• Aucun résultat trouvé

Les bénéfices d'une « graphématique autonome » complémentaire433

Signifiant : présence du trait [pharyngal], dont l’articulation inclut le resserrement articulatoire du pharynx

2.4 Pour une tentative de rationalisation du signifiant graphique

2.4.1 Les bénéfices d'une « graphématique autonome » complémentaire433

Nous allons adopter à la fois la démarche symboliste et contrastive dans une perspective complémentariste. Nous tenterons d’identifier ce que le signifiant graphique peut apporter en tant que (co-)générateur d’une signifiance mais ce, indépendamment des différents styles graphologiques. Dans le cadre d’une approche structurale, il est important de poser la problématique de ce que signifie le graphème dans le cadre d’un système donné. Nous entendons par là que le graphisme peut servir à distinguer deux représentations graphiques correspondant à un même phone (par exemple c, qu / q et k pour l’espagnol) en vertu de réseaux propres à chaque idiome. À notre connaissance, Nina Catach est, dans une optique structurale, la chercheuse qui a théorisé avec le plus de rigueur le système graphique en application à une langue romane, en l’occurrence le français.

2.4.1.1 Postulats et méthode du « plurisystème » dans une application au français

Le « plurisystème » mis en place par Catach représente l’articulation de champs visibles au plan graphique, parfois corrélés avec le plan phonique. En l’occurrence, les graphèmes sont répartis dans plusieurs catégories (quatre au total), ce qui explique le nom de la théorie.

Tout d’abord, l’auteur distingue les phonogrammes (80 à 85% des graphèmes du français), lesquels transcrivent un son : o, au, eau ; in, ain, ein, etc. (cf. Catach et alii, 1986 : 23). Ensuite, elle insère dans une deuxième classe ce qu’elle nomme les morphogrammes (3 à 6% des graphèmes du français), qui apportent un supplément d’information. De fait, les

433

morphogrammes peuvent être soit grammaticaux (e.g. s de vais, tables) soit lexicaux (e.g. d prononcé dans grandeur) et peuvent être prononcés ou non (cf. ibid.) La troisième catégorie se compose de graphèmes qui constituent une discrimination graphique entre plusieurs homophones (e.g. seau, sceau, sot, saut). Elle nomme ces graphèmes les logogrammes (3 à 6% des graphèmes du français, cf. Catach et alii, 1986 : 28). Enfin, à ces trois classes, s’ajoute une quatrième comportant des graphèmes en tant que traces étymologiques (e.g. h de homme) et qui représentent statistiquement 12 à 13% des graphèmes du français (cf. ibid.)

Si les logogrammes ne sont pas pertinents pour l’espagnol et que le système phonogrammique y est nettement moins complexe, il convient de souligner malgré tous les critères de classification proposés. En l’occurrence, Claude Gruaz, qui a contribué à l’ouvrage sur lequel nous nous appuyons, a recensé quatre critères principaux de reconnaissance des graphèmes inhérents à la démarche structurale adoptée par Catach et mêlant emprunts, lexèmes et morphèmes grammaticaux :

1. leur fréquence, ou plus exactement leur probabilité d’apparition : la graphie sh de shoot n’est pas significative ;

2. leur degré de cohésion, de stabilité, d’autonomie : "un graphème est reconnu comme tel s’il se retrouve intact dans divers contextes" [Catach et alii, 1986 : 30], ex. ai dans maison, fait,

sais, geai ;

3. leur degré de rapport direct avec les phonèmes : un graphème renvoie à un même phonème quel que soit le contexte, ex. eau renvoie toujours à /O/ ; ceci est une condition nécessaire mais pas suffisante : bien que renvoyant à un même phonème, […] è de père, e de vers, ai de

vrai sont des graphèmes différents ;

4. le degré de rentabilité et de créativité linguistiques, par exemple, le graphème ai a une forte rentabilité morphologique dans la conjugaison et se retrouve dans tous les verbes créés en français à l’imparfait, au conditionnel, etc.434

Ces critères rigoureux montrent, au-delà de l’application monolinguistique, des unités rattachables en fonction de la stabilité de l’unité en synchronie, de la probabilité d’apparition (touchant à la compétence graphique des locuteurs), le rapport direct aux phones très prégnant en espagnol. Ces critères ont, pour la plupart, déjà été évoqués plus haut dans ce chapitre en application à des motivations d’ordres phonétique ou articulatoire et sont tout à fait transposables à l’espagnol. Enfin, ce que Gruaz nomme « le degré de rentabilité et de créativité linguistiques » nous semble également d’importance car il instaure comme

434 GRUAZ, Claude, « Plurisystème et grammaire homologique », Airoe, accessible en ligne à l’adresse

http://airoe.org/spip.php?article135, np. La grammaire homologique, instaurée par Gruaz, est une variante de la théorie du plurisystème qui approfondit certains de ses aspects en application au français, mais ces aspects sont d’un moindre intérêt pour une application à l’espagnol. C’est notamment le cas de la composition avec ou sans tiret, de la « valeur phonogrammique nulle » (e.g. banc, dont le c final ne se prononce pas) ou encore l’absence de fonction du redoublement du n (e.g. maisonnette, traditionnel opposés respectivement à voisinage ou traditionaliste). Cf. Gruaz, ibid.

référence la fréquence d’utilisation, qui implique également une certaine compétence. Cependant, il n’est rien dit de ce qui constitue cette fréquence, comme l’économie (cf. infra, l’étude du graphème k appliquée à l’espagnol).

