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4. RESULTATS

4.1 L ES FACTEURS D ’ APPRENTISSAGE

4.1.2 Facteurs liés aux cours théoriques et au dispositif de formation

4.1.2.5 Construction identitaire

Par son dispositif, l’alternance oblige l’apprenant a faire l’expérience d’une construction identitaire, articulée entre d’un côté le pôle de l’école et de l’autre celui du travail. Ces passages entre les deux mondes vont engendrer une transition identitaire et inciter à un changement sur la représentation de soi. Ces deux mondes, parfois très opposés, créent un certain inconfort chez l’apprenant, lequel endosse alors des statuts différents. Aline laisse échapper un indice d’inconfort généré par cette alternance lorsqu’elle exprime ce que lui apportent les cours : « Aux cours on apprend quand même, même si j’aime pas (rires), non on apprend quand même beaucoup de choses. » (A2, L425-426). Lorsqu’à la fin de l’entretien il lui a été demandé pourquoi elle n’aime pas être en cours, elle a répondu que c’est la position

assise de l’apprenant qui la rebute car au travail elle n’est pas habituée à cela et préfère être active. Discours qui souligne la difficulté à assumer des rôles différents.

L’apprenant teste des statuts divers et construit son identité en usant de stratégies de valorisation de soi afin de se distinguer du groupe, comme le montre l’exemple de Gabriel, a qui on reproche d’adopter des attitudes différentes selon la personne avec laquelle il travaille (le formateur ou les collègues) :

« Moi je me rends pas compte, mais peut-être que oui effectivement face à R (le formateur), ben voilà c’est mon patron et j’ai envie de lui montrer que je fais ça bien, que j’ai envie de faire ci, de faire ça et quand il est pas là, je veux pas dire que je me repose sur mes lauriers, mais je suis peut-être un peu plus en retrait (…) » (G2, L 654-657).

Gabriel alterne entre des stratégies de valorisation de soi et des stratégies de reconnaissance sociale, car faire partie intégrante de la communauté des travailleurs sociaux est à ses yeux important, comme le confirment ses propos : « Disons que l’avantage de maintenant, c’est que je peux vraiment soulager l’équipe et je peux faire l’assistant socio-éducatif de A à Z. » (G2, L120-121) ou encore : « (…) je veux pas dire que je suis traité comme un éducateur parce que c’est pas vrai, mais presque, à peu de chose près, c’est ça en fait. » (G2 L92-93).

L’apprenant va développer une représentation de soi en fonction de la manière dont les autres le jugent. Il évalue ce jugement en lien avec la perception qu’il a de lui-même et par comparaison avec des modèles qui, selon lui, exercent une influence. Ainsi, Gabriel se compare avec ses collègues dans une situation qu’il n’arrive pas lui-même à maitriser pour obtenir des informations sur ses propres capacités et sa valeur, ce qui lui permettra de mieux se situer : Gabriel peine à faire manger une résidante qui refuse tout aliment et découvre que ce n’est pas lui qui est responsable de cette situation :

« Et puis ce qui m’a réconforté c’est que même avec quelqu’un d’autre de plus expérimenté qui va faire peut-être les gestes un peu plus justes que moi, ben ça avait pas passé non plus, donc c’était pas moi, c’était pas de ma faute et c’est ce qui m’a réconforté ». (G1, L392-395).

Gabriel a pu, par comparaison, développer une représentation de lui-même, ce qui contribue de fait à la construction de son identité professionnelle.

Mais il arrive parfois à l’apprenant d’anticiper les jugements qu’autrui va porter sur lui, ce qui influence directement sa propre représentation de lui-même. En d’autres termes, si l’apprenant se perçoit comme « incapable », il va s’imaginer que les autres le perçoivent directement comme quelqu’un d’« incapable », ce qui va provoquer chez l’apprenant des sentiments liés à la gêne, voire à la honte, et le conforter dans sa propre représentation de soi.

Clara a vécu ce sentiment et l’exprime ainsi : « C’est vrai que moi j’étais très dans le regard des autres donc ça me bloquait directement et j’osais pas vraiment, même si c’était juste mes gestes, j’osais pas forcément faire ce que je pourrais faire » (C2, L 378-380). Sa peur du jugement que les autres peuvent porter à son égard affecte sa pratique et renforce l’identité qu’elle se fait d’elle-même. Cette peur peut même aller jusqu’à la déstabiliser, comme le montre cet exemple, où Clara anime seule le goûter avec un groupe d’enfants en présence de certains parents :

« On a des règles, il faut goûter un fruit et si l’enfant est pas content, il commence à pleurer et il mange pas et sort de table et c’est vrai qu’il y a avait des parents qui étaient là et pour eux j’étais horrible parce que je lui avais pas donné à manger et c’est vrai que je me suis dit "mais qu’est-ce qu’ils pensent de moi ?" » (C1, L 323-327).

