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4. RESULTATS

4.1 L ES FACTEURS D ’ APPRENTISSAGE

4.1.3 Facteurs environnementaux liés au travail

4.1.3.5 Connaissance de ses limites et de son statut

Il semble que l’un des facteurs environnementaux liés à la place de travail, également en lien avec les facteurs de types « interpersonnels » ou « organisationnels », est celui de la connaissance de ses limites professionnelles en tant qu’apprenti. Le fait que l’apprenant sache ce qu’il peut ou ne peut pas faire dans sa position d’apprenti le réconforte dans sa pratique professionnelle. A l’inverse, lorsque l’apprenti émet des doutes sur ses limites et droits en tant qu’apprenant, cela peut venir le perturber et influencer sur sa confiance en lui dans l’activité.

Concernant nos trois apprenants, leur discours nous indique qu’ils connaissent à présent parfaitement leurs limites et leurs droits par rapport à leur statut d’apprenti de seconde année, mais que cette connaissance du statut a pris un certain temps: « c’est vrai qu’au début, ma place d’apprentie, enfin, je savais pas vraiment mes limites » (C2, L118-119). Après plus d’une année d’apprentissage, les apprentis sont en mesure de donner spontanément des exemples sur leurs limites au sein de l’activité de travail. Aline évoque sa sensibilité humaine qui l’aide à travailler quotidiennement avec les personés âgées :

« Pour moi c’est, enfin je sais pas, pour le temps que je passe ici, c’est un peu tous mes grands-parents quoi et qu’on peut pas faire de mal à MES résidants quoi, mais toujours en ayant une distance professionnelle, je vais jamais leur faire un câlin ou comme ça. » (A2, L465-468).

A nouveau, nous constatons que la connaissance de ses droits et limites relève d’un processus:

« Maintenant, je sais que les apprentis sous délégation, peu importe qu’est-ce que c’est, j’ai le droit (…) » (G2, L60-61). L’utilisation de l’adverbe « maintenant », évoqué par Gabriel, évoque qu’à l’époque il n’avait pas connaissance de ce fait, mais qu’à présent il l’a. Gabriel, tout comme Aline, connaît ses limites et le niveau de responsabilité qu’il possède : « je peux pas prendre la responsabilité, moi, de vérifier les médicaments, par contre si ça a été vérifié, j’ai juste à aller demander et puis oui je peux les donner, et ce vraiment à tous les résidants » (G2, L69-71).

Pour Clara, qui travaille dans un contexte plus fluctuant, ses limites et ses droits semblent plus difficiles à cerner, compte tenu de la multiplicité des situations nouvelles. En seconde année d’apprentissage, elle s’interroge sur la possibilité ou non d’intervenir dans une situation délicate avec une accompagnatrice d’enfant : « dans ma position je savais pas trop ben voilà déjà si on avait le droit de faire ça (…) » (C2, L37-38). L’interrogation de Clara relève du niveau de responsabilité qu’elle ignore vis-à-vis de son statut, mais également vis-à-vis du groupe des éducatrices, lorsqu’elle utilise le sujet « on » (on avait le droit de faire ça). Cet indice linguistique démontre que la limite entre ce que peuvent faire les éducatrices en milieu hospitalier et ce qu’elles ne peuvent effectivement pas faire n’est pas complètement clair dans l’esprit de Clara.

Mais parfois, une connaissance poussée de ses limites en tant qu’apprenti peut aussi être vécue comme un frein à l’initiative, également par peur de commettre des erreurs. Il arrive aussi que l’apprenti se retrouve dans une situation telle qu’il est obligé de déroger aux règles institutionnelles concernant son statut et ses limites. Dans ce cas, pour éviter toute sanction inappropriée, l’apprenti ressent le besoin de réguler immédiatement cet écart, en le mentionnant à sa hiérarchie. C’est le cas de Gabriel, qui s’est retrouvé dans une situation inconfortable parce qu’il a dû s’occuper seul des résidants lors du repas de midi et administrer, sous sa seule responsabilité, les médicaments. Il a d’ailleurs tout de suite fait part de cette expérience à son formateur :

« J’ai eu besoin de reprendre ça parce que ma position ce jour-là, j’étais apprenti de 2ème année où j’ai pas le droit de donner de traitement et j’ai pris la responsabilité tout seul alors que c’est pas mon rôle de le faire. Je sais que R (le formateur) ça le dérange pas parce que on a une bonne relation ensemble, donc je pense qu’il a confiance en moi et moi j’ai confiance en lui mais ça m’a mis mal à l’aise dans le sens où voilà j’ai fait quelque chose que j’avais pas le droit. » (G1, L 610-615).

