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Dans un article intitulé « détresse psychique et homosexualité », Corneau et Holmes (2008) s'intéressent notamment à l'approche causale qui postule que la stigmatisation de l'homosexualité peut expliquer les problèmes de santé mentale que mettent en évidence les enquêtes épidémiologiques. L'analyse proposée par ces auteurs, à partir du concept de stress des minorités, nous paraît intéressante pour mettre en évidence l'interaction entre les conséquences psychologiques et sociales de l'homophobie et leur auto-renforcement dans une

logique de cercle vicieux. Ils font référence aux travaux de Meyer (1995) sur le stress des minorités que ce dernier définit comme une « détresse engendrée par l'appartenance d'une personne ou d'un groupe de personnes à un groupe minoritaire ». (op., cit., 38) Selon lui, ce statut minoritaire peut être à l'origine d'un stress chronique, susceptible d'expliquer les problèmes de santé mentale chez les minorités sexuelles. Selon Corneau et Holmes (2008), dans le cadre de l’approche causale des problématiques de santé mentale chez les homosexuels, le concept de stress des minorités se décline selon trois axes que nous développons ci-après.

1.4.1 La dégradation de l’image sexuelle liée à l’homophobie intériorisée.

Corneau et Holmes (2008) rapportent que certaines études montrent que « les hommes ayant des difficultés à accepter leur homosexualité présentent des scores plus élevés sur les échelles d'anxiété sexuelle, de dépression sexuelle, de peur de la sexualité et sur leurs préoccupations face à leur image sexuelle » (op., cit., 20). Ces difficultés sur le plan sexuel, liées à l'homophobie intériorisée contribuent au stress et au risque suicidaire. Au contraire, une meilleure acceptation de son homosexualité, et une sexualité épanouie pourraient constituer des facteurs de résilience (Corneau et Holmes, 2008)

De plus, comme le soulignent Ryan et Frappier (1994), les adolescent-e-s gais et lesbiennes disposent de très peu de modèles auxquels se raccrocher. « Les jeunes en général reçoivent peu d'informations pertinentes quant à l'expression de leur sexualité et encore moins s'il s'agit d'une sexualité homosexuelle. Les parents et la plupart des pairs ne peuvent servir d'exemples aux jeunes homosexuels, ni les soutenir d'autant que ces derniers ne peuvent partager leur

situation et leurs difficultés avec leur famille, contrairement aux adolescentes et adolescents hétérosexuels. » (op. cit., 241). Dans ce contexte de manque d'information et d'absence d'images positives de l'homosexualité, les jeunes sont ainsi confrontés à la peur d'être stigmatisés et rejetés.

1.4.2 L’aliénation sociale résultant de la peur et de l’anticipation de la

stigmatisation

Pour Hetrick et Martin (1987), la première tâche développementale pour un-e adolescent-e

homosexuel-le est de s'adapter à un rôle socialement stigmatisé. Même si certains font preuve

d'une grande résilience face à la pression sociale, beaucoup traversent une période turbulente qui peut être source de comportements inadaptés et qui est susceptible d'affecter leur vie adulte (op., cit.). « La perception du stigmate implique que les homosexuels s’attendent, en quelque sorte, à une forme de rejet, ce qui peut conduire certains à l’aliénation et à l’isolement en société. » (Corneau & al. 2008, 20). Cette stigmatisation est à l’origine de certaines pressions chez l’individu, notamment sociales. S’appuyant sur les travaux de Robertson (1998), Corneau et Holmes (2008) soulignent que ces pressions ne sont pas seulement le fait de discriminations vécues directement, mais qu’elles sont liées à la peur et à l’anticipation d’être identifié comme homosexuel et rejeté, aux difficultés à vivre son homosexualité ouvertement et à s’affirmer. « Devoir cacher son identité et l’état constant de peur dans lequel vivent certains individus, peut conduire à une forme d’aliénation sociale et d’anxiété » (Robertson, 1998, in Corneau & al., 2008, 20).

