• Aucun résultat trouvé

Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

B) Une limite singulière importée

96. JUSTIFICATIONS COMPLEMENTAIRES DE LINJUSTIFIABLE EN SOI. Au-delà de l’angle strictement empirique, la tangibilité de l’hypothèse d’une limite à ne pas dépasser « en soi » au sein de la jurisprudence conventionnelle semble d’autant plus défendable que ses origines sont connues (1), d’une part, une telle limite n’apparaissant pas ex-nihilo, mais s’inscrivant dans un courant juridictionnel prenant ses racines dans le droit constitutionnel allemand, et que la raison ou utilité de son invocation peut être aisément présumée (2), d’autre part, percevant dans cet emprunt spontané la marque d’une insuffisance du texte conventionnel, quant à la protection des droits garantis.

1) Des origines connues

97. UNE CONCEPTION ALLEMANDE CLASSIQUE DE LATTEINTE. Si, fort logiquement, la thèse d’une atteinte à la substance du droit entendue comme injustifiable en soi apparaît premièrement dans le droit constitutionnel allemand, elle s’est manifestement étendue aux systèmes juridiques au sein desquels la notion, en général, a été intégrée ; notablement, aux droits constitutionnels suisse et espagnol. Aussi, les trois ordres juridiques nationaux spécifiquement considérés au sein de la présente étude sont susceptibles de pertinemment nous renseigner sur la portée globale d’une conception absolue de l’atteinte à la substance. A titre liminaire, relayons toutefois l’observation de membres des doctrines suisse et allemande de la particulière rareté – pour ne pas dire inexistance – du constat d’atteinte, par leur juge respectif244.

– UNE CONCEPTION PRETORIENNE. Le juge constitutionnel fédéral allemand a, le premier, affirmé une conception absolue de l’atteinte à la substance dès les débuts de son office,

244 Voir, –quant à la jurisprudence constitutionnelle suisse, A.AUER,G.MALINVERNI,M. HOTTELIER, Droit

constitutionnel suisse. Vol. II, Les droits fondamentaux, op. cit., p. 118 ; – quant à la jurisprudence constitutionnelle allemande, D.CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux, op. cit., p. 167.

pf

˜–µŸ’ —Ÿÿ‘˜s– ø›‘ ˜‘”” ‘› •’“–Ÿ‘Ԑ ‘ — ’ •—Ÿ › ›‘’—ù ˜ Ÿ’—Ÿ ˜s“”•–—¶”•¶” ‘û –’— ¡ š”–— ¡ morale de la personne humaine – tel le droit à la vie privée individuelle, et par extension à l’épanouissement ou développement personnel (selon l’article 2 de la LFA) – que le juge de Karlsruhe a développé cette interprétation.

A titre d’exemple, dans l’affaire pionnière « des Pharmacies »245, relative à l’autorisation d’ouvrir une pharmacie, la Cour l’a affirmé directement : le contenu essentiel d’un droit « ne peut, selon le libellé clair de l'article 19 paragraphe 2 de la Loi fondamentale être touché "en aucun cas" » (nous soulignons) ; dès lors, « la question des conditions dans lesquelles une telle intervention est encore autorisée dans des cas exceptionnels n’est pas pertinente ». En outre, dans son arrêt du 31 janvier 1973246, concernant la recevabilité de l'exploitation d'un enregistrement secret sur bande d’une conversation privée dans une enquête menée contre le plaignant quant à des soupçons d'évasion fiscale, de fraude et de contrefaçon, la Cour constitutionnelle fédérale a rappelé qu’elle a toujours reconnu une « zone inviolable » de la vie privée individuelle garantie par la loi fondamentale, « privée de l’action des pouvoirs publics » ; qu’en vertu de l’article 19, paragraphe 2, de la LFA, il ne peut être porté atteinte au contenu essentiel d’un droit fondamental ; que par conséquent, « même les intérêts supérieurs de la population en général ne peuvent pas justifier une intervention dans la zone centrale protégée absolument de la vie privée ; un compromis en conformité avec le principe de proportionnalité ne se produit pas » (nous soulignons).

