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4. RESULTATS

4.1 L ES FACTEURS D ’ APPRENTISSAGE

4.1.4 Facteurs individuels et stratégies personnelles

4.1.4.4 Stratégies personnelles d’apprentissage

Après avoir exploré quels pouvaient être les différents facteurs « personnels » qui exercent une influence sur les apprentissages, nous exposons ici quelles sont les stratégies d’apprentissage utilisées par les apprenants et comment ces stratégies sont apparues. Tout

d’abord, deux types de stratégies sont identifiés. Le premier type fait référence à des stratégies mises en place dans l’activité de travail spécifique. Dans un tel cas, l’apprentissage est situé.

Le second fait référence à des stratégies d’apprentissage généralisées à d’autres situations de travail. Ces types de stratégie sont le fruit de plusieurs facteurs réunis. Ainsi le discours du tuteur, l’observation des collègues en action, la personnalité de l’apprenant, les expériences de types « épreuve », les cours, les référentiels de savoir, ainsi que la connaissance du contexte, des résidants, de ses limites et de son statut, sont autant de facteurs générateurs, soit de stratégies individualisées lors de situations spécifiques de travail, soit de stratégies d’apprentissage généralisées.

4.1.4.4.1 Les stratégies dans l’activité de travail spécifique

Ici, nous allons illustrer certaines stratégies de travail mobilisées par les apprenants dans des situations spécifiques et nous indiquerons les facteurs principaux qui ont conditionné l’émergence de ces stratégies.

a) Aline : rire avec les résidants

Le rire est utilisé par Aline pour gérer une situation avec les résidants susceptible de générer des critiques ou l’expression de déceptions. Ainsi, lorsqu’Aline doit animer un atelier et que le matériel initialement prévu dysfonctionne, elle se voit dans l’obligation d’improviser et de modifier l’activité. Pour gérer cette situation, elle a utilisé le rire, l’autodérision et s’est alignée sur les propos des résidants pour dédramatiser la situation. Ici, cette stratégie située est en lien avec le facteur « personnalité », puisqu’Aline se décrit comme une personne qui

« rigole facilement » et qui « est de bonne humeur ». C’est donc principalement ce facteur qui l’a incitée à réagir de la sorte.

b) Gabriel : prendre le temps, se mettre en retrait

Gabriel s’est retrouvé dans une situation de stress où il devait aider une résidante à s’habiller rapidement après le lever pour éviter de prendre du retard sur le planning. Après une discussion avec un professeur de cours, il a pu se rendre compte qu’il suffisait de prendre le temps avec la résidante pour évacuer ce stress et commencer l’activité plus tôt par exemple.

Le facteur « cours » est ici à l’origine de la nouvelle stratégie de Gabriel. Dans une autre situation, Gabriel a su se mettre en retrait, parce qu’il jugeait que la situation de prise en charge d’une résidante « instable » médicalement, dépassait le cadre de ses fonctions et de son statut : « je me suis mis un peu à l’écart, comme je suis qu’en formation, pour éviter d’avoir

des problèmes, que ça soit pour elle ou pour moi » (G2, L22-23). Dans ce cas, il a su se mettre en retrait parce qu’il avait « connaissance de ses limites et de son statut ».

D’autres stratégies utilisées par les apprenants sont inspirées par l’observation des collègues en action ou/et du conseil des tuteurs et celles-ci sont manifestement intégrées par les apprenants, comme cela ressort dans leur discours :

c) Clara : parler à haute voix aux enfants

Lorsque Clara prend en charge un enfant ou un bébé, elle prend à présent l’habitude de s’adresser à eux à haute voix et de verbaliser ses actes. Cette stratégie est d’une part

« éducative » et d’autre part elle lui permet de justifier indirectement ses actes auprès des parents ou soignants qui l’observent, ce qui diminue sa peur d’être jugée. Il est intéressant de constater que Clara parle de « technique qu’elle s’est donnée », alors qu’initialement cette technique lui a été donnée par sa formatrice lors des entretiens pédagogiques. Mais cette technique s’est également développée en elle à force de vivre des expériences de type

« épreuve ».

d) Aline : s’adresser individuellement aux résidants

Aline s’adresse individuellement aux résidants, suite aux observations qu’elle a pu faire de sa tutrice en relation avec les résidants. Nous verrons dans le prochain chapitre que cette

« stratégie » de travail est un apprentissage qui a évolué avec le temps.

