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Exploration du signifiant lexical espagnol. Structures, mécanismes, manipulations, potentialités.

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Academic year: 2021

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Submitted on 3 Jan 2012

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Exploration du signifiant lexical espagnol. Structures,

mécanismes, manipulations, potentialités.

Michaël Grégoire

To cite this version:

Michaël Grégoire. Exploration du signifiant lexical espagnol. Structures, mécanismes, manipulations, potentialités.. Linguistique. Université Paris-Sorbonne - Paris IV, 2010. Français. �tel-00656189�

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE IV Civilisations, Cultures, Littératures et Sociétés

Laboratoire de recherche : Linguistiques et lexicographies latines et romanes

T H È S E

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline/ Spécialité : Linguistique romane

Présentée et soutenue par :

Michaël GRÉGOIRE

le : 29 novembre 2010

Exploration du signifiant lexical espagnol

[Structures, mécanismes, manipulations, potentialités]

Tome 1. Chapitres premier à cinquième

Sous la direction de :

Madame Marie-France DELPORT Professeur, Paris IV

JURY

Monsieur Gilles LUQUET Professeur, Paris III Président du jury

Monsieur Jacques BRES Professeur, Montpellier III Madame Marie-France DELPORT Professeur, Paris IV

Madame Nadine LY Professeur émérite, Bordeaux III Madame Sophie SARRAZIN Maître de conférences, Montpellier III

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REMERCIEMENTS

Que soient ici remerciées les personnes qui m’ont aidé de près ou de loin à la rédaction du présent mémoire et en tout premier lieu, Marie-France Delport, pour avoir accepté de diriger cette thèse et de l’avoir suivie ces dernières longues années avec l’aide profitable au centuple que l’on peut attendre d’un Maître.

Je tiens également à remercier Sophie Sarrazin de l’Université de Montpellier III qui, au cours d’interminables conversations téléphoniques, m’a également conseillé et fait part de son expérience du métier d’enseignant-chercheur.

Je remercie également François Nemo de l’Université d’Orléans de m’avoir envoyé son HDR ainsi que plusieurs articles intéressants pour ce travail.

Merci à Michel Launay qui, le temps d’une conversation en 2005, m’a fait l’honneur de quelques conseils très bénéfiques.

Merci également à Maurice Toussaint, pour nos conversations dans les rues de Paris à propos du signifiant et de ses potentialités.

Je remercie les membres du séminaire de la "linguistique du signifiant" organisé le mercredi après-midi à l’Université de Paris IV, qui m’ont largement conseillé lors de mes interventions et tout particulièrement Jean-Claude Chevalier, Justino Gracia Barrón, María Jiménez et María Soledad Sicot-Domínguez.

Merci à Bénédicte Mathios, Danielle Corrado et Pierre Alric, de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, pour leur amitié et les longues conversations que nous avons eues concernant les rouages de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Merci à Jean-Luc, indéfectible ami par-delà les frontières.

Mes parents m’ont toujours soutenu, comme des parents savent le faire et ils méritent de figurer ici aux côtés des meilleurs chercheurs.

Je remercie enfin ma compagne Nathalie sans le soutien et la compréhension de laquelle, jamais je n’aurais pu venir à bout de ce travail ainsi que mon frère Damien pour son aide morale et informatique.

Respectueux hommages

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À ma famille, pour tout le temps que je n’ai pu leur consacrer

À ma compagne Nathalie

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »1

« Un mot très bien fait […] pourra survivre à un besoin éteint ; on lui confiera même de nouvelles fonctions »2

« On ne peut traquer le caché sans considérer le visible »3. Avec ces mots, Wilfrid Rotgé pointait en 1996 ce à quoi quelques groupes de chercheurs ont décidé d’accorder une primauté : le signifiant.

Face visible du signe, l’on ne saurait trop entreprendre d’y déceler quelque moyen de rationalisation linguistique. Voilà pourtant bien un terrain miné que celui de la motivation et de l’iconicité. Les champs qu’elles couvrent sont pourtant incommensurables. Philippe Monneret en fait prendre la mesure dans l’introduction au premier numéro des Cahiers de

Linguistique Analogique :

En première analyse, l’iconicité est une propriété qui concerne toutes les polarités du triangle sémiotique : la relation entre signifiant et signifié (motivation relative saussurienne), la relation entre signifié et référent (iconicité des linguistiques cognitives), la relation entre signifiant et référent (symbolisme phonétique). Cette propriété, prise en son sens le plus large, peut être définie par le fait qu’au moins l’une des trois relations qui viennent d’être mentionnées possède un caractère non aléatoire, ce qui implique, en d’autres termes, qu’il y a quelque chose à penser de la nature même de ces relations.4

On ne pourra donc omettre de prendre en compte le rôle du visible, que cela soit au niveau de la morphologie, du lexique, de la syntaxe ou du texte. Compte tenu de cela, nous pouvons revenir aux sources et penser que le but premier du linguiste est de se mettre en quête du signifié, de tenter une approche pour recouvrer ce qui est précisément invisible. Or, si le lien existe entre le visible et l’invisible et que les deux s’influencent l’un l’autre, le signifiant peut apparaître comme une des voies d’accès au signifié. Nous avons opté ici pour une étude du système lexical en application à l’espagnol. Plus encore que la grammaire, du fait de sa

1

Anaxagore de Clazomènes, maxime reprise et appliquée par Antoine Lavoisier. 2 Guiraud (1986 : 143).

3 Rotgé (1996 : 74).

4 MONNERET, Philippe (dir.), Cahiers de Linguistique Analogique, Nº 1, A.B.E.L.L., Dijon, juin 2003, p. 4. (« Présentation »).

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porosité, des particularités de sa constitution et de son inexorable mouvance – tout cela à des degrés divers en fonction des synchronies – le lexique impose de ne prétendre ni à l’exhaustivité ni à la systématicité. L’on se doit pourtant de détacher des tendances, des tendances que le visible ne saurait omettre de déclarer.

Cela nous amène à l’expression d’un premier postulat fondamental : rien de fortuit

dans une forme ou dans un « sens » attestés. Il n’est pas de hasard dans la sémiologie. On

songe alors ici à Gustave Guillaume pour qui : « [l]es opérations fondamentales de la langue sont, essentiellement, des opérations simples –extrêmement simple– et peu nombreuses, constamment répétées à l’endroit de leurs propres résultats […] ».5 De fait, considérer le signifiant comme un résultat suppose de trouver la raison de tel ou tel signifiant et, par conséquent, la raison d’une analogie ou d’une dysanalogie.

Or les concepts même d’analogie ou de dysanalogie supposent également de considérer le signe dans l’organisme où il s’insère, notamment pour le lexique. Ainsi que l’expose en effet Maurice Molho :

Cet appareil [le langage] forme un système, ce qui signifie qu’aucun des signifiants qu’il intègre n’existe (et n’est repérable) en dehors de la solidarité qui le lie aux autres signifiants de la langue : tout signifiant implique donc à travers la donnée élémentaire qu’il constitue, la totalité des systèmes auxquels il appartient..6

C’est ce qu’il a tenté de démontrer avec l’aide de Jean-Claude Chevalier et de Michel Launay. Or, un autre guillaumien s’en est également chargé dans une perspective plus lexicologique : Pierre Guiraud.

Guiraud, notamment lexicologue, étymologiste et stylisticien, a tenté une approche structurelle originale du lexique français en postulant que la relation signifiante entre les mots « n’est pas soumise au hasard ou à la fantaisie individuelle, mais définie par un certain nombre de conditions et de caractères précis et constants, dans la mesure où ils se répètent – c’est-à-dire par des lois. »7 Il existerait donc des traits pertinents, des phénomènes récurrents, des procédés d’intégration d’un mot dans un paradigme, etc. Guiraud, en créant la méthode de l’étymologie structurale, a amorcé l’identification par structuration de nombreux modèles sur lesquels se fondent la création, la motivation et l’actualisation sémantique lexicales.