La Cour a aussi été amenée à évoquer une « protection absolue » d’une partie du droit en cause, signalant qu’elle ne régit pas toutes les « zones » de la vie privée247. Il ressort manifestement de ces illustrations, en premier lieu, le caractère absolu de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, et en second lieu, le caractère absolu quant à l’appréciation de l’atteinte à ladite substance. Rien ne peut légitimer l’atteinte, dès qu’elle est constatée. Ces analyses ressemblent fortement à celles déduites de la jurisprudence conventionnelle pré-étudiée.

– UNE CONCEPTION DOCTRINALE. Les expressions jurisprudentielles germaniques de la conception absolue de l’atteinte à la substance ont donné lieu à une importante somme d’interprétations doctrinales, présentant, analysant, ou offrant des versions diversifiées de celle-ci, en Allemagne. BertrandPETER résume cette théorie dans son courant le plus général en soulignant qu’il s’agit de celle renvoyant à un « noyau substantiel du droit fondamental qui

245 BVerfGE 7, 377 (411), 11 juin 1958, « Pharmacies ».

246 BVerfGE 34, 238 (245) précité (note n° 102).

pj

©É « ýÈ­«eÏeÉ Î ®ÉÈ eÉ©ÈÊ©©«Ë ¬©¬É« ©Ç©þÎ ®¬È ©ÎÐÉ­Ì˩ͬþ þËÎÐ Ì©© «¬®Çe ý © ®ÇÎ ®«©Ç© « ­Ë «© situation concrète et qui est ôté au pouvoir de disposition du législateur »248. Autrement dit, « la substance d’un droit fondamental, indépendamment des circonstances, serait absolument soustraite à la compétence de limitation reconnue à l’autorité publique, si important soit le but que poursuit celle-ci »249.

98. UNE CONCEPTION DE LATTEINTE LARGEMENT DIFFUSEE.

–LA RECEPTION SUISSE. De la même façon que l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, la thèse d’un injustifiable en soi s’est répandue par-delà les frontières de l’Allemagne, tel qu’en Suisse et en Espagne. Si la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse semble moins explicite que son homologue de Karlsruhe, et régulièrement ambivalente250, la doctrine – notamment germanophone – suisse n’a pas manqué de se saisir de ladite thèse jurisprudentielle et doctrinale allemande pour la transposer au système constitutionnel suisse. Ainsi, une majorité d’auteurs comme Jean-FrançoisAUBERT251,Jorg-PaulMÜLLER252,Michel HOTTELIER253, Andreas AUER (avec Giorgio MALINVERNI et Michel HOTTELIER)254 relaie volontiers cette conception, qu’ils voient apparaître dans la jurisprudence du Tribunal fédéral ou qu’ils défendent. Ainsi, Jorg-PaulMÜLLER affirme que « le noyau intangible des droits fondamentaux désigne donc des sphères de protection qui, d’après le droit constitutionnel en vigueur, ne peuvent être restreintes à aucun prix » ; il ajoute plus loin « ni un intérêt public ou privé, ni une base légale, même très précise, ne peuvent légitimer des intrusions dans le noyau intangible »255.

–LA RECEPTION ESPAGNOLE. Enfin, pour clore notre exposé tripartite des principaux systèmes étrangers comprenant une telle conception de l’atteinte à la substance, il faut évoquer le droit constitutionnel espagnol, qui a lui aussi été inspiré par la jurisprudence et la doctrine allemandes. Ainsi, EduardoBAURA souligne que « la jurisprudencia española se pronuncia

248 B.PETER, Des droits fondamentaux en République fédérale d'Allemagne…, op. cit., p. 390. Voir également, F.FERNANDEZ SEGADO,El sistema constitucional español, op. cit., p. 172.

