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Déductions. Un signe linéaire mais des usages discursifs autorisant une certaine flexibilité

« intellectuelle » du langage

1.3 La linéarité du signe : questionnements théoriques et utilisations discursives

1.3.6 Déductions. Un signe linéaire mais des usages discursifs autorisant une certaine flexibilité

Il est loisible de déduire de tout cela que la linéarité est :

- Premièrement, non spécifiée (au même titre que le signe lui-même) dans le domaine pré-linguistique ;

- Deuxièmement, exclusive au niveau linguistique ;

- Troisièmement, flexible après actualisation du signe dans le domaine discursif au niveau de l’énoncé ou en tant que résultat de verlanisation, un codage mécanique que tolère le système ;

- Enfin, quatrièmement, non statutaire au niveau des systèmes poétiques, dans la mise en système de mots et, sur un autre plan, paragrammatique, de phones ou de graphèmes.260

Dans le discours, la non-linéarité recouvre plusieurs formes avec l’« hypogramme », au niveau du phone ou du jeu de mot, au niveau lemmatique, ou encore les « correspondances paragrammatiques ». Ces corrélations sont opérables par la mise en réseau des signifiants grâce à une extension du champ de la motivation relative.

De plus, tout comme dans le rapport du signifiant au signifié, la motivation interne joue ici un rôle essentiel pour le linguiste car elle l’amène à détecter par le signe, des implications du domaine pré-linguistique représentées par le symbolisme phonétique ou les traits pertinents. En effet, ces implications se trouvent parfois actualisées dans le domaine discursif.261

Par ailleurs, la verlanisation en tant que produit du système permet de corréler deux signifiants linéarisés différemment et donc de ne pas concevoir simplement le signe –lexical du moins – de façon exclusivement linéaire en discours. On retrouve donc une flexibilité autorisée par la langue pour établir un lien paronymique.

Saussure avait, à raison, posé ces deux principes l’un après l’autre car il reste qu’ils sont intrinsèquement liés. Nous avons, en effet, tenté de souligner ici que des formes envisagées à l’intérieur de signifiants spécifiques pouvaient être mises en correspondance morpho-sémantique avec d’autres signifiants. Ce phénomène corrélatoire est opérationnel seulement sur certains signes et dans une certaine synchronie, sans pour autant que ceux-ci s’avèrent rares, les référents pourront faire concevoir en discours les signifiants de façon non linéaire. Le rapport signifiants / référents apporte donc ici un nouvel élément d’analyse en ce que le recoupement de ces référents permet de rendre analogues deux formes. C’est prendre toute la mesure de ce qu’il ne s’agit pas d’identité mais bien d’analogie.

Ces référents sont l’objet de la compétence des sujets et démontrent combien ces derniers peuvent contribuer eux-mêmes à l’évolution du signe ou à sa créativité. Tel est le cas du verlan et du vesre où l’analogie avec la forme-source est très souvent connue, même si la forme-cible vient, par la suite, à s’en émanciper. Dans tous les cas, au plan sémantique, c’est le référent conceptuel le plus saillant qui est exploité et conservé dans la transformation.

De même, en ce qui concerne l’@, quoique ne faisant pas partie du système espagnol, il a été progressivement usité par les hispanophones-sujets écrivants qui ont vu dans ce glyphe

260 Cf. chapitre septième pour une étude plus particulière de ces types d’actualisations du signe,

261 Nous l’avons vérifié, par exemple, avec les cas de gandul et mindango (référant tous les deux à l’idée de « fénéantise »), corrélés anagrammatiquement par les segments [gan] / [ang]. Ces mots font partie d’une large étude de cas au chapitre quatrième.

cette fonction qui manquait au marquage générique. C’est là un recours proche du principe de la nomination tel qu’étudié plus haut. L’on donne ainsi peu à peu – et par un autre biais – raison à Guillaume pour qui « le devenir d’un système est de devenir de plus en plus lui-même. »262

Force est alors de constater que les apports de la perspective systématique mise en regard par Monneret avec la perspective sémiologique saussurienne concernant la motivation externe sont applicables dans un autre registre, au second principe de la linéarité du signe linguistique. Car la considération d’un signe isolé amène à la déduction et à la réduction à un signifiant conçu de façon exclusivement linéaire. Grâce à une perspective structurale (voire ici

paragrammatique au sens de Kristeva), d’autres types d’analogies apparaissent : les analogies

anagrammatiques et paragrammatiques. Et si le mot peut être, ainsi que Humboldt nous l’enseigne, à la fois signe et image, il pourrait aussi simultanément, et en une autre lecture, être exploité de manière linéaire et non linéaire dans le domaine discursif.

Ces quelques hypothèses visent à démontrer la latitude dont dispose la sémiologie et plus largement le signe linguistique. De fait, limiter ici les corrélations formelles à leur versant linéaire correspondrait dans le débat sur l’arbitraire à limiter le signe au « beau langage » sans voir dans la langue ses manifestations poétiques comme la poésie, les lapsus, les jeux de mots, les paronomases, les proverbes, les slogans, etc.

Notre principale leçon à tirer de ce premier chapitre est donc que tout est à prendre en compte dans l’étude du signifiant lexical, notamment dans ses rapports aux autres signes. Mais si la conception du signifiant comme voie d’accès au signifié offre l’opportunité d’une rationalisation lexicologique, cette tâche de reconnaissance n’en est pas moins ardue. L’analogie morpho-sémantique entre signifiants passe en effet par des réseaux complexes et non nécessairement situés au niveau du signifiant lui-même mais aussi en amont, au niveaude ce qui le constitue. Dans le chapitre suivant, nous allons donc établir les théories et méthodes d’analyse des corrélations et des structurations morpho-sémantiques possibles pour une application au lexique espagnol.

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CHAPITRE DEUXIÈME : Dimensions réticulaires du signifiant

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