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Possibilités multiples de réalisations formelles selon François Nemo

- Les structures sémiques

2.2 De quelques approches complémentaires à l’étymologie structurale : les formes que prend parfois l’analogie

2.2.1 Possibilités multiples de réalisations formelles selon François Nemo

2.2.1.1 La polymorphie du signifiant et les corrélations postulées

Nemo, tout d’abord, considère le signifiant comme « flexible » mais également comme potentiellement « non flexible », ce qui, en d’autres termes, signifie qu’un même signe linguistique peut être linéarisé de plusieurs façons différentes. Ce postulat repose sur ce qu’il nomme le « rejet du ‘fétichisme de la forme’ » dans le domaine de la linéarité car :

Sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dans les mtos n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire sioent à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C’est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe, mias le mot cmome un tuot. (sic)323

La lecture de ce texte bref montre à quel point il est possible pour un sujet sachant lire et possédant un stock de lexèmes suffisant, de comprendre chaque vocable même sous une forme « non linéaire ». Cela revient à considérer un mot par correspondance comme une forme et son analogue, pour paraphraser Molho.324

Quelques exemples représentatifs du français selon l’auteur sont la relation instaurée en synchronie entre forme et morph-, obstacle et stop, rude et dur, loriot et oriolidés ou entre

reptile et herpétologue325. Si certaines de ces corrélations s’instaurent parfois entre des termes de même étymon, il reste qu’aujourd’hui ces vocables sont actualisés dans un rapport morpho-sémantique en vertu d’un « point d’intersection sémiologique ». Cet invariant est lui-même rattaché à ce que l’auteur nomme une information sémantique, correspondant

323 Citation reprise par Nemo (2005 : 224). En version originale : “Aoccdrnig to a rscheearch at Cmabrigde Uinervtisy, it deosn't mttaer in waht oredr the ltteers in a wrod are, the olny iprmoetnt tihng is taht the frist and lsat ltteer be at the rghit pclae. The rset can be a toatl mses and you can sitll raed it wouthit porbelm. Tihs is bcuseae the huamn mnid deos not raed ervey lteter by istlef, but the wrod as a wlohe.” ( http://www.mrc-cbu.cam.ac.uk/~mattd/Cmabrigde/) Il n’existe pas à notre connaissance de source officielle à l’Université de Cambridge pouvant corroborer cette affirmation mais le résultat à la lecture demeure probant.

324

Cf. Molho (1986 : 51) « […] un être, quel qu’il soit, est par correspondance une chose et son analogue. » C’est l’auteur qui souligne.

325 Nemo (2005 : 215). Il est aisé d’objecter concernant ce dernier exemple que le l procède du suffixe grec

-logos mais cela n’enlève rien à la pertinence de la démarche corrélatoire ici. En revanche, l’analogie est bien

approximativement aux référents conceptuels de Chevalier, Launay et Molho. Cette théorie place aussi comme principes fondamentaux :

la non-linéarité et la polymorphie du signifiant [en voulant] montrer que si toute catégorisation s'inscrit dans une projection sémantique, si toute représentation s'inscrit dans une comparaison et si tous les signes linguistiques sont polymorphes, alors nos intuitions linguistiques les plus immédiates sont des fictions cognitives dont il faut se défendre. 326

D’après Nemo, en effet, « pour chaque signe linguistique, c’est tout un espace phonologique de variation qui semble ouvert. »327 Par exemple les formes morph- et forme sont visualisées selon le schéma suivant par l’auteur :

Figure 6. Commutation des phones de [mǤǤǤǤrf] et [fǤǤǤǤrm]328

Il est effectivement tentant de penser qu’il y a substituabilité phonétique à l’intérieur même du processus de la sémiogenèse. Cela se vérifie concernant les lapsus lorsque le phone d’un mot, en tant que matériau, est parasité par le groupe phonétique d’un autre mot du syntagme et fait dévier le sujet parlant.

Cette méthode d’approche présente donc l’intérêt d’explorer le signe lexical indépendamment de sa linéarité. En l’occurrence, des formes linéaires peuvent être mises en relation avec des formes inversées. L’analogie est envisagée de façon étendue, ce qui accroît les chances d’une rationalisation dans une perspective sémasiologique. Mais il ne s’agit que de corrélations autorisées et recoupées sémantiquement par un rapprochement constaté dans leurs référents respectifs. Il ne faut donc pas concevoir, selon nous, le signifiant lui-même comme polymorphe, mais seulement poser des « formes inversées » comme corrélées entre elles (cf. sous-partie 1.3). Le signe n’est ni linéaire ni polymorphe, il signifie. Or un signifiant, tel que le mentionne Gadet (1987 : 124), « ne signifie que son propre pouvoir de signifier » et n’acquiert de valeur qu’en vertu du système dans lequel il s’actualise. Ce sont des mécanismes systématiques qui corrèlent des formes inversées à des formes linéaires.

326 Cette citation de Nemo est extraite du résumé d’une communication de 2005 intitulée : « Projections sémantiques, comparaisons et polymorphie » ; langage, non-représentation, non-catégorisation », synthèse accessible à la page http://formes-symboliques.org/article.php3?id_article=142. Cette affirmation sur la non-linéarité du signe à l’échelle du lexique n’est pas sans poser des questions d’ordre cognitif et mémoriel, facteurs que nous aborderons plus avant dans ce chapitre.

