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4. RESULTATS

4.1 L ES FACTEURS D ’ APPRENTISSAGE

4.1.3 Facteurs environnementaux liés au travail

4.1.3.1 Importance du tutorat : le rôle des tuteurs

L’un des facteurs principaux liés à l’environnement de travail et qui ont une influence certaine sur l’apprentissage des apprenants est celui du rôle endossé par les tuteurs (collègues, formateur). De ce rôle découlent plusieurs dimensions que nous allons explorer, telles que l’environnement expansif, l’accompagnement direct et indirect, la reconnaissance et la valorisation ainsi que l’identification au tuteur.

Pour rappel, un environnement professionnel considéré comme expansif offre un large répertoire de connaissances à explorer, d’expériences novatrices à tester. L’apprenant y est reconnu comme « apprenant » et peut exprimer ses intentions et son sens critique. Tous ces éléments sont largement liés au rôle des tuteurs et à la place qui est donnée aux apprenants.

Cet environnement est également en corrélation étroite avec l’accès aux activités et aux experts, mais nous traiterons ce point dans le chapitre suivant. Lorsque les tuteurs adoptent une attitude d’ouverture envers les apprenants, cela facilite la relation et l’apprentissage.

Ainsi, les trois apprenants peuvent aisément questionner leurs collègues en cas de difficulté ou demander un coup de main et ce à n’importe quel stade de la formation, ce qui est vécu comme « rassurant » par les apprenants, qui sont alors bel et bien considérés comme tels.

Aussi, les apprenants ont l’opportunité d’aiguiser leur sens critique auprès des collègues et peuvent à tout moment émettre des propositions : « C’est vrai qu’elles me freinent pas, si j’ai des propositions à faire, elles sont totalement ouvertes au changement » (C1, L551-552).

L’apprenant peut même contester certaines décisions en lien avec le travail, sans avoir peur

d’être perçu comme quelqu’un de « perturbateur » : « J’ai cette ouverture de dire oui ou non et puis de donner mon avis » (G2, L775-776). Les apprenants osent s’affirmer face au tuteur et aux collègues parce qu’on leur donne la possibilité de s’exprimer et que leur point de vue est considéré comme « valable ». Cette attitude d’ouverture atténue les éventuelles peurs que peuvent éprouver les apprenants lorsqu’il s’agit de demander de l’aide ou de questionner un collègue. De plus, cette posture encourage les apprenants à adopter une attitude de « curiosité professionnelle » dans le sens où ces derniers veulent également voir ou demander l’avis d’un autre collègue sur le même sujet, afin de comparer et de trouver une façon de faire qui leur convienne au mieux : « peut-être que telle ou telle personne va me dire une autre façon de faire qui va être mieux, donc je vais aller lui demander » (G1 L444-445). Mais le fait d’oser dire les choses à ses collègues dépend également de l’entente générale et de l’affinité entre l’apprenant et ses collègues. Cette entente doit être réciproque et c’est à partir d’elle que la personne ose s’exprimer. Enfin, il semblerait que cette relation d’affinité ou du moins d’entente entre chacun des protagonistes est possible si une confiance réciproque a pu s’établir au préalable. L’apprenant a confiance en ses collègues ou son formateur et les perçoit comme des « professionnels » et leur accorde du crédit. Le formateur ou les collègues ont confiance en l’apprenant parce qu’il a pu au préalable démontrer une certaine motivation et réussir certaines tâches qui lui ont été confiées. Dans ce cas, l’attitude générale de l’apprenant joue un rôle certain dans la confiance et l’entente réciproque qui peuvent s’établir. Mais les tâches qui incombent à l’apprenant doivent être réalisables et entrer dans la zone proche de développement de l’individu. Toutefois, cette attitude est facilitée lorsque les collègues et formateurs eux-mêmes adoptent une attitude d’ouverture. On trouvera ci-après un schéma reprenant ces principales idées sous forme de chaîne, dont la lecture peut être faite dans les deux sens.

Figure 1 : Perception réciproque et apprentissage efficace

Une autre dimension du rôle des tuteurs est celle de l’accompagnement direct et indirect.

