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Les approches cognitivo-comportementales ont pour objet l’action directe sur le comportement problématique, en l’occurrence, l’addiction. Elles s’inspirent des sciences cognitives et notamment de leurs applications dans le domaine des systèmes d’information et de l’intelligence artificielle. Dans cette perspective, la pensée est modélisée et divisée en schèmes de cognition, ces schèmes déterminant des comportements. Les premières approches du début du 20ème siècle, purement comportementales, se basaient sur les travaux d’Ivan Pavlov ou de John Watson et sur la notion de conditionnement classique. À partir du constat d’un apprentissage conditionné d’un comportement, on pouvait développer des pratiques de déconditionnement pour le « désapprendre ». Les modèles se sont ensuite considérablement enrichis des travaux sur la psychologie cognitive. On ne s’intéresse alors plus uniquement aux comportements mais aux déterminants cognitifs de ceux-ci : quelles sont les cognitions qui provoquent le comportement et celles qui l’inhibent ? L’enjeu de la thérapie cognitivo-comportementale sera donc d’agir par différents moyens pour soutenir et développer les cognitions favorables à l’arrêt du comportement et affaiblir celles qui le provoquent. Comme le souligne Alain Morel et al.105 : « La thérapie va donc viser à réduire les comportements d’échec en modifiant les pensées et les croyances inadaptées, et en enseignant des techniques de contrôle » (p.170).

Les programmes les plus fréquemment utilisés aujourd’hui reposent sur le modèle de l’apprentissage cognitif. Comme l’explique Henri-Jean Aubin106 :

Les théories de l’apprentissage cognitif sont centrées sur le rôle de la compréhension. La personne exécute des opérations mentales et stocke du matériel d’information dans sa mémoire, qui pourra être recherché et extrait

105 Morel, Hervé, et Fontaine, Soigner les toxicomanes. op.cit. 106

Henri-Jean Aubin, « Modèles cognitivo-comportementaux des addictions », in Traité

quelque temps plus tard. La cognition implique une compréhension de la connexion entre la cause et l’effet, entre l’action et ces conséquences. (p.76) C’est donc au niveau de la compréhension de cette connexion que se situe le défaut à traiter. Cette compréhension repose effectivement sur de croyances plus ou moins rationnelles. Concernant les addictions, le psychiatre américain Aaron Beck107 a proposé une modélisation du cycle cognitivo-comportemental renforçant la conduite de dépendance. Selon cet auteur, les personnes addictées ont certaines particularités prédisposantes avec notamment une sensibilité exagérée aux émotions négatives (tristesse, anxiété, colère, déception…). Un stimulus interne ou externe rapidement pénible, une émotion négative par exemple ou une dispute avec un ami, va ainsi solliciter certaines croyances chez l’individu. Par exemple : « on se sent moins triste avec un shoot ». Cette croyance va provoquer une pensée automatique du type « un shoot me fera du bien » qui à son tour déclenchera une envie intense de consommer. Interviennent alors de croyances permissives : « je le mérite bien », « juste une fois »… Le comportement de recherche du produit débute alors et abouti à l’intoxication qui soulagera l’individu jusqu’à la survenue d’un nouveau stimulus.

D’autres travaux comme ceux de Gordon Marlatt modélisent des situations plus directement appliquées au cadre de soin. Ce psychologue de l’université de Washington a développé un modèle de prévention des rechutes. Face à une situation qui l’incite à consommer sa substance d’addiction, l’individu en cours de traitement peut avoir appris, ou non, à gérer efficacement le risque. Dans le cas où il parvient à éviter la consommation, il aura un sentiment d’efficacité personnelle accru, ce qui réduit les risques de rechute ultérieurs. En revanche, une incapacité à gérer la situation va lui donner le sentiment de ne pas être efficace et va engager un cycle de croyances et d’attentes sur le mode de celui de Beck et va aboutir à une nouvelle consommation. Cette rupture de l’abstinence risque alors de conduire à une nouvelle répétition compulsive des conduites addictives. Marlatt108 propose donc au thérapeute d’intervenir à différents niveaux et selon différentes stratégies pour prévenir le risque de rechute.

107 Aaron T. Beck et al., Cognitive Therapy of Substance Abuse (New York: Guilford Press, 1993). 108

Gordon A. Marlatt et Judith Gordon, Relapse Prevention: Maintenance Strategies in the

Propositions thérapeutiques

Dans le cadre de ce paradigme du soin des addictions, les propositions thérapeutiques sont plus complexes que dans d’autres disciplines anatomo-cliniques. Elles doivent effectivement combiner action pharmacologique sur le fonctionnement cérébral et modification des cognitions et comportements du patient.

