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Différents travaux ont mis en évidence un lien entre orientation sexuelle et suicide, et plusieurs hypothèses ont été formulées pour tenter de l'expliquer. On peut distinguer les explications qui relient l'homosexualité à la pathologie mentale ou à un style de vie spécifiquement homosexuel, et celles qui considèrent plutôt que c'est le rejet de l'homosexualité par la société qui accroît le risque suicidaire.

2.5.1 L'hypothèse des troubles mentaux

Selon Beck et al (2010), face au constat de la sursuicidalité des jeunes LGBT, « une question a été posée avec insistance: l'homosexualité ne serait-elle pas elle-même source de

dépression, voire de pathologie mentale et de suicide ? » (op. cit. 47). Cette hypothèse se base sur le fait que les troubles mentaux figurent parmi les facteurs de suicide les plus couramment mis en évidence. En effet, les recherches utilisant la technique de l'autopsie psychologique montrent une forte prévalence de troubles mentaux parmi les suicidés comparativement aux groupes témoins et cela est également vérifié chez les jeunes. Elles ont notamment mis en évidence une forte corrélation avec la dépression, les troubles bipolaires, la consommation excessive d'alcool ou de substances psychoactives (Batt & al., 2005). S'appuyant sur ces facteurs de risque suicidaire, certaines interprétations du lien entre orientation sexuelle et suicide relient directement homosexualité et trouble mentaux.

A ce propos, Beck et al. (2010) rappellent que l'homosexualité a été considérée pendant de nombreuses années comme une pathologique mentale par l'American Psychiatric Association (APA) ou par l'OMS. Selon eux, une approche « pathologisante » de l'homosexualité considère que les personnes atteintes de troubles mentaux présentent, plus souvent que d'autres, un

trouble d'identité sexuelle. Cette approche causaliste associe trouble de l'identité sexuelle et orientation homo-bisexuelle pour expliquer la sursuicidalité observée chez les jeunes LGBT.

Cette hypothèse est notamment évoquée par Marcelli et Braconnier (2008), dans leur ouvrage portant sur l'adolescence et la psychopathologie. Ces auteurs tiennent à distinguer deux types d'homosexualité selon la période de la vie où cette attirance est présente. Ce qu'ils nomment « homophilie » correspond au début de l'adolescence, considérant que le terme homosexualité ne devrait pas être utilisé à ce moment de la vie, car, selon eux, « tout adolescent passe par une période homophile normale dans son développement, avant de choisir dans la majorité des cas un objet sexuel de sexe opposé, ce qui caractérise l'entrée dans la vie génitale adulte. » (Marcelli & Braconnier, 2008, 292). Alors qu'ils considèrent ces « attirances homosexuelles transitoires » comme normales, au point de concerner l'ensemble des adolescents, ces auteurs précisent néanmoins qu'elles « peuvent être une source d'angoisse et de honte pour le jeune adolescent, et contribuer de ce fait à un état dépressif avec auto-dévalorisation, voire passage à

l'acte suicidaire. » (op. cit.). Cependant, Marcelli et Braconnier (2008) ne donnent pas plus d'éléments qui permettraient de comprendre pourquoi ces attirances seraient davantage sources d'angoisse que ne le sont les attirances hétérosexuelles adolescentes. Ils opposent cette « homophilie » à ce qu'ils qualifient d'homosexualité « installée », dont on peut déduire qu'il s'agit de l'homosexualité présente à la fin de l'adolescence et à l'âge adulte. S'appuyant sur des travaux qui mettent en évidence un risque plus élevé chez les homosexuels de vivre un épisode dépressif majeur (Fergusson, 1999), Marcelli et Braconnier (2008) affirment qu'il y a « au moins deux manières d'interpréter ce résultat ». Selon eux, « on peut considérer que ce choix homosexuel favorise les TS en exposant le sujet à des attitudes homophobes de l'entourage et en le confrontant à des événements de vie négatifs. On peut à l'inverse se demander si les adolescents présentant une pathologie psychiatrique (et ayant donc un risque plus élevé de suicide) n'ont pas plus de trouble de l'identité sexuelle et donc de risque de développer une homosexualité » (Marcelli et Braconnier, 2008). Il est intéressant de souligner que la formulation utilisée par ces auteurs place l'homosexualité comme cause indirecte ou comme conséquence directe de la pathologie mentale. Même s'il nous apparaît pertinent de formuler toutes les hypothèses envisageables, la facilité avec laquelle la psychopathologie contemporaine relie homosexualité et pathologie mentale nous amène à nous interroger à nouveau sur l'influence de l'histoire de cette discipline qui considérait encore l'homosexualité comme une pathologie en soi il y a quelques dizaines d'années. Ecrire que « le choix homosexuel favorise les TS », ou que les adolescents présentant une pathologie psychiatrique peuvent présenter un « risque de développer une homosexualité » nous paraît manquer de nuance et s'inscrire dans un paradigme où l'homosexualité semble loin d'être considérée comme une orientation sexuelle comme une autre. D'autant plus que les auteurs l'opposent à ce

qu'ils nomment une « période homophile-normale », vécue en début d'adolescence.

Faut il voir là les limites de l'approche purement psychologique, qui présente le risque du psychologisme, en se centrant sur les facteurs psychiques individuels et en omettant de s'intéresser aux phénomènes sociaux qui interagissent avec eux ?

