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Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

B) Des illustrations douteuses

275. UN DOUBLE ANGLE DHYPOTHESE. L’observation des autres illustrations prétoriennes, largement évasives et potentielles, de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit « appliquée » conduit à l’émergence de deux hypothèses distinctes : selon un angle positif tout d’abord, il est envisageable, pour un nombre d’affaires donné, de dégager l’idée d’une primitivité implicite du contrôle de ladite interdiction (1) ; cela étant dit, il parait également possible, selon un angle négatif, d’interpréter tout ou partie de ces exemples à la lumière de la notion d’injustifié d’espèce (2).

1) L’hypothèse positive d’une primitivité du test d’interdiction d’atteinte à la substance du droit

276. UNE PRIMITIVITE PLAUSIBLE. Certains cas, particulièrement sur le terrain de l’article 6 de la Convention, permettraient d’imaginer la mise en œuvre appropriée de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit absolue, tout en s’entourant de nombreuses absences et freins. Ils ont en commun le constat final d’atteinte à la substance, sans que la nature du contrôle généralement effectué n’apparaisse visiblement ; au-delà, une part ne fait directement référence à l’interdiction d’atteinte à la substance qu’en solution504, et d’autres sont aussi

504 Voir, en exemples, Cour EDH, Beneficio Cappella Paolini c/ Saint-Marin précité (note n° 329), § 29 ; Cour EDH, Crisan c/ Roumanie précité (note n° 361), § 29 ; Cour EDH, Blandeau c/ France précité (note n° 376), § 32.

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G<5‡ués par un rappel sur le plan des principes applicables505. Procèdent-ils d’un examen implicite au titre de l’interdiction d’atteinte à la substance, comme première et dernière condition, au résultat positif ? Plusieurs indications discréditent un tel postulat. Tout d’abord, la concordance des cas principalement visés avec une absence de marque d’identification de la substance506, sans être rédhibitoire, interroge. En outre, soulignons qu’une partie des arrêts en cause présente la forme d’énonciation d’un principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit unique, considérée suspecte.

Sur d’autres terrains d’occurrence507, on peut réévoquer la décision d’irrecevabilité Benkaddour508, relative à une interdiction de vote successive à l’absence de demande par le requérant de radiation du centre consulaire et d’inscription sur les listes électorales européennes de sa Commune de résidence dans le délai réglementaire. Cette décision semble témoigner, après le renvoi au modèle Mathieu-Mohin et Clerfayt509, d’un examen dans l’ordre adéquat des conditions aux restrictions envers le droit à des élections libres, à commencer par celle d’interdiction d’atteinte à la substance du droit. Soulignant que « l’obligation de respecter, dans le délai réglementaire, les formalités de radiation puis d’inscription sur une nouvelle liste, ne réduisait pas les droits du requérant au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité », la Cour a pu prolonger son contrôle à l’égard du but légitime, et conclure à l’absence de disproportion des mesures litigieuses s’inscrivant dans la marge d’appréciation française. Cela dit, le caractère succinct de l’appréciation, une fois l’atteinte à la substance du droit écartée, invite à considérer la confusion des éléments du contrôle en faveur de la proportionnalité (complétée par la légitimité), au détriment d’un authentique examen du principe qui nous intéresse.

277. UNE PRIMITIVITE MALMENEE.D’autres espèces inviteraient elles aussi à être, dans une certaine mesure, perçues comme s’inscrivant dans l’approche absolue de la protection, bien qu’elles marquent des entorses à la règle de priorité fondamentale. Deux exemples peuvent en particulier être invoqués, concernant spécifiquement le droit à un tribunal. L’arrêt Ashingdane510 pour commencer, modèle fondateur sur le plan des principes, suscite des questionnements quant à la mise en œuvre de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit à

505 Voir, en guise d’exemples, Cour EDH, Philis c/ Grèce précité (note n° 377), §§ 59 ; 65 ; Cour EDH, Eglise

catholique de la Canée c/ Grèce précité (note n° 318), §§ 38 ; 41-42 ; et récemment, Cour EDH, 10 janvier 2017, Aparicio Navarro Reverter et García San Miguel y Orueta c/ Espagne, req. n° 39433/11, §§ 35 ; 38 ; 40.

