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Apports et limites du « mimétisme du référent »

- De l’articulation comme image de la réflexion

1.1.4.3 Apports et limites du « mimétisme du référent »

Dans le cadre du mimétisme de l’objet phénoménal, une propriété de l’objet est choisie pour sa saillance (ou suivant un autre critère qui deviendra définitoire) et est attribuée

107 Fónagy (1983 : 73-74). La problématique de l’universalité de pareils constats s'est alors posée car il est possible, comme le souligne Monneret, que les enfants ayant subi les tests aient donné des points de vus subjectifs, en fonction de mots connus d’eux qui comportaient ces phones et exprimaient des idées de « minceur » pour le [i] et d’« ombre » pour le [u] par exemple. Or, ainsi que le souligne Monneret, « Chastaing a effectivement montré que la fréquence des voyelles claires est significativement plus grande dans les mots dénotant la clarté que dans ceux dénotant l’obscurité (en anglais, en français et en italien) » (cf. Monneret, 2003b : 103). Cf. aussi CHASTAING, Maxime, « La brillance des voyelles », Archivum linguisticum, n°14, 1962, p. 1-13.

108 Monneret (2003b : 104). Nous soulignons. Cela correspond à ce que nous avons vu supra avec Humboldt et les onomatopées.

pour la création d’un mot. C’est toute la fonction de l’onomaturge ainsi que l’expliquent Jean-Claude Chevalier et Marie-France Delport :

Placé devant un segment du monde qui n’a encore reçu de nom, segment minéral, végétal animal, humain, etc., j’en retiens ou sélectionne un trait, une propriété, une circonstance et j’en fais une caractéristique. Je nomme ce trait et je le rapporte au segment que je considère. Ce dernier. Ce dernier, dès lors, pour ce qui est de sa dénomination, m’apparaît comme le porteur de ce trait. Il est celui qui le possède, et c’est au travers de lui désormais que le reconnaîtrai, que je l’évoquerai et invoquerai si besoin est.109

La nomination est donc de facto directement liée à la motivation puisque le choix est motivé de telle ou telle propriété du segment du monde anonyme. Cette sélection est du même type que celle traitée par Monneret à propos du symbolisme phonétique. De plus, la nomination suppose une économie linguistique, principe universellement reconnu comme un déterminisme (cf. infra le paragraphe sur la « paronymisation »). La nomination s’opère en n’utilisant qu’un seul trait perçu comme suffisant du segment du monde pour en référer à la totalité110. Le trait devient alors prisme de signification.

Or, si l’on tire toutes les conséquences de ces deux faits, il n’est pas illogique d’envisager une nomination ou une motivation par mimétisme et donc, une corrélation en aval portant sur cette propriété et fédérant potentiellement plusieurs termes. Nous pouvons donner l’exemple du verbe espagnol correr (« courir », « couler ») dont la vibrante multiple interne [rr]111 – une « liquide » – invite iconiquement et métaphoriquement à employer ce signe appliqué à de l’eau (el agua corre) ou à un autre liquide (la sangre corre). On trouve d’autres vocables tels que arroyo, chorro ou des suffixes comme -rragia, -rrea, ou encore le préfixe

reo- ([rr] en position initiale), d’origines distinctes mais qui renvoient tous à l’idée

d’« écoulement »112. En application à la langue française, Cadiot et Visetti (2001 : 103) tiennent des propos approchants sur le mot couloir : « [c]ouloir, s’il suggère une forme longiligne dans certains espaces fonctionnels, ne le fait que parce qu’il l’associe à tous les sens de ‘(se) couler’. » En l’occurrence, en français, le pouvoir du signifiant tient en la même métaphore qu’en espagnol, celle de l’exploitation d’une liquide pour exprimer, pour

matérialiser l’idée d’« écoulement », mis à part que c’est une autre des liquides qui est

actualisée : [l]. Ainsi, dans l’un et l’autre système, le rapport du signifiant au signifié reste de

109 Chevalier-Delport (2005 : 113).

110 Cf. Chevalier-Delport (2005 : 125) : « […] et là est l’économie du langage qui signale les choses par un seul de leur aspect. »

111 Nous allons symboliser de la sorte la vibrante multiple car nous ne disposons pas d’autre moyen de scription informatique, d’une part et, d’autre part, nous résolvons par là même la question de l’apparition en majuscule pour l’invariant correspondant {RR} (cf. infra, chapitres deuxième et troisième).