La tâche qui nous incombe ici est grande. Dans la continuité des travaux de Guiraud, de Chevalier, Launay et Molho et en nous inspirant aussi d’ouvrages plus récents sur

5

Guillaume (1988 : 123). L’endroit en question est le signe (signifiant/signifié), conçu en l’occurrence comme le reflet des péripéties du mot dans son évolution en diachronie (changements phonétiques, mimétismes) mais aussi des altérations qu’il peut connaître en synchronie.

6 Molho (1986 : 45). 7

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l’iconicité et la motivation au sens large, nous tenterons une approche structurelle du lexique espagnol en accordant une priorité à la sémiologie. Ce signifiant – possible vecteur d’actualisation du signe tout entier – peut être considéré comme lisible de diverses manières, et chacune d’entre elles constitue le point d’ancrage d’une structure. Guiraud lui-même admet cependant des difficultés au moment de choisir entre une étymologie et une autre lorsque les deux possibilités font entrer les mots dans des structures pertinentes. Il est en effet malaisé de trancher entre certaines hypothèses de composition ou de dérivation, comme par exemple :

cali-bourder (préfixe augmentatif) et caller x bourder (composition tautologique8). L’ambiguïté d’une hypothèse tient en général à une analyse incomplète, mais parfois elle peut être inhérente au mot et faire alors partie de son étymologie. Ainsi on pourra hésiter à interpréter dans le lexique français :

Bamb – ouler ou bamber + bouler Tri(m) – baler ou traîner + baller Bis – tailler ou bisser + tailler Har – icoter ou harier + coter Gaf – ouiller ou gaffer + fouiller Pat – ouiller ou patter + touiller 9

Mais l’auteur précise, à raison croyons-nous, que « les deux conjectures sont peut-être exactes l’une et l’autre et [qu’elles] entrent conjointement dans les impulsions sémantiques qui ont créé le mot et l’ont propagé. » (Ibid.) Ce phénomène, Guiraud le nomme la « dérivation composite ».10

Nous postulerons dans ce travail que ce type d’« ambiguïté » et d’autres de différentes natures illustrent une polyréférentialité détectable dans le signifiant même des mots. On retrouve ainsi ce fait de remotivation à l’origine des cas dits d’« étymologie populaire », objets d’une lecture du signifiant en fonction de la perception qu’en ont les sujets parlants. Par exemple, bebercio11 suppose obligatoirement une remotivation de comercio dont il est issu par réinterprétation du segment comer-. Comercio, dans un premier temps, n’a évoqué que l’idée de « commerce ».

Or si la possibilité de double interprétation du premier segment du mot [komér] est due à un autre élément « visible » : les sens discursifs, elle suppose également la croisée en

8

Cf. la partie « Indications définitoires ». Par ailleurs, à l'instar de Puyau (2004), nous pensons qu'étant donné qu'une composition n'est pas la stricte addition de deux formes, il est plus sage d'apposer un « x » entre elles, ce qui a le mérite de lever l'ambiguïté sur ce point.

9 Cf. Guiraud (1986 : 32). La transcription appartient à l’auteur. 10

Selon Guiraud (1994 : 24), « cette ambiguïté n’est pas gratuite mais expressive, car elle atteint toujours le même type de signifiés attachés à une idée de confusion et d’incohérence. »

11 Cf. DRAE (s.v. Bebercio) : « (Der[ivado] de beber, formado a imit[ación] de comercio).1. m. fest. coloq. Consumo de bebidas alcohólicas. Le va mucho el bebercio. ; 2. m. coloq. bebida (? líquido que se bebe). Tenía el bebercio a mano. »

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puissance de deux paradigmes. En l’occurrence, ceux du « commerce » et de

l’« alimentation », quoique seule la première notion figure dans les acceptions dictionnairiques de comercio. Sans l’existence du verbe comer dans le réseau des verbes d’ingestion auquel appartient beber, bebercio n’aurait en effet pu exister.12 En l’occurrence, le mot a été « décomposé » pour en extraire le segment saillant et y suppléer un autre proche. En synchronie comme en diachronie, le signifiant, voire un « élément représentatif du signifiant » a pu agir comme facteur motivant.

Ces quelques propos liminaires nous invitent alors à poser un certain nombre de questions d’une grande portée. Tout d’abord, tout mot est-il motivé ? Et l’est-il constamment en toute synchronie ? Cela revient à faire le point sur la nature du signe, car c’est, comme évoqué en début d’introduction, dans cette problématique que se trouve en germe toute théorisation du langage et particulièrement du lexique. Fónagy (1993 : 42), pour sa part, traite de l’étymologie populaire comme d’« une conséquence inévitable du refus du principe de l’arbitraire ». Ce phénomène représente en effet une adéquation entre les deux faces du signe. Ainsi, si l’on pose ces deux faces comme liées, « dérivation composite », « étymologie populaire » et, plus largement, tous les phénomènes de paronymisation, ne sont-elles pas quelques-unes des manifestations en surface d’une « ambiguïté du signifiant » plus large et plus profonde ? Comment alors peut-on rendre compte de cette « ambiguïté formelle » et dans quelle mesure la structuration morpho-sémantique peut être un recours ? La double question se pose alors d’elle-même de concilier le postulat d’un signifiant motivé avec les questions de l’« homonymie », de la « synonymie », de l’« antonymie » ou encore de la « polysémie », d'une part, mais également avec des énoncés plus poétiques, d'autre part.

Pour établir des bases et amorcer certains postulats fondamentaux, nous avons constitué une première partie à visée théorique. Dans un premier chapitre, nous souhaitons rendre compte de façon non exhaustive mais critique des principales théories sur la nature du signe linguistique depuis Humboldt (début XIXème siècle) jusqu’à Maurice Toussaint (1983) à la lumière de travaux plus récents. Les problèmes de la nature du signe, de son unité et de son unicité sont en effet sous-jacents à tout travail sur l’analogie. Mais il évince très souvent celui du deuxième principe saussurien qui est celui de sa linéarité, du fait de la linéarité effective du

12 Remarquons qu’il existe bebestible formé mêmement sur le modèle d’un dérivé de comer : comestible. Cela démontre la « productivité » de ce réseau structurel qui relie comer et beber même si ce dernier exemple était moins imprévisible que le premier. En français, en revanche, l’on a mangeable et buvable d’une part et comestible de l’autre, mangeable et comestible étant issus d’étymons distincts.

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mot et de celle du temps pendant lequel il est prononcé. Cette question méritera ici une attention toute particulière pour les potentialités analogiques qu'elle renferme.

Dans un deuxième chapitre, après une analyse détaillée des travaux de Guiraud notamment sur l’étymologie structurale, ainsi que ceux des linguistes qui en ont tenté un dépassement (Nemo, Eskénazi), nous tenterons de rendre compte de travaux de chercheurs d’horizons divers comme les arabisant et hébraïsant Georges Bohas et Mihaï Dat qui étudient l’analogie à un stade très précoce de la sémiogenèse, au niveau du trait phonétique. Toujours dans le domaine articulatoire, nous aborderons les essais de rationalisation de Maurice Toussaint et analyserons certains travaux de la « submorphémique » comme ceux de Dennis Philps ou de Didier Bottineau afin d’extraire des mécanismes et des conclusions avancées sur ces « unités d’analogie » particulières que sont les phonesthèmes, des sortes de matrices consonantiques. Nous y étudierons également les unités constituées d’un seul phone tel le formant de Molho. Nous tenterons enfin de ne pas omettre le signifiant graphique en nous appuyant sur les travaux de Nina Catach et Gorges Gruaz. Cela donnera lieu alors, par la suite, à l’analyse des implications cognitives et mémorielles qui, à l’échelle du système lexical, revêtent une importance accrue. Les trois polarités du signe auxquelles se réfère Monneret seront donc prises en compte, ainsi que le versant graphique dans le but d’approcher le signifié avec plus de précision.