249 S.VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l’homme…, op. cit., p. 371 ; signalons l’existence d’une conséquente doctrine allemande – citée par l’auteur –

sur le sujet (ibid., notes n° 105 à 108 de l’ouvrage).

250 Ainsi que le déplore PetrMUZNY (« Essai critique sur la notion de noyau intangible d’un droit », op. cit., pp. 980-985 ; visant notamment pour exemples, ATF 98 Ia 508, 514 précité (note n° 105) ; ATF 123 I 296 précité (note n° 106)).

251 J.-F.AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse. Supplément 1967-1982, op. cit., p. 209.

252 J.-P.MÜLLER (dir.), Éléments pour une théorie suisse des droits fondamentaux,op. cit., p. 150.

253 M.HOTTELIER, « Le noyau intangible des libertés », op. cit., p. 71.

254 A.AUER,G.MALINVERNI,M.HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Vol. II, Les droits fondamentaux, op.

cit., pp. 118-119.

255 J.-P.MÜLLER (dir.), Éléments pour une théorie suisse des droits fondamentaux,op. cit.,p. 150 ; voir, dans le même sens, les explications de T.ZIMMERMANN, « Le noyau intangible des droits fondamentaux… », op. cit., notamment p. 305 au sujet de la théorie de la protection absolue.

pm

«ÎtÎ ®«© þ©®«© Î ÎÊ­È Ç© ©ÉΪ ­®ª©ýª ¬® Ç©Ì ª ­®«© ®¬ Ç ­ ©É© ®ª ¬Î ÌË© Ê© Î eÉ«© ª ­þ­ Ë ® Ì þ ¬«© absoluto, infranqueable »

256. ‘s‘›¶ ‘ “‘  ‘—— ‘  •’  ‘¶ — –•’ Ÿ ŝ•˜‘ “ ‘ Ÿ—teinte comprise comme un injustifiable en soi peut être tirée de l’arrêt STC 137/1990257, dans laquelle le Tribunal constitutionnel a rappelé que « todo acto o resolución que limite derechos fundamentales (...) ha de atenderá la proporcionalidad entre el sacrificio del derecho y la situación en que se halla aquel a quien se le impone y, en todo caso, respetar su contenido esencial » (nous soulignons).

Parallèlement, comme dans le cas suisse, la doctrine s’attachant au droit constitutionnel espagnol a largement retransmis cette conception. Il est possible de citer PierreBON,Franck MODERNE etYvesRODRIGUEZ, qui considèrent, concernant le contenu essentiel garanti par la Constitution, qu‘« il s’agit là d’un concept de valeur absolue quelles que soient les circonstances invoquées pour limiter ce droit, on doit toujours lui conserver ses caractéristiques essentielles. Bref, le concept de « contenu essentiel » d’un droit fondamental doit être considéré comme la part intangible de ce contenu. »258. LuisPRIETO SANCHIS déduit même de la décision fondatrice du juge constitutionnel espagnol concernant le droit de grève que « la cláusula del contenido esencial no se configura como une exigencia de proporcionalidad (…) sino como una esfera de intangibilidad que nunca, en ningún caso, puede sobrepasarse »259. Opinion partagée par LucianoPAREJO ALFONSO : « Como se ve, una doctrina en este punto idéntica a la mantenida por el Tribunal Constitucional Federal alemán: carácter absoluto del contenido esencial, pero dentro de cada derecho fundamental. »260. Bien sûr, ce ne sont pas les seuls points de vue exprimés concernant les jurisprudences constitutionnelles prises pour exemple ; celles-ci s’avérant régulièrement instables et ambiguës, elles font l’objet de critique ainsi que nous l’avons déjà évoqué. Toutefois, en ce qu’elles attestent de l’existence d’une certaine conception absolue de l’interdiction et de l’atteinte en elle-même, ainsi que par leurs ambivalences, les jurisprudences européenne et nationales précitées se font largement écho. Il en ressort une lecture facilitée – car guidée par les enseignements comparatistes – de l’œuvre juridictionnelle sur laquelle se concentre cette étude, celle du juge de Strasbourg.

