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Une structure théorique spécifique aux droits susceptibles de limitations prétoriennement organisées

Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

A) Une structure théorique spécifique aux droits susceptibles de limitations prétoriennement organisées

la formulation précise dépend du terrain en cause ; autrement dit, elle est établie particulièrement à chaque droit (B).

A) Une structure théorique spécifique aux droits susceptibles de limitations prétoriennement organisées

219. UNE DIVERGENCE NOTABLE ENTRE LES DROITS. Aire de prédilection de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, au sens de la conception absolue, la Cour européenne a inauguré en matière de droits susceptibles de limitations implicites, et plus largement de droits susceptibles de limites prétoriennement organisées, des jurisprudences tenant lieu de modèles fondateurs propres à la catégorie (1). Ainsi, les formulations spécifiques à ces jurisprudences initiales, s’agissant des conditions de limitations d’un droit garanti, vont notamment servir de socle à la construction d’autres formules principielles modèles. A l’inverse, il semble éloquent – bien qu’à divers égards, logique – qu’une telle construction théorique ne se retrouve

439 Selon l’expression de SébastienVAN DROOGHENBROECK (La proportionnalité dans le droit de la Convention

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1) Des modèles fondateurs propres

220. Tandis que l’Affaire linguistique belge pionnière constitue un modèle critiquable (a),

il faut mettre l’accent sur l’énonciation aboutie du principe, offerte par l’arrêt Ashingdane (b). a) Un modèle initial contestable

221. UNE JURISPRUDENCE PRIMITIVE CAPITALE. Il a déjà été traité de nombreuses fois et substantiellement de l’Affaire linguistique belge. Rappelons seulement que c’est à l’occasion de cette emblématique affaire concernant le régime linguistique de certains établissements scolaires belges que la Cour européenne des droits de l’homme a énoncé, suite à l’admission conditionnelle des restrictions étatiques envers le droit à l’instruction, la structure principielle suivante : « Il va de soi qu'une telle réglementation ne doit jamais entraîner d'atteinte à la substance de ce droit, ni se heurter à d'autres droits consacrés par la Convention »440. Celle-ci semblait pouvoir être présentée comme révélant un véritable modèle fondateur au titre de la conception absolue de la protection, tant en raison de son caractère pionnier, que de l’établissement d’un principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit notamment441, tenant le rôle de condition à l’usage du juge européen, remobilisé – généralement – ensuite sur des terrains distincts442. Toutefois, deux limites doivent questionner une telle qualification : l’une concerne la conception qui est véhiculée par cette jurisprudence inédite et l’autre, sa portée.

222. DEUX LIMITES A LA QUALIFICATION DE MODELE PROPRE A LA CONCEPTION ABSOLUE. En premier lieu, si nous avions souligné le caractère apparemment isolé de la découverte réalisée dans le cadre de cette affaire, distinct de la démarche classique renvoyant à un complexe de principes encadrant le contrôle, une lecture plus large du paragraphe n° 5 oblige à relativiser une telle spécificité. Il en ressort effectivement que, de façon certes indirecte, le juge européen a rapproché le principe d’interdiction fraichement établi d’une notion de proportionnalité, au travers la référence au « juste équilibre » entre la protection de l’intérêt

440 Cour EDH, Affaire linguistique belge c/ Belgique précitée (note n° 3), § 5.

441 Concernant la seconde partie de l’énoncé, soit l’interdiction d’atteinte à d’autres droits de la Convention, voir

supra, note n° 300 notamment.

442 Voir S.VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits

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443. Ceci semble confirmé par la mise œuvre du contrôle lui-même. Tandis que la référence à l’interdiction d’atteinte à la substance du droit fait défaut, le juge de Strasbourg semble n’avoir procédé qu’à un contrôle de proportionnalité des mesures litigieuses444. Dès lors, si la formule principielle en tant que telle avait pu être lue sous l’angle de la conception absolue445, il n’en est certainement pas le cas du raisonnement d’ensemble propre à l’Affaire linguistique belge, et postérieurement, de la jurisprudence relative à l’article 2 du Protocole n° 1446.

En second lieu, il faut ajouter que la construction principielle de l’Affaire de 1968, centrée autour du principe conjoint d’interdiction d’atteinte à la substance du droit ainsi qu’aux autres droits garantis, ne s’est que rarement vue réitérée sur le terrain d’autres droits447, hormis pour seul rappel dudit précédent jurisprudentiel.

