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La substance relative au droit à un procès équitable (article 6 CEDH)

Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

C) La substance relative au droit à un procès équitable (article 6 CEDH)

157. UN CONSTAT GENERAL INATTENDU. Clore ce panel des terrains d’identification privilégiée avec l’article 6 peut paraître étonnant. Domaine le plus prolifique en ce qui concerne la protection de la substance du droit, en général, tout particulièrement au titre du droit à un tribunal, l’enquête empirique de la substance spécifique à ce droit offre néanmoins de maigres résultats. Il en découle, d’une part, que ce terrain donnerait principalement lieu à une expression de la protection de la substance, sans nous instruire sur la substance elle-même360. D’autre part, il faut dès à présent noter que les manifestations d’identification observables dans ce domaine sont majoritairement d’ordre ponctuel, et donc de portée moindre.

158. L’EXCEPTION DU DROIT DE NE PAS SAUTO-INCRIMINER. Malgré ce tableau paradoxal, et peu encourageant, un contentieux semble notamment pouvoir retenir notre attention au titre de l’article 6, paragraphe 1361 : il s’agit du droit de ne pas s’auto-incriminer ou droit de se

358 Assorti d’une obligation – négative ou positive (comme dans le cas de l’article 5, paragraphe 3 ; voir, à cet égard, O.DE FROUVILLE, L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international…, op. cit., p. 165) – à la charge des Etats contractants.

359 S.VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l’homme…, op. cit., p. 468.

360 Pourtant, comme le remarque spécifiquement LaureMILANO, « si le principe de subsidiarité induit une

logique de décentralisation, il faut admettre qu’il revient aux instances européennes, dans un souci à la fois d’interprétation uniforme de la Convention et d’effectivité des droits garantis, de définir ce qui relève du domaine de l’intangibilité du droit d’accès à un tribunal » (L.MILANO, Le droit à un tribunal au sens de la

Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 209). Or, malgré les atermoiements et non-dits de la

jurisprudence conventionnelle, « on pressent bien », selon l’auteur, « le contenu de cette substance » du droit à un tribunal, citant à cet égard une série d’exigences ou principes reconnus par la Cour (ibid, p. 228).

361 Signalons, par ailleurs, l’apport de la jurisprudence Crisan c/ Roumanie (27 mai 2003, req. n° 42930/98, § 29 ; aux suites directes limitées : Cour EDH, 16 septembre 2003, Glod c/ Roumanie, req. n°41134/98, § 39 ; Cour EDH, 12 juillet 2007, Hauler c/ Roumanie, req. n° 67703/01, § 36 ; Cour EDH, 1er avril 2008, Valentin

Dumitrescu c/ Roumanie, req. n° 36820/02, §§ 52-53 ; Cour EDH, 29 avril 2008, Stancu c/ Roumanie, req. n°

30390/02, § 28 ; Cour EDH, 27 octobre 2009, Haralambie c/ Roumanie, req. n° 21737/03, § 54) quant à la plausible (et indirecte) identification de la substance du droit à un tribunal dans la possibilité ou droit d’obtenir

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4<356C BJ =4 E< >AP >4<=?6 6>4C Q I56G3R56 VA6C 3B6ntifiée avec une certaine systématicité. La prochaine analyse vise donc à mettre en lumière cette hypothèse (1), et à en éprouver les limites (2).