4.1.4.4.2 Les stratégies d’apprentissage généralisées

Nous avons vu que certaines stratégies utilisées par les apprenants sont de l’ordre du « situé » parce qu’elles font référence à des situations de travail relativement spécifiques. A présent, nous exposons quelles sont les stratégies d’apprentissage qui ont pu être généralisées par les apprenants et qui sont constamment exploitées. Ces stratégies généralisées par les apprenants sont utilisées de manière consciente et les apprenants savent qu’en les activant ils apprennent plus efficacement. Nous nous apercevrons ici que les principaux facteurs qui aident à la construction des stratégies personnelles généralisées sont les facteurs de « personnalité » des apprenants, ainsi que le facteur « rôle des tuteurs ».

a) La stratégie de relativisation

Cette stratégie est utilisée par les trois apprenants pour toutes sortes de situations problématiques. Tous sont capables de relativiser l’activité lorsqu’elle se déroule différemment de ce qui était prévu ou lorsqu’ils se jugent « être en échec », ou encore lorsqu’il faut passer à l’action. Ainsi, Aline dédramatise aisément une situation problématique parce qu’elle sait qu’elle aura d’autres occasions de montrer ce qu’elle sait faire, et parce qu’elle sait que les résidants la connaissent et ne la jugeront pas sur un seul échec. Ainsi, le facteur « connaissance du contexte et des résidants » semble primordial pour aider l’apprenante à relativiser la situation problématique. Par exemple, lorsqu’Aline se trouve face à des résidants qui n’apprécient pas l’activité proposée, elle est capable de s’adapter à la situation, tout en prenant du recul: « c’est pas grave, je leur propose deux autres activités (…) » (A2, L199-200). Ou encore lorsqu’elle pense rater son activité, elle exprime elle-même qu’elle est capable de relativiser la situation : « si je suis en échec, c’est pas grave, je me dis que je relativise (…) » (A2, L214-215). Pour Clara, c’est la même chose ; celle-ci est en mesure de prendre du recul par rapport à la situation : « si ça fonctionne pas comme prévu, c’est pas grave. C’est pas la mort, c’est normal « (C2, L142-144). Enfin, Gabriel possède lui aussi cette faculté, puisque lorsqu’il se retrouve en situation de devoir passer à l’action, il est capable de se répéter qu’il verra bien ce qui lui arrivera, ce qui est un indice de relativisation.

Si cette stratégie semble relever d’une compétence personnelle, elle est souvent construite et apparaît de plus en plus et au fur et à mesure des apprentissages et des expériences. Le rôle des tuteurs peut également influer, notamment lorsque ces derniers analysent avec l’apprenant la situation qui a posé problème pour la comprendre dans son ensemble et proposer d’autres pistes, ce qui aide l’apprenant à prendre du recul.

b) La stratégie visant à se recentrer dans l’activité

Lorsque Clara vit une situation (quelle qu’elle soit) où elle ressent le jugement des autres (infirmiers, parents), elle prend petit à petit l’habitude de se « recentrer » dans l’activité en cours. Pour ce faire, elle se répète mentalement un certain « mantra » (« Aie confiance en ton travail, en tes compétences ») et tente de faire le vide autour d’elle. Elle centre son attention sur le besoin réel de l’enfant, ce qui lui fait oublier la présence des autres acteurs. Le fait d’avoir bénéficié au préalable des conseils professionnels de sa formatrice l’aide à utiliser cette stratégie. Ainsi, le facteur « rôle du tuteur » est à l’origine de cette stratégie. Mais ce n’est pas le seul facteur qui permet à Clara de se recentrer. En effet, elle recourt également à des savoirs accumulés (école, terrain), autrement dit au facteur « référentiel de savoirs », pour justifier le besoin de se recentrer complètement sur l’enfant :

« En me disant "oublie pas qu’un bébé ça ressent tout, donc il faut aussi que tu te conditionnes toi enfin pour aider l’enfant et aussi moi". Donc c’est vrai que c’est aussi des petites phrases que je peux me redire et relier en fait la théorie à la pratique. » (C2, L-347-349).

c) La stratégie d’écriture et de lecture

Cette stratégie est fortement appliquée par Clara et Aline à différents niveaux. Aline dit