Au plan pharmacologique, les médicaments utilisés agissent directement sur les récepteurs sollicités par les substances d’addiction ou sur le système dopaminergique. Certains d’entre eux ont été testés et développés à partir des enseignements tirés du modèle neurophysiologique de l’addiction, d’autres sont de « découverte » fortuite. L’objectif de la médication consiste, selon différentes stratégies, en une diminution de l’appétence à consommer et/ou une aide au maintien de l’abstinence. Cette dernière demeure ainsi un horizon du soin dans ce paradigme109. Certains médicaments sont parfois utilisés de manière transversale dans tous les types d’addiction comme la naltrexone (Révia®) ou sont plus spécifiquement adaptés à certaines substances : l’alcool avec l’acamprosate (Aotal®) ou le disulfirame (Espéral®) et le tabac avec le bupropion (Zyban®) et la varénicline (Champix®). La prise en charge médicale vise également à réduire les symptômes du sevrage lorsqu’il est réalisé. La plupart de médicaments utilisés dans ce cadre sont des psychotropes (benzodiazépines et neuroleptiques), des anticonvulsivants et de légers antalgiques. La recherche se porte sur de nouvelles molécules qui sont attendues prochainement mais également sur des « vaccins » et des dispositifs implantables permettant d’avoir une action plus durable.

Parallèlement, de nombreux programmes de thérapies cognitives et comportementales ont été développés. Dans le champ des addictions, il existe différentes techniques qui peuvent être utilisées isolément ou en association, en individuel ou en groupe.

L’entrainement aux compétences de coping apprend à la personne à « faire face ». Les programmes sont standardisés et séquencés et reposent sur des recommandations, des exercices ou des jeux de rôles. Ils portent sur la prévention

109 Il nous semble pour cette raison que l’approche pharmacologique qui consiste en une substitution, c’est-à-dire un déplacement de la dépendance d’un objet toxique et potentiellement illicite à un médicament prescrit et évalué scientifiquement n’entre pas dans ce paradigme.

des rechutes et la gestion des situations à risque, sur les compétences sociales et la gestion des émotions négatives. Les thérapies d’exposition mettent l’individu, accompagné du thérapeute, en présence de son objet d’addiction et parfois dans ses circonstances habituelles de consommation, cette consommation lui étant interdite. L’objectif est de lui faire éprouver un désir intense de la substance tout en l’aidant à être conscient de ses cognitions et de lui permettre de constater que ce désir s’affaiblit puis disparaît naturellement. La technique de management des

contingences s’adresse essentiellement au niveau comportemental puisqu’il s’agit

de récompenser les évitements de la consommation et de punir les rechutes. Dans certains programmes, ces récompenses et punitions sont symboliques (jetons de couleur par exemple), dans d’autres elles sont réelles (attribution ou retrait d’une aide financière, maintien ou diminution d’un traitement de substitution…).

Inscription institutionnelle

Assez logiquement, le lieu emblématique du paradigme anatomo-clinique est l’hôpital. Mais il a une influence importante dans toutes les structures où un médecin exerce ainsi qu’en médecine de ville. De nombreux services hospitaliers d’addictologie existent en France. Ils réalisent un travail de liaison auprès des autres services environnants où ils rencontrent des patients présentant des addictions pour les évaluer, les traiter, les orienter et répondre aux problèmes de équipes et proposent des consultations spécialisées. Mais leur activité centrale est l’hospitalisation de patients addictés pour des sevrages réalisés en une à deux semaines ou pour des « soins de suite », le patient séjournant alors plus longtemps. Ils organisent également des « hôpitaux de jour » qui peuvent accompagner quelques temps les patients à leur sortie. Les soins délivrés sont très diversifiés mais structurés généralement autour de la pris en charge médicale. Les équipes sont constituées essentiellement de médecins, d’infirmières, de psychologues et d’aides-soignants mais comptent également des assistants sociaux, des éducateurs sportifs, des ergothérapeutes ou des psychomotriciens.

2.3. Le paradigme psychodynamique

La catégorie « psychodynamique » regroupe les approches psychologiques « des profondeurs ». Elles ont en commun une approche herméneutique, une quête de sens et une compréhension des fonctionnements psychiques en termes de dynamique vitale. Contrairement aux approches naturalistes qui tendent à fixer l’expérience existentielle dans son socle biologique, elles décrivent l’Homme en termes de mouvements psychiques et de développements psycho-affectifs et comportementaux. Aujourd’hui, la psychodynamique regroupe essentiellement la psychanalyse et la psychologie systémique.