256 E.BAURA, « El «contenido esencial» del derecho constitucional al matrimonio », op. cit., p. 716.

257

S}137/1990, 19 juillet 1990 (BOE nº 181 de 30 de juillet de 1990), concernant notamment le droit à la vie, à l’occasion d’une nutrition forcée de détenus effectuant une grève contre la faim ; voir, dans la doctrine, Lv

AGUIAR DE LUQUE, « Los limites de los derechos fundamentales », op. cit., p. 26 (note n° 21 du document).

258 P.BON,F.MODERNE,Y.RODRIGUEZ, La justice constitutionnelle en Espagne, op. cit., p. 246.

259 L.PRIETO SANCHIS, Estudios sobre derechos fundamentales, op. cit., p. 144.

260L. PAREJO ALFONSO, « El contenido esencial de los derechos fundamentales en la jurisprudencia constitucional… », op. cit., p. 186.

pp

h Notons avec Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI et Michel HOTTELIER que « d’un point de vue didactique et politique, la figure du noyau intangible des libertés est utile et rassurante. (…) [La protection constitutionnelle des libertés] est relative, parce qu’elle doit céder le pas chaque fois que l’Etat agit sur la base d’une loi, dans l’intérêt public et dans le respect de la proportionnalité. Mais les restrictions ne sont pas illimitées. L’essence même de la liberté, à savoir la partie de celle-ci « qui ne tolère aucune atteinte », est intangible. Quel que soit l’intérêt public dont il se prévaut et quel que soit le moyen choisi, le législateur et le pouvoir exécutif ne peuvent y toucher. »261. Cette remarque est d’autant plus instructive pour notre étude qu’elle pointe une des caractéristiques prééminentes de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, conçue comme empêchant « en soi » toute atteinte à la substance. On peut alors supposer que la notion intervient ou, plus justement, est invoquée par le juge européen pour une simple raison : aucun autre mécanisme en sa possession n’offre une telle fermeté dans la garantie des droits de l’homme.

2) Une raison d’être présumée

100. LA REPONSE A UNE LACUNE SYSTEMIQUE APPARENTE. Une fois établie l’origine de la conception absolue de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit généralement, et de l’appréciation de l’atteinte spécifiquement, interrogeons-nous sur la raison de cet emprunt, puisque dans le sillage des ordres constitutionnels pris pour exemples, la Cour européenne des droits de l’homme a invoqué de sa propre initiative une telle approche.

Il semble qu’on ne puisse interpréter ce choix prétorien autrement que comme un aveu implicite d’une insuffisance tenant au texte et à l’esprit général de la Convention. Au-delà du dynamisme ou du constructivisme marquant très rapidement la jurisprudence conventionnelle dans son ensemble, il est certainement révélateur d’une nécessité particulière. Quels déficits de l’instrument conventionnel le juge de Strasbourg visait-il ainsi, au moyen de l’appel à l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, entendue de façon absolue ? Et quelle en est la spécificité ? L’Affaire linguistique belge a pu mettre en lumière deux éléments d’explication tenant au contexte juridictionnel originel : d’une part, face à l’absence pour certains droits de règles explicites encadrant leur mise en œuvre par les Etats parties, la Cour a choisi d’admettre tant des limitations aux droits garantis, que de poser les limites à celles-ci ; d’autre part, parallèlement au développement de mécanismes reposant sur une logique

261 A.AUER,G.MALINVERNI,M.HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Vol. II, Les droits fondamentaux, op.

pw

d =77Fa5c aouple et permissive d’équilibre des forces, la Cour a entendu affirmer une certaine fermeté à l’égard des Etats parties.

