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La substance relative au droit à la liberté et à la sûreté (article 5 CEDH)

Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

B) La substance relative au droit à la liberté et à la sûreté (article 5 CEDH)

148. DES GARANTIES DIVERSES. L’article 5 de la Convention, qui érige le droit à la liberté et à la sûreté, est de facture complexe et précise. S’il ne prévoit, pas davantage que la clause de l’article 3 du Protocole n° 1, de restrictions semblables à celles rencontrées aux seconds paragraphes des articles 8 à 11 de la Convention, il encadre limitativement la privation dudit droit, énumérant les hypothèses visées. Dès lors, un certain nombre de garanties ou sous-droits est compris dans l’enveloppe générale de la clause de l’article 5. Aussi, il convient de tenir compte de cette autonomie lors de la présentation de l’hypothèse d’une identification spécifique (1) de la substance quant au droit à la liberté et à la sûreté, avant de mettre en exergue les limites de cette dernière (2).

1) L’hypothèse d’identification

149. DES SUBSTANCES DIVERSES. Il convient d’exposer les terrains prévus par la clause de l’article 5, et concernés par notre objet de recherche, selon un ordre chronologique de « découverte » de substances : ainsi, le paragraphe 4 (a), puis le paragraphe 3 (b), et enfin le paragraphe 1, littera c) (c) de l’article.

a) Le développement de l’hypothèse sur le terrain du 4ème paragraphe de l’article 5

150. L’APPORT PIONNIER MAIS RESTREINT DE LARRET DE PRINCIPE WINTERWERP. Si la Cour européenne des droits de l’homme a tout d’abord mentionné la substance du droit sur le terrain de l’article 5, paragraphe 4, qui prévoit le droit à ce qu’un tribunal juge de la régularité de la privation de liberté, au sein de l’arrêt Winterwerp345, cette découverte pouvait sembler à certains égards essentiellement abstraite et ponctuelle. Rappelons que dans cette affaire, il

344 Cour EDH, Gde ch., 8 juillet 2008, Yumak et Sadak c/ Turquie, req. n° 10226/03, Recueil des arrêts et décisions 2008, § 118 ; note M.LEVINET, RFDC, 2009, n° 78, pp. 423-430 ; chron. F. SUDRE, JCP G, 2009, I, 104, p. 32. Voir également, à titre d’exemples, Cour EDH, 10 mai 2012, Ozgurluk Ve Dayanisma Partisi (ODP)

c/ Turquie, req. n° 7819/03, Recueil des arrêts et décisions 2012, §§ 36 ; 48 ; Cour EDH, 15 avril 2014, Oran c/ Turquie, req. n° 28881/07 ; 37920/07, §§ 67 ; 77 ; chron. F.SUDRE, RDP, 2015, n° 3, pp. 855-857 ; Cour EDH, 21 avril 2015, Danis et L'association des personnes d'origine Turque c/ Roumanie, req. n° 16632/09, § 42.

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151. Au-delà de ce domaine pionnier, d’autres substances propres au droit à la liberté et à

la sûreté peuvent être distinguées, comme s’agissant de la garantie énoncée au paragraphe 3 de l’article.

346 Notamment au regard des jurisprudences de principe relatives à la notion générale, sujet de l’étude.

347 On aurait notamment pu penser que l’arrêt Winterwerp avait trouvé un prolongement dans la jurisprudence

Chamaïev et autres c/ Géorgie et Russie (12 avril 2005, req. n° 36378/02, Recueil des arrêts et décisions

2005-III, § 432), s’agissant de l’arrestation et détention provisoire des requérants par l’Etat géorgien, puis leur extradition vers la Russie (malgré des poursuites impliquant la peine de mort). Toutefois, en indiquant que « le

droit d'introduire un recours contre cette détention s'est trouvé vidé de son contenu » (ou en version anglaise

« was deprived of all substance »), la Cour semble en fait pointer le caractère matériellement inutilisable du droit au contrôle de la régularité de la détention (du fait de l’absence d’accès liminaire aux informations essentielles relatives à la privation de liberté, ainsi que d’assistance d’un avocat). Ainsi, le juge formulerait plutôt une image de l’esprit (reposant sur de la logique pure), qu’elle renverrait à l’outil prétorien de contrôle.

