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D’autres « structurations élémentaires du lexique » : submorphémique et marqueur sub-lexical

Signifiant : présence du trait [pharyngal], dont l’articulation inclut le resserrement articulatoire du pharynx

2.3.2 D’autres « structurations élémentaires du lexique » : submorphémique et marqueur sub-lexical

2.3.2.1 Vers une reconnaissance ontologique du sous-morphème (submorpheme)

Dwight Bolinger, qui inspirera plus tard les travaux de Jakobson, est le premier linguiste à avoir analyser les sous-morphèmes (submorphems) au 20ème siècle :

Where, within or between morphemes and mere differentials, would our rimes and assonances fall? If we can show enough regularity in use, a rime or an assonance should be, or come very near to being, a morpheme. Let us take the form /gl/ already noted as referring to ‘visual phenomena’, and assay its possibilities as a morpheme. Discarding technical, learned, and dialectal words, we may list, in seven columns showing graduating fidelity to the meaning ‘visual phenomena’, all the base words, excluding obvious derivatives, that begin with /gl/: [glance, glare, gleam, glimmer, glimpse, etc.]365

Cette reconnaissance de groupes submorphémiques semble relayer la problématique de la consubstantialité du signe avant le signe mais après le niveau matriciel tel que l’entend Bohas. Des recoupements morpho-sémantiques ont donc été effectués entre des signifiants pour en détecter l’invariant sémiologique supposé vecteur conceptuel. Car, en l’occurrence, quoiqu’il ne soit pas encore un signe construit, le sous-morphème n’en représente pas moins un « en cours de construction, et possède, à ce titre, un statut ontologique »366 :

365

Bolinger (1950 : 131). Nous soulignons. « Où nos rimes et assonances porteraient-elles ? sur ou entre des morphèmes ou sur de simples différences? Si nous pouvions montrer une régularité suffisante dans son utilisation, une rime ou une assonance devraient être un morphème, ou presque. Soit la forme /gl/ déjà célèbre comme liée à l’idée de 'phénomènes visuels'. Testons ses possibilités d’usage en tant que morphème. En écartant les termes techniques, savants et dialectaux, nous pouvons lister sur sept colonnes des mots correspondant à la signification des ‘phénomènes visuels’, tous issus de racines qui commencent par /gl/: [glance (« clin d'œil »), glare (« lumière éblouissante »), gleam (« lueur »), glimmer (« lueur vacillante »), glimpse (« aperçu », « lueur »), etc] » (nous traduisons).

366

Alors que le signe linguistique, élément formé, existe en puissance avant d’exister en effet, l’élément formateur, généralisant, ne peut exister en effet sans apport de matière phonique particularisante. Par conséquent, il n’existe qu’en puissance, à l’état virtuel, et, de ce fait, ne peut être le vecteur d’un potentiel de sens qu’en langue. Son rôle consiste à amorcer le sens, et non à l’actualiser en discours. Par contre, les signes linguistiques qu’il contribue à former ayant subi un processus de dévirtualisation, processus visant à accroître leur degré de particularisation, ils deviennent, du fait de cette dévirtualisation, des vecteurs de sens susceptibles d’être actualisés en discours.367

Pour devenir signifiant, il lui faut franchir une limite universelle, celle, identifiée par Guillaume, qui sépare le champ du général du champ du particulier, et qui coïncide ici avec celle, tout aussi universelle, qui sépare invariance et variabilité. Cette limite est franchie, lors d’une opération de morphogenèse, grâce à un apport de matière phonique supplémentaire, matière particularisante en raison du potentiel de variabilité de celle-ci. C’est la fusion de ces deux types de matières, l’un caractérisé par son invariance, généralisante, l’autre par sa variabilité, particularisante, qui est créatrice de sens, c’est-à-dire qui permet de passer, en langue, de l’état d’élément formateur à celui d’élément formé.368

Précédant l’« élément formateur » guillaumien,369 un sous-morphème s’avère donc être « un terme parfois utilisé pour référer à la partie d’un morphème qui possède une forme et un sens récurrents, tel que [sl] au début de slimy [« gluant »], slug [« limace »], etc.370 Le marqueur sub-lexical en est un type spécifique.

2.3.2.2 Le marqueur sub-lexical, un sous-morphème particulier

Selon la définition de Philps :

Le marqueur sub-lexical se présente comme un objet de langue, bien que les valeurs sous-jacentes qu’il véhicule soient des objets de pensée. Un marqueur sub-lexical est ainsi appelé non seulement parce qu’il marque un domaine notionnel donné, mais aussi parce qu’il le

démarquepar rapport à d’autres domaines notionnels.371

On retrouve donc les caractéristiques oppositives des domaines sémiotique et phonologique dans une unité qui fait partie d’un domaine médian. Ces explications sont valides sur le plan pré-linguistique, mais ne peuvent précisément correspondre qu’à un concept,

à savoir un espace conceptuel construit à partir d’opérations de catégorisation de l’univers d’expérience entreprises par l’esprit, espace qui peut être muni d’une métrique. Cette

367 Philps (2002 : 106).

368

Philps (2002 : 110).