506 Voir supra, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §II, A), 1) et 2) notamment.

507 Voir, éventuellement, quant à l’article 12 CEDH, Com. EDH, (déc. recev.), Hamer c/ Royaume-Uni précité (note n° 429), § 8.

508 Cour EDH, (déc. irrecev.), Benkaddour c/ France précité (note n° 240).

509 Voir supra, n° 233.

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D’une autre manière, l’arrêt Nedzela512, relatif au recours en appel contre une condamnation pour recel de favoritisme, montre une altération pratique du modèle Ashingdane. Après en avoir rappelé par deux fois la forme principielle et opéré un contrôle que l’on peut qualifier de neutre ou inexplicite, le juge européen a conclu de la façon suivante : « le fait que les personnes condamnées en première instance pour délit de favoritisme n’ont pas fait appel du jugement les ayant déclarées coupables de ce chef n’a pas eu, concrètement, pour effet de limiter le droit d’accès du requérant (condamné pour recel de favoritisme) au juge d’appel, puis au juge de cassation, d’une façon disproportionnée, ni, à plus forte raison, d’atteindre ce droit dans sa substance même »513 (nous soulignons). S’il ressort de cette solution une distinction expresse entre l’interdiction d’atteinte à la substance et la proportionnalité, en termes de gradation de l’atteinte, la Cour de Strasbourg déçoit à ne pas respecter explicitement l’ordre reconnu d’examen. Une telle pratique génère inévitablement un sentiment d’ambiguïté quant à l’approche prétorienne déployée.

278. Or, nonobstant la volonté de lire dans les illustrations précédentes l’émanation –

maladroite – d’une conception absolue, il semble que celles-ci soient, en réalité, assimilables à un constat de disproportion à l’esprit du juge européen.

2) L’hypothèse négative d’un injustifié d’espèce

279. DEFINITION DE LINJUSTIFIE DESPECE. L’analyse de la mise en œuvre de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, au sens absolu, suppose de signaler dès à présent les équivocités qui en entourent la plupart des manifestations. Ainsi, des cas présentés comme des illustrations vraisemblables semblent pouvoir recouvrir une autre réalité, mélangée. Cette seconde interprétation s’appuie sur la notion d’injustifié d’espèce, émise par Sébastien VAN

511 Cour EDH, Ashingdane c/ Royaume-Uni précité, § 59.

512 Cour EDH, Nedzela c/ France précité (note n° 235), §§ 45-58.

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DROOGHENBROECK, et s’oppose à l’injustifiable en soi514 en ce que « rien n’exclut a priori que le même acte ou la même omission, mis au service d’un autre but, puisse à l’avenir résister à l’examen de proportionnalité »515. Plus précisément, il s’agirait pour nous de suggérer l’hypothèse d’un « recouvrement partiel de la proportionnalité et de l’intangibilité de la substance »516. S’appuyant sur le constat que toute atteinte à la substance peut être considérée comme disproportionnée, la première revient de fait à la seconde. Autrement dit, « l’injustifiable en soi est nécessairement voué à être un injustifié en l’espèce »517. Et l’injustifié d’espèce est pleinement lié aux données (intérêts et contraintes distincts) du cas ; la gravité de l’atteinte étant si importante, et ne se voyant pas suffisamment justifiée par les motifs étatiques, que la substance du droit est affectée.

