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Guillaume et Saussure. Relecture du rapport hiérarchique entre arbitraire relatif et arbitraire absolu

du langage pour la motivation du signifiant lexical

1.2.1.4 Guillaume et Saussure. Relecture du rapport hiérarchique entre arbitraire relatif et arbitraire absolu

En posant un signe unique, Guillaume prône une certaine motivation relative comme évoqué plus haut, comme résultat du procédé de la symphyse. Toutefois, Launay (1987) a établi que le signifié guillaumien ne correspondait pas strictement au signifié saussurien :

Ma thèse est que le signifié saussurien coïncide avec ce qui est appelé par Guillaume signifié

de discours, et que le signifié de langue est, quant à lui, à rapprocher de ce que Saussure

identifie comme étant la valeur. [Soit…] :

SAUSSURE GUILLAUME Signifié Signifié de discours Valeur Signifié de langue133

Et l’auteur de citer l’exemple sheep (« mouton ») utilisé par Saussure et exploité plus haut par Monneret :

Le français mouton peut avoir la même signification que l’anglais sheep, non la même valeur, et cela pour plusieurs raisons, en particulier parce qu’en parlant d’une pièce de viande apprêtée et servie sur la table l’anglais dit mutton et non sheep.134

Ainsi, à la signification correspond ce que Guillaume nomme signifié de discours mais étant donné que Saussure s’est évertué à distinguer les notions de signifié et de valeur, il est loisible de confirmer la non-équivalence déterminée ci-dessus135.

Par ailleurs, si chez Saussure le signe « est conçu comme le résultat d’une association d’un signifiant et d’un signifié de discours. Le signifiant guillaumien, au contraire, est conçu

132 Pour une rationalisation des cas de o et a en rapport oppositif malgré leur statut non morphématique, et renommés formants, cf. Molho (1986 : 49-50). Cf. également chapitre deuxième.

133 Launay (1987 : 142). C’est l’auteur qui souligne.

134 Saussure (1996 : 160) cité par Launay (1987 : 143). Le même découpage sémantique existe approximativement en espagnol avec le rapport de oveja à cordero.

135

comme l’entité qu’on associe au signifié de discours, et non comme le produit de l’association. »136

Le signifiant, enfin, chez Saussure représente une association avec le sens immédiatement perceptible en discours tandis que chez Guillaume, il est « ce qui permet de produire des signes : tel est le mécanisme qui construit le discours. Mais chaque signifiant est lui-même issu d’un traitement non quelconque d’un signe : une confrontation de celui-ci avec d’autres signes. Tel est le mouvement de la langue »137. En somme, le signe radicalement arbitraire chez Saussure dans une première approche « est considéré hors système ou

abstraction faite du système. Or […] c’est le système, précisément, qui motive le signe et que,

donc, la langue en tant que système est, pour sa part, fondée sur un principe non d’arbitraire mais de motivation ».138 Cette question terminologique revêt, au vrai, en effet, une différenciation de hiérarchie ou d’englobement entre signe et signifiant. Cela explique la démarche saussurienne et le postulat premier de l’arbitraire.

Monneret parvient indépendamment aux mêmes conclusions et considère que cette « motivation relative guillaumienne » et la « motivation relative saussurienne » ne coïncident pas exactement en ce que le champ recouvert est potentiellement plus important en psychomécanique. Ce que Monneret nomme la perspective systématique guillaumienne compléterait alors la perspective sémiologique saussurienne dans l’optique d’une rationalisation du signe :

La théorie de la valeur condition nécessaire d’une systématique, n’en assure pas pour autant la praxis. Au fond, la théorie de la valeur est le degré minimal du pôle systématique, ce qui revient à dire que le Saussure du Cours de linguistique générale se situe avant tout dans une perspective sémiologique : « le problème linguistique est avant tout sémiologique. »139

De fait, à l’inverse de Saussure, la perspective systématique guillaumienne « revient à majorer la notion de motivation relative au détriment de l’arbitraire absolu, non éliminé pour autant mais relégué à l’arrière-plan. »140

Cette théorie revient donc à donner motivation relative et arbitraire (absolu) comme inversement proportionnels dans le langage. Autrement dit, plus le degré de motivation d’un signe est élevé, moins l’est le degré d’arbitrarité :

Il est vrai que Saussure insiste surtout, dans sa description des faits de motivation relative […], sur le fait que le relativement motivé du signe analysable n’affecte en rien l’arbitraire de ses éléments composants [cf. exemples de dix-neuf opposé à vingt]. Il demeure que dans un

136

Launay (1987 : 144).

137 Launay (1987 : 155). C’est l’auteur qui souligne. 138 Launay (2003 : 278). C’est l’auteur qui souligne.

139 Monneret (2003b : 22). L’auteur souligne et cite Saussure (1996 : 34). 140

système de signes fini, il existe une relation de proportion inverse entre le nombre de signes arbitraires et le nombre de signes relativement motivés : lorsque le dernier augmente, le premier diminue. S’il est vrai que la motivation relative –autrement dit le réseau des

analogies dans le système de signes– n’a pas le pouvoir d’affecter qualitativement l’arbitraire absolu, il le modifie quantitativement.141

Ce que nous laisse en effet entrevoir le Cours de la théorie de Saussure est qu’il a quelque peu délaissé ces réseaux d’analogie. Or, dans les notes portées ultérieurement à publication par Bouquet et Engler en 2002, il est possible de remarquer une évolution : une conception du signe non en soi mais à l’intérieur du système, qui préfigure ce que Monneret qualifie dans la psychomécanique guillaumienne de perspective systématique.

Arbitraire absolu et motivation relative se trouvent en effet dans une relation de complémentarité. La démarche systématique, c’est-à-dire consistant à placer le signe dans le système dans lequel il s’intègre, apporte cette différence de regard en ne considérant pas le signe isolément mais par rapport aux autres. Les conclusions auxquelles parvient Monneret sont que – comme nous allons tenter de le démontrer au sujet du lexique espagnol – « il y a motivation relative dès qu’il y a un paradigme. »142 La plus grande importance accordée à la notion de valeur dans les Écrits amène donc déjà à minorer la portée de l’arbitraire radical.

Chez Guillaume, la perspective systématique – déduit Monneret – permet d’avoir une conception extensive de la notion de motivation relative et surtout de subsumer l’arbitraire absolu sous l’arbitraire relatif dans une quête d’« accommodation réciproque » jamais excessive mais toujours en marche143. On prend ici la mesure de l’assertion saussurienne selon laquelle « aucun système n’est serré comme la langue. »144

Néanmoins, si les théories proprement guillaumiennes évoquées représentent une avancée non négligeable pour une exploration du signifiant lexical, plus intéressants encore sont le legs et les interprétations possibles de son œuvre. Pierre Guiraud a ainsi pu les exploiter dans une optique lexicologique.

141 Monneret (2003a : 320). Nous soulignons. 142 Cf. Monneret (2003a : 320).

143 Ibid.

144 Cité en cursives par Godel (1969 : 229). Dans un entretien avec A. Riedlinger (cf. Godel, ibid.), le Maître explique cette épithète : « Serré <implique> précision des valeurs (la moindre nuance change les mots) ; multiplicité des genres de valeurs ; multiplicité immense des termes, des unités en jeu dans le système ; réciproque et stricte dépendance des unités entre elles : tout est syntactique dans la langue, tout est un système. »

1.2.2 La position de Pierre Guiraud vis-à-vis du débat physei / thesei :

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