La connaissance accrue de ses limites et de ses droits a engendré chez Gabriel la peur d’être sanctionné pour avoir agi dans une situation où théoriquement il n’aurait pas dû agir. D’autant plus que Gabriel est conscient que la moindre faute, par une prise de responsabilité indue, peut provoquer de graves dégâts sur la santé des résidants et mettre en péril, à la fois, le travail d’un de ses collègues placé sous sa responsabilité, ainsi que sa propre place d’apprentissage. Malgré cette prise de conscience sur ses limites en tant qu’apprenti, Gabriel semble souffrir du manque de responsabilité qu’on lui a confiée, surtout au début de son apprentissage : « Il y a des choses que j’ai pas le droit de faire et je pense que ça, ça met un

certain blocage pour certaines choses, je le comprends et je m’énerve pas pour ça, c’est normal mais je pense que ça m’aiderait (…), pas d’avoir plus de responsabilité mais…» (G1, L206-210). Son hésitation à la fin de sa phrase laisse à penser que ce manque de responsabilité le dérange. Ce qui est confirmé tout de suite après par ses propos : « Voilà c’est un truc, pas qui me pèse, (…) mais ça me dérange un peu. » (G1, L 214-216).

Cependant, une méconnaissance de ses limites peut également mettre l’apprenant dans une situation de malaise. En référence au sentiment de sécurité psychique, qui concerne le crédit que les autres nous accordent en cas d’erreur, celui-ci joue un rôle sur les apprentissages parce que quatre risques lui sont liés. L’un des quatre risques est celui d’être perçu comme une personne perturbatrice. Comme c’est le cas de Clara qui, en début de première année, n’osait pas se confier à sa formatrice en rapport à ses limites en tant qu’apprenante :

« Avant j’aurais pas osé en parler à N en fait. Même lui demander conseil, peur de la confrontation avec les parents ou bien avec les autres intervenants ou bien ouais peur que ça crée des soucis, c’est vrai qu’au début, ma place d’apprentie enfin, je savais pas vraiment mes limites. » (C2, L116-119). « Je pense que j’aurais eu peur qu’elle pense qu’après voilà je fasse des soucis qui amènent des tensions, enfin les embêter pour rien » (C2 L 121-122).

Mais le fait d’informer l’apprenant sur ses limites le rassure et lui permet d’avancer dans son travail. Ainsi, et selon le soutien organisationnel perçu, une bonne communication de type management où l’on fait circuler des informations au sujet du travail, permet de rassurer les collaborateurs sur leur propre travail. Clara a reçu des informations capitales sur ses limites, ce qui lui a permis d’agir en toute connaissance de cause et de se sentir plus à l’aise:

« Au début en tant qu’apprentie, je savais pas ce que je pouvais faire et ce que je pouvais pas faire, enfin j’osais pas non plus prendre trop d’initiatives, donc voilà après une fois qu’on en a parlé en entretien où ça été clairement dit "ben oui tu peux, il y a pas de souci, tu peux prendre des initiatives et les coucher". Donc là, ça a aussi fait un déblocage où je me suis plus permise. » (C1, L304-309).

Être informé de ses limites paraît donc essentiel pour amener les apprenants à prendre de l’assurance dans leur activité de travail. C’est le cas également d’Aline, qui soulève l’importance d’être réorientée dans sa pratique en cas d’écart professionnel, parce que cela lui permet d’acquérir un savoir sur ses propres limites, ses comportements et les règles à respecter. Il y a ici un lien fort avec le facteur « rôle des tuteurs ».