369 Cf. Guillaume (1988 : 43) : « Il existe en langage, à une plus grande profondeur dans la pensée, une autre unité de puissance, qui est l’unité de puissance de la langue. Cette unité de puissance de langue, c’est l’élément formateur auquel fait appel, pour se réaliser, la construction du mot. Les éléments formateurs sont des parcelles de parole auxquelles s’attache une valeur significative déterminée, plus ou moins simple ou complexe. » (Nous soulignons).

370 Crystal (2003 : 301, nous traduisons) : « is a term sometimes used to refer to a part of a morpheme that has recurrent form and meaning, such as the sl- beginning of slimy, slug, etc. »

371

Philps (2002 : 106). C’est l’auteur qui souligne. La notion de marque est inspirée directement de Guillaume. Cf. e.g. : « [la pensée] est plus ou moins inscrite en lui [dans le langage], dans le discours. On en voit la marque, la trace. C’est à partir de ces marques, de cette trace que l’analyse opère : elle n’a pas d’autres moyens ». (Guillaume, 1992 : 287). On la trouve également chez Antoine Culioli (CULIOLI, Antoine, Pour une linguistique de l’énonciation, Paris, Ophrys, 1990, p. 21-24).

conception ne rejoint pas le champ d’application de la psychomécanique, car elle situe la notion [liée au marqueur sub-lexical] à un niveau non pas linguistique mais conceptuel.372

Il s’agit donc du niveau du sens puissanciel :

La matière notionnelle est interceptée, au stade représenté par le marqueur sub-lexical, de façon précoce, de sorte que le potentiel de sens dont le marqueur serait porteur ne se discerne pas suffisamment par rapport à la matière universelle (ou univers pensable).373

Cette démarche ne saurait donc être à ce niveau non plus ni systématique ni donc autrement qu’heuristique.

2.3.2.3 Démarche heuristique de la quête du marqueur sub-lexical

Philps évoque sa démarche, appliquée en l’occurrence au marqueur <sn>, comme suit :

Nous explorons […] l’hypothèse, d’inspiration guillaumienne, que le groupe consonantique initial sn- dans ce que nous appellerons heuristiquement les « mots en sn- » de l’anglais véhicule, du fait de son invariance en surface, une invariance en profondeur374.

Or, outre qu’il s’agit d’une unité submorphémique et non d’un morphème, cette invariance en profondeur n’a pas son équivalent au niveau sémantique car « les « mots en sn- », érigés en classe du seul fait de l’invariance sémiologique manifestée par le groupe consonantique initial [sn], ne possèdent aucun sens qui puisse être considéré comme « commun » dans le cadre d’une théorie sémantique existante. »375 C’est donc un travail à grande échelle qui nécessite un point de vue global.

Philps recourt alors à la statistique comme critère de pertinence pour déceler les recoupements conceptuels :

Sur le plan statistique, notre hypothèse permet de constater qu’environ la moitié des bases lexicales en sn- (hors variantes, acronymes, et noms propres) recensées dans The New Shorter

Oxford English Dictionary […] possèdent des sens qui, bien qu’ils soient rarement identiques,

renvoient tous au domaine notionnel de la bucco-nasalité, environ 40 % au domaine nasal (ex. : sniff, s.v. « renifler ») et environ 10 % au domaine buccal (ex. : snap, s.v., « tenter de mordre »).376

Cette méthode appliquée au groupe sn- permet donc en l’occurrence d’établir plus précisément les termes impliqués et de les distinguer rationnellement de ceux qui ne le sont pas malgré une forme identique, en identifiant

une « sous-classe » statistiquement significative composée de lexèmes possédant un sens, parfois métaphorisé qui renvoie soit au domaine notionnel de la nasalité, soit à celui de la

372 Philps (2005 : 137). 373 Philps (2005 : 141). 374 Philps (2002 : 104-105). 375 Philps (2002 : 105).

376 Philps (2002 : 105). Comme l’énonçait Guiraud (1960 : 15) voici quelque cinquante ans : « la linguistique est la science statistique type ; les statisticiens le savent bien, la plupart des linguistes l'ignorent encore ».

buccalité. Parmi ces mots, seuls sneeze « éternuement » et snip « tache claire sur le museau d’un cheval » attestent une combinaison des deux domaines (c’est-à-dire un renvoi bucco-nasal) dans leur définition respective.377

Si l’appui des chiffres est une sécurité supplémentaire très opportune, on pourrait objecter que l’auteur ne cherche pas de mise en cohérence précise avec les mouvements articulatoires qui donnent lieu à la forme [sn].