L’accompagnement indirect recouvre principalement les activités d’observation et de participation passive à des discussions. L’observation des collaborateurs est une méthode utilisée par les apprenants pour surmonter différents types de situation. Ainsi, lorsque

Attitude ouverte/ bonne entente Apprentissage

efficace

Oser demander, s’affirmer

Confiance réciproque

Perception positive réciproque

l’apprenant débute son apprentissage, il use de l’observation de ses collègues pour s’initier aux bases du métier. C’est le cas pour Gabriel qui, au départ de son apprentissage, n’a pas eu de formateur attitré et s’est grandement inspiré de ses collègues, notamment par l’observation des collaborateurs en action. Mais l’observation des collaborateurs peut être utilisée pour donner à l’apprenant une ligne directrice à suivre, autrement dit un modèle d’inspiration professionnelle : « je me suis dit qu’elle (la formatrice) arrivait trop bien à dire quelque chose, même si, en fait, il n’y avait rien à dire, et je me suis dit "il faut aussi que j’apprenne parce que ça va m’arriver". » (A2, L316-318). Les observations effectuées par les apprenants sur leur formateur les aident à en faire autant. Enfin, l’observation des tuteurs ou des collègues permet aux apprentis de relativiser leur propre pratique de travail. Lorsque Gabriel observe ses collègues tenter de donner à manger à une résidante qui refuse tout aliment, cela le conforte dans sa manière personnelle d’agir avec cette résidante et lui montre qu’il n’est pas LE problème dans cette situation. Dans le même ordre d’idées, Clara s’aperçoit qu’elle n’est pas la seule à recevoir des remarques déplaisantes de la part de parents d’enfants et que ses collègues doivent également faire face à ce genre de situation. Cependant, l’attitude adoptée par les collègues dans de telles situations est une source d’inspiration pour Clara, qui se rend compte qu’elle aussi pourrait être à son tour capable de surmonter une telle situation.

On s’aperçoit dès lors que l’observation recouvre plusieurs fonctions, toutes porteuses d’un message d’apprentissage.

L’accompagnement direct a été, quant à lui, également repéré sous différentes formes. Nous retrouvons l’importance capitale des entretiens avec le formateur ainsi que plusieurs techniques de suivi qui en découlent. Des formes de guidage et de feedback sont repérées et, enfin, la mise au travail en tandem est également un type d’accompagnement direct observé mais qui sera décrit dans le chapitre sur « l’accès à l’activité et progression ».

Les entretiens avec le formateur sont la forme la plus explicite d’accompagnement direct et revêtent, semble-t-il, un aspect capital dans l’élaboration des apprentissages. Durant ces entretiens, les apprentis prennent connaissance de différentes manières de faire en suivant les précieux conseils des formateurs : « durant les entretiens (…), on avait déjà parlé de différentes techniques, faire des bulles de savon, ça calme les enfants (…) » (C1, L224-225).

Ou encore, parce que ces entretiens servent également à poser les limites et à être au clair vis-à-vis du statut d’apprenant. L’entretien a aussi une fonction de « mise au point » par rapport aux évolutions de l’apprenant, notamment en lien avec ses objectifs d’apprentissage.

L’entretien permet également de clarifier une situation problématique pour réguler la relation

