• Aucun résultat trouvé

1.2 L'impact de l'homophobie sur la santé mentale

1.2.3 Différentes stratégies pour faire face à l'homophobie

1.2.3.1 L'approche sociologique: la typologie de Dorais

Dans une perspective sociologique, Dorais (2001), a conduit une étude qualitative auprès de 32 jeunes hommes canadiens, âgés de 18 à 35 ans au moment de l'entrevue et rapportant avoir tenté de se suicider entre 14 et 25ans et avoir eu besoin de soins suite à ce passage à l’acte. Parmi ces participants volontaires, recrutés essentiellement par des annonces parues dans des journaux et organismes communautaires, 24 se définissaient comme homosexuels et 8 comme hétérosexuels. Le but de cette étude fut de comprendre comment les conditions de vie réservées à ces jeunes pouvaient amener certains d'entre eux à tenter de mettre fin à leur existence. A l’issue de son étude, Dorais a établi une typologie selon la façon dont l’homosexualité est vécue.

Quatre scénarios sont identifiés chez les jeunes interrogés:

- Le « parfait garçon », qui devient perfectionniste et plus ou moins asexué pour se dédouaner de sa différence.

- Le « caméléon », dont personne ne soupçonne l'homosexualité secrète et qui se perçoit plus ou moins comme un imposteur.

- Le « fif de service », bouc émissaire des autres jeunes, en particulier à l'école, avec tous les problèmes d'estime de soi que cela provoque. Au Québec, « fif » désigne un homosexuel en terme péjoratif. C'est un équivalent de « pédé ».

- Le « rebelle », en révolte ouverte contre le sort qui lui est fait à cause de son homosexualité. Cette étude souligne que, quelle que soit l'attitude de l'homosexuel (masquer, s'afficher, simuler l'hétérosexualité ou résister) face à la discrimination, l'homophobie l'oblige à adopter un rôle. Ainsi, ces stratégies d'adaptation sont mises en place consciemment ou inconsciemment, du fait de l'homophobie présente dans l'environnement social du jeune.

1.2.3.2 L'approche psychodynamique: Mécanismes de défense et faux self

Dans une perspective psychodynamique, ces stratégies d'adaptation peuvent consister en des mécanismes de défense tels que le déplacement, l'isolation, la sublimation...

Cette thèse n'est pas nouvelle, d'ailleurs Roudinesco (2002) évoque la position freudienne au sujet de l'homosexualité en ces termes : « Si l'homme au sens freudien est marqué par la tragédie du désir, l'homosexuel n'est autre, au regard de ce tragique humain en général, qu'un sujet plus tragique encore que ne l'est le névrosé ordinaire, puisque son choix sexuel le met au ban de la société bourgeoise. » Après avoir décrit le contexte et sa dimension sociale, elle

précise que « son seul recours est alors de devenir un créateur afin d'assumer le drame qui est le sien ». Roudinesco (2002) fait ici référence à la sublimation de l'homosexualité en s'appuyant sur l'ouvrage de Freud (1910) au sujet de Léonard de Vinci.

Ces processus psychiques peuvent également être rapprochés de la notion de faux self, développée par Winnicott (1965). Selon cet auteur, vrai self et faux self trouveraient leur origine très tôt chez le bébé, dans les relations avec la mère, selon sa façon de s'adapter aux exigences du bébé. En répondant à ses exigences, la mère favoriserait le vrai self, la spontanéité, et le potentiel créatif futur, à travers l'illusion de l'omnipotence. Au contraire quand la mère ne s'adapte pas à l'action du bébé, celui-ci est contraint de réagir et de se soumettre aux exigences de l'environnement, à une période où le moi et le non-moi ne sont pas

encore distingués. Le faux self, qui a pour fonction de protéger le vrai self encore trop fragile, consiste par la suite en une adaptation du comportement qui peut aller de la simple politesse à une identification totale au faux self et donc à l'aliénation. Ainsi, Winnicott (1965) distingue différents niveaux dans cette soumission aux exigences de l'environnement. A une bonne santé psychologique, correspondra un certain équilibre entre faux self et vrai self, tandis que l'excès pourra être associé à la pathologie.

Dans le cas qui nous préoccupe, chez l'adolescent-e homosexuel-le contraint de réagir et de

s'adapter à l'hostilité de l'environnement, sa capacité à mobiliser faux self ou vrai self est mise à contribution. Il peut être amené, par exemple, à s'inscrire dans un faux self correspondant aux postures que Dorais nomme le « parfait garçon » ou le « caméléon », tandis que le vrai self serait plutôt caractéristique de certaines positions adoptées par le rebelle. Quand le faux self s'est établi dans ces circonstances, la souffrance psychique liée aux tensions entre faux et vrai self peut passer inaperçue pour l'entourage, alors qu'elle peut être à même de favoriser conduites à risque et tentatives de suicide. On peut penser également que l'adolescent-e peut

être parfois totalement inconscient de ce qui se passe alors, au point même, chez certain-e-s, de

gommer, de façon plus ou moins durable, la conscience de son attirance sexuelle pour les personnes de même sexe.

Finalement, on pourra se demander si les grandes différences observables dans l'identification à une orientation sexuelle ou dans son vécu ne sont pas fortement dépendantes des mécanismes de défense et stratégies de faire face mis en œuvre pour concilier conscience de l'attirance homo/bisexuelle et hostilité sociale à l'égard de l'homosexualité. En se basant sur l'hypothèse freudienne de la bisexualité psychique et d'un choix inconscient vers l'homosexualité ou l'hétérosexualité, le refoulement doit jouer un bien grand rôle, surtout à l'adolescence. Quelle serait l'orientation sexuelle à laquelle s'identifierait une majorité de personnes si le recours à ces mécanismes d'adaptation à l'environnement diminuait en raison

d'une hostilité moindre ?

Après avoir évoqué les processus inconscients à l'oeuvre face à l'homophobie, nous allons maintenant envisager les conséquences sociales directes de l'homophobie, qui peuvent à leur tour, avoir un impact sur la vie psychique, dans une logique de cercle vicieux.

1.3 Conséquences de l'homophobie au niveau de la vie sociale

Au niveau social, les conséquences de l'homophobie sont nombreuses : la stigmatisation, l'isolement, le manque de soutien familial, des pairs ou des éducateurs, la discrimination, l'exposition à la victimation homophobe: injures, violences, harcèlement ...

A partir d'entretiens, les recherches qualitatives (Verdier & Firdion, 2003a ; Dorais, 2001,...) soulignent l'importance des difficultés psychosociales résultant de l’homophobie présente dans l’environnement familial, amical ou scolaire du jeune. « L’hostilité exprimée par la famille proche, par le réseau amical, les pairs, le manque de soutien des intervenants scolaires et socio-culturels, ainsi que l’absence de modèles positifs contribuent au sentiment d’isolement et

à une moindre estime de soi chez ces jeunes à orientation sexuelle non conventionnelle » (Verdier & Firdion, 2003b, 165).

A partir d'une analyse de la littérature au sujet du suicide des jeunes LGB, Bagley et Tremblay (2000), de l'Université de Southampton, soulignent que les explications des taux élevés de suicides incluent un climat de persécution homophobe en milieu scolaire, et parfois en famille, ainsi que des valeurs et des comportements qui stigmatisent l'homosexualité et que les jeunes qui ne se sont pas encore dévoilés à leur entourage endurent en silence.