327 Nemo (2005 : 213). 328 Ibid. m f m Ǥ ǤǤ Ǥ r f

Nemo ne limite pas sa théorie aux corrélations anagrammatiques mais l’étend à ce que l’on pourrait nommer au sens large des correspondances paragrammatiques,329 soit une forme liée à une autre « étendue ». Cela démontre que la non-linéarité du signe n’implique pas qu’une possibilité d’exploitation inversive.

2.2.1.2 L’« extensibilité » de la forme selon Nemo : une corrélation synthétique / analytique

Soit le groupe constitué de flirt, érafler, frôler, effleurer, dont l’analyse historique éloigne la possibilité d’un étymon commun.330 Force a été de constater par l’auteur que ces quatre mots sont parfois associés non seulement dans un rapport linéaire vs. anagrammatique mais aussi dans un rapport forme synthétique vs. forme analytique ou expansée en vertu de la base commune et rectrice frl. C’est-à-dire que les phones qui composent l’invariant se trouveraient librement « déliés ». Nemo détecte alors une analogie morpho-sémantique due au même phénomène entre les mots ou rabot et abrasif331, sans lien étymologique, ou bien vrai /

vérité, -able et son rapport à la forme étendue -abilité (e.g. faisable / faisabilité ; aimable / amabilité) où un phone s’est inséré alors que les segments sont étymologiquement et

sémantiquement associés.332 Or, le lien étymologique respectif entre ces mots n’interdit pas de les concevoir comme analogues, bien au contraire. Ce n’est d’ailleurs pas un critère pour le locuteur naïf. C’est en revanche une indication de ce que le système et le cerveau autorisent ce mécanisme d’analogie :

[…] si l’on postule que notre cerveau i) est capable de construire des types de lien entre [par exemple] les unités comme vrai et vérité, quatre et quadr-, forme et morph-, [dont le lien morpho-sémantique est incontestable et reconnu des linguistes] et qu’il est incapable de construire ce type de liens entre râpe, rabot et abrasif ; alors il est clair que l’on défend en fait une position qui est cognitivement incohérente.333

Cette structuration peut donner de ces signes une lecture « polymorphique ». Or, dire que le signifiant est polymorphe reviendrait à déclarer que ces mots ont le même signifiant alors

329 Il s’agit ici d’une réutilisation de ce terme de Kristeva à l’échelle du mot. Cf. ici « Indications définitoires », s. v. Paragramme.

330

Cf. Nemo (2005 : 217). Du point de vue étymologique, effleurer est un dérivé de fleur, érafler dérive de rafle (TLFi, s.v.), frôler procède de l’ancien frosler (« frotter ») et lui-même d’une hypothétique forme latine *fraudŭlare (cf. Guiraud, 1994 : 304). À ce propos, Guiraud (ibid.) évoquait déjà les « connotations onomatopéiques » de frôler qui l’ont fait passer de l’acception de « frotter » à celle de « frotter légèrement ». Du reste, la mise en regard avec frotter « suggère la survivance gallo-romane de fraudare [« tromper faire du tort », étymon de frouer] sous des formes *fraudŭlare et *fraudĭtare. » Quant au terme plus récent flirt, que nous tenons de l’anglais, il implique aujourd’hui l’idée de « frottement » encore plus amoindrie, voire même s’approchant d’une espèce de caresse (cf. TLFi, s.v. flirt).

331

Cf. Nemo (2005 : 214-215).

332 Cf. Nemo (2005 : 213, 215). En l’occurrence, cela manifeste la coexistence de termes savants, semi-savants et populaires. Nonobstant, il n’est, bien entendu, pas évident que le rapport étymologique entraîne une affinité sémantique comme dans les cas où la motivation se perd (cf. 1.2.2, Lune et lunette traités par Guiraud).

333

qu’ils ont tout au plus une forme analogue. Car considérer le fragment formel corrélé comme le signifiant revient à oublier ce qui, chez ces vocables, peut être également ou différemment

porteur de sens. Ils sont en effet susceptibles, chacun de leur côté, d’être mis en liaison

morpho-sémantique à des degrés divers avec d’autres termes. La vision de Nemo est due à la considération des phones isolés ou disséminés en tant que morphèmes, comme écrit plus haut. Rejeter le « fétichisme de la forme » représente toutefois la base d’une démarche féconde dans la mesure où sont considérés comme formes analogues deux fragments de signifiant corrélés anagrammatiquement ou paragrammatiquement.

Ce postulat correspond donc à une conception étendue de l’allomorphie, qui amène Nemo à redéfinir la notion même de morphème :

Le résultat est immédiat : loin de refaire le travail des lexicographes, le rôle du linguiste est avant tout d’identifier la diversité des emplois d’un même morphème. Ainsi, le morphème

part est-il présent aussi bien dans partage, rempart, sépare, appartement, département, aparté, déparer, se départir, départager, partir, partouze, participer, épars, éparpillé, paroi.

334

Une linguistique du signifiant doit en effet voir ici un invariant apte à fédérer morpho-sémantiquement ces signes. Cette nouvelle conception submorphologique y contribue, bien que cela soit au prix d’un écart vis-à-vis de la notion même d’unité minimale de sens communément admise.335 Cette théorie se doit aussi, sur le plan formel, de ne se limiter ni à des formes « figées » ni liées paragrammatiquement ni anagrammatiquement du type [mǤrf] / [fǤrm]. Pour en revenir à ce dernier type de corrélation, il convient de préciser qu’il n’est pas seulement envisageable au niveau du segment ou du phone mais également des racines bilitères. C’est ce qu’a constaté Eskénazi qui a étudié de manière indépendante le même mécanisme corrélatoire.

2.2.2 De l’approfondissement de la structuration onomatopéique par

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