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2.3 La confirmation d'un lien fort entre orientation sexuelle et suicide dans des contextes très divers

2.3.2 Des recherches menées dans d'autres contextes culturels

2.3.2.1 Au Japon

Plus récemment, le lien entre orientation sexuelle et tentatives de suicide a été confirmée par des recherches menées au cours des dix dernières années, dans des contextes culturels très divers. Quand les démarches méthodologiques et les populations observées sont comparables, les résultats sont très proches de ceux obtenus dans le cadre des grandes enquêtes réalisées aux

Etats Unis à l'aube des années 2000.

Ainsi, Hidaka, Operario, Takenaka, Omori, Ichikwa et Shirasaka (2008) ont mené une étude sur les facteurs de risque suicidaire au Japon, où le problème du suicide constitue une préoccupation majeure. L'analyse a porté sur un échantillon de 2095 participant-e-s âgé-e-s de

15 à 24 ans: 1035 jeunes hommes et 1060 jeunes femmes, qui ont complété un questionnaire auto-administré après avoir été recruté-e-s dans la rue suivant la méthode dite « street

intercept ». En contrepartie de leur participation à l'enquête, ils ont reçu une carte cadeau

prépayée. Parmi les variables prises en compte dans cette étude, figurait l'orientation sexuelle. En effet, les auteurs ont testé les liens entre le fait d'avoir déjà tenté de se suicider au cours de sa vie, d'une part, et, d'autre part, l'âge, l'orientation sexuelle, le harcèlement (bullying) en milieu scolaire, le fait de vivre chez les parents, les conduites à risques (activités sexuelles, consommation de drogues, de cigarettes), et le bien-être psychologique (estime de soi évaluée

à partir de l'échelle de Rosenberg adaptée et validée dans le contexte japonais). L'orientation sexuelle, quant à elle, a été évaluée sur la base de l'auto-identification. Les auteurs ont ensuite

regroupé les participant-e-s en 2 catégories : hétérosexuel-le-s : représentant 96,3 % des

participant-e-s, et Homosexuel-le-s / Bisexuel-le-s / autres: 3,7 %. Dans l'échantillon total, 6%

des garçons et 11% des filles rapportent avoir tenté de se suicider. Les données ont fait l'objet d'analyses de régression. Les résultats montrent que l'orientation sexuelle est le premier des facteurs liés aux tentatives de suicide chez les garçons avec un taux de suicide six fois plus élevé chez les Homosexuel-le-s / Bisexuel-le-s / autre, une fois les résultats ajustés. Ensuite viennent les facteurs suivants : bullying en milieu scolaire (OR=5,3), consommation de drogues (OR=3,1), abus sexuel (OR=2), diagnostic d’une Infection Sexuellement Transmissible (OR=2,9) et faible niveau d'estime de soi (OR=0,5). Chez les filles, les facteurs associés indépendamment aux tentatives de suicide sont: l'âge - les plus jeunes se suicidant davantage que les 20-24 ans - (OR=0,5) le bullying en milieu scolaire (OR=2,2), la

consommation de drogues (OR=2,5), le fait de fumer occasionnellement ou régulièrement (OR=2,2). Pour elles, le lien avec le facteur de l'orientation sexuelle n'était plus significatif, une fois les résultats ajustés. Dans cette étude, on retient donc le fait que l'orientation sexuelle figure parmi les plus importants facteurs de suicide des jeunes chez les garçons, tandis que le lien n'est pas significatif concernant les filles.

