• Aucun résultat trouvé

La relation de soin en addictologie

2. L’expérience des soignants dans la littérature scientifique littérature scientifique

2.1. Les attitudes

Nous avons souligné dans une publication récente233 la persistance des représentations sociales péjoratives pesant sur les personnes addictées. Les études statistiques en population générale234,235 montrent en effet que certaines affirmations contenant un jugement moral négatif à l’égard de ces dernières sont fortement représentées. Elles condamnent alors la faiblesse de la volonté de ces personnes et leur responsabilité principale dans leur condition, ainsi que leur dangerosité pour leur entourage et la société. D’autres affirmations plus indulgentes, « compréhensives » tendent à diminuer en fréquence au fil des années. Ces jugements constituent un élément important de la stigmatisation qui pèse sur les personnes addictées. De nombreuses études internationales ont montré que d’autres caractéristiques propres à ces personnes et souvent associées à l’addiction avaient un effet aggravant sur le regard porté sur elles : l’infection virale co-occurrente (VIH, VHC)236 ou le trouble psychiatrique associé237,238, l’orientation sexuelle239 ou encore l’appartenance à une culture minoritaire240. Ses représentations de sens commun, largement présentes par définition dans le grand

233 Aymeric Reyre et al., « Care and Prejudice: Moving beyond Mistrust in the Care Relationship with Addicted Patients », Medicine, Health Care, and Philosophy 17, no 2 (2014): 183‑90, doi:10.1007/s11019-013-9533-x.

234 Beck, Legleye, et Peretti-Watel, Penser les drogues: Perceptions des produits et des politiques

publiques, EROPP 2002.

235 Costes et al., « Dix ans d’évolution des perceptions et des opinions des Français sur les drogues ».

236 Honoria Guarino et al., « The social production of substance abuse and HIV/HCV risk : an exploratory study of opioid-using immigrants from the former Soviet Union living in New York City », Substance Abuse Treatment, Prevention, and Policy 7, no 2 (2012) : 1‑14,

doi :10.1186/1747-597X-7-2.

237 Jennifer Ahern, Jennifer Stuber, et Sandro Galea, « Stigma, discrimination and the health of illicit drug users », Drug and alcohol dependence 88, no 2‑3 (2007): 188‑96,

doi:10.1016/j.drugalcdep.2006.10.014. 238

Catriona Ralley et al., « The use of the repertory grid technique to examine staff beliefs about clients with dual diagnosis », Clinical psychology & psychotherapy 16, no 2 (2009): 148‑58, doi:10.1002/cpp.606.

239 Shirley J. Semple et al., « Factors associated with experiences of stigma in a sample of HIV-positive, methamphetamine-using men who have sex with men », Drug and Alcohol Dependence 125, no 1‑2 (2012): 154‑59, doi:10.1016/j.drugalcdep.2012.04.007.

240 Sandra E. Larios et al., « Evidence-based practices, attitudes, and beliefs in substance abuse treatment programs serving American Indians and Alaska Natives: a qualitative study », Journal of

public le sont également chez les soignants241,242. Leur force dépend alors de l’expérience des soignants et de leur formation. Il est tout aussi important de noter que ces représentations se retrouvent chez les personnes addictées elles-mêmes243.

Cette littérature portant sur les représentations sociales et la stigmatisation dans le champ du soin des addictions doit être complétée par celle qui porte sur les

attitudes des soignants dans cette pratique. Le terme anglais d’attitude renvoie à la

dimension individuelle du rapport des soignants aux représentations sociales. Dans un article à paraître, à propos de l’étude EthNaA que nous présentons plus loin, Raphaël Jeannin244 fait état de la littérature actuelle sur les attitudes des soignants envers les personnes addictées. Gilchrist245 a réalisé une étude dans plusieurs pays d’Europe comparant le plaisir et l’intérêt à travailler auprès de trois catégories de patients : les patients addictés, les patients déprimés et les patients diabétiques. Il en ressort que les patients addictés représentent, dans tous les pays d’étude, la population la moins « désirable » pour les soignants. Il existe des différences liées aux histoires et cultures nationales, mais de façon homogène la sévérité du regard des soignants est corrélée négativement à leur degré de spécialisation dans le domaine des addictions, ainsi qu’avec le degré d’acceptation sociale et de légalité des produits consommés. Cette étude a également comme intérêt d’avoir interrogé plusieurs corps professionnels participant au soin des addictions : médecins généralistes, psychiatres, infirmiers, psychologues et travailleurs sociaux. Le moindre intérêt pour le soin des patients addictés était partagé par l’ensemble de ces soignants. On trouve la confirmation de cette diffusion des attitudes négatives dans les différentes professions du soin dans plusieurs études : chez les

241 Ralley et al., « The use of the repertory grid technique to examine staff beliefs about clients with dual diagnosis ».