1) L’hypothèse d’identification

159. L’APPORT SINGULIER DE LARRET DE PRINCIPE HEANEY ET MCGUINNESS. La Cour européenne a extrait de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention le droit de ne pas s’auto-incriminer ou droit de se taire, de garder le silence, au sein de l’arrêt Funke c/ France, du 25 février 1993362. Elle a par la suite étendu l’idée de substance du droit à ce domaine, à l’occasion de l’arrêt Heaney et McGuinness363. Dans cette affaire, renvoyant une nouvelle fois au contexte d’actions terroristes supposément attribuées à l’IRA, les requérants avaient été arrêtés et placés en garde à vue suite à une explosion au poste de contrôle de l’armée britannique en vertu de la loi britannique de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l’Etat. Ils alléguaient que l'article 52 de cette loi méconnaissait leurs droits de garder le silence et de ne pas s'auto-incriminer garantis par l'article 6, paragraphe 1 de la Convention. Par deux paragraphes distincts, la Cour semble alors avoir précisé sa conception de la substance du droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. Ainsi, elle a estimé, au commencement de son contrôle, que « (…) ces garanties [celles offertes, selon le Gouvernement, aux personnes dans la situation des requérants], aussi importantes soient-elles, ne présenteraient un intérêt pour les griefs formulés en l'espèce que si elles permettaient de réduire effectivement et de manière suffisante le degré de coercition imposé par l'article 52 de la loi de 1939 de sorte que cette disposition ne porterait pas atteinte à la substance des droits en question. »364 (Nous soulignons). Ou encore, plus avancé dans l’examen, aboutissant à la conclusion « que le « degré de coercition » qu'a fait peser sur les

un contrôle ultérieur de la décision d’autorités administratives ne constituant pas un « tribunal », au sens de l’article 6, paragraphe 1, par un organe judiciaire de pleine juridiction (l’espèce concernant le refus des tribunaux de contrôler la légalité de décisions d’une Commission relatives aux droits du requérant découlant de son statut de personne persécutée). Bien que ladite jurisprudence puisse également être lue par le prisme de la non-identification combinée (voir infra, note n° 413).

362 Cour EDH, 25 février 1993, Funke c/ France, req. n° 10828/84, A256-A, § 44.

363 Cour EDH, Heaney et McGuinness c/ Irlande précité (note n° 243) ; voir, avant celui-ci, la très intéressante – à double titre – opinion concordante du juge MORENILLA sous Cour EDH, Gde ch., 17 décembre 1996, Saunders

c/ Royaume-Uni, req. n° 19187/91, Recueil 1996-VI, qui, d’une part, introduit pour la première fois la notion

d’atteinte à la substance du droit à l’égard du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, et d’autre part, affirme que « le simple fait que lesdites déclarations avaient été obtenues sous la contrainte et qu’elles étaient

considérées par l’accusation comme compromettantes et donc capables de renforcer son dossier aurait dû suffire à les faire exclure au procès », laissant donc suggérer une relation directe de la substance du droit avec la

coercition à l’égard des déclaration de la personne détenue.

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È©ËeÈÎ ®«É ÌrÎ ýý̬ªÎ « ¬­® Ç© ÌrÎÈ « ¬ªÌ© Ç© ÌÎ Ì­¬Ç© ¯YZY en vue de les contraindre à fournir des informations relatives aux accusations portées contre eux en vertu de cette même loi a en fait porté atteinte à la substance même de leur droit de ne pas contribuer à leur propre incrimination et leur droit de garder le silence. » 365 (Nous soulignons). Il semble ressortir de ces deux passages que la Cour européenne rapproche la substance même du droit de ne pas s’auto-incriminer et de se taire de la faible coercition exercée par les autorités sur l’individu « accusé » au sens de l’article 6 de la Convention366. A contrario et sous un angle positif, on peut supposer que le juge européen discerne la substance dans la pleine liberté de choix d’expression d’un individu à l’égard de faits accusatoires.

Il faut remarquer que la notion de coercition avait déjà été employée par le juge européen dans son arrêt de Grande chambre John Murray c/ Royaume-Uni367, du 8 février 1996, en tant qu’élément entrant dans le contrôle relatif audit droit. Cette appréhension de la notion de coercition ressort également de l’arrêt Allan c/ Royaume-Uni368, du 5 novembre 2002, relatif à l'usage de dispositifs d'enregistrement audio ou vidéo, notamment secrets, constitutifs de preuves employées au procès du requérant. Toutefois, la Cour a ici rattaché directement ladite notion à la substance en cause, notant que « pour rechercher si une procédure a anéanti la substance même du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le degré de la coercition, l'existence de garanties appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus (…) » (Nous soulignons). De cette dernière citation découlent également, de façon éclatante, les motifs des limites à l’hypothèse proposée.