Il n’empêche qu’un tel sens est très proche de l’idée d’atteinte radicale à un droit (alors privé de quelconque contenu, même minimal) développée en Section 2, §II, ce dont témoigne le champ lexical des arrêts ultérieurs (voir, – spécialement, Cour EDH, 22 septembre 2009, Abdolkhani et Karimnia c/ Turquie, req. n° 30471/08, § 141 ; Cour EDH, 15 février 2011, Moghaddas c/ Turquie, req. n° 46134/08, § 49 ; – en guise de parallèle, toujours sur le terrain du 4ème paragraphe de l’article 5, Cour EDH, 23 octobre 2007, Turcan et Turcan c/

Moldova, req. n° 39835/05, § 60 ; Cour EDH, 22 avril 2014, Tripadus c/ République de Moldova, req. n°

34382/07, § 144 ; – ou similairement, sur le terrain du 1er paragraphe de l’article 5, Cour EDH, Gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c/ France, req. n° 3394/03, Recueil des arrêts et décisions 2010, §§ 98-103, notamment § 100 ; note S. LAVRIC, D, 2010, n° 15, p. 898 ; note F. SUDRE, JCP G, 2010, 454 ; et l’opinion partiellement dissidente commune des juges ROZAKIS, TULKENS, CASADEVALL, GYULUMYAN, HAJIYEV, SPIELMANN,BERRO-LEFEVRE et BIANKU sous Cour EDH, Gde ch., 9 juillet 2009, Mooren c/ Allemagne, req. n° 11364/03, § 5).

348 Voir, par exemple, Cour EDH, 22 octobre 2013, M.H. c/ Royaume-Uni, req. n° 11577/06, § 81 ; Cour EDH, Gde ch., 17 juillet 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Campeanu c/ Roumanie, req. n° 47848/08, Recueil des arrêts et décisions 2014, § 113 ; chron. E.DECAUX,P.TAVERNIER etM.BOUMGHAR, JDI, 2015, n° 4, pp. 1186-1190 ; chron. F. SUDRE, JCP G, 2015, doctr. 70, p. 118 ; (et implicitement, voir l’arrêt plus ancien Cour EDH, 30 novembre 2004, Klyakhin c/ Russie, req. n° 46082/99, § 72).

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Ðb2e développement de l’hypothèse sur le terrain du 3ème paragraphe de l’article 5

152. L’APPORT DECISIF DE LARRET DE PRINCIPE BROGAN ET SES SUITES. L’arrêt Brogan et autres349 est, dans le domaine de l’article 5, paragraphe 3, précurseur d’une apparition non seulement générale et principielle, mais également spécifique, semble-t-il, de la substance du droit d’être traduit devant un juge dès le début de la privation de liberté – conforme au litera 1, c) de l’article. Rappelons que la Cour européenne, dans cet arrêt qui concernait l’arrestation et la détention des requérants étant suspectés d’actes de terrorisme commis en Irlande du nord au nom de l’IRA, a en effet reconnu l’existence d’une substance du droit protégée. Aussi, le juge européen a affirmé concernant les limitations audit droit garanti que « le poids à leur accorder ne saurait jamais aller jusqu’à porter atteinte à la substance du droit protégé par l’article 5 par. 3 (art. 5-3), c’est-à-dire jusqu’à dispenser en pratique l’État d’assurer un élargissement rapide ou une prompte comparution devant une autorité judiciaire » (nous soulignons)350. Il en ressort, de façon indirecte, que la substance se situe notamment dans l’élargissement ou la comparution prompts du requérant. C’est donc l’immédiateté, l’imminence pour reprendre les termes du juge européen lors de son interprétation téléologique de la notion d’« aussitôt », contenue dans le texte de l’article 5, paragraphe 3, qui doit caractériser le contrôle judiciaire de la mesure de privation en cause. Au cours de son contrôle de la privation de liberté, le juge de Strasbourg a sensiblement précisé ce à quoi peut renvoyer ladite substance ou imminence : il s’agit d’un élargissement ou une comparution judiciaire inférieure à 4 jours. Sur ce fondement, il a constaté en l’espèce que « même la plus brève des quatre périodes litigieuses, à savoir les quatre jours et six heures de garde à vue de M. McFadden (…), va au-delà des strictes limites de temps permises par la première partie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) »351 et conclu à la violation de l’article. Cette jurisprudence a été régulièrement réaffirmée, trouvant notamment un point de résonnance dans l’arrêt Aquilina 352 présenté dès le premier Chapitre.

