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2.3 La confirmation d'un lien fort entre orientation sexuelle et suicide dans des contextes très divers

2.3.4 Apports et limites des premières données disponibles en France

En France, depuis une dizaine d'années, quelques recherches, basées sur des échantillons non probabilistes, ont montré des résultats proches de ceux obtenus Outre-Atlantique (Beck

& al., 2010).

Par exemple, en 2005, Pugnière et Bourdet-Loubère ont mené, à Toulouse, une recherche

auprès de 209 jeunes hommes, âgés de 18 à 26 ans. Dans cet échantillon, dont le recrutement a eu lieu au Centre Régional d'Information Jeunesse de Toulouse et à l'Université de Toulouse le Mirail, 80,4% des participants se sont définis comme hétérosexuels, 4,3% bisexuels, 4,3% homosexuels, tandis que 9,1% ont coché la case « ne veut pas se définir » et 1.9% « ne sait pas ». L'évaluation de l'orientation sexuelle basée sur l'attirance sexuelle a donné des résultats sensiblement différents: 75,6% se sont dit « attirés exclusivement par des personnes de même sexe », tandis que les autres déclaraient une attirance pour les personnes de même sexe, à des degrés divers, évalués en fonction des 4 autres modalités de réponse: « surtout par les filles, mais aussi un peu par les garçons », « autant par les filles que par les garçons », « surtout par les garçons mais aussi un peu par les filles », et « exclusivement par les garçons ». Comme dans les recherches effectuées ailleurs dans le monde, à partir d'échantillons beaucoup plus vastes, les résultats de cette enquête concluent à la sursuicidalité des jeunes qui se définissaient comme homosexuels : 1/3 d’entre eux avaient déjà effectué une tentative de suicide vs 3% parmi ceux qui se déclaraient attirés exclusivement par les filles. Ainsi, les jeunes hommes se définissant comme homosexuels représentaient un tiers de l’ensemble des sujets ayant effectué au moins une tentative de suicide. Les jeunes hommes qui se déclarent attirés sexuellement par les hommes à des degrés divers, sans forcément se définir comme homosexuels, ont aussi été

pris en compte dans l'analyse des résultats. Alors qu’ils représentaient un quart de l’échantillon, les participants qui déclaraient une attirance sexuelle plus ou moins forte pour les garçons comptaient pour les 2/3 des sujets ayant déjà tenté de se suicider. (Pugnière & Bourdet-Loubère, 2005)

Beck et al. (2010) citent plusieurs recherches montrant un risque suicidaire élevé dans la population des Lesbiennes, Gays et Bisexuel-le-s (LGB) en France, notamment les enquêtes Presse Gay, ou encore la recherche conduite par Shelly et Moreau (2005). Cependant, ils ne rapportent que deux enquêtes ayant permis de disposer de données obtenues à partir d'échantillons représentatifs. Il s'agit de l'Enquête Nationale sur la Violence Envers les Femmes en France (E.N.V.E.F.F), et du Baromètre Santé 2005 de l'I.N.P.E.S. De plus, ces deux recherches présentent des limites, du fait qu'elles n'avaient pas pour objectif d'étudier le lien entre orientation sexuelle et suicide.

A partir de l'enquête sur la violence envers les femmes, réalisée en 2000, auprès d'un échantillon de 6970 femmes âgées de 20 à 59 ans, Lhomond et Saurel-Cubizolles (2003) ont

notamment mis en évidence des liens entre l'orientation sexuelle et des difficultés sur le plan de la santé, dont les tentatives de suicide. Dans cette recherche, se trouvaient deux questions au sujet de l'orientation sexuelle. L'une interrogeait l'attirance envers les femmes: 4% y ont répondu positivement à des degrés divers. Parmi elles, 67% se déclarent attirées surtout par les hommes, 21% autant par les deux sexes, 8% surtout par les femmes, et 4% exclusivement par les femmes. L'autre question portait sur les rapports sexuels. Un pour cent des femmes déclarent avoir eu des rapports homosexuels au cours de leur vie et seulement 0,1% au cours de l'année précédente. Parmi les femmes qui ont eu des rapports homosexuels, 1/4 ont déjà tenté de se suicider, soit 4 fois plus que parmi les femmes hétérosexuelles déclarant être attirées uniquement par les hommes et 2 fois plus que parmi les femmes ayant des rapports uniquement hétérosexuels, mais déclarant une attirance pour les femmes (Lhomond & Saurel-Cubizolles, 2003). En dépit de ses limites, cette étude permet de disposer de données

issues d'un échantillon représentatif, concernant le lien entre orientation sexuelle et suicide chez les femmes, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. En effet, en France et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis, les recherches sur cette problématique se sont d'avantage

intéressées aux hommes, parce qu'elles s'inscrivent dans un contexte marqué par l'épidémie de sida, qui touche davantage les hommes homosexuels, ou encore, plus globalement, par manque d'intérêt des sciences sociales et des recherches épidémiologiques, vis-à-vis de

l'homosexualité féminine (Lhomond & Saurel-Cubizolles, 2003).

L'enquête baromètre santé 2005, quant à elle, comportait des questions à la fois sur le comportement sexuel et sur le suicide (Beck & al., 2010). Basée sur un échantillon de 21096

personnes âgées de 18 à 64 ans, les résultats de cette recherche confirment, une fois de plus, la sursuicidalité des hommes homo-bisexuels, avec une prévalence des tentatives de suicide de

12,5%, au lieu de 3% chez les hommes déclarant avoir eu uniquement des partenaires de sexe féminin. En revanche, cette recherche ne confirme pas ce phénomène chez les femmes. Ce résultat peut être nuancé en raison des limites de cette enquête. En effet, au sujet de l'orientation sexuelle, le baromètre santé 2005 comportait uniquement des questions sur les comportements sexuels au cours des 12 derniers mois, précisant le sexe des partenaires. Ainsi, il ne prend en compte que l'homosexualité active sur cette période là, or parmi les personnes n'ayant pas eu de relation sexuelle au cours des 12 derniers mois, il peut se trouver des personnes homo ou bisexuelles qui rencontrent des difficultés à vivre ou à assumer cette orientation sexuelle. L'analyse des données montre notamment que les personnes qui déclarent ne pas avoir eu de relations sexuelles au cours des 12 derniers mois présentent un taux de tentatives de suicide intermédiaire entre ceux qui déclarent une sexualité homosexuelle et ceux qui déclarent une sexualité exclusivement hétérosexuelle (Beck & al., 2010). En France, les recherches portant sur de larges échantillons représentatifs n'ayant pas été conçues spécifiquement pour étudier la sursuicidalité des personnes homo ou bisexuelles, nous manquons donc à ce jour de données pour analyser ce phénomène.

On retiendra le fait que, concernant le sexe masculin, toutes les recherches aboutissent à la sursuicidalité des personnes LGB, dans des proportions souvent très significatives. Mais, concernant les filles, si les résultats vont globalement dans le même sens, c'est dans une moindre mesure et, dans un certain nombre d'études, la différence entre les groupes observés n'est pas significative.