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Partie 2. Un mécanisme de protection des droits

B) Un rôle de condition première

85. UNE CONDITION ENCADRANT LES LIMITATIONS ETATIQUES. Après avoir étudié la nature de l’interdiction d’atteinte à la substance du droit, intéressons-nous au rôle attribué par le juge de Strasbourg à celle-ci, à partir de l’Affaire linguistique belge. S’attachant à déterminer l’étendue de l’obligation supportée par les Etats membres224, le juge européen a établi dans cet arrêt les éléments généraux du rapport « juste » ou « équilibré »225 entre le plein respect et exercice du droit à l’instruction et son nécessaire cloisonnement pour préserver les intérêts étatiques. Le droit en question, a affirmé la Cour en substance, n’est pas absolu ; son exercice

222 Voir M.GREVISSE etA.GOOSSE, Le bon usage. Grammaire française. 75 ans, De Boeck-Duculot, Bruxelles, 15e éd., 2011, p. 1149.

223 Voir infra, Section 2, §II, A).

224 Cour EDH, Affaire linguistique belge c/ Belgique précitée (note n° 3), § 3.

225 Pour emprunter à la terminologie de la Cour elle-même plus loin au sein du même paragraphe n° 5 par lequel elle a introduit le principe d’interdiction d’atteinte à la substance ; un tel vocable ne manquant, par ailleurs, pas de nous alerter sur la confusion conceptuelle originelle avec la logique de proportionnalité (voir O. DE

FROUVILLE, L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international…, op. cit., pp. 164-165, sur l’apport en cause de l’Affaire linguistique belge). Une analyse globale de la jurisprudence Affaire linguistique belge et de ses suites devra ainsi confirmer l’approche en pratique (et dans les principes) relative de la notion sur le terrain en cause (voir infra, n° 222).

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86. UN ROLE PRECISE. A la suite de l’Affaire linguistique belge, le juge européen précisera encore le rôle de condition ou de « limite des limites »228 conféré à l’interdiction d’atteinte à la substance. En témoigne, une majorité des arrêts de référence précédemment évoqués en

226 Voir, notamment, L.-M.LE ROUZIC,Le droit à l'instruction dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 126-127. – Sur la définition de ce concept, voir entre autres, L.MILANO, Le droit

à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 192-195, selon laquelle

« non identifiable à la théorie des limitations inhérentes, la doctrine des limitations implicites apparaît dès lors

commun un outil permettant de justifier des restrictions au droit d’accès à un tribunal » (ibid., p. 195) ; S.VAN

DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme…,

op. cit., pp. 95-97 ; J.VELU etR.ERGEC, La Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 191-193.

227 Voir F.SUDRE, Droit européen et international des droits de l'homme, op. cit, p. 207, désignant les outils de contrôle inclus dans la clause d’ordre public comme des « conditions ». Or, ce terme se voit employé ou suggéré par la plupart des auteurs en ce qui concerne – la notion conventionnelle : voir, par exemple, O.DE FROUVILLE,

L’intangibilité des droits de l’Homme en droit international…, op. cit., p. 62 ; S.VAN DROOGHENBROECK, La

proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme…, op. cit., pp. 442-443 ;

mentionnons, également, le recours au terme « d’exigence » (E.BALLOT, Les insuffisances de la notion de droits

fondamentaux, op. cit., p. 440) ; – la notion constitutionnelle : voir, notamment, quant au système suisse, J.-F.

AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse. Supplément 1967-1982, op. cit., pp. 208-209 ; A. AUER, G. MALINVERNI,M.HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse. Vol. II, Les droits fondamentaux, op. cit., pp. 79-80 ; M.HOTTELIER, « Le noyau intangible des libertés », op. cit., p. 68 ; A.MACHERET, « Le noyau intangible des droits de l’homme… », op. cit., p. 35 ; quant au système allemand, B.PETER, Des droits fondamentaux en

République fédérale d'Allemagne…, op. cit., p. 353 ; enfin, quant au système espagnol, G. PECES-BARBA

MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op. cit., p. 439.

