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CHAPITRE TROISIÈME : Proposition d’une méthode de rationalisation heuristique du lexique : la « théorie de la

3.1 Questions terminologiques et postulats fondamentaux

3.1.2 Postulats et bases méthodologiques

3.1.2.1 Des indiscriminations instaurées par l’étymologie structurale et de quelques autres oppositions non conservées

Ainsi que nous l’avons constaté en 2.1.5, Guiraud fait fi de nombre d’oppositions principielles que la tradition linguistique a peu à peu instaurées pour les besoins de l’analyse lexicale. Par exemple, aucune différence n’est faite par l’étymologiste nîmois entre des termes dialectaux et ceux entrés dans la langue française. Au contraire, faisant tous partie de la même zone linguistique, ils sont pour l’auteur mêmement structurables. Le recours à des termes locaux génère de surcroît une amplification du corpus et, partant, un accroissement de la légitimité de la méthode guiraldienne. Pour notre part, nous conserverons cette non-différentiation.

En outre, les niveaux pré-linguistique et linguistique seront, dans notre démarche, considérés comme complémentaires. Comme précisé plus haut, pour l’analyse, nous partirons

du principe que la saillance peut porter aussi bien sur un élément pré-sémiotique que sémiotique ou énonciatif, en fonction de ce que les recoupements morpho-sémantiques auront pu amener à détecter.

Nous ne maintiendrons pas non plus, à l’instar de Guiraud, la distinction entre

motivation directe et indirecte ou entre iconicité et motivation relative. La complexité du

lexique et sa variabilité font que les vocables peuvent être motivés depuis différents points, et ces notions peuvent se montrer également complémentaires.

Saussure (1996 : 181-182) stipule que « la motivation est toujours d’autant plus complète que l’analyse syntagmatique est plus aisée et le sens des unités plus évident. » Il oppose alors « poirier, cerisier, pommier » où l’on reconnaît « l’élément formatif » -ier à, par exemple, « coutelas, fatras, platras, canevas [où l’]on a le vague sentiment que -as est un élément formatif propre au substantif, sans qu’on puisse le définir plus exactement. À l’élément formateur guillaumien, s’oppose donc l’« élément formatif » saussurien, séparés par l’établissement en morphème ou non. Cette distinction n’aura pas lieu d’être dans ce travail, car c’est ce qui se répétera qui fera sens et qui nous guidera, quelle qu’en soit l’autonomie morphologique.

Après l’autonomie morphologique, c’est de l’autonomie syntaxique que nous n’allons pas tenir compte. Nous fondons ce postulat sur les travaux de Nemo. Il prend comme exemple les verbes français couler et dégouliner dont les segments -goul- et coul- n’ont pas le même positionnement sémiosyntaxique alors qu’ils sont bel et bien en corrélation. En effet, un morphème n’a nul besoin d’être syntaxiquement autonome pour faire sens (cf. les éléments formateurs guillaumiens).

De même, les notions de « synonymie », d’« homonymie », de « polysémie » et d’ « antonymie » seront respectivement remplacées par celles de co-référentialité, de

polyréférentialité et d’énantiosémie, terminologie linguistique héritée du crédit accordé au

signifiant et du postulat de ce que les rapports en question ne sont pas de signifiant / signifié mais de signifiant / référents conceptuels (cf. infra 3.1.3).

Nous n’opposerons pas non plus un emploi dit « premier » (i.e. le plus fréquent) et les autres possibilités expressives d’un mot donné, qu’elles soient concrètes ou abstraites, propres ou figurées. Nous envisagerons même la non-opposition entre les emplois actualisés en discours et les emplois conventionnellement acceptés et présents dans un dictionnaire de langue ou d’usage, notamment pour l’abord d’énoncés poétiques.

De cela découle la non-opposition entre tous ces types d’énoncés (poèmes, slogans, lapsus, etc.) qui usent des alternatives d’exploitations saillancielles et de mécanismes

impliquant le signifiant. Nous ne considérerons pas, du reste, les fautes comme « hors langue », éliminant ainsi la distinction assez communément admise entre les phénomènes issus des réalisations langagières comme entre les types de lapsus et les productions écrites ou orales dites « correctes ».

Une autre opposition fondamentale à ôter est celle entre les démarches sémasiologique et onomasiologique. Nous utiliserons les deux approches de façon complémentaire. En effet, ne plus seulement chercher une forme identique mais les affinités sémantiques entre les vocables conduit à user conjointement de ces deux approches.