« aimer marquer » pour ne pas oublier les faits importants à traiter lors d’activités (de travail, ou lors de situation d’examen) et si possible garder l’écrit sur soi. Cette technique l’aide à diminuer son stress parce qu’elle est certaine de ne rien oublier d’important. Clara, quant à elle, dit être une personne « très dans la lecture » et ajoute qu’elle possède la faculté de se souvenir aisément de ce qu’elle apprend. Ici, le facteur « personnalité » joue un rôle important dans l’élaboration de cette stratégie. Mais sa formatrice use de la stratégie d’apprentissage de Clara (la lecture) pour proposer des activités allant dans le même sens (amener de la documentation). En plus d’aimer lire, Clara se sert beaucoup de l’écrit également parce que sa formatrice l’incite à l’écriture par tous les exercices hebdomadaires qu’elle doit rapporter. Elle ajoute que cette forme de travail « l’aide beaucoup » au quotidien.

Le facteur « rôle des tuteurs » a donc une influence certaine sur les stratégies d’apprentissage.

Enfin, Clara possède un classeur qu’elle garde chez elle et relit de temps en temps, notamment lorsqu’elle est en difficulté avec un enfant, soulignant les points qui peuvent lui être tout particulièrement utiles dans la situation problématique. Là aussi, le facteur « rôle des tuteurs » est important, puisque beaucoup des conseils conservés dans le classeur viennent de la tutrice. De plus, les formateurs peuvent utiliser directement les stratégies personnelles des apprenants (lorsqu’ils en sont conscients) pour orienter leur propositions de travail dans la même direction et rendre ainsi l’apprentissage plus efficace.

d) La stratégie visant à se représenter mentalement l’écrit ou les conseils

Cette stratégie est principalement utilisée par Clara qui dit se « représenter » ce qu’elle a écrit au préalable lorsqu’elle se retrouve dans une situation problématique : « si il y a des moments où je m’éparpille un peu, je peux me représenter ce que j’ai écrit et me dire "ah mais ça c’est comme ça, oublie pas de faire ça !" » (C1, L128-130). En plus de pouvoir se représenter mentalement un écrit, Clara est capable de remobiliser dans l’action les pistes et conseils donnés par la tutrice, parce qu’elle dit « les avoir toutes dans sa tête » : « je suis un petit livre où elle sont toutes stockées (les techniques) (…) » (C2, L574). Pour activer cette stratégie, les facteurs « personnalité » et « rôle des tuteurs » sont importants.

e) La stratégie : voir et faire, résidant par résidant

Gabriel use de cette stratégie et dit être une personne qui apprend plus facilement par le

« visuel et le tactile » : « Je suis obligé de faire les choses et obligé de voir » (G1, L544). On s’aperçoit encore ici que cette stratégie relève principalement du facteur « personnalité ». En plus d’avoir besoin d’observer et de faire, Gabriel a eu l’opportunité de pouvoir choisir comment il avait envie de prendre en charge les résidants. Il a donc choisi de faire ses apprentissages par résidant au lieu de les prendre en charge tous en même temps : « j’avais vraiment demandé à commencer un apprentissage avec un ou deux résidants » (G1, L374-375). Ici, on perçoit clairement la combinaison entre le facteur à la fois « personnalité » ; Gabriel sait qu’il sera plus efficace s’il apprend les spécificités des résidants une par une et le facteur « rôle des tuteurs » ; son formateur lui laisse le choix de prendre en charge individuellement les résidants.

Les facteurs « personnalité » et « rôle des tuteurs » sont effectivement sollicités en majorité dans la constitution des stratégies personnelles d’apprentissage. En effet, les tuteurs peuvent délibérément aider à l’élaboration de ces stratégies par les nombreux conseils et pistes de travail, par les exercices de prise de recul lors de situations problématiques, par la confection et l’utilisation d’outils formateurs (le classeur des progrès), en laissant le choix aux apprenants dans leurs apprentissage ou encore en ayant conscience des stratégies d’apprentissage des apprenants et en les utilisant pour orienter les tâches dans le même sens.

De leur côté, les apprenants construisent leur stratégie en fonction des facultés préalables qu’ils possèdent (mémorisation, relativisation) et en ayant connaissance de ce qui facilite leur apprentissage (la lecture, l’écriture, le visuel, le faire, etc.), puis en les exploitant.