280. UNE IRRADIATION LATENTE DE LA JURISPRUDENCE. Ainsi, la plupart des arrêts examinés dans la sous-partie ci-dessus sont susceptibles de s’inscrire dans cette idée518, tel l’arrêt Philis519, établissant l’atteinte à la substance du droit à un tribunal du requérant, dont les droits d’action avaient été subrogés par la Chambre technique grecque (T.E.E.) propre aux ingénieurs, « que nul recours offert par le droit grec ne pouvait effacer ». Il s’en dégage l’idée de compensation du grief affectant le requérant, inhérent à la mesure de subrogation des droits d’action en justice des ingénieurs par la T.E.E. On imagine que la solution aurait été différente si un ou des recours parallèles avaient été ouverts, nonobstant la subrogation. De manière similaire, il paraît envisageable d’interpréter la solution de l’arrêt Eglise catholique de la Canée520, comme signifiant que la décision constatant l’incapacité de l’Eglise requérante d’ester en justice ne pouvait en l’espèce être justifiée par l’argumentaire gouvernemental de « simple formalité nécessaire à la protection de l’ordre public ». Par ailleurs, en évoquant

514 L’auteur résume la distinction entre les deux notions de la façon suivante : « avant même de se demander si

tel ou tel but particulier pourrait justifier une action ou une omission, il semble normal de s’assurer que celle-ci pourrait être justifiée par quelque but que ce soit » (S.VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le

droit de la Convention européenne des droits de l’homme…, op. cit., p. 357).

515Ibid., p. 352.

516 Ibid., p. 362. Voir, en parallèle, la thèse de l’absolutisme pragmatique, développée infra, Partie 2, Titre 1,

Chapitre 2, Section 1.

517 Ibid., p. 363.

518 – La question se pose également quant à la ligne jurisprudentielle Heaney et McGuinness c/ Irlande précité (note n° 243) (voir notamment § 58 de l’arrêt ; aussi, supra, n° 160) : ne doit-on plutôt lire, derrière l’affirmation que les préoccupations de sécurité publique ne « sauraient justifier » l’atteinte à la substance du droit de garder le silence et ne pas s’auto-incriminer, un constat d’insuffisance dans cette affaire des buts légitimes invoqués face à la gravité de l’atteinte ?

– Notons aussi que selon les requérants de l’affaire Ahmed et autres précité (note ° 423), § 73, les restrictions sur le plan politique des fonctionnaires locaux portent atteinte à la substance du droit à des élections libres en ce qu’elles ne sont pas justifiées en l’espèce.

519 Cour EDH, Philis c/ Grèce précité (note n° 377), § 65.

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Ÿ³³Ÿ–”‘ Platakou521 dans laquelle elle avait procédé à une assimilation entre atteinte à la substance du droit et disproportion basée sur l’absence de responsabilité de la requérante dans la situation litigieuse, la Cour suggère dans l’arrêt Blandeau522 que la sanction d’une absence de notification des trois ordonnances (et non seulement d’une) rendues par le Conseil d’Etat à la requérante manquait d’explication. Enfin, on peut évoquer complémentairement l’arrêt Düzova523, relatif à la mesure de mise sous tutelle automatique de personnes majeures condamnées pour au moins un an, dans lequel le juge de Strasbourg a reconnu que la finalité poursuivie par une telle mesure n’était pas satisfaite et conclu à l’atteinte à la substance du droit à un tribunal, puisque le requérant, cherchant la réparation de préjudices subis durant sa détention, « pouvait (…) légitimement vouloir s’adresser à une juridiction »524.

281. En considérant des exemples de l’interdiction d’atteinte à la substance « appliquée »

générateurs de doute, le dernier angle d’analyse permet aussi d’éclairer l’existence de limites générales et récurrentes à la mise en œuvre à l’espèce de ladite interdiction.

§ II. Des limites flagrantes

282. UNE CONTRADICTION DE LOGIQUE JURIDIQUE. Alors que le principe même d’interdiction d’atteinte à la substance du droit bénéficie d’un véritable ancrage au sein de la jurisprudence de la Cour, par des manifestations relativement constantes sur des terrains spécifiques de garantie, le contrôle en reste fréquemment évanescent. Il se dégage ainsi une majorité de cas qui ne renvoient pas à la notion sur le terrain de l’application des principes à l’espèce (A), voire attestant, par contre, d’un recours visible à d’autres instruments de contrôle (B).

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