Le jugement que d’autres peuvent porter sur l’apprenant influence directement la manière dont ceux-ci peuvent dépasser une situation problématique et dépend en grande partie de la connaissance réciproque que les acteurs ont les uns des autres, comme nous le verrons dans le chapitre traitant des facteurs environnementaux liés au travail. Ainsi, pour Aline qui est pourtant elle aussi sensible au regard des autres et se sent vite jugée, il est aujourd’hui plus facile d’improviser lors d’une situation problématique parce qu’elle n’a plus peur du jugement des résidants à son égard, étant donné que ces derniers la connaissent et savent ce qu’elle

« vaut » en tant que professionnelle : « Je suis pas considérée comme :"oui bon de toute façon elle est de passage alors tout ce que… " Enfin voilà, ils me considèrent comme les autres si je fais une activité ils vont pas dire "oh, de toute façon c’est pas une professionnelle donc elle à moins de capacité, ça sera moins bien" » (A1, L90-93).

L’apprenant devra aussi dépasser les attributions d’identité venant d’autrui pour être capable au final de revendiquer son appartenance au métier. De fait, nous pouvons constater que pour Clara, il est encore difficile de faire abstraction des jugements et attributions d’identité venant des parents d’enfants ou encore du personnel soignant qui gravite autours de l’enfant hospitalisé. Dans cet extrait, Clara explique une situation qui l’a rendue mal à l’aise du fait de

l’importance qu’elle accorde aux attributions identitaires venant d’autrui. Dans ce contexte, elle était chargée d’accompagner un enfant au lit, dans le cadre des soins intensifs :

« On arrive, il y a plein de monde, plein d’infirmières, plein d’autres enfants, de parents, puis cet enfant on savait déjà qu’il était un peu difficile, capricieux dû à ce qu’il a vécu en étant aux soins intensifs. Donc c’est vrai que quand il a commencé à hurler tout le monde regarde, au début je me suis dis "mon dieu il y a tout le monde qui me regarde !" (rires) et voilà je me disais "ha ils vont se dire que celle là elle sait pas faire avec cet enfant, elle sait pas le calmer", il y a pas mal de questions qui trottaient dans ma tête, dû à un manque de confiance » (C1, L 237-243).

A nouveau, nous nous apercevons que ce manque de confiance dont parle Clara et qui, selon elle, la caractérise va l’inciter à anticiper les jugements d’autrui à son égard et influencer directement ses pensées.

Gabriel, quant à lui, revendique aisément son appartenance au métier et semble moins sensible aux attributions d’identité venant d’autrui. Par exemple, dans une situation où ses collègues le suspectent de travailler différemment suivant qu’il se trouve avec son formateur ou avec d’autres collègues, Gabriel prend en compte cette remarque et tâche de faire davantage attention les prochaines fois. Toutefois, il dit aussi qu’il ne compte pas « changer complètement dans sa manière d’être ». Il arrive même à aller au-delà des attributions d’identité en affirmant que, malgré son statut d’apprenti, il sera prêt à réagir si le bien-être du résidant est en danger. Un autre indice de revendication de son appartenance au métier, découle directement du discours générique de Gabriel qui, la majeure partie du temps et ce au cours des deux entretiens, utilise les pronoms « nous » ou « on », en parlant de lui.

Manifestement, lorsqu’il parle de lui et de ses pratiques, il inclut aussi ses collègues éducateurs.

Enfin, la construction identitaire au travail dépend largement de la capacité de l’apprenant à négocier son identité par rapport aux autres. Pour Gabriel, il n’a pas été aisé de démarrer son apprentissage avec ce nouveau statut d’apprenti, alors que l’année précédente il avait été engagé comme stagiaire dans cette même institution et avait pu s’initier à des pratiques professionnelles, dont il s’est vu retirer la responsabilité au commencement de son apprentissage. Frustré par ce changement de statut, c’est finalement avec le temps, les interactions avec ses collègues et suite à une expérience de type « épreuve » que Gabriel a pu négocier une évolution dans ses responsabilités vis-à-vis des résidants : il peut à présent

donner les médicaments aux résidants alors qu’en principe, à ce stade de l’apprentissage, il n’en n’aurait pas eu le droit.