De plus, si le marqueur sub-lexical <sn> (entre chevrons chez l’auteur) se situe en amont du groupe phonétique [sn], ce n’est pas pour autant que ce dernier en est nécessairement issu. Par exemple, « aucun critère connu de nous ne permet d’agréger en une « classe » sémantique des mots tels que snack « casse-croûte », snail « escargot », sneeze « éternuement », et snow « neige » »378. Car ce n’est pas sur « l’identité de sens » que se fonde cette théorie mais sur le recoupement du conceptuel et du sémiologique. De la même manière, l’auteur a trouvé des exemples concordant sémantiquement mais non formellement : « à savoir <øn->, où <ø>, où <ø> représente une possibilité d’alternance consonantique non instanciée » qui apparaît différentiellement comme un nouveau marqueur sub-lexical.379

Une étude complémentaire en diachronie du marqueur sub-lexical <sn-> amène cependant Philps à opérer de nouvelles évictions de vocables ne correspondant par aux critères de filiations établis. Il a alors constaté que les « mots en sn- » régis par le marqueur <sn> procéderaient d’une

racine indo-européenne ou proto-germanique en *(s)n-, c’est-à-dire à *s- mobile. », [ce] qui permet d’évincer snug « confortable, douillet », si ce mot continue *ksneu-, élargissement de *kes- « gratter », dans lequel *-n- serait le résultat d’un processus d’infixation. Il permet également d’exclure snail « escargot » et snake « serpent », <*sneg-/q-, ainsi que snow « neige », *sneigwh-, dans la mesure où ces mots sont issus de racines indoeuropéennes où *s- ne montre aucune trace de « mobilité »380.

Il en vient alors aux conclusions suivantes basées sur le synchronique et le diachronique comme critères de catégorisation :

377 Philps (2002 : 111).

378

Philps (2002 : 114).

379 Cf. Philps (2002 : 114). Ce mécanisme est d’ailleurs proche de ce que nous nommerons plus avant la correspondance phono-commutative, c'est-à-dire une opposition matérialisée par un phonème ou un trait phonologique entre deux signifiants sémantiquement proches (cf. Indications définitoires).

380

Figure 8. Décomposition de l’espace des mots en sn- : superposition des critères synchronique et diachronique381

Selon ces critères, une majorité de mots correspond au concept de « bucco-nasalité ». Il est démontré ici après Guiraud la pertinence de l’utilisation de l’étymologie comme critère discriminatoire pour l’intégration ou non dans une structure donnée.382

C’est une application de l’étymologie structurale dans le cadre de la submorphémique, qui a valu à Philps d’étendre et de systématiser le principe de la structuration onomatopéique. Il n’a néanmoins pas conservé de Guiraud la tentative de rationalisation par l’analyse du domaine articulatoire. L’apport de ce « courant de la submorphémique » reste malgré tout important pour une analyse du signifiant comme moyen de l’affiner et d’en préciser les outils. Il est toutefois loisible de constater que tous les exemples que nous avons relevés représentent des groupes en position initiale. Cela est confirmé par les conclusions des adhérents à cette théorie dont Jean-Marc Chadelat (2008 : 79 sq), qui a détecté un marqueur <Cr-> lié à l’idée de « non-rectiligne » [e.g. crab (« crabe »), crack (« rupture d’un objet »), crick (« torticolis »)]. Pour sa part, Line Argoud (2008 : 1-2), a analysé un marqueur à la fois phonique et graphique <Kn->, réalisé [n], se trouvant à la croisée des idées de « coup », de « protubérance » et de « mastication », réunissables sous la notion d’« articulation corporelle » [Cf. knees (« genoux »)]. Certes, il s’agit de la position qui, dans les langues indo-européennes, ouvre le plus à structuration (cf. infra), mais il n’est pas tenu compte ici de « variantes paragrammatiques » comme le fait Nemo. C’est conscient de l’importance de cette

381 Cf. Philps (2002 : 112).

382

Cf. Philps (2002 : 121) : « […] si l’esprit et son mode opératoire constituent une ressource permanente de l’être humain, et si le marqueur sub-lexical constitue effectivement la trace matérielle, plus ou moins déformée, de modélisations mentales invariantes en profondeur, alors l’encodage sub-lexical doit théoriquement véhiculer les conditions afférentes à cette activité modélisante, indépendamment de toute variation de surface subie par tel ou tel marqueur dans l’espace-temps. »

dimension des racines submorphémiques que Bottineau a théorisé les « idéophones lexicaux ».

2.3.3 Les « idéophones lexicaux » selon Bottineau : vers plus de

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