On notera que plusieurs auteurs émettent des critiques quant aux approches qui s'inscrivent dans la vieille tradition de classement de l'homosexualité du côté de la pathologie: « Il m'est arrivé d'entendre des psychiatres et des psychanalystes dire qu'un patient est névrotique ou alcoolique, déprimé ou angoissé, ou qu'il a des problèmes de couple, parce qu'il est homosexuel. Comme si l'orientation sexuelle était elle-même une cause de pathologie et non la

façon de vivre et d'assumer cette sexualité » (Castañeda, 1999)

De plus, cette approche est remise en cause par les résultats issus de plusieurs recherches. Par exemple, Balsam et ses collègues ont comparé 721 personnes auto identifiées comme LGB (dont 558 homosexuel-le-s et 163 bisexuel-le-s) à leurs frères et soeurs. L'analyse à multi niveaux confirme le lien entre orientation sexuelle et idéations ou tentatives de suicide, mais n'indiquent pas de lien entre orientation sexuelle et détresse psychologique ou hospitalisation en psychiatrie (Balsam, Beauchaine, Mickey & Rothblum, 2005).

2.5.2 L'hypothèse d'un mode de vie gay « suicidogène »

Cette approche est basée sur une « analyse en termes communautaristes » selon laquelle « le style de vie des homo/bi-sexuels(vie nocturne, alcool, drogues..) », ainsi que le stress qui

en résulte expliquerait le taux de suicide dans cette population (Beck & al., 2010, 47).

Cette hypothèse s'appuie notamment sur le fait que la consommation de substances psycho-actives figure parmi les facteurs de risque suicidaires, mais elle repose sur une vision

stéréotypée et réductrice de la vie des jeunes d'orientation homo-bisexuelle: une vision qui

tend à résumer cette population à un groupe identitaire ayant choisi un mode de vie différent, festif, nocturne et suicidogène.

Là encore, plusieurs recherches remettent en cause ce point de vue, et ne souscrivent pas à l'hypothèse que la consommation de drogues chez les homo-bisexuels expliquerait la

sursuicidalité observée dans ce groupe. Par exemple, dans l'étude menée par Herell et al.(1999), et portant sur des paires de jumeaux discordants quant à leur orientation sexuelle (n = 206), le lien entre orientation homo-bisexuel-le et tentatives de suicide se maintient après

la prise en compte de l'abus de drogue ou de la dépression (Herrell, Goldberg, True, Ramakrishnan, Lyons, Eisen, et al., 1999).

Silenzio, Pena, Duberstein, Cerel et Knox (2007), quant à eux, ont analysé les résultats de la 3ème vague de la « National Longitudinal Study of Adolescent Health », qui comportait un échantillon de 14332 participant-e-s âgé-e-s de 18 à 26 ans, interrogé-e-s entre août 2001 et avril

2002. Les résultats montrent que la consommation abusive de drogue et la dépression sont plus fortement associées aux tentatives de suicide chez les jeunes qui se définissent comme hétérosexuel-le-s que chez les participant-e-s LGB (Silenzio & al., 2007)

2.5.3 L'hypothèse de l'homophobie

Beck et al. (2010) mentionnent une troisième approche qui s'oppose à celles qui considèrent que c'est l'homosexualité en elle-même ou un mode de vie homosexuel qui serait responsable

du taux de suicide élevé observé chez les jeunes LGBT. Selon cette approche, ce phénomène s'expliquerait par les discriminations et la stigmatisation dont sont victimes ces jeunes.

Les auteurs rapportent les résultats de plusieurs travaux scientifiques qui ont « mis à l'épreuve ces trois hypothèses... Ils appuient tous la thèse du rôle de l'homophobie » (Beck & al., 2010, 48). Par exemple, des chercheurs canadiens, Tremblay et Ramsay (2000) ont constaté, à partir d'une recherche menée à Seattle, que les jeunes homo/bi-sexuels présentaient le même taux de

suicide que les jeunes hommes hétérosexuels quand ces derniers rapportent aussi avoir été victimes d'agression homophobe (Certains jeunes hommes hétérosexuels peuvent être victimes d'agressions homophobes, s'ils sont supposés homosexuels ou perçus comme tels par les agresseurs).

Quel que soit le contexte dans lequel elles sont menées, les enquêtes mettent en relief le lien entre orientation sexuelle, d'une part et conduites à risque et suicide, d'autre part. Si certain-e-s

auteur-e-s tentent d'expliquer ce phénomène en rapprochant l'homosexualité des troubles

mentaux ou encore d'un mode de vie susceptible de les favoriser, d'autres font l'hypothèse que l'explication est à rechercher du côté de l'homophobie à laquelle sont exposés les jeunes LGB. Cette hypothèse, qui nous apparaît comme la plus pertinente, au regard des résultats et des arguments avancés par les auteur-e-s (Beck & al., 2010; Tremblay et Ramsay, 2000; Verdier et

Firdion, 2003a), nous invite à l'examiner plus en détail, afin d'être en mesure de mieux cerner les processus en jeu. Pour cela, nous commencerons par nous intéresser à l'homophobie, un concept qui semble avoir été très peu étudié, voire même ignoré par une grande partie des spécialistes de notre discipline, jusqu'à ces dernières années. Pourtant la dénomination même du concept, contenant le mot phobie, laisse penser qu'il ne s'agit pas uniquement d'un phénomène social et qu'une lecture psychologique s'impose.

Chapitre 2

Homophobie et victimation homophobe en

milieu scolaire.

I L'influence de l'homophobie