« apprenant - formateur » : « Je lui ai expliqué la situation, on l’a juste reprise, pour moi j’avais besoin de la reprendre (…) » (G1, L706-707). Enfin, l’entretien donne la possibilité au formé de réaliser certains aspects du travail dont il n’avait pas connaissance de manière explicite au préalable. Par des techniques de construction du raisonnement, de questionnements ou de comparaison de situations, le formateur incite l’apprenant à réaliser certains éléments du travail. Il s’agit ici d’amener l’apprenant à mettre en récit l’activité pour lui permettre d’entrer dans une visée compréhensive de la situation. Voici donc un panel de fonctions que l’entretien peut recouvrir. Pour ce faire, il est intéressant de constater que chaque formateur possède ses propres techniques de suivi. Par exemple, pour Clara, qui bénéficie d’entretiens hebdomadaires avec sa formatrice, cette dernière lui demande d’apporter par écrit une situation qui soit problématique ou positive, dans le but de procéder à une analyse de situation. Ces situations peuvent être thématisées afin d’en utiliser un certain nombre pour procéder à une comparaison de situations dans le temps et de mesurer les progrès effectués sur une même thématique (les siestes, les repas, les soins, etc.). Clara est invitée à répondre à des questions visant à cerner le pourquoi et le comment de sa manière de faire, dans le but d’effectuer une auto-évaluation. Le formateur de Gabriel organise, quant à lui, ses entretiens en amont : il récolte l’avis de tous les collègues pour nourrir la réflexion durant les entretiens. Ces entretiens sont le plus souvent organisés « par résidant », les protagonistes passant en revue tous les résidants du groupe et l’apprenant étant ensuite invité à commenter son travail avec chacune des personnes. Au départ de ses entretiens avec Gabriel, le formateur utilisait des techniques de types « regard croisé » avec ses collègues et Gabriel, pour évaluer par exemple, les progrès de l’apprenti : « il a croisé le truc (…), par exemple sur ce point-là je me voyais bien, mais mes collègues pensent que je peux m’améliorer » (G1, L80-81). La formatrice de Clara recourt également à cette technique pour évaluer les perceptions de chacune (Clara et la formatrice) par rapport aux progrès accomplis.

Au besoin, si l’écart de perception est trop important, il y a alors discussion entre la formatrice et l’apprenante. Une autre technique qui permet à l’apprenant d’apprendre efficacement consiste à prendre en charge un projet type à mener. Enfin, concernant les techniques d’entretien de la formatrice d’Aline, il est intéressant de noter qu’il y a eu un changement de méthodologie entre l’entretien pédagogique 1 et l’entretien pédagogique 2 réalisés pour cette recherche. Dans le premier entretien pédagogique, Aline et sa formatrice procédaient par animation avec les résidants. Chaque activité était énoncée et Aline exprimait son ressenti à propos des résidants, ainsi que son évolution au fur et à mesure du déroulement des activités. A la suite de quoi un bilan était dressé à la fin de l’entretien. Dans le second

entretien pédagogique, il y a eu modification du style professionnel de la formatrice. En effet, on observe alors que l’entretien n’est plus conduit dans une logique d’activité des résidants, mais dans une logique de questionnements. La formatrice amène l’apprentie à s’interroger sur diverses thématiques le plus souvent en lien avec l’évolution de ses apprentissages et de sa posture professionnelle (statut, intégration, motivation à travailler, mode d’apprentissage, appréhensions, changement à envisager, etc.).

D’autres formes d’accompagnement direct ont émergé, telles que les formes de guidage. A ces formes de guidage on peut associer les feedbacks réguliers apportés par les collaborateurs ou le formateur sur le travail de l’apprenant. Ainsi, lorsqu’Aline effectue un faux mouvement dans l’accompagnement des personnes âgées, ses collègues vont le lui faire remarquer et lui proposer une manière de faire plus appropriée. Les formes de guidage peuvent se dérouler en trois temps bien distincts, comme c’est le cas avec Clara, qui a bénéficié d’un suivi en amont à une situation, pendant et après. A noter que le feedback qui vient après la situation aide particulièrement les apprenants à faire le point et à se situer en tant qu’apprenti : « Le fait qu’à la fin il me dise qu’il y a eu des retours plutôt, enfin plus de retours négatifs, à la toute fin ça, ça aide ! » (G1, L753-754).

Enfin, les formes d’accompagnement direct, telles que le travail semi-assisté par des accompagnements en tandem, ont émergé. Nous expliciterons plus loin dans ce travail en quoi consiste cet accompagnement direct.

Un autre rôle du tuteur qui semble important dans l’élaboration des apprentissages est celui de la reconnaissance et de la valorisation accordées aux apprenants. Cela comprend les félicitations reçues par les collègues ou le formateur ainsi que la considération identitaire apportée à l’apprenant. Pour rappel, s’il y a soutien de la part de l’organisation, le travailleur développe une implication affective à l’égard de son entreprise ou de ses responsables et fera alors preuve d’un engagement conséquent. C’est le cas pour Clara, qui a pu développer cette forme d’implication affective envers ses collègues et qui prend plaisir à obtenir de bonnes notes à l’école pour nourrir la fierté de ses collègues de travail : « On a parlé de ce qui allait, de ce qui allait pas et maintenant ça me donne encore une plus grande envie de leur montrer (…), à l’école aussi enfin mes bons résultats, ça me fait plaisir d’avoir des bons résultats pour leur fierté ! » (C1, L671-675). Ses collègues savent mettre en avant les bons résultats de Clara et la valoriser dans ce qu’elle est et ce qu’elle fait. Nous avons évoqué plus haut la nécessité