Nous prônerons également, à l’instar de Monneret, la non-opposition entre langage et cognition, qui revient à rejeter le postulat de l’isolement de la sphère motrice du langage. Le langage est, à notre sens, lié à toutes ses manifestations aux autres fonctions cognitives pour autant que puissent en témoigner les travaux effectués sur les pathologies telles que l’aphasie, l’apraxie, la dyslexie, la dyscalculie, etc.472

Nous allons enfin également considérer comme complémentaires une recherche dictionnairique et une linguistique dite « de corpus ». Nous nous appuierons donc notamment sur des exemples réels et / ou sur les périphrases élucidatoires proposées par le DRAE.

3.1.2.2 Les oppositions et principes auxquels nous souscrivons et d’autres nouveaux

Une approche théorique ne saurait tout rejeter. Il conviendra donc de prendre en compte tout d’abord l’opposition entre forme (figée) et saillance (dynamique). Nous considérerons en effet le signe à l’intérieur du système où il fait sens, sachant qu’une saillance peut avoir plusieurs manifestations formelles, engendrées par le principe d’économie linguistique. Nous conserverons également l’opposition entre les évolutions (approche inconsciente et collective) et les manipulations (approche consciente et primitivement individuelle du signe)

Nous prendrons aussi le par(t)i du tout signifiant en postulant que rien n’est insignifiant dans le signifiant. Cette formulation suppose que tout aspect de la sémiologie est à considérer car potentiellement actualisable.

Nous avons, en outre, conservé le postulat de la suprématie des consonnes sur les voyelles hérité de Guiraud (implicitement), de Nemo, du courant de pensée dix-huitiémiste ainsi que de la submorphémique (hors théorie des cognèmes).

472 Cf. Monneret (2003b : 115-219).

Nous conservons également le principe du « non-fétichisme de la forme » appliqué notamment par Bohas, Nemo et Bottineau. La paronymie est, en effet, le seul phénomène que nous considérerons après Chevalier, Launay et Molho comme de langue, soit basé sur un rapport signifiant / signifié. D’ailleurs, le non-fétichisme impliquera également ici l’étude de la sémiosyntaxe des signifiants.

Enfin, comme nous l’avons précisé, nous nous devrons de tenir compte de la différence statutaitre entre une saillance poétique et une conceptuelle par commodité analytique. Nous gardons cependant à l’esprit qu’un continuum existe entre les deux sphères du langage (usuel et poétique).

Il convient désormais, dans notre paradigme de postulats, de réserver une partie autonome aux questions des polyréférentialité, co-référentialité, énantiosémie et paronymie, du fait de la problématique que posent ces faits.

3.1.3 Postulats dérivés. Des « coïncidences » référentielles et

saillancielles

Nous suivrons les théories du groupe Chevalier, Launay et Molho (1985, 1986, 1988, etc.) pour qui la « coïncidence », qu’elle soit sémiologique (polyréférentialité) ou sémantique (co-référentialité), ne porte que sur un rapport signifiant / référent, d’où cette terminologie. Quant aux deux idées contraires (énantiosémie), il convient également de la traiter. La théorie de la saillance demande alors de résoudre ces questions. Comment en effet démontrer une polyréférentialité entre deux mots aux sens très éloignés ou totalement distincts, aux convergences étymologiques dues à des évolutions phonétiques, etc. ? À l’inverse, comment distinguer par le signifiant deux signes permettant la même référentialité ? Est-ce possible par le signifiant ? Quoique nous ayons ébauché quelques réponses en filigrane à ces questions dans le chapitre deuxième, posons ici notre démarche pour chaque cas.