223. Ainsi, cette jurisprudence première, symboliquement clé, a surtout permis d’ouvrir la

voie au développement d’un modèle fondateur dit « abouti », faisant écho à la conception absolue, à travers l’arrêt Ashingdane448.

b) Un modèle ultérieur abouti

224. L’AVENEMENT DUNE STRUCTURE PRINCIPIELLE COMPLETE. Arrêtons-nous plus longuement sur la structure principielle fixée dans l’arrêt Ashingdane, représentant – pour la jurisprudence relative aux droits susceptibles de limitations prétoriennement organisées – le modèle fondateur principal. Il convient, à titre préliminaire, d’exposer brièvement le contexte d’espèce et jurisprudentiel de cette affaire, diverses fois mentionnée. M. Leonard John

443 Ambiguïté retranscrite dans la doctrine (voir, J.VELU etR.ERGEC, La Convention européenne des droits de

l’homme, op. cit., p. 781). – Indiquons, par ailleurs, que cette référence au « juste équilibre » s’inscrit

explicitement dans une perspective finaliste (diffuse dans l’ensemble de l’interprétation générale relative à l’article 2 du protocole n° 1, en cette affaire), la Cour européenne la dégageant du but de protection efficace des droits fondamentaux de l'homme que les Etats contractants ont souhaité atteindre.

444 Ceci apparaît notamment à l’occasion de la 6ème question traitée par la Cour, les précédents contrôles ne donnant lieu qu’à un rejet lapidaire des griefs.

445 Voir supra, Titre 1, Chapitre 2, Section 1 (notamment n° 82).

446 Ainsi, OlivierDE FROUVILLE (L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international…, op. cit., pp. 164-165) tire par exemple de cette jurisprudence primitive une conception relative du principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit, développée en seconde Partie de ce travail. – Quant aux jurisprudences postérieures, voir notamment Com. EDH, (déc. irrecev.), 2 février 1971, X. c/ La Belgique, req. n° 4372/70, Recueil 37, pp. 101-108 ; Cour EDH, 25 février 1982, Campbell et Cosans c/ Royaume-Uni, req. n° 7511/76 ; 7743/76, A48, § 41. – Voir aussi l’analyse des conditions encadrant les restrictions à ce droit de Jacques VELU et Rusen ERGEC (La Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 785).

447 Aux exceptions suivantes, selon nos observations : Cour EDH, Golder c/ Royaume-Uni précité (note n° 44), § 38, indirectement quant à l’article 6 § 1 ; Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité (note n° 49), § 59, quant à l’article 5 § 3.

448 Voir S.VAN DROOGHENBROECK (La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits

de l’homme…, op. cit., pp. 442-443), qui évoque le comblement, par cet arrêt, des « lacunes doctrinales délibérément entretenues de l’édifice doctrinal ».

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}>@3=|B<=6C un citoyen britannique coupable de conduite dangereuse et détention illégale d’armes à feu, diagnostiqué schizophrène paranoïde, critiquait le maintien en hôpital à sécurité renforcée dans lequel il avait été placé de force en vertu de l’article 60 de la loi de 1959 sur la santé mentale, ayant finalement été jugé apte à rejoindre un hôpital psychiatrique ordinaire, et l’impossibilité pour lui de contester en justice la légalité du refus opposé par les autorités à son transfert. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, la Cour, faisant suite à l’arrêt Golder449, par lequel elle avait déjà ré-invoquée la jurisprudence Affaire linguistique belge concernant le droit à un tribunal, a franchi une étape supplémentaire en unifiant les différentes avancées préalablement acquises en matière d’encadrement des restrictions aux droits. Il en résulte une formulation du principe pouvant être considérée comme complète, et à laquelle rien ne sera d’ailleurs jamais rajouté. La Cour y a ainsi affirmé que « les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (…). En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 par. 1 (…) que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »450.