d’obtenir des feedbacks réguliers. Ces feedbacks sont d’autant plus puissants lorsqu’ils sont vécus comme positifs par l’apprenant, lequel sera alors incité à continuer à effectuer les

« bonnes » pratiques, valorisées par la communauté de pratique : « Le fait de dire "voilà effectivement tout le monde a vu que tu avais fait un pas en avant", c’est valorisant ! » (G1, L777-778). Obtenir des félicitations ou à l’inverse des mises en garde est particulièrement important pour l’apprenant qui pourra mieux se situer dans ses apprentissages. Aline exprime l’importance de recevoir soit des félicitations, soit des mises en garde : « Parce que, savoir si je fais les choses bien ou mal (…), que je suis pas à la masse quoi ! Je sais que ça convient, que c’est un bon comportement.» (A2, L570-575). Enfin, si la valorisation et la reconnaissance sont particulièrement importantes quand elles viennent des tuteurs ou des collègues, il semblerait que la valorisation venue de la part des résidants (dans la mesure du possible) sur le travail de l’apprenant joue également un rôle important. Aline reçoit régulièrement des petites attentions positives ou des encouragements de la part des personnes âgées, ce qui la stimule dans son travail : « ça me touche, dans le sens où je fais pas du travail pour rien. Je fais du travail pour des personnes qui sont reconnaissantes » (A2, L127-128).

Enfin, un autre rôle important que permet le tutorat est, dans un premier temps, celui de l’identification au tuteur, puis, dans un deuxième temps, celui d’une distanciation progressive de son modèle pour devenir « soi ». On a pu s’apercevoir plus haut combien il est crucial pour l’apprenant de disposer de figures de référence et de quelle manière les observations faites par des collègues au travail peuvent devenir pour lui des modèles d’inspiration professionnelle.

Cette identification au tuteur permet la réalisation du style professionnel. L’apprenant va construire son propre style par l’observation de la communauté de pratique, qui elle-même tend vers un genre professionnel bien distinct et commun à chaque collaborateur. Ainsi, tous les collègues du même métier, ou du moins travaillant dans le même lieu, travaillent en visant un but commun. Pourtant, chacun d’eux produit des manières de faire spécifiques, chacun d’eux a son style professionnel. Spontanément et sans consigne préalable, tous les apprentis ont à un moment donné des entretiens évoqué la construction de leur style professionnel.

Gabriel est conscient que son style professionnel est fortement dépendant du genre professionnel de la communauté de pratique à laquelle il appartient :

« Je vais accompagner un éducateur pas forcément R (le formateur), parce qu’il ne veut pas que ça soit que lui, parce qu’ils ont chacun leur méthode, on arrive toujours au même but mais on a chacun notre méthode, c’est l’avantage de l’apprenti, tu vas

avec 3 ou 4 personnes, tu prends le meilleur d’eux et puis toi tu te fais un mixte pour te créer ton truc! » (G1 L 236-240).

Les autres apprenants aussi utilisent les styles professionnels des collaborateurs pour construire leur propre style et s’affranchir petit à petit des autruis significatifs: « c’est vrai qu’on parle avec M d’observer mais pas d’imiter, mais avoir sa propre personnalité aussi et faire à sa sauce un peu ! » (C1, L 370-371). Ou encore et pour Aline cette fois-ci : « ils m’ont expliqué, voilà la gym on peut faire ça, une autre m’a dit on peut faire ça et après je fais un mélange des deux (…) » (A1, L111-112). Et c’est en construisant ses propres manières de faire que l’apprenant deviendra finalement un réel « plus » pour l’équipe et la complétera, comme l’exprime Clara : « Je suis l’apprentie mais on se complète les unes aux autres » (C1, L374-375).