101. LA PRESERVATION DE LEQUILIBRE CONVENTIONNEL FONDAMENTAL.Système élaboré –contraignant – de protection des droits de l’homme, l’architecture conventionnelle se fonde sur un certain réalisme262, propre à la garantie effective des droits y inscrits. La Cour européenne a elle-même très tôt mis en évidence la balance existant entre la nécessaire possibilité d’aménager les droits garantis263 et les mécanismes de contrôle de ces atteintes. Dès lors, il semble que le défaut d’encadrement explicite d’un droit ouvre une brèche dans le système de protection, générant des incertitudes d’interprétation quant à sa mise en œuvre par les Etats parties, et subséquemment, de potentielles différences injustifiées de régime entre les droits (en permettant soit des dérives arbitraires, soit une sanctuarisation du droit). L’Affaire linguistique belge, pionnière à cet égard, illustre cette volonté prétorienne de ne pas admettre des zones de « non droit » au sein de la Convention, ainsi que d’entretenir les équilibres de pragmatisme politique et de respect des droits conventionnels, en en précisant les régimes de garantie264.

102. UNE LOGIQUE RADICALEMENT DISTINCTE DE CELLE PROPRE A LA CLAUSE DORDRE PUBLIC. L’outil prétorien que constitue l’interdiction d’atteinte à la substance du droit agit radicalement différemment des instruments développés plus ou moins directement à partir de la clause d’ordre public265. D’un côté, lesdits instruments renvoient spontanément aux idées de « simplicité dans la complexité » et de souplesse ou malléabilité, orientant l’appréciation du juge266. « Simplicité dans la complexité », au regard de la mise en jeu ordonnée et rationnelle des différents mécanismes, paramètres, et intérêts à considérer conjointement ;

262 La question du « réalisme » des instruments internationaux des droits de l’homme peut être traitée sous l’angle d’un « positivisme volontariste » de la Communauté internationale (G.LEBRETON, « Critique de la Déclaration universelle des Droits de l’homme », CRDF, 2009, n° 7, pp. 20 et s.), ou encore d’une prise en considération de la « contradiction majeure » des droits de l’homme (F.SUDRE, Droit européen et international

des droits de l'homme, op. cit., pp. 45-46) par la mise en œuvre d’un instrument subsidiaire, complémentaire aux

systèmes juridiques internes.

263 Admise dans une certaine mesure, de conformité ou de compatibilité, dans le système conventionnel (F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l'homme, op. cit., pp. 193-194).

264 SébastienVAN DROOGHENBROECK (La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits

de l’homme…, op. cit., pp. 474-475) le compare ainsi à un « Cheval de Troie ».

265 PetrMUZNY a, par exemple, précisé au stade de l’Introduction de son travail doctoral l’absence de référence directe à la proportionnalité dans le texte conventionnel, absence qui pourrait être aisément oubliée au regard de la prédominante expansion de cet instrument au sein de ce système (P.MUZNY, La technique de proportionnalité

et le juge de la Convention européenne des droits de l'homme…, op. cit., pp. 32-33. Voir aussi, S. VAN

DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme…,

op. cit., p. 71).

266 Sur l’idée de la proportionnalité, voir notamment P.MUZNY, « Essai critique sur la notion de noyau intangible d’un droit », op. cit., pp. 991-992 ; S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la