225. UNE CLAUSE DORDRE PUBLIC RENOUVELEE. Plusieurs observations doivent être fournies quant à cet énoncé. Il s’exprime généralement de celui-ci un raisonnement clair et rigoureusement conçu concernant les restrictions portées au droit d’accès à un tribunal. De façon plus précise, on peut constater le dépassement du cadre simple de la première formulation « nue » du principe et l’établissement d’un système composé de plusieurs conditions, formant une clause semblable à la clause d’ordre public, que l’on pourrait dire ici « renouvelée », au bénéfice de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit. En effet, ce nouveau schéma451, présente trois spécificités eu égard à la clause d’ordre public classique : premièrement, l’intégration – centrale et prioritaire dans l’ordre d’évocation – de la condition d’interdiction d’atteinte à la substance d’un droit garanti (seule) ; deuxièmement, l’absence de la condition de légalité ; troisièmement, la formulation explicite de la condition de proportionnalité. Ainsi, le juge européen a apporté une réponse au vide juridique fragilisant le droit à un tribunal, susceptible de limitations implicites, sur la lignée du mécanisme de contrôle prévu pour les droits susceptibles de limitations explicites, y ajoutant l’innovation de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, laquelle se déploie à une autre échelle dans le

449 Cour EDH, Golder c/ Royaume-Uni précité (note n° 44), § 38 ; voir, sur l’arrêt, S.VAN DROOGHENBROECK,

La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme…, op. cit., p. 442.

450 Cour EDH, Ashingdane c/ Royaume-Uni précité (note n° 221), § 57.

451 S.VAN DROOGHENBROECK (La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l’homme…, op. cit., p. 443) évoque notamment « un corps de principes généraux dont la formule canonique (…) demeure inchangée » depuis sa première énonciation à l’occasion de l’arrêt Ashingdane précité.

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B5J3t : celle de la substance ou essence précisément. Dès lors, il est possible de considérer que la clause d’ordre public renouvelée sur le terrain du droit à un tribunal d’abord, et plus tard, des droits passibles de limitations prétoriennement organisées, n’est pas uniquement une conséquence de la découverte de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, mais en constitue l’aboutissement.

226. Le modèle Ashingdane va constituer le socle des structures de principe propres aux

droits susceptibles de limitations implicites, et même aux droits qui ne bénéficient pas de limitations explicites plus largement, supplantant la jurisprudence de l’Affaire linguistique belge. A l’inverse, la jurisprudence relative aux droits passibles de limitations explicites n’a pas connu d’énonciation principielle de référence quant à l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, entendue absolument.

2) Un contraste avec les droits susceptibles de limitations explicites

227. DES TERRAINS NON-REPRESENTATIFS DU PRINCIPE AU SENS ABSOLU. Contrairement aux droits passibles de limitations implicites, ceux explicitement encadrés au regard des dispositions de la Convention n’ont été l’objet du développement d’aucun modèle fondateur du principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit, absolument conçu. Il ne ressort, en effet, pas de la jurisprudence de telle formulation présentant un caractère durable et exemplaire452. En réalité, les manifestations de la notion, au sens général, s’approchant de la conception absolue constituent essentiellement des manifestations d’espèce, ponctuelles, et intervenant sur le terrain de la mise en application des principes. On pense notamment à la jurisprudence concernant les articles 8 à 10 de la Convention, dont on pourra évoquer des illustrations à l’occasion de la seconde Section.

228. UN MECANISME TEXTUEL SUFFISANT ? Notons, finalement, qu’on peut interpréter l’absence de construction principielle relative aux droits passibles de limitations explicites comme le signe du caractère a priori suffisant sur ces terrains de la clause d’ordre public inscrite dans le texte conventionnel. Grâce à ses trois niveaux d’examen, complémentaires et d’intensité croissante, s’achevant avec le volet de la proportionnalité qui vise toute atteinte particulièrement et exagérément grave portée à un droit, le mécanisme de contrôle de la

452 Ce qui ne signifie pas toute absence de formules principielles pérennes concernant les droits susceptibles de limitations explicites. Les terrains de l’article 11 (avec l’arrêt Young, James, et Webster c/ Royaume-Uni précité (note n° 45), § 52, qui emprunte d’ailleurs aux premiers arrêts de principe relatifs aux droits susceptibles de limitations implicites), ou de l’article 1 du Protocole n° 1 (avec l’arrêt Sporrong et Lönnroth c/ Suède précité (note n° 46), §§ 60 ; 63) donnent ainsi exemple de modèles du principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit procédant d’une approche distincte (voir notamment infra Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, §I, B) ; et dans la même partie, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, §II).

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229. Aussi, les deux catégories de droits sus-citées se distinguent quant à l’existence d’une

expression jurisprudentielle modèle du principe d’interdiction d’atteinte à la substance du droit absolu. Or, les droits susceptibles de limitations implicites renvoient, au-delà d’une construction fondatrice commune, à une expression spécifique, adaptée du principe pour chaque terrain qu’il concerne.

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