Par ailleurs, il faut signaler une autre manifestation de la substance, concernant cette fois la seconde partie de la disposition observée. La juge TULKENS, dans son opinion partiellement

349 Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité (note n° 49).

350 Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité, § 59 ; également, § 62.

351 Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité, § 62.

352 Cour EDH, Gde ch., Aquilina c/ Malte précité (note n° 98), § 49. Rappelons que le juge de Strasbourg a, dans cette affaire, mis en avant l’exigence d’automaticité du contrôle judiciaire de la détention, complémentaire de celle d’imminence précisée par l’arrêt Brogan, s’agissant de la substance du droit en cause. Remarquons, d’ailleurs, que le raisonnement préalable à une telle affirmation fait écho à celui déployé dans l’arrêt de principe (voir, Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité, § 62).

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“ ––“ ‘ ’ —‘ •˜ Ÿ””÷ — Pêcheur c/ Luxembourg353 , du 11 juillet 2007, relatif à la durée de la détention provisoire du requérant, a discerné la substance du droit garanti à l’article 5, paragraphe 3, dans « le droit de rester libre dans l'attente d'un procès pénal et [rajoute-t-elle] de donner ainsi un effet pratique et utile – et non pas théorique et illusoire – à la présomption d'innocence ». Selon la juge, « la détention provisoire ne peut en aucun cas servir à anticiper sur une peine privative de liberté ». Notons que cette conception s’est plus récemment vue reprise par le juge européen dans l’arrêt Koutalidis c/ Grèce354, du 27 novembre 2014, à l’occasion du rappel des principes jurisprudentiels encadrant le contrôle.

153. Il nous faut, en dernier lieu, envisager l’hypothèse d’une substance spécifiquement

identifiée quant au paragraphe 1, c) de l’article 5 de la Convention.

c) Le développement de l’hypothèse sur le terrain du 1er paragraphe, c) de l’article 5

154. L’APPORT ANALOGUE DE LARRET DE PRINCIPE FOX, CAMPBELL ET HARTLEY. L’arrêt Brogan et autres n’a pas simplement eu une influence sur le droit conventionnel relatif à l’article 5, paragraphe 3 de la Convention, mais il a également inspiré une jurisprudence de principe sur le terrain du paragraphe 1, litera c) du même article. En effet, l’arrêt Fox, Campbell et Hartley c/ Royaume-Uni355, du 30 août 1990, en découle directement quant à la structure de raisonnement en matière de substance du droit. Le contexte de cette affaire est aussi similaire à celui de l’arrêt Brogan et autres, puisqu’il s’agit de l’appréhension et l’arrestation d’individus soupçonnés d’actions liées au terrorisme, au bénéfice de l’IRA. Or, dans l’arrêt de 1990, le juge européen a insisté sur le terme « plausibilité » présent dans la partie en cause de la disposition, qualifié d’« élément essentiel de la protection offerte par l'article 5 § 1 c) »356, et en a défini le sens357. Cela semble lui avoir finalement permis d’établir un lien entre une telle exigence et la substance du droit visé. Il a ainsi affirmé que « la Cour doit (…) pouvoir déterminer si la substance de la garantie offerte par l'article 5 § 1 c) (art. 5-1-c) est demeurée intacte. Dès lors, il incombe au gouvernement défendeur de lui fournir au moins certains faits ou renseignements propres à la convaincre qu'il existait des

