres de Soins Spécialisés pour Toxicomanes (CSST) ont du se rapprocher et devenir des Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA).

publicité pour illustrer l’intensité du plaisir qui peut être attendu d’un nouveau produit.

Si la notion d’addiction connait ce large succès en France, elle semble avoir plus de difficultés à s’imposer ailleurs, notamment aux États-Unis28. En effet, malgré les efforts de Peele et de Goodman, les classifications internationales n’ont pas intégré la notion d’addiction. Le DSM-IV de 1994 et le DSM-IV-TR de 2000 se contentent de décrire les troubles liés à l’usage de substances. Des catégories d’intoxication aigüe, d’abus et de dépendance sont listées pour chaque produit répertorié. Pour se rapprocher de ce que Peele et Goodman entendent par addiction, il faut associer à cette classe de troubles celle des troubles du contrôle des impulsions non classés

ailleurs qui regroupent entre autre le jeu pathologique ou la kleptomanie. Il n’est

toutefois pas fait de lien dans le DSM-IV entre ces deux classes. De plus, d’autres comportements assimilés aux addictions comportementales comme la sexualité compulsive ou les achats compulsifs ne figurent pas. Nos auteurs ont donc dû attendre le DSM-V de 2013 pour voir mentionner le terme d’addiction. Toutefois si cette catégorie Addictions et troubles associés voit le jour, elle ne recouvre pas l’ensemble des comportements communément considérés comme addictifs. Le DSM-V qualifie les comportements addictifs lorsqu’ils entrainent un comportement de recherche, une tolérance et un syndrome de manque ainsi que des conséquences dommageables pour le sujet et son entourage. Mais il ne fait rentrer dans ces critères que les usages de substances psychotropes non médicamenteuses et une seule addiction comportementale : le jeu pathologique. L’hypersexualité et la boulimie sont décrites séparément et sans lien avec les addictions. Il est difficile de comprendre la logique de cette construction du manuel de référence dans le champ

28 Au niveau des institutions aussi, l’addictologie semble avoir un destin différent en France et aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, le paysage est très différent selon les états, leur culture politique, leur densité urbaine. Les intervenants dans le champ de l’addiction viennent du secteur public

(notamment les outreach workers, professionnels socio-éducatifs intervenants dans la rue, les squats ou au domicile des gens), des secteurs associatifs et confessionnels (12 étapes par exemple) ou du secteur privé lucratif (centres de désintoxication, rehab). Du côté des institutions médicales académiques, l’addictologie n’existe pas en tant que telle mais est associée soit à la psychiatrie, soit à la médecine. En effet, les deux associations américaines principales productrices de discours sont l’American Accademy of Addiction Psychiatry (AAAP) et l’American Society of Addiction Medecine (ASAM). Plutôt qu’une addictologie, il y a donc une psychiatrie de l’addiction et une médecine de l’addiction entre lesquelles existe une certaine rivalité. Toutefois, le discours académique n’est pas réservé aux médecins puisque la structuration universitaire américaine permet le développement et l’expression des sciences éducatives ou des sciences infirmières. Ainsi s’expriment régulièrement des leaders d’opinion psychologues, counselors (socio-éducateurs) ou infirmiers sur des questions d’addiction.

de la psychopathologie internationale, mais il est important de savoir qu’elle est l’aboutissement d’un processus de négociation et de vote des experts choisis pour son élaboration. Si certains arguments sont particulièrement efficaces comme les données objectives de la science (imagerie cérébrale pour les addictions comportementales), d’autres plus discrets comme des considérations morales ou des enjeux de pouvoirs peuvent être influents dans les choix de délimitation de catégories diagnostiques. C’est ce qui semble apparaître dans les réponses des experts aux critiques. Comme le souligne Peele29, le motif pour ce découpage si particulier des addictions tient à la crainte des experts de voir tout comportement humain défini comme une addiction alors même que les critères définis par le DSM pour qualifier une addiction sont très restrictif. Peele y voit le signe d’une peur irrationnelle chez les experts. On peut s’intéresser aussi à l’argument-phare du président du groupe de travail menant la révision du DSM pour les troubles liés à l’usage de substances, Charles O’Brien (cité par Bob Curley30). Il défend le choix du terme Addiction ainsi :

Le terme dépendance est trompeur parce que beaucoup de gens le confondent avec addiction, alors que la tolérance et le syndrome de sevrage que les personnes expérimentent sont des réponses normales aux effets sur le système nerveux central de médicament prescrits. À l’inverse, l’addiction est un comportement de recherche compulsive de drogue, ce qui est très différent. Nous espérons que cette nouvelle classification aidera à lever se malentendu si répandu.

Il semble ici que le choix d’addiction plutôt que de dépendance soit déterminé par le souci de protéger une catégorie de patients dépendant de leurs médicaments par effet iatrogène d’une assimilation aux comportements addictifs dont la caractéristique différenciatrice est réduite à la « recherche de drogues ». Outre l’incohérence par rapport à la nouvelle classification (qui inclut le jeu pathologique), on note que l’addiction n’est finalement plus définie par des critères objectifs mais par la question de l’intentionnalité de l’agent.

29 Stanton Peele, « War Over Addiction: Evaluating The DSM-V », Huffington Post, 2010, http://www.huffingtonpost.com/stanton-peele/war-over-addiction-evalua_b_456321.html. (Accessible le 14.08.14)

30 Bob Curley, « DSM-V - Major Changes to Addictive Disease Classifications », Recovery Today

online, 2010,

Peele31 note d’ailleurs dans son commentaire que l’American Psychiatric Association (APA)32 fait le choix pour le DSM-V d’un terme plus chargé de significations morales et culturelles, dépendance étant considéré comme plus neutre.33