L’objectif préalable de notre méthode sera effectivement de n’éluder aucun aspect du signifiant et de tous les considérer comme potentiellement facteurs de motivation. C’est dans un troisième chapitre que nous développerons un protocole méthodologique basé sur les travaux susmentionnés et où nous chercherons à étendre le champ d’étude de ses éventuelles possibilités de corrélation et de structuration. Nous proposerons alors une unité d’analogie recoupée structurellement et se constituant en invariant à statut particulier, que nous nommerons saillance. Nous tenterons également d’y présenter une solution pour rendre compatible avec notre postulat l’étude de mots distincts mais qui partagent des emplois discursifs ; ou d’autres, à l'inverse, formellement identiques mais aux capacités de référentiations (totalement) différentes.

Nous allons ensuite procéder, dans une deuxième partie, à une application à plusieurs structures et phénomènes. Le chapitre quatrième, tout d’abord, représente une première étude sur les mots composés du groupe phonétique [nasale x vélaire] où nous analyserons plusieurs champs morpho-sémantiques tant dans une perspective onomasiologique que sémasiologique afin d’aborder la relation entre le signifiant et le signifié par ces deux biais.

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Nous tenterons dans le chapitre suivant d’opérer des recoupements formels entre des vocables renvoyant aux idées de « moyen », de « milieu » ou de « mélange ». Si la constitution du répertoire correspondant part d’une démarche plus onomasiologique, nous suivrons néanmoins le même schéma méthodologique en cherchant à détecter des invariants formels chez des mots sémantiquement voisins et inversement.

Nous avons ensuite, dans le chapitre sixième, intégré un exposé plus court en application aux phénomènes de co-référentialité des mots sitiar, asediar et cercar dont nous tenterons de cerner les invariants respectifs et, par là même, de déceler leur rattachement à telle ou telle structure. Dans un deuxième temps, nous essaierons d’étayer nos déductions par l’observation d’énoncés issus des corpus.

Dans une troisième partie, le chapitre septième représentera les prémisses d’une application de notre méthode à la « parole poétique » (Gómez Jordana-Puyau, 2005), pour établir des critères d’analyse adaptables aux libertés verbales que permet parfois le langage. On y analysera en effet des énoncés de natures diverses tels que des proverbes, des slogans, des mots d’esprit, des expressions, des noms de marques, des cas d’étymologie populaire ou encore des lapsus. La prise en charge de la complexité du lexique, surtout dans son usage poétique, devrait alors nous permettre de déceler de nouvelles potentialités du signifiant.

L’ultime chapitre sera le lieu de nos premières conclusions sur cette approche méthodologique. Nous y intégrerons quelques statistiques et continuums que nous aurons pu déduire de notre étude des structures lexicales ou des mécanismes abordés (poétiques ou non). Nous achèverons cette partie en faisant apparaître les éventuelles potentialités de notre ébauche théorique.

Précisons enfin que toutes les études s’appuieront sur des répertoires que nous aurons élaborés au préalable et que le lecteur pourra consulter dans leur intégralité dans les annexes. Par ailleurs, si nous avons tenté d’appliquer notre recherche à des aires linguistiques non indo-européennes, nous nous sommes également proposé d’analyser des régionalismes, des américanismes, des mots argotiques, onomatopéiques, des termes anciens, parfois techniques, etc. Ce souhait part d’une volonté de ne borner l’étude à aucun registre de langue ni à aucune zone hispanophone. Dans la même optique, nous ne nous interdirons pas de recourir à des textes français et à des langues régionales de l’aire francophone, à l’anglais ou encore à l’arabe, notamment, afin de nous inspirer des approches énoncées plus haut prenant ces langues comme support. La variété de ces horizons méthodologiques s’ajoutera à la diversité

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des documents qui composeront notre corpus (presse, romans, essais, documents oraux, blogs ou forums), grâce à laquelle nous viserons à gagner en pertinence.

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AVANT-PROPOS

Pour nous référer aux ouvrages, nous préciserons le nom de l’auteur suivi de l’année de publication ou de soutenance ou encore, le cas échéant, pour une thèse non publiée, suivie de la ou des pages où se situent le passage évoqué, soit par exemple : Guiraud (1986 : 148-149). Lorsque la citation est issue d’un document sonore, au lieu de la page figurera la (ou les) minute(s) où elle est émise précédée(s) du diminutif min., par exemple : Eskénazi (1991b : min. 11-12). Nous respecterons ces schémas dans le corps de texte aussi bien que dans les notes infrapaginales. Le lecteur sera donc renvoyé à la partie « Références bibliographiques » en fin de travail où se trouvent les indications complémentaires accompagnées de la légende correspondante éventuelle. En revanche, les quelques ouvrages non consultés ou d’abord indirect seront cités en note entièrement, accompagnés de la page dont est issue la citation et des références de l’ouvrage. Il s’agit souvent d’ouvrages anciens, indisponibles ou bien d’un intérêt seulement transitoire pour notre recherche. Ils ne figureront donc pas dans la liste finale des références.

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INDICATIONS DÉFINITOIRES

Avant toute approche théorique, il apparaît nécessaire de clarifier et d’expliquer la terminologie à employer. Il peut effectivement en être fait un usage différent selon les courants linguistiques. Le glossaire suivant vise donc à élucider les termes utilisés dans le présent travail. La plupart des définitions qui le composent sont issues de guillaumiens (groupe Chevalier, Launay et Molho, Marie-France Delport, Bernard Pottier, Maurice Toussaint et Philippe Monneret notamment) ou bien de Gustave Guillaume lui-même. On trouvera, par ailleurs, les mots techniques ou ceux dont il sera fait un usage peu ou non habituel. Les termes ici répertoriés sont accompagnés d’un astérisque à leur droite (cette légende ne vaut que pour ce glossaire) à l’instar de certains dictionnaires. Enfin, une partie de la terminologie employée sera expliquée dans le corps du travail au fur et à mesure car ils nécessitent un plus large développement.

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Anagraphes : Deux anagraphes font l’objet d’une corrélation anagrammatique basée sur le graphisme. Tel est le cas des mots argotiques anginas et ganglios qui peuvent commuter en discours dans leur usage argotique de « seins ».

Analogie : L’analogie saussurienne correspond à une partie de l’iconicité* peircienne. En effet, Peirce distingue dans l’icône l’image, le diagramme et la métaphore. Or seul le premier représente « l’icône par excellence » (Monneret). Les deux autres, de l’ordre de la motivation relative* plus que du mimétisme appartiennent au cadre de l’analogie.

Analogie simple : Influence d’un ou de plusieurs mots sur un autre en vue de la

paradigmisation* de ce dernier. Un rapport de proximité sémiologique et sémantique est

nécessaire pour que s’opère une analogie simple. Pour donner quelques exemples bien connus : estella > estrella sous l’influence de astro ou berrojo > cerrojo sous l’influence de

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Arbitraire (ou arbitrarité) : La notion d’arbitraire est différemment employée en sciences du langage selon à quoi elle s’applique. On remarque le « sens saussurien » soit l’absence totale de lien entre le signifiant et le signifié. On le trouve également dans le sens dont usait Humboldt de «dépendant de la seule volonté, du libre choix de l’individu ». Nous emploierons ce terme (seul) dans le « sens saussurien » d’« arbitraire radical ». Le lecteur pourra trouver néanmoins quelques cas d’emplois avec le sens exposé ici en second mais cela sera précisé le cas échéant.