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même nature, seule varie la forme. En effet, le rapport couler / couloir correspond en une majorité de situations au rapport correr / corredor en espagnol.

Plus généralement, les manifestations de ce genre peuvent, à l’échelle de chaque lexique, donner lieu à des correspondances sémantiques actualisées dans tel ou tel système. Ce procédé est proche de l’onomatopée mais « les deux langues considérées ne retiennent pas du référent les mêmes traits significatifs ». Car, si la propriété « liquide » est bel et bien commune aux deux phones contenus dans les termes correr et couler, celui du premier est une vibrante multiple (propre à l’espagnol d’un point de vue phonologique) et celui qui compose l’autre est une latérale. Il y a donc effectivement « idiomaticité » et donc systématicité, au sens de rattachement à un système et non à un autre, correspondant à un découpage différent de l’univers référentiel en fonction des langues. C’est ce que confirme par ailleurs Otto Ducháček (1969 : 139) :

Les nuances qui séparent les concepts que différents peuples se sont formés des réalités identiques se reflètent à leur tour dans la diversité des contenus sémantiques des mots qui désignent les concepts en question. La conséquence en est que l'organisation du lexique et surtout de quelques domaines particuliers n'est pas la même dans toutes les langues bien qu'on puisse constater des analogies et des coïncidences considérables dans les langues apparentées (par exemple romanes) et dans les langues des peuples voisins et qui vivent dans les mêmes conditions. Néanmoins, malgré ces coïncidences, toute langue possède son organisation spécifique des signifiés et, par conséquent, même sa propre structure des signifiants.

Le mimétisme s’avère donc prometteur à la fois pour mettre en porte-à-faux le présupposé « arbitriste » (conçu comme premier, s’entend), et pour proposer une structuration dont les éléments ne se situeraient non pas au niveau linguistique mais en amont. En outre, cela confirme résolument la très grande portée de la métaphore que postule Jakobson (1966 : 34). Ici, elle concerne autant l’amont phono-articulatoire que l’aval linguistique sémiotisé pour accéder à l’idée à laquelle réfère un vocable donné.

D’ailleurs, accorder la place qui lui revient au mimétisme a le mérite de ne pas opposer langues naïves / primitives et langues élaborées ni norme et motivation dans la mesure où l’expressivité peut concerner un large pan du lexique. Nous rejoignons l’extrême de la notion de motivation symbolique de Gadet en ce qu’ici la valeur est basée sur le phénomène de la motivation interne et ne met plus en relation deux signifiants indépendamment de leur arbitrarité inhérente supposée. Le son d’une rivière ne peut en effet exactement être rendu dans le système phonologique espagnol si tant est qu’il puisse être entendu (perçu et compris) de la même manière par tout sujet parlant. Et cette approximation n’enlève pas au son [rr] sa potentielle expressivité.

Nous avons remarqué donc jusqu’à présent que la motivation, qu’elle soit interne ou externe, dépend largement de la structuration du signe lui-même. Les quelques aspects abordés mènent ainsi au postulat de l’unité essentiellement formée par le signifiant et le signifié. Mais une question reste encore à aborder plus en détail : celle de leur unicité. Ce sont les postulats hérités de la psychomécanique et de la psychosémiologie guillaumiennes qui peuvent, de notre point de vue, le mieux assumer cette problématique et en extraire la portée épistémologique.

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