2.3.2.2 En Micronésie

Parmi les travaux qui ont été effectués dans des contextes culturels divers, nous nous sommes aussi intéressés à une étude menée en Micronésie, et dont le recueil des données a eu lieu en milieu scolaire, contrairement à celle d'Hidaka et al. (2008). En effet, Pinhey et Millman (2004) ont pris en compte les données issues d'une enquête menée dans 7 établissements

scolaires, publics et privés, situés dans l'île de Guam, dans le Pacifique. Un échantillon de 1381 élèves des grades 9 à 12 ce qui correspond au niveau lycée en France – ont été interrogé-e-s. Les idéations suicidaires étaient évaluées à partir de l'item « Durant les 12

derniers mois, avez vous pensé sérieusement à tenter de vous suicider ? » et les tentatives de suicide, avec la question suivante: « Durant les 12 derniers mois, combien de fois avez vous

réellement tenter de vous suicider ? ». L'orientation sexuelle était mesurée sur la base de l'auto-définition, avec 6 modalités de réponse : gay, lesbienne, bisexuel-le, hétérosexuel-le,

incertain, ne sait pas. Les résultats montrent que les idéations suicidaires sont plus souvent présentes chez les homo-bisexuel-le-s (OR = 2.0 pour les garçons et OR=1.9 pour les filles),

mais ce résultat n'est pas significatif sur le plan statistique. En revanche, l'orientation sexuelle est associée à un risque significativement plus élevé d'avoir tenté de se suicider, particulièrement chez les garçons (OR = 5.0 pour les garçons et 2.6 pour les filles).

2.3.3 Un objet d'étude nouveau en France et en Europe

En France, pour l'instant, aucune étude n'a porté sur un grand échantillon composé d'adolescents ou de jeunes adultes interrogés en milieu scolaire. Plus globalement, en Europe, le lien entre orientation sexuelle et tentative de suicide constitue un objet d'étude récent. Et, là encore, les résultats sont proches de ceux qui ont été mis en évidence par les recherches nord américaines.

Certaines enquêtes portant sur le suicide des jeunes ou sur la santé mentale ont intégré des questions sur le vécu de l'orientation sexuelle parmi les autres facteurs de suicide. Ainsi, aux Pays-Bas, une enquête sur la santé mentale, basée sur un échantillon de 7076 participants, âgés

de 18 à 64 ans – la NEtherlands MEntal health Survey and Incidence Study (NEMESIS) – incluait une question sur l'orientation sexuelle permettant de distinguer les participant-e-s

rapportant avoir eu des rapports homosexuel-le-s au cours des 12 derniers mois (Sandfort, De Graaf, Bijl & Schabel, 2001). Dans cette recherche réalisée sur la base d'entretiens en face à face, 84,8 % de l'effectif total de l'échantillon a ainsi pu être classé en fonction de ce critère. Parmi eux, 2,8% des 2878 hommes et 1,4% des 3120 femmes ont rapporté avoir eu des partenaires de même sexe au cours de l'année. Grâce à la prise en compte de ces données, cette étude a permis de mettre en évidence un risque 5,6 fois plus élevé d'avoir effectué une tentative de suicide, chez les hommes rapportant avoir eu des rapports homosexuels lors de l'année précédente. En revanche, elle n'a pas montré de différence significative chez les femmes (De Graaf, & Sandfort, 2006).

En Europe, les enquêtes incluant des questions sur l'orientation sexuelle et le suicide, et réalisées spécifiquement auprès d'une population de jeunes sont très rares et récentes. Il

semble notamment que les questions portant sur l'orientation sexuelle ne figurent généralement pas dans les grandes enquêtes effectuées en milieu scolaire.

Une recherche récente sur les comportements auto-agressifs des adolescents anglais fait

exception à ce constat. Dans cette enquête, qui a porté sur un échantillon représentatif de 6020 élèves âgé-e-s de 15 et 16 ans, Hawton et son équipe (2002) se sont notamment intéressés au

lien entre les tentatives de suicide et les préoccupations concernant l'orientation sexuelle, qui figuraient parmi de nombreuses autres variables telles que l'origine ethnique, les consommations de tabac, d'alcool ou de drogues, les abus sexuels, la victimisation,… Les résultats aboutissent à la conclusion que, comparativement aux autres garçons, ceux qui se disent préoccupés par leur orientation sexuelle présentent un risque 4 fois plus élevé d'avoir tenté de se suicider. Ce risque est 2,5 fois plus élevé chez les filles, dans la même situation (Hawton, Rodham, Evans & Weatherall, 2002).