3.1.3.1 Saillance et polyréférentialité

Nous avons retenu qu’il est, dans la langue, plus d’idées et de nuances à exprimer que de combinatoires possibles de phonèmes et que, par surcroît, le principe d’économie évite l’extension du nombre de vocables. Delport pose alors la question de la polyréférentialité en ces termes :

L’homonymie sans doute est inévitable ; le nombre restreint des phonèmes et les limites de leur distribution dans la langue considérée y mènent souvent. Mais l’idée n’en vient qu’à celui qui, abandonnant un moment son rôle de sujet parlant pour qui le mot n’existe que lié à un

domaine d’expérience et inscrit dans un sous-système morphologique – nominal, verbal, adjectival, etc., s’arrête à considérer des unités séparées de l’ensemble auquel, dans la langue, elles appartiennent.473

Or, si l’on suit les propos de Molho (1986 : 43) selon lesquels « c’est une illusion – une illusion hâtive – que d’en appeler à la syntaxe contre l’apparente ambiguïté d’un signifiant », alors nous devons chercher dans la sémiologie même comment les distinguer. La polyréférentialité peut alors être vue comme le résultat d’une perte de motivation étymologique et / ou comme celui d’une confluence au niveau du signifié. Dans les deux cas, nous essaierons d’établir quelle est la saillance sollicitée pour chaque sens différent, c’est-à-dire non rattachable aux autres et constatable en discours. Ce phénomène est en effet un moyen de mettre en relief les autres constituants du signifiant. Par exemple cuco (« pájaro ») et cuco (« cestillo ») représentent chacun l’actualisation d’une saillance distincte. Le premier actualise la saillance duplicative phonétique {K-K} lié onomatopéiquement au cri de l’animal tandis que l’autre sollicite l’invariant graphique {C-C} lié iconiquement aux notions de « rondeur » ou d’« enfermement ». Les deux saillances ni n’occultent ni n’empêchent cependant que cuco représente un seul signifiant.

3.1.3.2 Saillance et co-référentialité

Nous tenterons également d’expliquer quelques cas de co-référentialité où la métaphore scopique du point de vue acquerra tout son sens. C’est en effet dans les différences de signifiant que nous pourrons détecter des propriétés focalisantes propres, témoignages de ce qu’aura voulu désigner tel ou tel locuteur. C’est pourquoi les mots qui peuvent commuter en de nombreuses occasions discursives sont les meilleurs supports pour qu’elles soient nécessairement distinctes, elles n’en tolèrent pas moins certaines commutations en discours indicatrices d’une corrélation.

Dans cette optique, nous étudierons notamment les lexèmes des vocables sitiar et

cercar (« assiéger ») dont chacun est intégré dans un organisme différent mais l’un et l’autre,

à sa manière et avec ses nuances, exprime la même idée. Ces mots et leurs dérivés constituent un des points d’intersection des différentes structures. Nous verrons que leurs signifiances respectives rendent compte plus de leurs nuances que de leurs recoupements référentiels.

3.1.3.3 Saillance et énantiosémie

L’énantiosémie est en quelque façon une « coïncidence saillancielle » dans la mesure où elle représente l’exploitation d’un des deux versants conceptuels de la même saillance un

473 Delport (2008 : 33, note 32).

peu à l’instar de ce que la notion « délier » rappelle « lier » dans le cadre de la matrice bohasienne. En l’occurrence, il s’agit, à notre sens, d’un phénomène qui, comme vu au chapitre précédent, crée du sens sans trop multiplier les entités formelles, en se basant à la fois sur le signifiant et sur le macro-signe. Par exemple le concept de « tension entre un élément A et un élément B » impliquera aussi bien les idées de « changement » et de « non-changement » mais également de « mélange » et de « non-mélange » (cf. chapitre cinquième). Ce phénomène a donc des implications aux deux niveaux puisqu’il transcende les capacités de référentiations et se pose dans un rapport concept / référent, soit une tension entre un élément A et un élément B et une « non-tension entre les deux éléments », d’une part, et au niveau sémantique, elle permet de mettre en corrélation des termes référant à des idées contraires en discours.

Ainsi, loin d’être un problème en soi les questions de « co-incidences de signifiants » sont, bien au contraire, les lieux où sont le plus manifestes les différentes saillances dont use le mot pour référer. Les cas de polyréférentialité peuvent être à la base de la recherche des différentes saillances (cf. 4.2). De même, les mots co-référentiels représentent un support d’étude pour évoquer les différences de signifiances et, conséquemment, de saillances. Récapitulons les liens statutaires évoqués sous forme de tableau pour plus de clarté :

Phénomène Rapport

Paronymie Signifiant / signifié

Co-référentialité Signe / référent

Polyréféréntialité Signe / référent

Enantiosémie Concept / référent et signe / référent

Tableau 6. Répartition des rapports entre concept, signe et référent

Posons désormais une procédure pour le recoupement morpho-sémantique des mots et le décèlement des éléments saillants.

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