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Les « idéophones lexicaux » selon Bottineau : vers plus de flexibilité analytique

Signifiant : présence du trait [pharyngal], dont l’articulation inclut le resserrement articulatoire du pharynx

2.3.3 Les « idéophones lexicaux » selon Bottineau : vers plus de flexibilité analytique

2.3.3.1 Des idéophones lexicaux ainsi que théorisés par Bottineau

Bottineau est, à notre connaissance, un des chercheurs qui a le mieux théorisé la nature et le rôle de ce qu’il nomme les idéophones lexicaux. La définition qu’il en donne en fait une catégorie submorphémique à part entière :

Ces matrices, nommées idéophones ou phonesthèmes (Firth), classifient le lexique en fonction

d’une propriété saillante reconnue comme telle et suffisamment pertinente pour servir de

sème organisateur autour duquel gravite un ensemble de notions lexicales sans autre corrélation culturelle ni fonctionnelle que le fait de posséder ce sème commun.383

Les idéophones lexicaux correspondent donc à des groupes consonantiques autour desquels se structurent plusieurs mots, tout comme les marqueurs sub-lexicaux. La notion de propriété

saillante nous semble intéressante car il s’agit effectivement d’une saillance sémiologique qui

traduit une saillance sémantique. La définition de l’idéophone demeure toutefois plus complexe qu’une procédure articulatoire mimétique, onomatopéique ou phono-symbolique :

L’idéophone ne doit pas être considéré comme une tentative de photographier le référent de la notion et d’inscrire des traits visuels de l’objet phénoménal dans la constitution du mot : si une telle stratégie était nécessaire elle serait bien plus répandue dans le lexique ; de plus les traits exprimés concernent non pas un élément purement visuel, mais un potentiel de comportement associé soit à l’objet lui-même, soit à la procédure cognitive de construction de sa représentation, soit encore au type de relation qu’un animé humain est susceptible d’engager avec lui.384

Cela reste un élément agissant comme macro-signe avec l’imprécision fonctionnelle que cela suppose :

L’idéophone inscrit le résumé stylisé d’un discours porté par le locuteur sur le référent de la notion : « de cet objet on peut dire qu’il est prioritairement concerné par cette classe de comportement » sans préciser l’auteur du comportement (externe ou interne à l’objet) ni son domaine de définition (comportement extralinguistique ou parcours mental constructionnel). Le paradoxe est donc que l’idéophone tend à figurer la partie non visible de l’objet.385

383 Bottineau (2003a : 217). Nous soulignons. L’ouvrage de l’auteur auquel Bottineau fait référence est FIRTH, John Rupert, Speech, Ernest Bern, Londres, 1930, notamment p. 50-62.

384 Bottineau (2003a : 218). 385

C’est donc également un point de vue,386 une mise en focus dont le procédé métonymique le présente comme un fragment de signifiant sélectionné en vue de référer en des circonstances discursives précises, peut-être par économie. Cette saillance, que l’on retrouve désignée par le biais de l’adverbe « prioritairement », est attestée comme associée à un sens et représente un nouveau type de manifestation d’iconicité lexicale.

2.3.3.2 Des variantes formellement plus flexibles

Bottineau (2003a : 217-219) donne quelques exemples d’idéophones lexicaux :

-st est lié à la notion de stabilité [cf. infra] ;

-sp, celle de rotation rapide ou d’éjection par force centrifuge [spin, spill et, métaphoriquement, spawn, speak, spit, spout] ;

-sk à celle de plan de coupe ;

-wr à la torsion [wrought iron, qui résulte d’une procédure de torsion, writhe, wriggle,

wrench] ;

-fl à la fluidité, l’envol, ce qui échappe [fly (« mouche »), flee (« fuir », « puce »), flow (« flux », « s’écouler »)] ;

-tw à la dualité comme résultat photographique d’une pendulation opérative filmée par sw, etc. [two (« deux »), twenty (« vingt »), twelve (« douze »)].

Danon-Boileau (1993 : 80-81), pour sa part, rappelle que « des verbes tels que slime, slide,

slack, slouch, slide, slip, slink décrivent divers mouvements qui tous sont caractérisés par leur

languissante molesse ».

Bottineau, prenant le premier exemple st rappelle la possibilité de cet idéophone lexical d’être réalisé aussi bien synthétiquement (st) qu’analytiquement (s-t) :

[…] l’idéophone s-t est saisi analytiquement par distribution sur l’attaque [à l’initiale] et la coda [ici en position finale] du radical monosyllabique (sit, sat, set, suit) ou concentré synthétiquement sur l’une ou l’autre de ces positions (stay, rest) auquel cas il est positionné en position finale rhématique de mineure cognitive (rest, mast, post) ou en position initiale de majeure cognitive servant effectivement de sème classificateur intégrant pour l’ensemble de la notion (stay, stop, still)387

C’est là une nouvelle nuance fondamentale avec la notion de marqueur sub-lexical. Car, au vu des données recueillies par les chercheurs en submorphémique, le marqueur sub-lexical n’est opérant qu’en position initiale et sous un versant exclusivement synthétique. Bottineau va

386

Cf. Launay (1986 : 38) : « […] chaque fois, en effet, qu’une différence insiste étrangement au-delà de l’identité des références, ce qui trouve à se glisser là, faisant irruption dans le discours, c’est quelque chose comme le point de vue d’un sujet révélé dans la signifiance choisie, parmi d’autres possibles, pour parler d’un être ou d’un phénomène. » Et l’auteur d’ajouter que « [c]ette voix que fait entendre le signifiant, il incombe aussi au linguiste de l’écouter. » (Ibid. C’est l’auteur qui souligne).