Arbitraire relatif (ou motivation relative) : « Limitation de l’arbitraire [radical] : solidarité des termes dans le système. » (Godel, 1969 : 255) (cf. la coordination associative*)

Capacités référentielles : Une capacité référentielle est un emploi que permettent conjointement signifiant et signifié. Nous la concevrons ici comme non limitée aux recensements dictionnairiques.

Capacité formelle : Une capacité formelle représente un mot pris en discours où est actualisée une saillance* donnée. Une autre capacité formelle du même mot représenterait l’actualisation d’une autre partie de sa sémiologie. Par commodité et par métonymie, on nommera aussi capacité formelle, ladite partie issue de la saillance. Par exemple, túnel, pris en discours, est une capacité formelle du signifiant /túnel/ et ce qui constitue cette capacité formelle est la racine [t-n], le rattachant à la structure en {M-T}.

Chaîne sémiotique : Ce que nous nommons chaîne sémiotique est une suite de vocables sachant que chacun d’entre eux (nommés membres de la chaîne ou maillons*) entretient un rapport paronymique et proportionnellement sémantique avec le membre antérieur ou postérieur. Les maillons* contigus sont donc en correspondance morpho-commutative* et ce, en vertu de mécanismes corrélatoires similaires ou distincts par rapport aux autres maillons*. Elle est une des manifestations du phénomène de paronymisation du lexique.

Coefficience saillancielle : Expression d’ordinaire appliquée aux sciences mathématiques, elle évoque ici le taux de fréquence d’exploitation d’une saillance par rapport aux autres saillances d’un signifiant donné. La graduation va de < 1 (pour les usages à faible « rendement » saillanciel) à 10, correspondant aux plus hautes fréquences d’actualisation enregistrées.

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Coïncidence : Nous employons dans ce travail le terme de coïncidence dans son sens primitif de « similitude » (cf. Robert, s.v.) Nous postulerons que des signifiants coïncidents transcrivent un croisement au plan sémantique et inversement. Cette notion de coïncidence concerne à la fois les niveaux intra-signe et inter-signes.

Composition actualisante : Il s’agit d’une composition permettant à un ou deux mots d’entrer dans un paradigme en actualisant une notion virtuellement impliquée dans leur signifiant-signifié.

Composition tautologique : Guiraud (1986 : 25 sq) applique cette appellation – après l’avoir inventée – au phénomène récurrent de composition de deux verbes exprimant une même idée. Par exemple, bouleverser représente l’adjonction de bouler et de verser à des fins expressives. Nous aurons dans ce travail une conception extensive de ce phénomène car nous utiliserons cette terminologie pour évoquer au sens large la jonction de deux mots (de toute nature) pouvant renvoyer à la même notion (cf. zangandullo qui équivaut à zángano x gandul, « paresseux ») ou virtuellement interprétables comme tels. Cela peut donner lieu à des ambiguïtés. Ainsi, sobajar peut être interprété comme une composition tautologique au sens guiraldien [sobar x ajar] ou au sens où nous l’entendons [so x bajar].

Concept : Le concept représente un invariant sémantique situé au stade pré-sémiotique et pouvant être plus ou moins universel, tel le protosémantisme de Guiraud. Le niveau conceptuel englobe plusieurs signes. C’est un des deux niveaux subsumés par la saillance.

Correspondance commutative : Deux mots en correspondance morpho-commutative sont des paronymes avec une ou plusieurs capacités référentielles communes. Cette correspondance est basée sur l’opposition d’un seul phone ou d’un segment.

Correspondance phono-commutative ou grapho-commutative : La correspondance phono-commutative représente une analogie basée sur un trait phonétique ou sur un son. Il convient de ne pas confondre ce mécanisme avec la variante expansée* dans les cas de correspondance x / [Ø] car, dans le cas de la variante expansée, x se trouve inséré entre les éléments de la racine saillancielle, tandis que le rapport phono-commutatif s’établit en une

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autre zone sémiologique. On retrouve le même phénomène à une échelle graphique que nous nommerons correspondance grapho-commutative.

Correspondances inversives : Lien entre deux mots reposant sur une racine dont les membres sont inversés: e.g. couteau et toquer ou péter et taper regroupés sous le concept de « coup » (cf. Eskénazi, 2005 : 118).

Dénomination : La dénomination est opérée après un choix lexical dans une « liste » déjà existante donnée pour désigner un objet.

Dérivation actualisante : Mécanisme par lequel la saillance présente dans un vocable est actualisée en discours dans un ou plusieurs de ses dérivés. Le terme premier, souvent trop éloigné pour être actualisé lui-même, l’est ainsi indirectement. À ne pas confondre avec la notion d’expansion*.

Désyntagmisation : Procédé selon lequel se composent deux mots apparaissant en syntagme pour n’en former plus qu’un, souvent par jeu.

Détournement : Utilisation détournée d’un élément artistique (arts visuels, poétiques, etc.). Cela reviendrait, au niveau linguistique, à postuler qu’un signifiant pourrait être réinterprété différemment de ce à quoi il sert « normalement » à référer. Or nous pensons que toutes ses possibilités interprétatives sont permises par sa sémiologie. Cette notion n’est donc, de notre avis, pas pertinente en linguistique, tout comme la notion de « norme sémantique » d’un vocable.

Discours : Lieu de l’effection du sens, selon la dichotomie instaurée par Gustave Guillaume (à opposer à langue*.)

Duplication : Réduplication. Paire de traits phonétiques, de phones ou de segments identiques à l’intérieur d’un vocable donné. La duplication nécessite l’ajout d’une forme pour faire sens mais peut représenter un mécanisme corrélatoire.

Énantiomorphie : Des énantiomorphes sont « formé[s] de parties identiques disposées dans un ordre inverse par rapport à un point, un axe ou un plan de symétrie » (Robert, s.v.) C’est le

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cas par exemple de rincón et de esquina dont on retrouve l’énantiomorphie dans la structure signifiante. Ce phénomène demeure rare.

Énantiosémie : Selon Hagège (1985 : 154), il s’agit de la « co-présence de deux sens contraires ». Cela se peut du fait des deux versants sémantiques qu’offre la saisie de la saillance en un stade pré-sémiotique, « où le sens n’est pas encore spécifié ». Deux termes placés en énantiosémie sont deux énantiosèmes. Quant à la correspondance avec le principe de l’énantiomorphie, elle représente un haut degré d’iconicité.

Encodage : En psychologie cognitive de la mémoire, l'encodage est le processus par lequel une information est mise en mémoire.

Expansion (ou variante expansée) : Processus qui actualise une notion puissamment exprimable par un radical donné. Ce mécanisme peut également apparaître comme une corrélation de deux termes en synchronie ou l’actualisation d’une idée en diachronie. Cela s’oppose mécaniquement au phénomène de la troncation*. Voir également superexpansion* et variantes synthétiques / analytiques*.

Formant : Molho (1988 : 291) décrit les formants comme « des éléments ou des particules signifiantes qui, intervenant dans la structure d’un signifiant donné, se réitèrent en plusieurs autres – ce dont résulte la formation d’un champ d’analogie regroupant une ou plusieurs séries morphématiques, ceci revient à dire qu’un ‘formant’, s’il apparaît dans un ensemble de morphèmes, informe la série et lui confère une signification générale dont il est la cause ou la racine. »

Icône : Constituant du signe d’après Peirce. Selon cet auteur (1978 : 140), l’icône est un « signe qui renvoie à l’objet qu’il dénote simplement en vertu des caractères qu’il possède […] ».