1.4.3. L’exposition à des situations de discrimination ou de victimisation

Le fait d'être victime de discrimination, de harcèlement, ou d'agressions homophobes, verbales ou physiques, « peut avoir de réelles répercussions sur la santé mentale des victimes » (Corneau & Holmes, 2008, 20).

1.4.3.1. L’injure homophobe

« Au commencement, il y a l’injure. Celle que tout gay peut entendre à un moment ou à un autre de sa vie et qui est le signe de sa vulnérabilité psychologique et sociale. » (Eribon, 1999). Plusieurs auteurs (Eribon, 1999 ; Ryan & Frappier, 1994 ; Hefez, 2003) soulignent le poids de l'injure homophobe, un phénomène souvent banalisé, qui agit insidieusement. Souvent inconsciemment, le jeune qui se découvre homosexuel va être affecté par ces injures. « Au fil de leurs interactions sociales, les jeunes apprennent que notre société est peu accueillante envers les gais et les lesbiennes. Diverses épithètes injurieuses témoignent de ce mépris et de

cette perception négative. Les adolescents et adolescentes qui se désigneront éventuellement comme homosexuel-le-s ne peuvent demeurer insensibles à ce discours. » (Ryan & Frappier, 1994, 242). Les insultes homophobes peuvent les affecter psychologiquement en leur signifiant, de façon insidieuse, que ce qu’ils sont est mal ou dangereux et qu’ils devraient en avoir honte. (Thurlow, 2001).

Hefez (2003) souligne que le rejet « concerne rarement une préférence sexuelle qui dans la plupart des cas n'a pas encore eu le temps de s'élaborer consciemment. L'insulte se nourrit de l'horreur de la « féminité » du garçon et de la « masculinité » de la fille » (op. cit., 154). Cette remarque rappelle à quel point sexisme et homophobie sont intriqués. Même si les insultes fondées sur les stéréotypes de genre peuvent ne pas du tout correspondre à l'orientation sexuelle de ceux et celles qu'elles visent, « ce sont ces « signes » qui viennent faire sens socialement pour cristalliser le rejet » (op. cit., 154).

1.4.3.2. Les agressions physiques

De nombreuses enquêtes révèlent que les jeunes homo bisexuels déclarent significativement plus souvent être victimes d’actes violents que leurs camarades (Hershberger & D'Augelli, 1995; Bagley & Tremblay, 1997; Faulkner & Cranston, 1998 ; Dorais, 2001 ; Garofalo & al., 1999 ; Russell & al., 2001), d’agressions physiques ou de harcèlement en milieu scolaire (Warner & al., 2004). On rapporte aussi des problèmes scolaires tels que l’absentéisme dû à la peur ou des relations sexuelles contre leur volonté (Garofalo & al, 1999.) Dans l'enquête menée par Hershberger et D'Augelli (1995), les résultats révèlent que les jeunes gays, lesbiennes et bisexuel-le-s sont particulièrement exposé-e-s à la victimisation de divers

niveaux de violence : 80 % rapportent avoir fait l'objet d'insultes verbales, 44% ont été menacé-e-s d'agressions, 23% ont eu des objets personnels endommagés, 30% rapportent avoir

été pourchassé-e-s ou suivi-e-s, 13% s'être fait cracher dessus, 17% ont été victimes d'une

agression physique, 10% d'une agression avec une arme et 22% rapportent avoir été agressé-e-s

sexuellement. Les analyses de régression multiples ne révèlent pas de lien direct entre victimisation et tentatives de suicide, mais elles montrent un effet direct de la victimisation sur la santé mentale, qui peut être renforcé ou diminué en fonction du niveau de soutien familial et d'estime de soi.

Plus récemment, D'Augelli et Grossman (2001), ont comparé des homosexuels n'ayant pas été victimisés à ceux qui ont fait l'objet de violences physiques. Ils montrent que le niveau d'estime de soi est plus faible, l'homophobie intériorisée plus forte et les idées suicidaires plus présentes chez ceux qui ont été victimes de violences.