365 Cour EDH, Heaney et Mcguinness c/ Irlande précité, § 55.

366 On trouve également dans la jurisprudence européenne relative à ce contentieux l’expression de « coercition

abusive », depuis l’arrêt de Grande chambre, John Murray c/ Royaume-Uni (8 février 1996, req. n° 18731/91,

Recueil 1996-I, §§ 45-46 ; GACEDH, 7e éd., n° 35, pp. 412-420). Le lien entre celle-ci (ou plus précisément, la protection contre la coercition abusive) et la substance du droit en cause ne semble toutefois pas certain, les deux notions n’étant jamais mises en relation en tant que telles. Néanmoins, la Cour a précisé que la protection contre la coercition abusive constitue l’un des buts du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence (voir, Cour EDH, 16 juin 2015, Schmid-Laffer c/ Suisse, req. n° 41269/08, § 37).

367 Cour EDH, Gde ch., John Murray c/ Royaume-Uni précité, notamment §§ 47 ; 49. Il est intéressant de noter que la Cour y a réinterprété la jurisprudence Funke c/ France précitée (note n° 362), avançant au paragraphe 49 avoir, dans l’arrêt Funke, jugé « en pratique incompatible avec l’article 6 (art. 6) ce degré de coercition

puisqu’il vidait de son sens l’interdiction de contribuer à sa propre incrimination » (nous soulignons).

– Signalons, par ailleurs, que la mise en relation de la notion de coercition avec celle à l’étude est fréquente dans la jurisprudence de Strasbourg, comme les terrains des articles 11 ou 9 de la CEDH en donneront notamment exemple.

368 Cour EDH, 5 novembre 2002, Allan c/ Royaume-Uni, req. n° 48539/99, Recueil des arrêts et décisions 2002-IX, § 44.

88[ 7\Les limites de l’hypothèse

160. LA RELATIVISATION DE LA SUBSTANCE DU DROIT IDENTIFIEE. Le juge européen, s’il assimile explicitement l’absence de coercition et la substance du droit en cause, réduit également la notion de coercition à ne constituer qu’un élément parmi d’autres de contrôle du respect de ladite substance, relativisant subséquemment la force de l’hypothèse posée. Certes, il resterait encore possible d’y voir un élément majeur du contrôle. Or, le juge de Strasbourg s’est par la suite employé à démentir ouvertement toute conception absolue de la substance – ou même de sa protection – liée à la notion de coercition. Dans l’arrêt de Grande chambre O’Halloran et Francis c/ Royaume-Uni369, du 29 juin 2007, s’agissant de l’obligation pour le propriétaire d’un véhicule d’aider à l’identification du conducteur en cas d’allégation d’infraction au code de la route, la Cour a clairement affirmé – contrairement à ce que soutenaient les requérants – qu’elle n’avait jamais établi une interdiction absolue de la coercition directe à l’égard du droit de se taire et de ne pas s’auto-incriminer, susceptible d’entrainer automatiquement la violation. Ainsi, « la définition de cette notion [de procès équitable] ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais est au contraire fonction des circonstances propres à chaque affaire. Cette conception a été confirmée dans le cas particulier du droit de garder le silence dans l’affaire Heaney et McGuinness et, plus récemment, dans l’affaire Jalloh, où la Cour a cité les facteurs auxquels elle entendait se référer pour déterminer s’il y avait eu violation du droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination » (nous soulignons).

Il faut en déduire la récusation de l’hypothèse d’une substance identifiée en tant que telle, le juge européen embrassant dans le domaine en cause une vision toute relative des éléments d’examen de la restriction. C’est pourquoi la notion de coercition n’intervient que comme un critère, un outil parmi d’autres dans le contrôle d’espèce. Notons que le ver se trouvait certainement dans le fruit dès l’origine, l’arrêt Heaney et McGuinness370 faisant référence au « degré » de coercition, qui ne saurait évoquer un critère absolu.

