Le cas de Gabriel

4.2.1.1 Etre responsable de l’administration des médicaments

La première situation qui fait état d’un changement entre les deux sessions d’entretiens fait référence à une situation de travail où, en premier lieu, Gabriel ne possédait pas la responsabilité d’administrer les médicaments aux résidants et où, en second lieu (3 mois après), on lui a offert la possibilité d’exercer cette responsabilité. Il s’agit là d’une étape importante et un changement de statut pour Gabriel : l’acquisition de nouvelles responsabilités. Les facteurs principaux ayant permis cette transformation sont les suivants : manifestement, l’expérience de type « épreuve » vécue par Gabriel lorsqu’il s’est retrouvé en situation de devoir, contre son gré, prendre la responsabilité de donner les médicaments, a joué en sa faveur, puisque c’est notamment suite à cette expérience que l’équipe a décidé de lui donner une plus grande marge de manœuvre. Ainsi, nous observons qu’effectivement une trajectoire d’apprentissage n’est pas fixe et qu’un événement peut venir l’influencer et modifier la position identitaire de l’apprenant. En effet, Gabriel expérimente un nouveau statut identitaire parce qu’on lui octroie davantage de responsabilités. Un autre facteur ayant permis cette transformation est celui « d’accès à l’activité ». Avant de vivre une expérience où il a dû prendre des initiatives, Gabriel a pu de nombreuses fois observer « l’agir » de ses collègues dans des situations similaires (donner les médicaments) parce qu’il avait accès à ces moments qui précédent le repas avec les résidants. De plus, la connaissance de son contexte de travail et des résidants a été fortement sollicitée, puisqu’il connaissait les subtilités liées aux médicaments et aux techniques d’administration spécifiques à chaque personne. Gabriel a donc été en mesure d’étendre ses connaissances du fait qu’il a eu accès à l’activité. Enfin, « le rôle des tuteurs » occupe une place prépondérante, parce que son formateur et ses collègues ont su réagir positivement à la prise d’initiative de Gabriel, faisant ainsi preuve de compréhension. A noter que ce changement a eu pour Gabriel plusieurs conséquences. En

effet, un renforcement identitaire est perçu parce qu’il y a eu progression dans ses « droits ».

Aussi ce changement est-il pour lui le signe d’un progrès, puisqu’il stimule sa motivation, notamment en ce qui concerne la nécessité de se renseigner toujours plus sur les subtilités des résidants (par exemple, il lit à présent avec un intérêt accru les anamnèses des résidants).

4.2.1.2 Les repas avec Jeanne⁵

Dans cette situation, Gabriel exprime sa difficulté à faire manger une résidante qui refuse tout aliment. Il est intéressant de noter que cette situation a été évoquée dans les deux entretiens, mais c’est notamment dans le second que Gabriel exprime la différence de prise en charge par rapport à trois mois en arrière : en effet, le repas avec Jeanne avait alors été un échec et Gabriel s’était interrogé sur lui-même et sur sa manière de faire. Il dit également qu’il avait tendance à « s’énerver intérieurement » et qu’il manquait d’outils et de savoirs pour aider Jeanne à se nourrir. Trois mois plus tard, le repas avec cette résidante est toujours un échec, mais Gabriel ne s’interroge plus spécifiquement sur lui ou ses propres compétences face à la situation. Les facteurs recensés ayant permis cette transformation sont notamment et principalement la comparaison de soi avec ses collègues : les collègues qui prennent le relais se retrouvent dans la même situation problématique que Gabriel et ce de manière cyclique. Ce fait rassure donc l’apprenant sur ses propres compétences. Un autre facteur est celui de la connaissance du contexte et de la résidante (qui refuse toujours de manger). Cette connaissance est de nouveau possible parce que Gabriel a accès aux activités de repas. Enfin, ce qui l’aide à faire face à la situation aujourd’hui est d’avoir pris connaissance d’une stratégie développée par l’équipe et de l’utiliser au besoin ; il a donc plus d’outils et de références que trois mois auparavant. Là aussi, ces outils ont été connus de Gabriel, parce qu’il interagit avec ses collègues et les voit en pleine action : le facteur « rôle des tuteurs » permet donc l’exploitation de ces outils ou référentiels de savoirs. La conséquence de cet état de changement débouche sur l’attribution ou non d’un échec à soi-même ; à présent, Gabriel ne pense plus que l’échec des repas lui incombe.

5Prénom fictif

4.2.1.3 La communication avec ses collègues

Lors du second entretien, Gabriel évoque une difficulté de communication avec ses collègues de travail. Il explique qu’au début de son apprentissage, il recevait plusieurs remarques de la part de ses collègues sur sa personnalité, considérée comme « directe et renfermée ». A présent, même si certaines remarques persistent, leur fréquence a nettement diminué, ce qui encourage l’apprenant. Pour expliquer ce changement, Gabriel fait référence aux cours sur la communication qu’il étudie au CPNV. Il en retire quelques conseils et astuces l’aidant à mieux s’exprimer auprès de ses collègues en évitant les malentendus. Une meilleure connaissance du contexte de travail et de ses collègues l’aide à cerner les différentes personnalités, tout comme les collègues cernent la personnalité de l’apprenant. Des feedbacks réguliers de ses collègues ou du tuteur permettent de mettre en exergue la progression de l’apprenti à ce sujet, ce qui le valorise dans ses apprentissages : à nouveau le rôle des tuteurs est primordial. Enfin, ce qui a permis cette évolution est également la possibilité pour Gabriel de comparer son mode de communication actuel avec celui de ses expériences de travail antérieures, notamment avec le monde de l’ébénisterie, qu’il décrit comme un monde « cru ».

Gabriel modifie petit à petit sa manière de parler envers ses collègues, ce qui se cristallise dans sa personnalité et son identité.

4.2.1.4 Prendre le temps avec une résidante

Nous avons évoqué plus haut, comment Gabriel a modifié son comportement face à une résidante qu’il devait aider à s’habiller, sans lui faire prendre du retard sur le planning de la journée. Il exprime à ce sujet qu’il avait pour habitude de précipiter ce moment du lever et que, suite à un cours, il a pris conscience qu’il pouvait agir différemment, en prenant une marge de temps supplémentaire. Ici, on perçoit clairement le facteur « cours » comme étant l’élément essentiel qui a permis une prise de conscience chez Gabriel. Pour réaliser ce changement, il a également utilisé le facteur « comparaison avec sa vie privée ». En effet, Gabriel compare la situation qu’il faisait vivre à la résidante à une situation qu’il pourrait vivre chez lui si sa mère venait le réveiller brusquement. Gabriel explique également qu’il a le soutien inconditionnel de ses collègues en cas de difficulté : le facteur « rôle des tuteurs » est à nouveau présent. Pour finir, le tout a permis à Gabriel de développer une stratégie personnelle de travail en situation spécifique, puisqu’à présent il prend effectivement le temps de réveiller la résidante en évitant toute situation de stress.