px aVF_C5aa5

VF

i`CC:` Ž=C=E:d`Da C 5

²Fr5i5 DEc5Dr5Dd6`DE C5

a5 DE=i5 Dt d’un « tout est possible ». De l’autre côté, l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, comprise comme un intangible absolu – soit prédéterminé tant dans le contenu de la substance, que dans l’acception de l’atteinte – promeut un essentiel figé267 et entièrement protégé des atteintes extérieures. Aussi, rien d’externe ne peut entrer dans la prise en compte de cette garantie. Elle ne peut dépendre d’autre chose que d’elle-même. C’est donc une perspective totalement inverse que la Cour européenne a décidé d’introduire, parallèlement à la première exposée, dans le cadre du contrôle des restrictions des droits garantis. On ne peut ignorer que cette perspective est concomitante à la volonté, suivant la Deuxième guerre mondiale, de marquer d’une garantie absolue les droits considérés comme symbolisant le plus directement la dignité humaine. Toutefois, à côté de ces sphères « d’intouchable », une majorité de droits ont été pourvus de protection relative. Aussi, le juge européen des droits de l’homme a manifestement souhaité affirmer une intouchabilité générale de l’intégrité268 d’un droit. Il en résulte, du point de vue de la sécurité juridique, la stabilisation de la jurisprudence par l’arbitrage définitif quant à l’atteinte proférée à l’encontre du droit en cause269. D’où la distinction, par laquelle est régulièrement matérialisée et résumée la conception doublement absolue de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, entre cette dernière et la logique de proportionnalité, ou plus largement, la clause d’ordre public classique.

103. LA MISE EN DOUTE DE LEFFICACITE DE LA CLAUSE DORDRE PUBLIC ? Complémentairement aux hypothèses d’insuffisance inhérentes à la structure primaire du système conventionnel, l’évocation d’une conception absolue de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit nous invite à nous questionner sur une potentielle inefficacité des mécanismes trouvant un fondement plus exprès dans le texte de la Convention, ne permettant pas à la Cour d’atteindre les buts qui lui sont fixés, soit protéger correctement les droits. La clause d’ordre public emporte-t-elle le risque d’une protection « laxiste », de par sa structure ou dans son utilisation par le juge ? Au-delà de leur caractère provocateur, ces questions pointent la souplesse des instruments qui constituent ladite clause, rendant possible une

267 C’est à ce niveau que ce situe d’ailleurs souvent la critique (voir, par exemple, P.MUZNY, « Essai critique sur la notion de noyau intangible d’un droit », op. cit., pp. 990 ; 1002-1003).

268 La thèse doctorale d’Olivier DE FROUVILLE repose ainsi sur l’idée d’une progressive restructuration des régimes des droits de l’homme autour du principe d’intangibilité, garantissant inconditionnellement le respect de la substance du droit (O.DE FROUVILLE, L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international…, op. cit., pp. 62 ; 203). Signalons, toutefois, que ces propos s’inscrivent dans une conception relative de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit. – Voir également, P.MUZNY (« Essai critique sur la notion de noyau intangible d’un droit », op. cit., p. 995), pour qui la raison bien connue de cette référence au « noyau intangible » est d’« améliorer les garanties d’inviolabilité des droits fondamentaux »).

w{

;56 E`=D5 dérive du contrôle en faveur des restrictions étatiques, au détriment de la protection essentielle des droits garantis quant à leur exercice et jouissance même. On peut au moins supposer qu’en suggérant une conception absolue de l’interdiction d’atteinte à la substance, en contrepoids aux autres instruments s’imposant plus ou moins explicitement à lui, le juge européen a visé un contrôle renforcé quant aux limitations affectant les droits garantis.

104. BILAN DE LANALYSE. Quelle que soit l’analyse de la signification spécifique de sa reconnaissance dans le système édifié par les Etats contractants, le principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit, au sens de la jurisprudence européenne, semble bien répondre à une volonté d’imposer une borne infranchissable aux Etats puisque les droits de la Convention, tout comme les libertés individuelles de l’ordre suisse (et les droits et libertés des ordes sus-cités généralement), « ne s'avèrent pas (…) taillables à merci », pour reprendre les mots de Michel HOTTELIER.

Pour autant, l’auteur affichait sa réserve quant à la formulation de cette condition supplémentaire avec laquelle « on peut se demander si les juristes n’ont pas, en définitive, posé davantage de questions qu’ils prétendaient en résoudre »270. Il s’agit, à présent, de

Documents relatifs