228 La notion de « limite(s) des/aux limites » est connue de la doctrine constitutionnaliste (voir P.GERVIER, La

limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public, op. cit., pp. 16-17), provenant notamment

du droit allemand (voir, notamment, C.AUTEXIER, Introduction au droit public allemand, Paris, PUF, 1997, pp. 127-128 ; V.BARBE, Le rôle du Parlement dans la protection des droits fondamentaux…, op. cit., p. 73 ; C. GREWE etH.RUIZ FABRI, Droits constitutionnels européens, op. cit., pp. 152-153 ; S.MICHALOWSKI,L.WOODS,

German constitutional law : the protection of civil liberties, Aldershot, Brookfield, Ashgate/Dartmouth, 1999, p.

81 ; G.XYNOPOULOS, Le contrôle de proportionnalité dans le contentieux de la constitutionnalité et de la

légalité, en France, Allemagne et Angleterre, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1995, p. 143) ;

on la retrouve par exemple en droit constitutionnel espagnol (voir, notamment, L.AGUIAR DE LUQUE, « Los limites de los derechos fundamentales », Revista del Centro de Estudios Constitucionales, 1993, n° 14, p. 25 ; G. PECES-BARBA MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op. cit., p. 433).

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i`E=t65 d5 _6V E5;E=V D d5 C` aFŽaE`D;e du droit, en général229. Dans chaque cas, la Cour – interprétant le contenu matériel et les obligations attenantes à un droit garanti – va reconnaître l’admissibilité au titre de la Convention d’une restriction ou règlementation à l’exercice dudit droit, tout en affirmant, en contrepartie, des conditions à respecter afin que celle-ci puisse être considérée comme conventionnelle230. Notons toutefois par anticipation du prochain Titre que le principe-condition d’interdiction d’atteinte à la substance du droit se voit énoncé plus ou moins diversement, selon les terrains en cause ; ce polymorphisme générant assurément un doute chez le lecteur des jugements de la Cour quant à l’unicité de la catégorie (voire, quant à l’existence même d’une telle catégorie).

87. UNE CONDITION PREMIERE. Considérons, maintenant, avec attention le positionnement de la condition au sein des arrêts de la Cour européenne. Et ce, notamment, lorsqu’à l’occasion du rappel des principes généraux en cause, elle ne se voit pas mentionnée seule au titre des limites aux restrictions des droits garantis231. En effet, comme en illustrent tout particulièrement certains arrêts fondateurs suivants l’Affaire linguistique belge 232 , l’interdiction d’atteinte à la substance du droit apparaît alors – formellement – devant les autres conditions conduisant le contrôle du juge européen. Autrement dit, il s’agit de la première « limite des limites » du système conventionnel233.

Cet élément d’information est d’une haute importance pour l’analyse de la conception prétorienne. En effet, la position réservée à la condition semble devoir révéler sa mise en

229 Tels Cour EDH, Ashingdane c/ Royaume-Uni précité (note n° 221), § 57 (relatif à l’article 6, paragraphe 1), Cour EDH, Rees c/ Royaume-Uni précité (note n° 47), § 50 (relatif à l’article 12), Cour EDH, Mathieu-Mohin et

Clerfayt c/ Belgique précité (note n° 48), § 52 (relatif à l’article 3 du Protocole n° 1), Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité (note n° 49), §§ 59 et 62 (relatif à l’article 5, paragraphe 3).

230 Voir, en parallèle, l’analyse de L.MILANO concernant le droit d’accès à un tribunal, reconnu et limité, en application de cette recherche d’équilibre dans l’interprétation des dispositions conventionnelles (L.MILANO, Le

droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., notamment pp. 195 et

s.).

231 A l’inverse, il en est ainsi sur le terrain des articles 5 et 12 de la CEDH (dont les droits ne renvoient pas à des limitations « explicites » ou « implicites » pures, mais à des hypothèses de privation, pour le premier, ou à des limitations déterminées par le droit national, pour le second), tel qu’il découle des arrêts de principe – Cour EDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c/ Pays-Bas, req. n° 6301/73, A33, § 60 ; chron. R.PELLOUX, AFDI, 1980, pp. 324-325 ; Cour EDH, Brogan et autres c/ Royaume-Uni précité (note n° 49), § 59 ; Cour EDH, Fox,

Campbell et Hartley c/ Royaume-Uni, 30 août 1990, req. n° 12244/86 ; 12245/86 ; 12383/86, A182, § 32, d’une

part ; – et Cour EDH, Rees c/ Royaume-Uni précité (note n° 47), § 50, d’autre part.