387 Bottineau (2003a : 217). Plus avant, Bottineau évoquera également quelques exemples fédérés par un idéophone fl- (notion de « fluidité ») mais sans en donner d’exemple de saisie analytique (f-l). On peut pourtant citer folio (« feuille »), to follow (« suivre »), to fall (« chuter »), falcon (« faucon »), to fill (« envahir », « remplir »), par exemple.

donc plus loin en cherchant à détecter plus globalement l’invariant cognitif et sémantique

au-delà des linéarisations.

L’auteur approfondit cette question en établissant des catégories en fonction de ce sur quoi porte l’idéophone dans le signifiant, c’est-à-dire en exploitant le rapport de l’invariance au discours :

[...] appliqué au verbe, il représente un comportement repéré par rapport à une phase d’immobilité (stay, stop, start) ; appliqué à un objet, il programme une possibilité d’immobilisation (stick, stack, stab, stump).

C’est ainsi que, dans une application iconique de l’idéophone, Bottineau peut fixer des critères rigoureux pour proposer des indications définitoires de l’adverbe still (« encore ») :

La compositionnalité morphologique est iconique d’une compositionnalité de structuration conceptuelle : la notion de permanence (still) associe l’idéophone de stabilité (st) [cf. infra] à la marque de futur –ll [cf. e.g. till, will, shall] par le truchement du i de connexion (pour formuler ceci de manière provisoire)388.

Cette décomposition du signifiant de still est ici opérée après la détection de tous les segments saillants. La mise en réseau des signifiants est, en l’occurrence, ce qui permet d’identifier ces groupes.

On pourrait donc déduire que l’idéophone lexical tel que décrit et analysé par Bottineau subsume la notion de marqueur sub-lexical du fait de sa flexibilité mécanique et de « syntaxe des phones » du signifiant. Malgré cette extension, il n’est pas fait mention par ce dernier d’une éventuelle pluralité de linéarisations pour tous les phonesthèmes.

2.3.3.3 De la problématique du symbolisme phonétique. Question de l’adaptation aux langues romanes

Jean Tournier a établi la distinction entre onomatopée et ce qui est couramment nommé idéophone. Selon lui, les onomatopées caractérisent des mots dont le signifié « renvoie au champ notionnel du son » tandis que les idéophones sont constitutifs « du signifiant d’un mot dont le signifié peut appartenir à divers champs notionnels à l’exception

de celui des sons ».389 Cependant, l’on peut constater une non-herméticité des frontières. Par exemple, des groupes phonétiques peuvent être bivalents et adopter une valeur soit idéophonique soit onomatopéique. Chadelat (2008 : 84) a ainsi détecté « la valeur onomatopéique du marqueur <Cr>, laquelle évoque un « bruit de craquement », et sa dimension idéophonique qui signifie la notion [i.e. le concept] de « non-rectiligne » ».

388 Bottineau (2003a : 218). La position sémiosyntaxique serait donc le résultat d’un processus cognitif (cf. sur cette question 2.3.6).

389

En outre, en français, chez Guiraud, si l’idée de « coup » procède d’un mouvement articulatoire précis (donnant prototypiquement lieu à T-K), elle n’en engage en effet pas moins un bruit, un son dans les cas d’opposition [r] / [Ø]. L’auteur cite les exemples de référentiations à des objets contenant un élément ou une propriété acoustique tels tricotets (« danse ancienne »), tric-trac (« crécelle »), triquenique / trequeneque (« cric »), trok (« bruit, tapage ») tricoter (« chicaner ») ou truco (« sonnette à vache »).390 D’ailleurs, les structures onomatopéiques ne reposent pas seulement sur un critère articulatoire mais également visuel, notamment dans le cas de la structure en B.B basée sur des « mimiques expressives ». On perçoit alors que la dynamisation de l’expressivité lexicale peut s’opérer par la relation de complétude entre mimétisme au sens large et idéophonie / structuration onomatopéique qui contribue même à former un système dans le cas de la structure en T-K, comme vu plus haut. Ainsi, si la distinction fondamentale entre les éléments idéophoniques391 et mimétiques doit être effectuée pour une approche et une terminologie plus rigoureuses, les deux phénomènes restent envisageables dans leur complémentarité pour qui s’intéresse en priorité au signifiant. Cela est d’autant plus vrai pour les langues romanes dont les « stratégies sémio-cognitives » (Bottineau) ne sont pas aussi réductibles que l’anglais au phénomène de l’idéophonie.

Selon la même primauté accordée au signifiant, et dans une perspective transcatégorielle, Molho a proposé, avec la théorie du formant, un autre type d’invariant submorphémique mais dont la nature est toujours un seul phone. Il en va de même pour Bottineau avec les cognèmes.392 Il convient désormais d’établir quelles sont les implications de chaque unité dans la production du sens lexical.

2.3.4 Formants et cognèmes : mises en regard et implications dans la

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