Iconicité : Correspondance directe instaurée entre une forme et un sens ou entre un signifiant et un signifié. Ainsi, par exemple, la réduplication pourra représenter iconiquement une idée de « pluralité » ou d’« insistance ».

(23)

Idéophones : Les idéophones, nommés également phonesthèmes, « classifient le lexique en fonction d’une propriété saillante reconnue comme telle et suffisamment pertinente pour servir de sème organisateur autour duquel gravite un ensemble de notions lexicales sans autre corrélation culturelle ni fonctionnelle que le fait de posséder ce sème commun. » (Bottineau, 2003 : 217). À la différence des formants*, les idéophones se composent de deux éléments et peuvent donc être considérés analytiquement.

Indices : Terme peircien (constituant du signe). Les indices « opère[nt] avant tout par la contiguïté de fait, vécue, entre son signifiant et son signifié ; par exemple, la fumée est indice d’un feu » (Jakobson, 1966 : 24).

Langue : Niveau de l’inscience. C’est le domaine du signe non encore actualisé qui permettra dans la propre limite de celui-ci, les réalisations discursives et formelles en discours.

Macro-signe : Nous considérerons comme un macro-signe un élément qui fédère plusieurs signes soit de façon paradigmatique soit syntagmatique. Dans le premier cas, il reposera sur un concept, et dans le second, sur une utilisation saillancielle poétique.

Maillons : Vocables considérés à l’intérieur d’une chaîne sémiotique* et dont ils sont les membres.

Manipulation : La manipulation est un jeu de langage, une possibilité de plus d’exploitation consciente ou inconsciente d’un signifiant et s’oppose en cela au détournement*. Cette notion met sur le même plan les capacités référentielles d’un signe indépendamment de la fréquence d’emploi.

Matrice : « combinaison, non ordonnée linéairement, d’une paire de vecteurs de traits

phonétiques, au titre de pré-signe linguistique, liée à un concept*. C’est le niveau où la

« signification primordiale » n’est pas liée au son, au phonème mais au trait phonétique, qui, en tant que matériau nécessaire à la constitution du signe linguistique, forme « palpable », n’est pas manœuvrable sans addition de matière phonétique supplémentaire. Les sons y apparaissent au titre de traducteurs d’une articulation qui évoquent un signifié. » Bohas et Dat (2003 : 16). Ce sont les auteurs qui soulignent. Quant à Guiraud (1986 : 249), il applique le concept de matrice au paradigme « dans la mesure où il est dynamique et générateur de

(24)

nouveaux mots qui sont précipités dans les cases vides ». Nous emploierons ce terme dans les deux derniers sens en précisant à chaque fois le (ou les) auteur(s) qui en fait (ou font) usage.

Modèle : Nous utiliserons la notion de modèle dans le sens guiraldien selon lequel il « permet de construire analogiquement de nouveaux mots. » (1986 : 249) Cela correspond aux modes de créations lexicales propres à un système (catégories lexicales).

Modulation (polaire) de nasalisation : Correspondance phono-commutative basée sur un rapport nasal / non nasal

Modulation (polaire) d’aperture : Correspondance phono-commutative basée sur une différence de degré aperture vocalique.

Modulation (polaire) de voisement : Correspondance phono-commutative basée sur un rapport voisé / non voisé

Nature de la saillance : Une saillance peut être d’ordre matriciel, articulatoire, acoustique, phonesthétique ou graphique. À ne pas confondre avec le statut saillanciel*.

Nomination : Nous utiliserons ce terme dans le sens de Chevalier-Delport (2005 : passim), de baptême d’une chose – qui n’a donc pas d’appellation – non pas à l’aide des mots du vocabulaire déjà existants (dénomination*) mais d’une propriété conçue comme saillante, un

segment du monde*.

Panchronie : « Dans la description d'un système sémiotique, notamment d'une langue, période de temps qui couvre tous les états fonctionnels (synchronies) » (Le Robert, s.v.

panchronie) Ce sont les auteurs qui soulignent.

Paradigmisation : Ce terme évoque l’intégration d’un mot dans un paradigme motivant du même coup le changement du physisme de ce mot. Par exemple, zangarrón procédant de

zaharrón et évoquant dans la province de Salamanque un « [m]oharracho que interviene en la

danza. »13 représente un cas d’intégration dans le paradigme du « monde de la picaresque »

13 Nous nous référons à la vingt-deuxième édition du Diccionario de la Lengua Española datant de 2001 (désormais DRAE).

(25)

(notamment) car il renvoie à une idée de la « fête » et de la « débauche » (quelques-unes des notions fédératrices de ces mots).

Paragramme : Une correspondance paragrammatique subsume la notion de paragramme kristévienne, en se situant soit à l’échelle du mot soit de l’énoncé. Il s’agit d’une correspondance entre deux fragments de signifiants détectables dans un texte ou entre deux termes ou plus. Nous considérerons ici que les variantes expansées sont des sortes de paragrammes.

Paramétrage : Le paramétrage d’une structure correspond à l’ensemble des caractéristiques de nature, de contraintes, d’ordres sémiosyntaxique, formel, différentiel, analogique et mécanique, qui font sa spécificité. Cela dépend souvent du statut et de la nature de la saillance elle-même. Seuls certains paramètres peuvent être propres à une structure donnée.

Parole : Versant poétique (au sens large) du discours, i.e. le lieu de l’extensibilité potentiellement maximale de la signifiance.

Pivot analogique : Élément (phone, graphème, segment) ou aspect sémiologique (graphique, phonétique) qui permet d’établir une analogie entre deux vocables. Cette notion acquiert une portée particulière dans le cadre de compositions ou de découpages du signifiant par analogie, où le pivot joue un rôle de catalyseur.

Poétique : Le domaine poétique suppose une réalisation maximale du potentiel que possède tout signe. Les manifestations de cet « état de langage » (Genette) sont discursives, individuelles et représentent un langage « qui n’est pas fait pour être compris » (cf. Aquien, 1997 : 33-36).

Pré-signe : Le pré-signe, constitué du signifié primordial, est cet invariant conceptuel qui, lors de la verbalisation, va se décupler pour donner naissance à plusieurs signifiés de langue. Le signifiant primordial, autre composant du pré-signe, en est la réalisation articulatoire.

Proto-paronymie : Cela correspond à la préexistence d’un ou de plusieurs segments proches chez deux signifiants appartenant à un même paradigme. Par exemple, berrojo (« verrou ») a évolué en cerrojo par analogie avec cerrar (« fermer ») car ils entretenaient un rapport

(26)

proto-paronymique correspondant au segment -err- dans le champ lexical de la « fermeture ». Ce fragment apparaît de fait comme une saillance* actualisée par le mécanisme d’analogie

simple*.

Protosémantisme : Selon Guiraud (1994 : 25-26), « le signifié remonte à une image archaïque qui lui confère son sens ; et le problème dans chaque cas est d’identifier la nature de cette image ». Cette image est ce que l’auteur nomme protosémantisme (sic) soit « des sémantismes de base qui génèrent des synonymes (techniques, stylistiques, argotiques, dialectaux, etc.) » comme par exemple l’assimilation récurrente de l’argent à la nourriture « blé », « oseille », « gagner sa croûte », etc. Il ajoute que « [c]es protosémantismes transcendent les limites des diverses synchronies historiques qu’ils traversent ; ils ont une grande stabilité et, aux niveaux les plus profonds, une sorte d’universalité. »

Référent : Nous réservons principalement l’emploi de référent (référer, référence, capacités

référentielles*) pour l’évocation des divers sens que peut adopter un mot en discours. Nous en

userons aussi parfois pour la désignation de l'objet phénoménal.