Pour une application au castillan, il importe de considérer que le « degré de rapport direct » avec les phones est maximal dans la mesure où un graphème (la plupart du temps monographique) y correspond souvent à un son. En effet, l’arborescence des déclinaisons graphématiques étant moins importante (o = [o] ; a = [a] ; e = [e], etc.), le classement des graphèmes est de fait opérable de manière moins complexe. Mais surtout, si à une graphie correspond fréquemment une phonie à l’échelle du système, les écarts, les « bifurcations » et donc les possibilités motivantes, s’en voient quantitativement réduits. On constate alors une inverse proportion entre degré de rapport direct et motivation. Il n’existe par exemple qu’une représentation graphique de [e], soit e, du fait de l’inexistence notamment des phones [ə], [œ] ou [ε] et d’une règle d’accentuation différente de celle du français.

Pour en revenir à la classification de Catach, précisons que les graphèmes se répartissent sur trois niveaux. Le premier représente les 45 graphèmes de base (dont les archigraphèmes) qui montre une connaissance du français basique, fondamentale. Quant au deuxième niveau, il est constitué de 70 graphèmes subsumant les 45 premiers et atteste une meilleure connaissance de la langue, et enfin le troisième niveau se compose de 130 graphèmes qui subsument les 70 précédents et qui n’apparaissent que dans des cas précis (e.g.

th de théâtre).435 Cette hiérarchisation des quantités graphématiques mémorisées, c’est-à-dire le facteur de la compétence graphique, garde de sa pertinence pour l’application à l’espagnol car, quoique dans une moindre mesure, la disposition d’un stock suffisant de graphèmes est nécessaire.

Le « plurisystème » met donc en lumière les corrélations de mots qui échapperaient radicalement à une analyse purement phono-sémantique. Il est clair qu’ici ai par exemple est autonome et stable graphiquement mais pas référentiellement. L’impératif aie ou le substantif

lait n’ont en effet de pertinence de corrélation que par l’unité phonogrammique ai.

Dans l’optique d’une application au lexique espagnol, tentons désormais de détecter les liens phonogrammiques qui lui sont propres et qui seraient susceptibles de donner lieu à motivation.

435

2.4.1.2 De quelques « formes canoniques graphiques » de l’espagnol

Une application (partielle) du « plurisystème » suppose de prendre en compte non seulement les phénomènes systématiques rattachés à la structure graphique du signifiant mais également ses propriétés. C’est le lieu des oppositions allographiques simples ou

complexes436.

Il conviendra de prendre en charge certaines particularités de l’espagnol tel l’archigraphème K représentant k, c et q(u)437 ; l’archigraphème G représentant gu et g ;

l’archigraphème X représentant j et g (cf. Juan Ramón Jiménez dont les poèmes font figurer exclusivement le graphème j pour le son [χ]) ; les deux graphèmes b et v réunis sous un même son [b] ; l’impossibilité du redoublement des consonnes à l’exception de c, r, l, n (sauf certains emprunts en position de coda : e.g. topless, cross et dérivés, miss, gauss. Cf. DRAE, s.v.) ; le h phone muet (hombre, haber) vs. phone aspiré, notamment dans la prononciation d’emprunts : e.g. Georges Harrison, Hanan. On pourra également prendre en compte ce qui n’est pas propre à l’espagnol tels le S et le Z, dialectalement allographes et considérés comme des diagraphèmes (cf. chapitre septième). Cela est en lien avec l’économie articulatoire qui fait prononcer les mots avec le segment ps- à l’initiale en omettant le [p] ou l’« omission » phonétique plus dialectale : cantado [cantaØo] ; dormir [doØmiØ].

En somme, l’on pourra postuler que « [l]a lettre est hiéroglyphe indirect du son »438 en tant que correspondant graphique direct ou indirect en fonction des phones et des systèmes. Car, dans une optique plus proprement graphématique et en restant dans le cadre d’une démarche structurale, il est loisible d’appliquer les fondements théoriques retenus au

symbolisme graphique.

En effet, comme le symbolisme phonétique peut entrer structuralement dans la composition de certains mots du lexique, la figurativité de la lettre (ou des lettres), quoique peu étudiée, ne doit pas être considérée à part. Certains vocables peuvent effectivement par leur graphisme contribuer à représenter un aspect du référent. Ainsi, la notion de « circularité » est souvent évoquée par des termes qui contiennent deux c. Sur le plan articulatoire, si l’on considère le premier c (interdental) et le deuxième (guttural) comme situés à des côtés opposés de la sphère buccale, force est de constater que pour la prononciation, une fermeture partielle de la bouche est certes nécessaire, mais ce n’est pas le cas de tous les mots motivés par cet invariant (e.g. cárcel [kárθel]). En revanche, dans les

436 Cf. García de Lucas (2000 : 25-27).

437 Le q seul peut être trouvé en positions initiale et finale par exemple dans des noms de pays arabes (Qatar, Iraq).

438

deux cas, on referme les deux c pour former le rond ou l’« enfermement » à quoi réfèrent

cerco, círculo ou encore ciclo, d’origines distinctes. On retrouve d’ailleurs cette fermeture des

deux c dans le préfixe circun-.439 Nous tenterons plus avant de donner un aperçu de structuration par le biais du symbolisme graphique reniant ainsi, à l’instar de Guiraud, l’opposition plus large entre iconicité et motivation relative. Consacrons-nous pour le moment, afin d’en illustrer la potentialité, à une application de la théorie de la motivation relative graphique au graphème k en espagnol.

Documents relatifs