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4. RESULTATS

4.2 D ES APPRENTISSAGES EN TRANSFORMATION

4.2.3 Le cas de Clara

Clara explique qu’il y a quatre mois en arrière, elle avait de la peine à gérer les pleurs des bébés, notamment parce qu’elle accordait trop d’importance au regard des autres (parents, soignants) et n’avait pas d’assurance dans ses gestes. A présent, elle dit « oser » plus s’affirmer dans la gestion de telles situations, et a acquis des techniques de travail qui l’aident efficacement (parler à haute voix aux enfants qui pleurent). Le facteur principal ayant permis cette évolution est celui du « rôle du tuteur ». En effet, les entretiens vécus avec la formatrice sont riches en conseils professionnels (parler à haute voix aux enfants en crise, contrôler les couches, la nourriture, la douleur pour comprendre les pleurs, etc.) et la formatrice use d’une technique visant à construire un raisonnement formateur chez l’apprenante. Pour permettre ce raisonnement, la formatrice utilise le facteur « comparaison avec la vie privée » pour montrer à Clara qu’il y a finalement très peu de différence entre la prise en charge d’un enfant qui pleure dans la vie de tous les jours et la prise en charge d’un enfant à l’hôpital. Ce raisonnement, possible grâce aux questions de la tutrice, a été vécu par Clara comme un

« déclic » et lui a permis de prendre plus d’assurance dans ses gestes professionnels. Mais le facteur « rôle du tuteur », n’est pas l’unique facteur qui a permis à Clara de mieux gérer les pleurs des enfants. En effet, elle explique que, grâce aux « cours », elle a réussi à comprendre les comportements des enfants en fonction des stades de leur développement et sait qu’un bébé est sensible aux émotions de l’adulte. C’est pourquoi un autre facteur particulièrement

important a permis à Clara de gérer toujours mieux les pleurs des enfants : le facteur

« expérience de type épreuve », dans le sens où c’est en se confrontant à des situations d’enfants en crise que Clara peut s’exercer toujours plus à la prise en charge. Enfin, le facteur

« stratégie personnelle » entre en ligne de compte, puisque Clara a suffisamment intégré une technique de travail, initialement proposée par sa formatrice (parler à haute voix aux bébés en pleurs) afin de la faire « sienne ».

4.2.3.2 La sieste aux soins continus

Ici, Clara exprime une situation où elle devait accompagner un enfant aux soins continus pour le coucher. Mais l’enfant pleurait énormément, ce qui l’a mise mal à l’aise vis-à-vis des autres soignants et parents. A ce sujet, elle dit qu’elle n’aurait pas réussi à gérer une telle situation au début de son apprentissage. Ce qui a permis cette évolution est une combinaison de facteurs complexe. Tout d’abord, l’activité de sieste a été organisée en plusieurs étapes progressives, ainsi le facteur « accès à l’activité et progression » a joué un rôle, puisque Clara s’est tout d’abord exercée dans le cadre de l’unité de travail habituelle, avant d’aller dans d’autres univers (soins continus), tout en bénéficiant de l’aide de ses collègues. Par la suite, les étapes sont devenues un peu plus complexes, parce que Clara devait mener cette tâche seule dans la chambre de l’enfant. Finalement la tâche s’est davantage complexifiée pour être menée cette fois-ci par elle seule et dans un espace collectif. Ces expériences passées ont contribué chacune à l’expérience actuelle d’accompagnement aux soins continus, puisque ce sont ces expériences passées qui ont permis la transition vers les situations futures. Enfin, nous voyons que l’accès à l’activité a permis à Clara de faire « des expériences » de sieste en amont et à plusieurs reprises. Elle connaissait donc les procédures ou astuces habituelles pour mener à bien sa tâche. Le facteur « rôle du tuteur » est également influent, puisque c’est durant les entretiens pédagogiques que la formatrice a pu transmettre quelques techniques et conseils permettant d’accompagner l’endormissement des enfants. Le facteur « connaissance du contexte et des résidants » joue, lui aussi, un rôle. En effet, Clara exprime qu’après plusieurs siestes avec l’enfant concerné elle commençait à mieux le cerner : « je savais comment il faisait » (C1, L256). Elle recourt également au facteur « comparaison avec d’autres situations de travail », et fait la comparaison avec la tâche de la sieste dans un autre milieu professionnel (la garderie), ce qui lui permet d’évaluer sa posture professionnelle dans ce contexte précis de l’hôpital et de comprendre quelles sont les éventuelles différences. Le fait de connaître ses limites et son statut lui a également permis de savoir qu’elle était prête pour

s’initier à l’activité de sieste dans le contexte particulier des soins continus. Elle a également pu transmettre ses propres connaissances à des pairs (la stagiaire) vis-à-vis de l’enfant en question et des techniques d’endormissement qu’elle avait pu tester au préalable, ce qui lui permet d’intégrer toujours plus la tâche. Enfin, elle a pu utiliser une stratégie personnelle pour mener à bien la tâche de la sieste en soins continus (stratégie visant à se recentrer dans l’activité), stratégie elle-même possible par l’activation d’autres facteurs.

4.2.3.3 Le regard des autres et la confiance en soi : en route vers l’affirmation

Clara affirme à plusieurs reprises – et ce dans les deux entretiens – qu’elle souffre d’un manque de confiance en elle et se préoccupe énormément du regard des autres. Une grande partie du travail qu’elle entreprend avec sa formatrice vise l’obtention d’une plus grande confiance en elle et une diminution progressive de l’importance accordée au regard des autres.