Remotivation : Ajout motivé de la capacité référentielle d’un vocable sans modification de son physisme. Cela correspond à une « paradigmisation* sémantique ».

Restriction sémiotique : Un vocable fait l’objet d’une restriction sémiotique lorsqu’il n’implique potentiellement soit qu'une saillance (répétée ou non), soit deux saillances dont les champs sémantiques sont proches. Dans un cas comme dans l’autre, la forme rend le vocable propre à l’actualisation d’un sens donné (cf. restriction sémantique*).

Restriction sémantique : La restriction sémantique représente ce qu’il est plus commun de nommer une particularisation, c’est-à-dire une précision sémantique du dérivé par rapport à l’étymon.

Rectification lexicale : Le phénomène de la « rectification » regroupe la plupart du temps des cas d’étymologie populaire. Il peut avoir lieu soit à travers la limitation des capacités référentielles du mot soit moyennant l’ajout d’une ou de plusieurs autres plus en adéquation avec le signifié ; soit (et ce n’est pas incompatible) à travers une altération du signifiant qui

(27)

conduira à la progressive disparition du mot premier ou son maintien en parallèle avec un autre (le dérivé) au signifiant plus compatible au signifié.

Rétroplacer : Chevalier, Launay et Molho utilise parfois le verbe rétroplacer pour expliquer les faits faussement linguistiques de « synonymie », car il s’agit d’un placement en amont, d’un rétroplacement des emplois discursifs dans le signe lui-même.

Saillance : Élément macro-sémiotique issu de combinaison articulatoire sémiologique ou graphique qui regroupe morpho-sémantiquement ou phono-sémantiquement plusieurs vocables qui, de fait, appartiennent à la même structure (dite saillancielle). Cet invariant est attaché à un concept* ou à un sens poétique et constitue cette fédération macro-sémiotique et l’élément saillant que reconnaît un sujet parlant pour leur évocation. La saillance peut être représentée dans les signifiants par des segments ou groupes consonantiques et/ou vocaliques significatifs, nommés ici capacités formelles*.

Segment : L’emploi de segment dans ce travail correspondra au segment sémiologique sauf dans l’expression segment du monde*. Le terme de segment est intéressant dans la mesure où il est délimité mais l’on n’en connaît pas les bornes.

Segment du monde : Employée guillemetée par Chevalier et Delport (2005), cette expression correspond au trait choisi de l’objet phénoménal extralinguistique pour le nommer. « Ainsi le « segment du monde » dépend de moi et précède toujours, d’aussi peu que ce soit, l’étiquette que je lui imprimerai. » (Chevalier-Delport, 2005 : 131).

Sémantique (niveau) : Niveau de la référence, soit des capacités référentielles du signe linguistique qui, lui, se trouve au niveau sémiotique* (langue).

Sémiosyntaxe : Il s’agit de la place du segment, de la racine ou du phone par rapport à tel ou tel autre dans le signifiant d’un mot. Elle est plus ou moins complexe selon la longueur du mot. Secondairement, elle peut régir son accord ou son non-accord (en genre, en nombre, en personne, etc.) Par exemple, le -so de ganso n’ayant pas la même syntaxe que le so- de

socarreña ou de sobajar, il peut, contrairement à ces derniers, subir une altération (en

l’occurrence une variation de genre) et donner gansa. Deux sémiosyntaxes distinctes peuvent toutefois impliquer une liaison dans les cas de correspondances inversives*. On rejoint les

(28)

notions de positions de majeure ou de mineure cognitive chez Bottineau (2003a et b, notamment).

Sémiotique (niveau) : Niveau de la langue, du signifiant, du signifié et de la signifiance.

Signifiance : « [L]a signifiance se présente au fond comme une lecture du signifiant, par établissement d’un rapport analogique entre les ressemblances et les différences que j’y reconnais et les différences et les ressemblances qui structurent mon appréhension de l’univers référentiel. » (Launay, 1986 : 37). Ce serait donc « le résultat de la mise en rapport,

par analogie, de l’un et l’autre réseau de ressemblances et de différences : cette mise en

rapport qui va donner au signifiant une certaine valeur. » (Ibid., c’est l’auteur qui souligne).

Signifiant : Le signifiant sera conçu comme une partie du signe linguistique rattaché à un signifié et servant à l’expression ; donc par là même sujet à des modifications, à des (re)motivations, à des altérations auxquelles les sujets parlants contribuent collectivement et inconsciemment ou bien, dans un cadre poétique, individuellement et parfois consciemment. Précisons que le signifiant n’est rien en soi (cf. signifiance*).

Signifié : Cela correspond au signifié de langue (ou de puissance) guillaumien et qui détermine les capacités référentielles*. Marie-France Delport, à la suite de Molho et de Launay, le définit comme « la représentation d’une ou de plusieurs propriétés communes aux conceptualisations d’expérience que le signifiant suffit à évoquer, dont le signifiant est le « signal » » (Delport, 2004 : 34)

Statut saillanciel : Le statut de la saillance est soit d’ordre conceptuel soit poétique.

Structure : Selon Guiraud (1994 : 16), « la structure est une forme, un système de relations abstraites, dont les termes ne sont que des étymons en puissance, incapables de s’actualiser par eux-mêmes et qui ont besoin de s’incarner dans quelque substance que leur fournissent les hasards de l’histoire. » Cette vision de la structure est, à notre sens, trop restreinte. Nous appliquerons cette notion à tout organisme générateur ou intégrateur concret (mots en {M-T}, par exemple) ou abstrait (la duplication, par exemple) rattaché à un invariant notionnel / saillanciel.

(29)

Symphyse : Selon Guillaume, « [l]e fragment de parole, dont le souvenir, l’idée, fait corps avec la notion, c’est le signifiant. La notion que le signifiant emporte avec lui, à laquelle il s’attache inséparablement, c’est le signifié. ». Ainsi, « on se trouve en présence d’une symphyse, d’une soudure psychique remarquable, selon laquelle un fragment de parole appelle à soi, automatiquement, un fragment de pensée, réciproquement, appelle le fragment de parole. »14

Troncation : Phénomène de raccourcissement de la matière sémiologique, ici considéré comme vecteur potentiel d’actualisation d’une saillance ou de corrélation entre deux vocables, du fait de la précision de la zone sémiologique à actualiser ou à corréler qu’elle engendre. Par exemple ten < tener s’est intégré par troncation dans la structure en {M-T}, sous la variante [t-n]). Ce phénomène s’oppose à celui de l’expansion*.

Variante formelle : La variante formelle est la partie actualisée d’un signifiant donné, et qui constitue une variante dans son rapport aux autres capacités formelles* d’une saillance donnée. Ainsi túnel est corrélé aux autres mots de la structure en {M-T} (idée générale de « tension entre un élément A et un élément B ») en vertu de la capacité formelle [t-n], elle-même variante formelle de la racine [m-d] dans medio, par exemple. On dira que, d’un point de vue théorique, [t-n] et [m-t] sont deux variantes subsumées par la saillance {M-T}.

Variantes synthétiques / analytiques : Correspondances réciproques basées sur une analogie phonétique et sur un écart de moins d'une syllabe entre chaque phone. Par exemple : estar représente une variante synthétique de {ST} et situar une variante analytique. Cette dernière sera également nommée variante expansée.

Zone sémiologique : La zone sémiologique désigne la partie du signifiant où s’est opérée l’actualisation saillancielle, c’est-à-dire le lieu où l’on détecte la capacité formelle. Cette zone est alors supposée plus stable que les autres de la sémiologie.