232 C’est le cas notamment dans les jurisprudences Ashingdane c/ Royaume-Uni précité (note n° 221), § 57 et

Mathieu-Mohin et Clerfayt c/ Belgique précité (note n° 48), § 52.

233 Voir – généralement, S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention

européenne des droits de l’homme…, op. cit., pp. 356-357 ; – relativement au système constitutionnel suisse, A.

MACHERET, « Le noyau intangible des droits de l’homme… », op. cit., p. 35 ; J.-P.MÜLLER (dir.), Éléments pour

une théorie suisse des droits fondamentaux,op. cit., p. 150. – Signalons, également, que tant la jurisprudence

primitive de la Cour de justice (depuis CJCE, J. Nold, Kohlen und Baustoffgroßhandlung c/ Commission des

Communautés européennes précité (note n° 86), attendu 14, conclusions TRABUCCHI, pp. 515-516), que l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux peuvent, dans une certaine mesure, suggérer la reconnaissance d’une distinction prioritaire (voir R.TINIERE, L’office du juge communautaire des droits fondamentaux, op. cit., p. 363).

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¶” –orité face aux autres règles à respecter en vue de la conventionnalité d’une mesure étatique. Surtout si elle se couple, par ailleurs, avec l’autonomie de ladite condition. Remarquons ainsi qu’une analyse purement abstraite – théorique et décontextualisée – des conditions relatives aux restrictions dans le système conventionnel ne saurait être pleinement éclairante. Il est donc nécessaire d’analyser celles-ci conjointement et comparativement, pour faire émerger l’influence ou l’importance différenciée dont elles jouissent manifestement (étant plus ou moins rigoureusement, et complètement, contrôlées), ainsi que les confusions ou assimilations qui apparaissent parfois entre elles. Face à ces phénomènes, la volonté de la Cour de placer au premier rang l’interdiction d’atteinte à la substance du droit semble illustrer une priorité donnée à celui-ci. Il en découle que le principe ne peut, au cours de l’examen de la mesure étatique concernée234, d’aucune façon être supplanté par les conditions suivantes ; une telle priorité révélant ainsi une hiérarchie entre lesdits mécanismes d’encadrement des limitations, fondée sur le degré de gravité de l’atteinte au droit235.

88. BILAN GENERAL DES ANALYSES. Au regard des constatations et réflexions précédemment énoncées, il est possible de conclure à la reconnaissance par la Cour européenne des droits de l’homme d’une interdiction d’atteinte à la substance du droit, de nature principielle, et chargée d’encadrer les limitations étatiques. Ce faisant, le juge européen a manifestement entendu doter cette protection de la substance d’un caractère absolu, en ce que l’interdiction d’atteinte à la substance du droit à vocation à s’appliquer de façon permanente et inconditionnelle ; ceci émanant d’ailleurs de la priorité formelle conférée à la condition.

Plus encore, c’est l’atteinte interdite qui semble conçue absolument. Aussi, la jurisprudence européenne révèlerait l’existence d’une limitation immédiatement inconventionnelle d’un droit garanti, quelle que soit la justification apportée, dès lors qu’elle l’affecte dans sa partie intouchable.

§ II. Une atteinte à la substance du droit appréciée absolument

89. UNE ATTEINTE « EN ELLE-MEME ». Il a préalablement été affirmé que nonobstant l’abstraction – et subséquemment, la relative opacité quant à son contenu – de la formulation

234 A contrario, la continuation de l’examen serait conditionnée par le constat implicite d’une absence d’atteinte à la substance du droit (voir par exemple, dans la jurisprudence, l’opinion dissidente des juges WILDHABED, COSTA,LORENZEN,KOVLER etJEBENS sous Cour EDH, Gde ch., 6 octobre 2005, Hirst c/ Royaume-Uni (n°2), req. n° 74025/01, Recueil des arrêts et décisions 2005-IX, § 2 ; chron. O. DUBOS, JCPA, 2006, 1021, pp.

144-146).

235 Voir, pour une illustration manifeste, la solution de l’arrêt Cour EDH, 27 juillet 2006, Nedzela c/ France, req. n° 73695/01, § 58.

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L’intangibilité complète évoquée reposerait dès lors sur l’idée d’une limite à ne pas dépasser « en soi » (A). Sa particulière singularité, eu égard aux mécanismes classiques issus de l’interprétation constructive de la Convention, semble devoir expliquer son importation au système conventionnel (B).

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