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1.2 L'impact de l'homophobie sur la santé mentale

1.3.1 Le manque de soutien ou le rejet familial

Certains chercheurs se sont intéressés au rôle joué par le soutien familial. Hershberger et D'Augelli (1995) ont mené une enquête auprès de 221 jeunes gays, lesbiennes et bisexuel-le-s recrutés dans 14 groupes communautaires de différentes régions des Etats Unis. Ils ont examiné les résultats issus de cet échantillon réduit à 165 participant-e-s, âgé-e-s de 15 à 21 ans,

après avoir notamment exclu les participant-e-s incertain-e-s de leur orientation sexuelle,

déclarant une bisexualité à prédominance hétérosexuelle, âgé-e-s de plus de 21 ans, n'ayant pas

précisé leur sexe, ou n'ayant pas répondu à toutes les questions. Pour chaque item concernant la victimisation il était demandé aux participant-e-s de les classer, en fonction de la fréquence

compte le niveau d'estime de soi, évalué grâce à l'échelle Rosenberg Self Esteem Inventory (Rosenberg, 1965), et la réponse à l'item « En ce moment comment vous sentez vous à propos

du fait d'être lesbienne ou gay ? » noté de 0 (mal à l'aise) à 3 (très à l'aise). Ils ont aussi testé

l'influence que pourrait avoir le niveau de soutien familial évalué à partir de trois variables. La première « acceptation familiale » concernait la réaction de chaque membre de la famille proche à propos de leur orientation sexuelle, évaluée sur une échelle de likert à quatre niveaux de 1 « acceptant » à 4 « rejetant ». La seconde « protection familiale » évaluant le nombre de membres de la famille offrant une protection face à l'hostilité des autres. La troisième « relations-familiales » prenant en compte la qualité des relations familiales d'un point de vue

plus général, à partir d'un item « Comment pouvez vous décrire votre relation avec votre

famille en général ? » comportant 4 réponses possibles. Dans cette étude, les analyses de régression multiples révèlent que le soutien familial interagit de façon significative avec la victimisation, protégeant l'adolescent de ses effets négatifs sur la santé mentale mais, seulement si le soutien familial est fort et le niveau de victimisation est faible (op., cit.)

Concernant le rôle que pourrait jouer le rejet familial dans la sursuicidalité des jeunes LGB, le cas freudien, dit de la jeune homosexuelle, est particulièrement intéressant. Il s'agit d'une des rares occurrences du geste suicidaire dans l'œuvre freudienne (Tremel, 2008), mais surtout il fait pleinement référence à notre objet de recherche puisqu'il y est question de la tentative de suicide d'une jeune femme qui entretient, sans se cacher, une relation amoureuse avec une femme plus âgée, et qui tente de se suicider en enjambant un pont sur une voie de chemin de fer, juste après que son père lui ait lancé un regard furieux en la croisant en compagnie de sa partenaire. C'est suite à cette tentative de suicide que ses parents l'adressent à Freud dans le but de mettre un terme à son homosexualité que son père ne supporte pas. Son analyse échoua. Concernant sa tentative de suicide, Freud l'interpréta comme une auto-punition, avec le

retournement contre elle de l'agressivité qu'elle pourrait éprouver à l'égard de son père. D'après Freud (1920), son homosexualité aurait eu son origine dans le fait que sa mère attendait un enfant de son père, tandis qu'elle même aurait eu le désir d'avoir un enfant de son père dans le cadre d’un complexe d'oedipe positif. Déçue, elle se serait alors identifiée à son père et son désir se serait orienté vers les femmes. Quoi qu'on puisse penser de cette interprétation au sujet de son orientation sexuelle, qui pourrait être considérée comme quelque peu restrictive, voire hasardeuse, il est dommage que Freud (1920) n'ait pas approfondi l'analyse du passage à l'acte suicidaire en prenant mieux en compte la contrainte sociale qui pesait sur cette jeune femme, amenée à consulter par son père, pour qui son homosexualité était insupportable. Gageons que si Freud (1920) avait été en connaissance des données disponibles aujourd'hui sur le suicide des jeunes LGB, il en aurait tenu compte dans son approche clinique et ses interprétations.

Dès 1935, quand Freud est sollicité par une mère au sujet de l'homosexualité de son fils qu'elle désapprouve, il semble que sa réponse tienne mieux compte de l'importance du soutien familial qu'il ne l'avait fait dans la prise en charge de la jeune homosexuelle. Ainsi, Roudinesco (2002, a.) cite la réponse de Freud (1935) à cette mère américaine : « l'homosexualité n'est évidemment pas un avantage, mais il n'y a là rien dont on doive avoir honte, ce n'est ni un vice, ni un avilissement, et on ne saurait la qualifier de maladie; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un arrêt du développement sexuel. Plusieurs individus hautement respectables,... ont été homosexuels et parmi eux on trouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Michel-Ange, Léonard de

Vinci, etc.) C'est une grande injustice de persécuter l'homosexualité comme un crime et c'est aussi une cruauté. » (Freud, 1935, in Roudinesco, 2002 a, 10). Roudinesco (2002a) souligne que si Freud rajoute qu'il est vain de vouloir transformer un hétérosexuel en homosexuel, c'est une tout autre position que soutiendra sa fille, qui en 1956 s'opposa à ce qu'une journaliste ne cite dans The observer la lettre de son père que nous venons d'évoquer, en se justifiant ainsi: « Il y a plusieurs raisons à cela dont l'une est qu'aujourd'hui nous pouvons soigner beaucoup plus d'homosexuels qu'on ne le croyait possible au début. L'autre raison est que les lecteurs pourraient voir là une confirmation du fait que tout ce que peut faire l'analyse est de convaincre les patients que leurs défauts ou immoralités ne sont pas graves et qu'ils devraient les accepter avec joie. » (Freud, A., 1956, in Roudinesco, 2002 a., 13).