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l'ordre hétérosexiste ?

En ayant recours à la fois à une compréhension psycho-dynamique et sociologique, nous allons

maintenant formuler quelques pistes pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes qui sous tendent la victimation homophobe en milieu scolaire et de mieux comprendre pourquoi elle semble particulièrement présente chez les garçons adolescents.

3.5.1 La victimation homophobe

:

une formation réactionnelle ?

Comme nous venons de l'évoquer, il semble que l'homophobie, de par sa dimension défensive (Gentaz, 1994; Hefez, 2003), est susceptible d'être directement à l'origine d'actes de victimation. En effet, la violence homophobe peut correspondre à une formation réactionnelle dans laquelle l'énergie qui accompagnait la pulsion homosexuelle latente est réinvestie sous forme d'agressivité. Plusieurs éléments plaident pour cette hypothèse: le caractère excessif que prennent les actes de victimation homophobe, le fait qu'ils surviennent dans les lieux de promiscuité avec les individus de même sexe et qu'ils soient en rapport, ou plus exactement, à l'opposé des comportements réprimés: l'amour devient de la haine, la sexualité de l'agressivité. Ce phénomène a même fait l'objet d'un article publié par l'American Psychological Association au sujet de l'expérience conduite par Adams et ses collègues auprès de 64 hommes qui se définissaient eux-mêmes comme exclusivement hétérosexuels, et préalablement sélectionnés

au sein d'un échantillon plus large, en fonction de leur niveau d'homophobie mesuré par l'Echelle d'Homophobie de ce même auteur (Adams, Wright, & Lohr, 1996). Parmi eux, 35 avaient été recrutés car ils présentaient une forte homophobie, tandis que 29 autres participants étaient au contraire, recrutés du fait de leur absence d’homophobie. L'expérience a consisté à montrer à ces sujets des vidéos érotiques hétérosexuelles et homosexuel-le-s, pendant que leur degré d'attirance sexuelle était mesuré grâce à la technique de la pléthysmographie pénile, qui évalue de façon précise le niveau de tumescence liée à l'érection. Alors qu'aucune différence

entre les deux groupes n'était significative concernant les vidéos montrant des partenaires hétérosexuels ou des lesbiennes, les résultats révèlent que lors du visionnage des vidéos érotiques gays, les participants les plus homophobes étaient significativement plus nombreux à avoir présenté un certain degré de tumescence: 54% vs 24% chez les « non-homophobes ». De

plus, seulement 20% d'entre eux ne présentaient aucune augmentation du volume du pénis tandis qu'ils étaient 66% dans ce cas parmi les hommes considérés comme non homophobes. Par la suite le groupe des homophobes a significativement sous estimé le degré d'attirance qui avait été mesuré (Adams & al., 1996). Ainsi, l'hypothèse que l'homophobie augmente en cas de refoulement de l'homosexualité trouve dans cette étude une traduction expérimentale intéressante.

Les conditions pour que ce scénario défensif se produise sont probablement à rechercher du côté du culte de la virilité. La victimation homophobe peut-être socialement valorisante dans le

groupe de garçons, au contraire des rapports homo-érotiques, ou même simplement de la

tendresse, bannie entre hommes depuis longtemps, comme le soulignait déjà Ferenczi en 1914. L'hypothèse d'une formation réactionnelle et d'autres mécanismes de défense liés au refoulement de l'homosexualité latente peut expliquer que le niveau d'homophobie soit à son acmé à l'adolescence et particulièrement chez les garçons. En effet, avec l'émergence de la sexualité génitale, la bisexualité psychique est à nouveau convoquée dans un contexte où l'hétérosexisme et l'homophobie présentes dans l'environnement et renforcées par le culte de la virilité empêchent son expression.

3.5.2 L'homophobie exacerbée des garçons adolescents

Dans le cadre d'une thèse présenté en 2007 intitulée « Virilité en jeu: analyse de la diversité des attitudes des garçons adolescents à l'endroit des hommes homosexuels », Charlebois, de l'université du Québec à Montréal, a interrogé 21 garçons âgés d'environ 15 et 16 ans, issus de quatre établissements scolaires. Les entrevues, d'une durée d'une heure, basées sur une grille d'entretien semi-directif ont fourni de nombreuses données, analysées grâce au logiciel

d'analyse qualitative NVIVO 2.0, afin de redéfinir plus aisément les catégories et de développer des articulations croisées entre elles. A partir des résultats de plusieurs recherches, l'auteur rapporte un paradoxe. Alors que plus la population est jeune moins elle exprime d'attitudes négatives à l'égard des homosexuel-le-s, les garçons adolescents font exception à ce constat général (Marsiglio, 1993 ; Simoni, 1996 ; Pratte, 1993). Il souligne que c'est particulièrement chez les garçons que « se manifeste cette bouffée négative » (Charlebois, 2007, 2) plus que chez les filles et que ce sont les hommes homosexuels plus que les lesbiennes qui en seraient les principales cibles. C'est pourquoi cette étude a pris pour

principal objet de recherche les attitudes manifestées par les garçons adolescents à l'égard des garçons homosexuels. Cependant, des représentations associées aux femmes ou aux lesbiennes ont émergé, dans un cadre comparatif impliquant les hommes homosexuels et le masculin, ou de façon isolée, lors des entrevues. Cela permet à l'auteur de tenter de répondre à l’une des questions qu'il se pose : « si les réserves manifestées à l'égard des hommes gays et de l'efféminement sont égales à celles éprouvées pour les femmes « tomboys » et atypiques, ceci pourrait indiquer que ce n'est pas la valeur propre du féminin qui est en cause, mais plutôt le dérangement d'un ordre ». (Charlebois, 2007, 225)