Dans l'étude qu'ils ont conduite en Angleterre et au Pays de Galles, Warner et al. (2004) se sont intéressés aux facteurs susceptibles d'expliquer le taux élevé de tentatives de suicide et de troubles mentaux chez les LGB. Ils soulignent que parmi les 1249 participants ayant répondu aux questions relatives aux actes d'hostilité ou de discrimination, 83% rapportent avoir fait l'expérience d'au moins une de ces situations: dommages à des biens personnels, agressions physiques ou verbales au cours des 5 dernières années, ou insultes ou situation de victimation en milieu scolaire. Parmi l'ensemble de ces participants rapportant avoir été victimisés, 66% l'attribuent à leur orientation sexuelle. Les gays et lesbiennes rapportent les mêmes niveaux de victimisation que les bisexuel-le-s, mais sont plus nombreux à l'attribuer à leur orientation sexuelle (Warner & al., 2004). Nous soulignons que dans cette étude, les répondants les plus jeunes (<40 ans) semblent plus exposés au risque d'agressions physiques (OR=1.9) ou verbales (OR=1.6). Par ailleurs, les hommes gays ou bisexuels sont plus nombreux que les femmes lesbiennes ou bisexuelles à rapporter avoir été attaqués récemment (OR=1.4) et plus de deux fois plus nombreux à avoir subi des situations de « bullying » en milieu scolaire (OR=2.3) (Warner & al., 2004).

1.4.3.3. Non conformité de genre : une vulnérabilité face à la victimation

Il semble également que la non-conformité de genre expose encore davantage à la victimation homophobe et à ses conséquences en termes de détresse psychologique. Sandfort, Melendez et Diaz (2007) ont mené une étude au sujet du lien entre la non-conformité de genre,

l'homophobie, et la détresse psychologique. Un échantillon composé de 912 hommes latinos se définissant comme bisexuels ou homosexuels, et issus de trois grandes villes des Etats-Unis,

ont participé à des entretiens en face à face. Les résultats montrent que les gays et bisexuels qui se considèrent eux-mêmes comme efféminés ont des niveaux de détresse psychologique

plus élevés et rapportent plus souvent avoir vécu des événements négatifs que ceux qui ne se considèrent pas comme efféminés. Les niveaux élevés de détresse psychologique chez les participants « efféminés » semblent résulter essentiellement d’expériences d'homophobie. Ils soulignent l'intérêt de prendre en compte la non conformité de genre dans les recherches portant sur les LGB (Sandfort & al., 2007).

1.4.4 Autres effets négatifs apparentés au stress des minorités

Bien sûr, les facteurs de risque que constituent la dégradation de l'estime de soi, l'isolement social, ou la victimation homophobe peuvent s'ajouter et co-agir en renforçant le risque

suicidaire chez les jeunes LGBT.

l'homophobie qui peuvent être rapprochées de la notion de stress des minorités. Par exemple, Mills et al. (2004) ont conduit une enquête sur le stress et la dépression, auprès d'un échantillon probabiliste de 2881 hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes (HSH), recrutés dans 4 grandes villes des Etats Unis. Les résultats mettent en évidence des taux élevés de dépression et de stress dans cette population, associés avec le fait de ne pas s'identifier comme gay, queer ou homosexuel, ou d'avoir subi plusieurs actes de violences homophobes dans les 5 années précédentes.

De plus, Corneau et Holmes (2008) distinguent d'autres conséquences de la stigmatisation sur la santé des homosexuels telles que les effets de la discrimination sur la santé physique ou l'amplification de certains évènements négatifs de la vie. On peut regretter que l'impact de ces conséquences de l'homophobie n’ait été que peu étudié jusque là dans le cadre des travaux de recherche.

1.5 Une adolescence à risques : Quand l'homophobie fragilise