242 Birgitte Thylstrup et Morten Hesse, « Substance abusers’ personality disorders and staff members’ emotional reactions », BMC Psychiatry 8, no 21 (2008), doi :10.1186/1471-244X-8-21. 243 Olivier Taïeb et al., « Impact of migration on explanatory models of illness and addiction severity in patients with drug dependence in a Paris suburb », Substance Use & Misuse 47, no 4 (2012): 347‑ 55, doi:10.3109/10826084.2011.639841.

244

Raphaël Jeannin et al., « “We addicts all have something of Jim in us”: A caregiver-patient narrative study on the representations of addicted individuals using a fragment from “Lord Jim” »,

Soumis à Qualitative Health Research, s. d.

245

Gail Gilchrist et al., « Staff Regard towards Working with Substance Users: A European Multi-Centre Study », Addiction 106, no 6 (2011): 1114‑25, doi:10.1111/j.1360-0443.2011.03407.x.

infirmiers246,247,248,249, les médecins généralistes250,251, les psychiatres252 et les pharmaciens253. Classiquement, ces attitudes dépendent de l’âge des soignants, de leurs croyances personnelles par rapport aux addictions, de leur formation et de la qualité de leur environnement professionnel.

Ces attitudes négatives ont des effets problématiques qui sont repérés par les études. Elles réduisent l’intérêt des soignants et leur engagement auprès des patients254, elles altèrent le repérage de difficultés addictives des patients255,256, elles rendent plus difficile leur accès au soin257 et diminuent la qualité des soins réalisés258.

246 Matthew O. Howard et Sulki S. Chung, « Nurses’ Attitudes toward Substance Misusers. II. Experiments and Studies Comparing Nurses to Other Groups », Substance Use & Misuse 35, no 4 (2000): 503‑32.

247 John H Foster et C. Onyeukwu, « The Attitudes of Forensic Nurses to Substance Using Service Users », Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing 10, no 5 (2003): 578‑84,

doi:10.1046/j.1365-2850.2003.00663.x.

248 Cara Elizabeth Crothers et Jillian Dorrian, « Determinants of Nurses’ Attitudes toward the Care of Patients with Alcohol Problems », ISRN Nursing, 2011, Article ID 821514,

doi:10.5402/2011/821514.

249 Rosemary Ford, « Interpersonal Challenges as a Constraint on Care: The Experience of Nurses’ Care of Patients Who Use Illicit Drugs », Contemporary Nurse 37, no 2 (2011): 241‑52,

doi:10.5172/conu.2011.37.2.241.

250 David Jacka et al., « Attitudes and Practices of General Practitioners Training to Work with Drug-Using Patients », Drug and Alcohol Review 18, no 3 (1999): 287‑91,

doi:10.1080/09595239996428.

251 Alistair McKeown, Catriona Matheson, et Christine Bond, « A Qualitative Study of GPs’ Attitudes to Drug Misusers and Drug Misuse Services in Primary Care », Family Practice 20, no 2 (2003): 120‑25.

252 Digby Tantam et al., « Do General Practitioners and General Psychiatrists Want to Look after Drug Misusers? Evaluation of a Non-Specialist Treatment Policy », The British Journal of General

Practice: The Journal of the Royal College of General Practitioners 43, no 376 (1993): 470‑74. 253

Janie Sheridan et al., « Role of Community Pharmacies in Relation to HIV Prevention and Drug Misuse: Findings from the 1995 National Survey in England and Wales », BMJ (Clinical Research

Ed.) 313, no 7052 (1996): 272‑74. 254

Gilchrist et al., « Staff Regard towards Working with Substance Users ». op.cit.

255 Riitta Lappalainen-Lehto, Kaija Seppä, et Isto Nordback, « Cutting down Substance Abuse--Present State and Visions among Surgeons and Nurses », Addictive Behaviors 30, no 5 (2005): 1013 ‑18, doi:10.1016/j.addbeh.2004.09.002.

256 Jacka et al., « Attitudes and Practices of General Practitioners Training to Work with Drug-Using Patients ».

257 Joanne Neale, Charlotte Tompkins, et Laura Sheard, « Barriers to Accessing Generic Health and Social Care Services: A Qualitative Study of Injecting Drug Users », Health & Social Care in the

Community 16, no 2 (2008): 147‑54, doi:10.1111/j.1365-2524.2007.00739.x.

258 Alex Baldacchino et al., « Guilty until Proven Innocent: A Qualitative Study of the Management of Chronic Non-Cancer Pain among Patients with a History of Substance Abuse », Addictive