353 L’opinion partiellement dissidente de la juge TULKENS, à laquelle se rallie le juge CABRAL BARRETO, sous Cour EDH, 11 juillet 2007, Pêcheur c/ Luxembourg, req. n° 16308/02, § 1.

354 Cour EDH, 27 novembre 2014, Koutalidis c/ Grèce, req. n° 18785/13, § 40. Voir, en guise de parallèle, Cour EDH, 9 février 2006, Freimanis et Lidums c/ Lettonie, req. n° 73443/01 ; 74860/01, § 96, avançant que « la

présomption générale de nécessité de la détention provisoire du seul fait de la gravité de l’accusation (…) est incompatible avec l’essence même de l’article 5 de la Convention ».

355 Cour EDH, Fox, Campbell et Hartley c/ Royaume-Uni précité (note n° 231), § 34.

356 Cour EDH, Fox, Campbell et Hartley c/ Royaume-Uni précité, § 32.

357 Il renvoie à l’idée « de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'individu en

88:

þ ­«¬É ýÌÎËÉ ¬Ð Ì ©É Ç© soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis l'infraction alléguée. » (Nous soulignons). La substance relative à l’article 5, paragraphe 1, litera c) paraît donc prendre racine dans la notion de plausibilité des motifs, susceptibles de rendre conventionnelle la privation de liberté.

Cependant, deux limites ressortent déjà de cette présentation. La première, propre à l’article 5, paragraphe 1, litera c) concerne la forte dose de relativité incluse dans la détermination de la plausibilité. Au-delà des données factuelles et objectives fondant le soupçon d’infraction, la Cour admet que cette exigence soit lue à la lumière des circonstances d’espèce. Ceci jette donc un doute sur la filiation d’une telle substance à la conception absolue. Le second obstacle se dégage généralement de l’étude des différents exemples concrets de substance relatifs à l’article 5 et doit être à présent exposé.

2) Les limites de l’hypothèse

155. L’ASSIMILATION DE LA SUBSTANCE AU CONTENU GENERAL DU DROIT. Nonobstant l’apparente identification de substances propres à certaines garanties de l’article 5, les doutes soulevés à l’issue de l’analyse relative à l’article 3 du Protocole n° 1 semblent inévitablement transposables. On retrouve ici la critique de l’analogie desdites substances avec le contenu même des clauses correspondantes de l’article 5. La disposition est formulée de la sorte quant aux parties qui nous concernent : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: (…) c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci; » (Nous soulignons).

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. » (Nous soulignons).

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. » (Nous soulignons).

88;

D <=> ?@< ?A= B6> ?< >C E< E6 4456 GHG6 B6 E< B3>IJ>34 3J = ? JK =?3B6 <vec ce que la Cour européenne semble identifier comme étant une substance spécifique 358. Certes, pas entièrement, mais suffisamment substantiellement et similairement dans les termes employés (éclairés par les mises en soulignement) pour affaiblir encore l’hypothèse d’une identification de la substance, au sens de la conception absolue. SébastienVAN DROOGHENBROECK a ainsi pu affirmer que la substance du droit prévu à l’article 5 y « demeure mystérieuse et tautologique »359, la Cour européenne se contentant d’en répéter le contenu.

156. Un dernier volet d’expression spécifique de la substance mérite maintenant d’être

abordé, concernant l’article 6 de la Convention.

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