3.5.3 La lesbophobie des garçons

:

au croisement du sexisme et de

l'homophobie

Si les représentations sont variables, il ressort globalement que celles des lesbiennes sont moins négatives que celles des gays. Charlebois précise que les garçons adolescents s'appuient sur l'une des deux rationalisations contraires pour appuyer leurs positions:

Les garçons comme les filles sont davantage mal à l'aise avec l'homosexualité masculine qu'avec l'homosexualité féminine.

Les garçons préfèrent les lesbiennes aux hommes gais, tandis que c'est l'inverse pour les filles.

Quoi qu'il en soit, et même si elles sont perçues moins négativement que les gays, l'image des lesbiennes demeure moins bonne que celle qui est associée à l'hétérosexualité.

Il semble notamment que la singularité des lesbiennes soient niée par certains qui y voient un objet de fantasme, avec qui il est possible d’envisager avoir des relations sexuelles, mettant ainsi de côté ce que peut ressentir la femme homosexuelle, et sa volonté de se définir comme telle. Selon Charlebois (2007), cette tendance peut s'expliquer par le statut des femmes et du féminin dans notre société : « les lesbiennes n'importuneraient pas trop car leur nature féminine limitative et circonscrite ferait en sorte qu'on ne prendrait pas leur volonté de sujet totalement au sérieux » (op., cit., 233). On retrouve donc dans le contexte scolaire le déni de l'homosexualité féminine, caractéristique de la lesbophobie, tel que nous l'avons déjà évoqué.

Dans ce contexte, les hommes homosexuels, quant à eux, dérangeraient parce qu'ils représentent l'idée d'inversion qui est associée à l'homosexualité féminine comme masculine, mais aussi et surtout parce qu'ils seraient associés au féminin et à la faiblesse.

Il nous semble que le rejet peut être mis en relation avec certaines attitudes mises en évidence par Mendes-Leité (2003) dans son analyse des stratégies auxquelles ont recours les hommes

dans l'analyse que nous propose cet auteur, le croisement entre la problématique de l'orientation sexuelle et les questions de genre. L'hétérosexualité étant assimilée à un ordre symbolique dans lequel s'opposent des notions censées se compléter : d'une part, l'homme, masculin, dont le rôle sexuel est insertif et le comportement actif, et d'autre part, la femme, féminine, réceptive et passive sexuellement.

3.5.4 Agents inconscients de l'ordre hétérosexiste

On retrouve également dans la victimation homophobe en milieu scolaire la problématique de l'hétérosexisme. En considérant l'homme et la femme comme très différents, le sexisme découlant des conventions de genre, revient à les présenter comme incomplets fonctionnellement et psychiquement quand ils ne sont pas unis, dans le couple hétérosexuel. Quand un homme ou une femme « laisse entrevoir une autonomie complète, dont la meilleure incarnation est le couple homosexuel, ce système est ébranlé », et sa superficialité est démontrée. En effet, l'existence du couple homosexuel vient remettre en cause la complémentarité impérative entre homme et femme. « Le fait que des personnes réagissent négativement à ce bris de l'ordre hétérosexuel témoigne de l'importance des intérêts psychiques et relationnels qu'ils y ont investis. » (op., cit., 280). Ce système de pensée ne conduit pas seulement au rejet de l'homosexualité en tant que subversion de cet ordre, mais aussi à la condamnation des « individus non homosexuels qui ne se conformeront pas d'une façon ou d'une autre aux attentes sexuées » et qui seront alors caractérisés par les mêmes insultes que celles attribuées aux homosexuel-le-s. L'hétérosexisme permet donc de mieux appréhender le sexisme et l'homophobie que lorsque ces phénomènes sont interprétés isolément. Il permet ainsi de mieux comprendre le lien étroit constaté entre rejet de l'homosexualité – l'homophobie, qui prend des formes différentes selon qu'elle vise filles ou garçons – et le rejet de la non-conformité de genre.

Comme Charlebois (2007), on peut penser que les acteurs les plus impliqués dans ce maintien de l'ordre hétérosexiste – notamment les garçons adolescents n'agissent pas dans une volonté délibérée, mais plutôt sans avoir conscience de l'artificialité des genres et des liens entre sexisme et homophobie. Si tel était le cas, la conviction dont ils font preuve serait probablement bien ébranlée. Les contradictions mises à jour lorsqu'on les amène à s'interroger sur leurs agissements et leurs représentations témoignent de cette participation inconsciente à un système de domination basé sur l'idéologie hétérosexiste.