Dans le second entretien avec Clara, nous nous apercevons qu’elle redoute toujours le regard des autres. Toutefois, un indice d’évolution entre en compte puisqu’elle a osé s’affirmer dans une situation spécifique. Il est intéressant de souligner que cette étape vers une évolution progressive d’affirmation de soi est le premier élément que Clara explique lors du second entretien, ce qui montre à quel point cette évolution est importante pour elle. Dans cette situation, Clara a pu s’affirmer et faire comprendre à une adulte pourquoi les choix éducatifs qu’elle et son équipe ont faits étaient pertinents. Les facteurs ayant poussé Clara à prendre plus d’assurance sont multiples. Tout d’abord, Clara a vécu, dans ce cas de figure, une

« expérience de type épreuve », ce qui l’a obligée à se confronter à une situation d’affirmation. Les entretiens qu’elle a eus avec sa formatrice, en amont et après avoir vécu l’expérience, lui ont permis d’anticiper la réaction et de faire le point sur la situation ; à nouveau, le « rôle des tuteurs » est primordial. A ce titre, Clara a également eu l’occasion d’observer à maintes reprises ses collègues dans des situations où elles doivent faire preuve d’affirmation de soi face à des parents mécontents, ce qui a contribué à inspirer Clara vis-à-vis de sa propre réaction. De ce fait, ce qui a permis à Clara d’oser s’affirmer et de faire toujours plus abstraction du regard des autres, est en lien avec le dispositif progressif mis en place par la formatrice. Ainsi, Clara s’exerce à des situations toujours plus complexes dans lesquelles elle doit faire preuve d’affirmation de soi et éviter de se préoccuper du regard des autres. Et si cette progression par étapes est possible, c’est également parce que Clara fait preuve de « motivation et d’engagement » et souhaite se surpasser dans des situations complexes : « c’est vrai que je lui demande des choses, (…), c’est quelque chose dont j’avais

besoin pour progresser (…) » (C2, L495-497). Mais une bonne connaissance de ses limites et de son statut d’apprenante a également permis à Clara de s’affirmer dans la situation spécifique, parce qu’elle savait, après discussion avec sa formatrice, qu’elle pouvait prendre l’initiative d’expliquer à la personne les bases éducatives de son action. Pour s’initier à cette tâche, elle devait au préalable avoir connaissance du contexte de travail et du fonctionnement général, dans le sens où Clara a dû faire un travail d’éclaircissement du rôle des éducatrices par rapport aux décisions des parents sur les enfants pris en charge et à la marge de manœuvre dont elles disposent : « je me disais, si elle (l’enfant) est avec la bénévole et ben nous peut-être qu’on doit pas s’en occuper, elle fait comme elle veut (…) » (C2, L 39-40).

Pour conclure cette partie sur les apprentissages en transformation, nous nous apercevons que le facteur principal et récurrent dans toutes les situations est celui du « rôle des tuteurs ». Les dimensions du rôle des tuteurs sont plurielles, puisque la plupart du temps observer les collègues et tuteurs en action aide l’apprenant à construire des apprentissages et à transformer ses propres comportements. Mais les conseils précieux offerts par les formateurs ou collègues aident également l’apprenant dans la réalisation des tâches quotidiennes. Les feedbacks, points de situation ou bilans exercent une influence, tout comme le soutien, les encouragements, l’aide ponctuelle des collègues. Enfin, le formateur aide aussi à la construction de raisonnements d’action et permet ainsi à l’apprenant de « voir les choses autrement ». Ce sont là les différents rôles qui peuvent incomber aux tuteurs vis-à-vis des apprenants et qui, manifestement, permettent l’évolution des apprentissages. En second lieu vient l’importance de « connaître son contexte de travail et les résidants », qui est également une dimension très sollicitée par les apprenants et permet les évolutions. Qu’il s’agisse d’une meilleure connaissance du lieu de travail et de son fonctionnement général, des collègues ou des résidants, cela aide manifestement l’apprenant dans la prise d’initiative, l’orientation de la tâche, l’adaptation à la tâche et la prise de confiance en soi. Ensuite vient le facteur « d’accès à l’activité et de progression » qui est primordial pour évoluer dans une tâche. En effet, y avoir accès est déjà la première étape. Aussi, il existe souvent des dispositifs évolutifs de la tâche, organisés par le formateur, ce qui permet à l’apprenant d’apprendre « en douceur », évoluant par étapes progressives. Au même titre que l’accès à l’activité et la progression, nous constatons l’influence « des cours » sur l’évolution des apprentissages de terrain. A noter que leur impact est d’autant plus important lorsque l’apprenant se rend compte que les principes étudiés en cours sont appliqués « concrètement » sur le terrain par les collaborateurs. Le

facteur « expérience de type épreuve » est également un des facteurs qui permet l’évolution d’un état ou d’un savoir, puisque c’est par ce biais, qu’un « déclic » peut être opéré, ce qui amène l’apprenant à tester de nouveaux statuts ou états. Enfin, divers mécanismes de comparaison sont utilisés (comparaison de soi dans la vie privée, dans d’autres situations de travail, avec les collègues), et permettent à l’apprenant de mieux se situer et donc de cerner les évolutions potentielles. Finalement, les stratégies personnelles et les inférences liées à la personnalité ont un impact relativement faible dans l’évolution des apprentissages.

L’hypothèse pourrait être que la personnalité et les stratégies d’apprentissage se développent une fois qu’il y a eu évolution d’un apprentissage au préalable.