161. BILAN DE LANALYSE. A mesure que l’on précise et approfondit l’analyse de la jurisprudence en cause, les hypothèses de substances spécifiquement et durablement identifiées s’obscurcissent, voire se dissipent371. Particulièrement, la mise en évidence répétée

369 Cour EDH, Gde ch., O’Halloran et Francis c/ Royaume-Uni précité (note n° 327), § 53.

370 Cour EDH, Heaney et McGuinness c/ Irlande précité (note n° 243), §§ 51 ; 55.

371 Ce constat est partagé, et même accentué, par ElodieBALLOT (Les insuffisances de la notion de droits

fondamentaux, op. cit., pp. 453-458). Bien que la démarche suivie par cette dernière ait tendance à mêler

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dénonce « la ausencia de una fijación o delimitación del contenido del derecho con carácter previo a las intervenciones que se llevan a cabo en su ámbito constitucionalmente protegido ». Ainsi, il convient d’inscrire nos conclusions dans la difficulté, dépassant l’horizon du juge de Strasbourg, d’identifier spécifiquement la substance, aux causes plus ou moins volontaires375.

Cela dit, revenant directement au sujet d’étude, deux remarques doivent être apportées. En premier lieu, nonobstant l’observation d’une concordance entre la substance prétoriennement identifiée et le contenu global du droit en cause, il resterait permis de considérer que cette substance correspond à la synthèse dudit droit, au sens d’un résumé fondamental de l’ensemble. En second lieu, après nous être concentrés sur la recherche de cas d’identification privilégiée, censée fournir les exemples les plus probants de substances propres à un droit, il faut à présent se tourner vers la forme majoritaire d’identification, dite ponctuelle. Ces substances « d’espèce », sans avoir l’envergure des premières examinées, peuvent éventuellement nous éclairer sur la réalité pratique de cette notion.

(limitée aux terrains des articles 12, 6, 3 du Protocole n° 1, et 1 du Protocole n° 1) et établie a priori aboutit à un résultat nul.

372 Pour de rares exemples contraires, voir supra, notes n° 101 à 106 ; et complémentairement, les arrêts espagnol STC 196/1987, 11 décembre 1987 (BOE nº 7 du 8 janvier 1988), fondements juridiques 4, 5, 6 et suisse ATF 106 Ia 277 (281), 30 septembre 1980, relatif à la personnalité ou psychisme du détenu (le domaine de la liberté personnelle paraissant particulièrement privilégié).

373 J.-P.MÜLLER (dir.), Éléments pour une théorie suisse des droits fondamentaux,op. cit., p. 159.

374 A. ABA CATOIRA, « El concepto jurisprudencial de limite de los derechos fundamentales », Anuario da

Facultade de Dereito da Universidade da Coruña, 1998, n° 2, pp. 25-27.

375 Voir supra, les propos finaux du Chapitre 1, Titre 1 ; également, l’analyse générale et synthétique de E. BALLOT, Les insuffisances de la notion de droits fondamentaux, op. cit., pp. 441-444.

87 8 § II. De multiples cas d’identification ponctuelle

162. DES MANIFESTATIONS EPARSES ET MOMENTANEES DE SUBSTANCES. Au-delà des cas relativement restreints (et finalement limités) d’identification durable de substances spécifiques à des droits, doivent être présentées des substances dites d’espèce. Leur portée est moindre puisque la mention de la substance ne s’en voit pas réitérée et ne donne lieu à aucun « précédent » pérenne. Notons, également, que la force de ladite découverte est dans une certaine mesure corrélée à la forme d’identification. Or, les substances visées ici résultent principalement de la déduction de formulations négatives et/ou indirectes du juge européen, aux sens pré-définis. Inévitablement, le recours à des filtres en vue de mettre à jour les cas d’identification trahit l’écart qui se creuse avec la conception absolue. Dès lors, il faut mettre en garde quant à l’authenticité de l’identification de ces substances ponctuelles, qui pourraient bien ne pas en être, avant d’entamer l’analyse.

Celle-ci s’ordonne autour de deux groupes de droits : il convient de distinguer des manifestations principales de substances d’espèce (A), émanant d’un terrain associé in globo à la conception absolue, et d’autres subsidiaires (B), dans le cadre de droits par principe exclus du développement d’une telle théorie.

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