14

(30)
(31)
(32)

Première partie

Approches théorique et

méthodologique

(33)
(34)

CHAPITRE PREMIER : Deux principes saussuriens :

arbitraire et linéarité du signe. Bibliographie critique et

perspectives

« Rappelons que substantia traduit traditionnellement ousia –qui est essentia ; qu'Aristote disait que l'ousia est eidos ; et que forma traduira aussi

bien eidos et ousia que morphè. »15

« Le remplacement progressif du principe φΰσει par le principe θήσει va de pair avec la transformation graduelle de l’acte physique en « pur » signe. »16

À notre sens, l’exploration du signifiant lexical ne peut se faire sans un récapitulatif théorique des différentes manières de le concevoir en rapport au signifié mais également aux autres signifiants. Pour cela, les deux principes de l’arbitraire et de la linéarité du signe apparaissent fondamentaux. Ainsi, sans pour autant dresser une historiographie linguistique exhaustive héritée du débat millénaire du physei / thesei, nous allons, dans un premier temps, rendre compte de quelques théories fondatrices. Elles pourront alors nous servir a posteriori à l’élaboration de notre propre méthode. En l’occurrence, notre attention sera portée essentiellement sur le rapport signifiant / signifié sans que ne soit écartée ponctuellement la question de l’objet phénoménal, en tant que partie intégrante du signe. S’ensuivra une étude des postulats et des courants issus de la psychomécanique guillaumienne, parfois très engagés (directement ou indirectement) dans l’évolution de ce débat. Nous insisterons enfin sur les implications que peuvent avoir le principe de la linéarité pour le signifiant et les différentes lectures linéaires ou non que l’on peut en faire.

15 Toussaint (1978 : 257).

16

(35)

1.1 De la consubstantialité du signe : mises en regard des

premières théories fondatrices modernes

Sur cette question, certains penseurs du langage ont nettement fait évoluer le débat tels Humboldt, Saussure (à qui nous consacrerons le plus long développement), Benveniste, Peirce, Jakobson ou Fónagy. Leurs théories seront donc étudiées de manière plus ou moins approfondie, à la lumière notamment des travaux de Monneret, dont l’ouvrage Le sens du

signifiant. Implications linguistiques et cognitives de la motivation, Paris, Honoré Champion,

2003 (désormais Monneret, 2003b). Mais auparavant, dans une sous-partie inaugurale, il convient de dresser un premier repère terminologique et notionnel en précisant comment nous concevons concept, signifiant, signifié et référent, et pour quelles raisons.

1.1.0 Élucidations liminaires. Que nommons-nous concept, signifiant,

signifié et référent ?

Posons tout d’abord trois niveaux dont les deuxième et troisième sont inspirés de Benveniste (1966b : 225) et que nous analyserons en 1.2.3.1 : le niveau pré-sémiotique impliquant un concept, le niveau sémiotique du signifiant-signifié et le niveau sémantique correspondant au sens détectable en discours.

1.1.0.1 Le concept

Nous nommerons ici concept l’idée relevant du niveau profond de la pensée et qui donc s’avère antérieur à la sémiotisation. C’est donc le niveau du signifiant et du pré-signifié, et non celui des signifiant et signifié linguistiques. Un concept pourra à ce titre subsumer plusieurs signes. Cela correspond à ce que Bohas nomme une notion générale et Philps, une notion (cf. 2.3.1 et 2.3.2.2, respectivement).

Par ailleurs, en tant que situé en amont du niveau linguistique, il sera considéré comme plus ou moins universel.

1.1.0.2 Le signifiant

Il est possible selon nous de définir le signifiant comme une partie du signe

linguistique rattachée à un signifié et servant à l’expression ; donc par là même sujet à des modifications, à des (re)motivations, à des altérations auxquelles les sujets parlants contribuent collectivement et inconsciemment ou bien, dans un cadre poétique, parfois individuellement et consciemment. Il est ainsi soumis aux lois, aux règles et autres contraintes

(36)

dues au système, et devient un signal. Pour autant, le signifiant, s’il ne correspond pas uniquement au mot, il n’est ni un simple matériau ni un phonème. Seul le morphème est apte puisque associé à un signifié. C’est ce que précise Delport dans l’article inaugural de la revue

Chréode :

Par une confusion terminologique indue le signifiant est assimilé aux éléments, distinctifs et non significatifs, avec lesquels chaque langue construit ses unités significatives, ses morphèmes, ses signifiants minimaux; assimilés par conséquent aux phonèmes qui, précisément, ne sont pas les signifiants mais le matériau dont sont faits ces signifiants.17

Le morphème-signifiant constitue alors un repère car tout ce qui se situera en amont ne sera précisément pas signifiant mais aura un statut différent que nous avons déterminé comme conceptuel.

Par ailleurs, le signifiant lexical doit être distingué du signifiant grammatical comme vu en introduction, car le lexique ne semble posséder ni la stabilité ni la systématique du système grammatical (cf. 2.2.2, la notion de « plus grande suffisance expressive » selon Guillaume), ou plutôt pas selon les paramètres qui lui sont usuellement appliqués.

Le signifiant demeure, de notre point de vue et pour toutes ces raisons, un des meilleurs prismes d’analyse du signe tout entier et du système dont il fait partie.

1.1.0.3 Le signifié

Le signifié, membre du signe, est ce qui tolère l’ensemble des emplois discursifs conjointement avec le signifiant. Son statut est donc tout aussi linguistique que la face visible. En outre, comme l’écrit Marie-France Delport :

[f]açonné en sorte qu’il puisse contribuer à référer, en combinaison discursive, à la multiplicité des cas que l’expérience produira, il faut qu’il dise bien peu de ce qui caractérise chacun de ces cas et que ce peu soit commun à tous. Il faut imaginer un signifié « léger », aussi éloigné que possible des matières à la saisie desquelles il prêtera son concours, aussi abstrait que possible par rapport à elles, extrêmement simple sans doute et d’autant plus que ses pouvoirs seront plus étendus.18

Ainsi, le signifié apparaît comme « la représentation d’une ou plusieurs propriétés communes aux conceptualisations d’expérience que le signifiant suffit à évoquer. »19 Nous souscrivons à cette idée et il sera donc conçu ici comme toujours uni au signifiant et mêmement unique.

1.1.0.4 Référent et référence

Le terme de référent, ou l’expression objet phénoménal renverront comme traditionnellement à ce à quoi réfère un signe donné, concrètement ou abstraitement. La

17 Delport (2008 : 13). C’est l’auteur qui souligne. 18 Delport (2004 : 33).

19

(37)

notion de référence représentera, quant à elle, l’ensemble des référents auquel renverra ledit signe par un processus de désignation précis. Nous utiliserons donc la terminologie de

capacités référentielles mais également de celle de sens. (cf. 1.2.3.4).

Or, si nous allons avoir dans ce travail un usage parfois spécifique des notions cvi-dessus, quelques-unes d’entre elles avaient déjà été perçues par Wilhem von Humboldt (1767-1835) et évoquées sous une autre terminologie. Cela l’a amené à être le premier à l’époque moderne à prendre le parti du signifiant.

