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Parmi les facteurs sociaux du suicide chez les jeunes, le rejet de l'homosexualité ou des personnes supposées avoir des pratiques homosexuelles a mis longtemps à apparaître dans la littérature scientifique. Comme nous l'avons évoqué, ce sujet a fait l'objet de très peu de travaux de recherche dans notre pays. Dans ce contexte, nous nous appuierons notamment sur les travaux de Verdier et Firdion (2003a), et de Beck, Firdion, Legleye & Schiltz (2010) qui ont dressé un état des lieux de cette question, dans leurs ouvrages respectifs : « Homosexualités et suicide » et « Minorités sexuelles et risque suicidaire ». Ces auteurs font référence aux nombreuses recherches nord-américaines qui, depuis une vingtaine d’années, ont

mis en évidence un lien significatif entre l’orientation sexuelle et le suicide chez les jeunes. Verdier et Firdion (2003a) s'appuient aussi sur une enquête qualitative qu'ils ont réalisée, tandis que Beck et al. (2010) analysent en détail les résultats issus de recherches internationales, qui s'inscrivent essentiellement dans une perspective quantitative.

2.2.1 Les premières enquêtes et la nécessité d'une méthodologie rigoureuse

Aux Etats Unis, en 1989, la publication du rapport d'un groupe de travail gouvernemental sur le suicide des jeunes, la « Task Force on Youth Suicide », qui rapportait que les jeunes gays présentaient un risque 2 à 3 fois plus élevé de faire une tentative de suicide, a fait l'objet de controverses (Beck & al., 2010). Les premières recherches ont notamment été critiquées en raison de biais méthodologiques. En effet, les échantillons utilisés n'étaient pas toujours représentatifs et les résultats divergeaient, même s'ils montraient de concert une plus grande vulnérabilité des personnes homo ou bisexuelles (Julien & Chartrand, 2005). Depuis la fin des années 90, plusieurs études utilisant une méthodologie plus rigoureuse ont été publiées. Julien et Chartrand (2005) soulignent que les résultats issus des études basées sur des échantillons probabilistes, et utilisant des instruments de mesure ayant des propriétés métriques bien établies, sont plus cohérents.

Nous allons présenter certains de ces travaux en les distinguant en fonction du contexte dans lequel les recherches ont été conduites, en milieu scolaire ou au sein de la population générale, des caractéristiques de la population étudiée, selon l'âge et le sexe, de l'objet d'étude: suicide et conduites à risque, et de l'originalité de la démarche méthodologique. Nous privilégierons dans cette présentation les recherches effectuées auprès d'une population jeune, et notamment celles qui ont été conduites en milieu scolaire. En Europe, avant les années 2000, aucune étude correspondant à ces critères n'a porté sur de grands échantillons. Les premiers travaux de recherche, basés sur un échantillon important ont été effectuées aux Etats Unis. Face aux critiques méthodologiques des premières études, certains chercheurs ont utilisé des bases de données issues d’enquêtes sur de larges échantillons, et prenant en compte, pour la plupart d'entre elles, les filles et les garçons. Après ajustement, les résultats de ces études indiquent un lien significatif entre orientation sexuelle et suicide.

2.2.2 Le recours aux enquêtes effectuées en milieu scolaire

Il semble que la première étude à répondre à ces critères soit celle de Remafedi (1998).

Deux autres recherches comparables sont souvent citées, celles de Faulkner et Cranston (1998), et celle de Cochran & Mays (2000), qui présentent cependant quelques différences, notamment quant à l'évaluation de l'orientation sexuelle. Tandis que les travaux de Remafedi sont basés sur une enquête dans laquelle l'orientation sexuelle était évaluée sur la base de l'auto-identification, ces deux études comportent une évaluation basée sur le comportement

sexuel.

auprès de 36 254 élèves du Minnesota âgés de 12 à 19 ans (National Adolescent Health Survey 1987). Ils comparent les jeunes s’identifiant comme homosexuel(le)s ou bisexuel(le)s (n=394) à un sous échantillon de jeunes exclusivement hétérosexuels ayant des caractéristiques socio-démographiques et scolaires voisines. Ils constatent que les garçons de cette tranche

d’âge qui se déclaraient homosexuels ou bisexuels rapportaient 7 fois plus souvent avoir fait des tentatives de suicide que le groupe témoin composé de jeunes hommes hétérosexuels : 28% vs 4,2%. Chez les filles homosexuelles ou bisexuelles, la prévalence de tentatives de suicide était 1,4 fois plus élevée que chez celles qui se déclaraient exclusivement hétérosexuelles: 21% vs 15%.

La même année, Faulkner et Cranston analysent les données d’une étude menée en 1993, auprès de 3054 élèves du Massachusetts, dont l'âge moyen était de 16 ans (Massachusetts Youth Risk Behavior Survey). Dans cette enquête, l'orientation sexuelle est donc évaluée sur la base des comportements sexuels et non de l'auto-identification. Parmi les 1668 élèves

rapportant avoir déjà eu des rapports sexuels, 6,4% déclarent un ou des contacts sexuels avec des personnes de même sexe. Ils sont deux fois plus nombreux à rapporter avoir fait une tentative de suicide au cours des 12 derniers mois: 27,5% vs 13,4%. Les résultats ne sont pas détaillés par sexe (Faulkner & Cranston, 1998).

Garofalo et ses collègues ont eux aussi utilisé les résultats de la « Massachusetts Youth Risk Behavior Survey », mais dont le recueil des données a eu lieu 2 ans plus tard, en 1995, auprès de 3365 élèves âgés de 14 à 19 ans. De plus, Garofalo et ses collègues ont détaillé l'analyse des résultats en fonction du sexe. Ainsi, la population homo / bisexuelle a été évaluée à 3,8% des garçons et 1,7% des filles. Comparativement aux autres jeunes, le risque d'avoir fait une tentative de suicide est 3,7 fois plus élevé chez les garçons, et 1,4 fois plus élevé chez les filles, une fois les résultats ajustés. (Garofalo & al, 1999). L'analyse différentielle en fonction du sexe nous permet donc de constater la même tendance que dans l'étude de Remafedi, le risque suicidaire étant retrouvé plus élevé chez les garçons à orientation homo/bisexuelle que chez les filles.

2.3 La confirmation d'un lien fort entre orientation sexuelle et