1.1.1 L’« anti-sémiotique du langage »

20

ou l’approche humboldtienne

de l’iconicité linguistique

1.1.1.1 Le signe en fonction de l’idiome où il est généré

Presque un siècle avant que Ferdinand de Saussure ne postule l’arbitrarité du signe linguistique,21 Humboldt avait envisagé un langage médiateur entre le monde réel et l’être parlant où donc se trouveraient liés rendu de la réalité et forme langagière :

Dans la mesure où le mot transforme devant l’imagination le concept en une substance sensible, il est analogue au symbole. Car il prête à l’idée et abstrait de la totalité de la réalité l’objet physique, en l’attachant à un seul trait distinctif et en le désignant, dans celui-ci, par quelque chose qui lui est étranger, par un son. Ainsi, pareil à un hiéroglyphe, le son renferme

donc le concept en lui.22

Le hiéroglyphe en tant qu’image pure est un exemple particulièrement flagrant de comment Humboldt considérait le signe linguistique, car il « visualise » le sens, en quelque sorte. Mais il nuance plus loin : « [c]e n’est qu’à partir du moment où nous la considérons comme telle que l’image devient image ».23

Selon le philosophe allemand, « les significations des mots sont des contenus façonnés

subjectivement, propres à chaque langue en particulier et qui n’existent pas indépendamment

des signifiants mais forment au contraire une unité indissoluble avec eux. ».24 Ainsi, bien que la notion de système n’existe pas encore en application à une langue, Humboldt cerne la

20

Cf. Trabant (1992 : 65-87), intitulé repris par Monneret (2003b : 59 sq). 21 Voir infra la partie sur Ferdinand de Saussure (1.1.2)

22 Citation de Humboldt extraite de LEITZMANN, Albert et alii (éds.), Gesammelte Schriften, 17 vol., Berlin, Behr, 1903-1936 (réimpr. Berlin, de Gruyter, 1967), vol. V, p. 428, et rendue et soulignée par Monneret (2003b : 64). Toutefois, il convient de noter que Humboldt limite le signifiant à son seul aspect sonore, ce qui a, bien entendu, des conséquences sur sa manière de concevoir le signe tout entier.

23 Ibid., p.429. 24

(38)

nuance en abordant cette problématique par la question de la subjectivité. Cette subjectivité concerne d’ailleurs tout être humain parlant :

L’idée que les différentes langues ne font que désigner une même masse de choses et de

concepts existant indépendamment d’elles avec des mots différents et juxtaposent ces derniers

selon d’autres lois qui, hormis leur influence sur la compréhension, n’ont pas d’autre importance, cette idée est trop naturelle à l’homme qui n’a pas encore réfléchi plus profondément sur le langage pour qu’il puisse s’en défaire facilement. Il dédaigne ce qui dans le détail apparaît si petit et si insignifiant et comme une simple subtilité grammaticale. Il oublie que, à son insu, la masse de ces détails accumulés le limite et le domine bel et bien […] La diversité des langues n’est pour lui qu’une diversité de sons orientés vers les choses, utilisées seulement comme moyens pour parvenir à ces choses.25

Ce terme de moyen ici semble référer au signifiant, à la forme (en l’occurrence sonore) des mots, un moyen pour accéder aux sens et aux choses (aux signifiés et aux objets phénoménaux).Humboldt a donc fait de l’interprétation du signifiant un moyen de déterminer la propriété saillante retenue par le sujet parlant et la langue pour dénommer un objet. En somme, un angle de vue différent posé en fonction de l’idiome. Il critique par là même une conception de la langue comme pure convention. Un exemple qui l’illustre est la dénomination du cheval en trois langues différentes : le grec híppos, le latin equus26 et le français cheval, trois termes qui – dit-il – sont loin d’être de véritables synonymes. Car « [e]n les prononçant l’un après l’autre, on ne répète pas exactement la même chose. »27

Humboldt, en partant du principe d’un signe propre à la langue à laquelle il appartient, parvient à envisager que chaque système possède des particularités linguistiques propres et que, conséquemment, le signe d’un système donné ne peut être exactement équivalent à sa « traduction » dans un autre système.

Et il est pleinement conscient des moyens dont nous disposons pour affiner grâce à la dérivation, « les ramifications de concepts, en combinant les termes, en aménageant leur

domaine intérieur, en les maniant avec ingénuosité (sic), en exploitant librement toutes les ressources de leurs significations originaires, en éliminant le superflu, en assouplissant la rudesse de ses tonalités ; la langue qu’on pouvait être tenté de condamner, dès son émergence,

pour sa pauvreté et ses maladresses voit […] se dessiner un nouvel univers de concepts et s’épanouir la promesse d’une volubilité auparavant inconnue ».28

C’est ce qui inspirera plus tard Genette pour l’établissement de deux types de distinctions extralinguistiques :

25 Trabant (1992 : 68-69). C’est Trabant qui souligne.

26 Nous ne ferons pas apparaître les formes latines en lettres capitales dans ce travail car nous les considérerons sur le même plan que les étymons grecs, gothiques, ou même que les dérivés néo-latins, etc.

27 Malmberg (1991 : 254). Nous soulignons. Malmberg s’appuie sur l’essai Latium und Hellas de Humboldt publié en 1806 (édition non précisée).

28 Cf. Malmberg (1991 : 255). Nous soulignons. L’auteur cite Humboldt traduit dans CAUSSAT, Pierre,

(39)

[…] on voit bien que la différence (de « prononciation ») entre, disons, Deus et Dieu, qui renvoie à une différence d’habitat entre le Latium et l’Ile de France, n’a rien à voir avec la différence entre Dieu et God, qui renvoie à une différence d’aspect entre la divinité comme lumière et la (même) divinité comme bonté. Ce qui est propre à chaque peuple (son site) ne produit qu’une modification légère et toute superficielle (la « prononciation »), et quant aux différences profondes et précisément radicales, elles sont déjà contenues dans la langue primitive, et par conséquent elles n’affectent en rien son unité, on dirait même volontiers qu’elles la confirment.29

On a donc une répartition sémantique en fonction des différences de signifiants et le grec

híppos, le latin equus et le français cheval sont plus éloignés l’un de l’autre que cheval et caballo, par exemple. Mais le rapprochement est opérable avec hippocampe / hipocampo ou hippodrome / hipódromo, et équitation / equitación respectivement, grâce au lien

étymologique.

Cette vision du langage préfigure alors clairement la notion de motivation relative saussurienne et de remotivation, mais aussi introduit précocement plusieurs autres procédés iconiques, grâce à quoi Humboldt s’est démarqué dans le débat physei / thesei. On lui doit en effet une conception double du mot doué d’un caractère à la fois « iconique » et « sémiotique » (i.e. arbitraire en termes saussuriens).

1.1.1.2 Le « mot comme signe et comme image » : quelques procédés iconiques établis par Humboldt30

L’appellation de Jürgen Trabant : « anti-sémiotique du langage » à propos de la démarche humboldtienne repose sur le fait que Humboldt « se refuse nettement à comprendre le langage –ou le mot– comme un signe »31. Ainsi, selon l’auteur lui-même : « [l]’idée bornée que le langage est né par convention et que le mot n’est rien d’autre que le signe d’une chose existant indépendamment de lui ou d’un tel concept, a exercé l’influence la plus fâcheuse sur l’approche intéressante de toute étude linguistique. »32 En toute cohérence devant la complexité du langage, Humboldt ne s’y est pas borné et a postulé assez tôt la nature double du langage et du mot où le signe certes aurait une place, mais également l’image. Trabant cite un extrait résumant cette position intermédiaire propre à Humboldt :

29 Genette (1976 : 176-177). C’est l’auteur qui souligne.

30

Iconique est employé ici au sens large de « motivations interne et externe », la distinction entre les deux domaines n’étant pas encore établie à l’époque de Humboldt.

31 Trabant (1992 : 66). C’est d’ailleurs ce qui a motivé l’appellation de Trabant : « anti-sémiotique du langage » en tant qu’intitulé de son chapitre 3 ainsi que de notre propre sous-partie.

32

Figure

Figure 1. Continuum du grammatical au symbolique selon les données de Gadet
Figure 2. Le signe revu par Saussure 74
Tableau 1. Tableau récapitulatif de Monneret sur la portée symbolique des sons 100
Figure 3. Application de l’ordination opérative à l’italien lupo (« loup ») et à ses déclinaisons 187
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